DANIEL GIRAUD

AU VIF DE L’INSTANT

 

 

I

LA MONTAGNE

 

 

 

 

la montagne est une montagne

 

Il n’y a pas de bout au bord du monde pour l’étranger sans lieu ni loi que le feu et la foi animent.

S’il lui arrive de pleurer en se penchant, par cette chute la pluie tombe sur certains. C’est l’homme qui aussi bien voit pleurer la lune à travers la rosée et qui croit voir une distance entre la lune et lui.

Sur la route sous le soleil s’étendent à ras de terre les mirages de la réverbération. Dans la superposition des mondes et la surimpression des impressions, l’homme « en-dehors » marche hors du monde qu’il fuit ou dont il se libère. Ainsi l’appelle-t-on « l’étranger » comme s’il n’y en avait qu’un. Et c’est toujours le même.

Sans se retourner, sans itinéraire et sans affaire, il marche. Seule sa mobilité est distincte des épouvantails qu’il croise.

Il marche pour que cesse le bavardage mental qui agite l’homme, cette confusion de pensées errantes dont tous s’acclimatent.

Ne voulant pas composer avec elles, il erre à son tour, et de tout son être pour ne pas être pensé par ses pensées. Même en vivant ces notions il reste empêtré dans les mots. Dans ce qui est suscité par le mental. Et plus ses idées sont de haute fréquence plus elles se multiplient en un flux tumultueux, ronde folle qui l’entraîne à tel point que plus il pense, plus il est pensé.

Alors il marche pour oublier et pour se souvenir de s’oublier.

Chaque nom collé sur chaque chose ne la détache-t-elle pas de l’essentiel de sa forme qui est non-forme ?

Travaillant sur l’énergie de la nature des choses il dort dans des cavernes pour s’évider sous le crâne de la terre et jaillir de la fontanelle du four.

Le poids qu’il traîne est plus lourd que sa besace et souvent son rire s’étrangle. Mais il sourit. Dans la trouée qu’il perce dans l’existence il déchire sa vie et le monde traque celui qui poursuit la peur car le monde a peur de la peur.

Quand la fatigue l’arrête sur la place d’un village près d’une fontaine et quand la curiosité des bipèdes l’emporte sur leur agressivité de poltrons, il parle à ceux qui l’entourent.

Il dit que le développement de l’homme est stoppé avant maturité et dans la mesure où venir à maturité équivaudrait à la réalisation de Soi, l’infantilisme de l’affirmation du moi est partout répandu.

Alors des ricanements lui répondent jusqu’à ce que l’indifférence générale étouffe toute question et que chacun s’en retourne d’où il est venu sans qu’un retour à l’origine ne s’accomplisse.

L’extérieur qui n’est pas perçu de l’intérieur ne se dissipe pas aussitôt.

Ainsi l’en-dehors reprend sa route comme si l’hors du monde était l’hors du temps.

À chacun son voyage.

 

 

 

 

la montagne n’est pas une montagne

 

Du détachement la solitude ? Débusquant l’ordinaire du trucage des habitudes, l’ignorance fait place au changement et la transformation incite à la transcendance.

L’étranger réfractaire à la planète ne supportait pas l’odeur de l’homme et devait donc en passer par le désert. Là où, stoned ou pas, commencent d’autres hallucinations. Car sa lanterne est un sablier. Et dans la succession des moments il marche vers sa mort.

La forêt est pourtant sanctuaire quand il se recueille en elle. La montagne est son ascension spirituelle quand il monte vers les cimes. Mais de couper les ponts coupe les jambes, et, le souffle court, l’en-dehors endure au silence.

Quand le renoncement prend l’allure de privation, il repousse les limites du corps au-delà de tous les excès. Revenu de ses orgies il va brouter les herbes. Et quand des promeneurs s’approchent il hurle : « attention à la vermine! »

Vêtu de crasse et d’air il connaît le poison comme remède mais, continuant de souffrir, il cherche ensuite au flanc des montagnes ce que lui répond la nature.

Aux prêtres dogmatiques qui le conspuent il assure que l’église intérieure n’est pas bâtie avec des pierres ordinaires, aussi vrai que la montagne n’est pas la montagne, et que ce sont les connaissants non croyants qui en sont les pierres vivantes.

La vie n’a pas de morales et la liberté pas de confort. Dans le malheur du monde la détresse du solitaire procède de son face à face avec son être. Avec ce qui « est » pour abolir le « son ».

Il sait que ce qui se déploie sans peine s’épanouit sans trace et que la terre se réjouit de l’être ravi au ciel mais plus il se sent proche d’un tel état au-delà des plans plus sa détresse s’accentue.

C’est pourquoi, le regard vide, il médite sur l’impermanence; contemplant le vide, il voit le miroir mais ne voyant plus le monde est-il plus éveillé que l’homme borné qui voit le reflet sans voir le miroir ?

 

 

 

 

la montagne est la montagne

 

Un jour, par aventure — et ce n’était pas n’importe quel jour ni n’importe quelle aventure — comme une intuition fulgurante, une déchirure en lui se fit.

Il se glissa dans l’intervalle.

Et avec lui tous les phénomènes dont il était la source.

Toute l’hallucination collective du monde phénoménal.

Mais tout se consumait dans l’instant même du jaillissement. Singulier jeu de la vie où les fragments de l’univers différencié sont issus de l’unité indifférenciée.

Quand les rayons du soleil se reflètent à la surface de l’eau d’un vase, qu’est-ce qui bouge, l’eau ou le soleil ? Peut-on isoler le reflet du soleil de l’eau du vase ?

Quand le vase est brisé le reflet n’existe plus et le soleil est dissocié de l’eau. Quand cesse la fausse représentation le Réel transparaît à travers les phénomènes apparents; le relatif n’est-il pas le divertissement de l’absolu ?

Sous le toit du monde la montagne redescendait. Dans le décor du spectacle les découvertes se suivaient au rythme des nuages qui changeaient les climats. Comme si rien ne s’était passé.

Est-ce à dire que tout son vécu jusqu’à présent avait été vain? Si l’absolu du réel s’était en fait dérobé, il avait pourtant filtré à travers diverses modalités et sous différentes formes... Et si la forme était bien déterminée par le fond, les différences se développant à l’intérieur de l’indifférenciation, dans toutes ces formes limitées se manifestait la pure lumière sans forme.

C’était grâce au « fond » que la « forme » pouvait se former. Ainsi voir sa propre forme c’est entrevoir le fond qui la forme, celui qui jamais ne se couche, ne s’étant jamais levé.

Et comme un miroir n’est pas marqué par ce qu’il reflète la conscience lumineuse n’est pas affectée par la multiplicité qui joue en elle.

Voyant l’un comme l’autre, en même temps, tout en les distinguant, la source non altérée désaltère. Saveur du cœur de l’unité.

L’étranger reviendra sans doute dans le monde.

Mais peut-être ne reviendra-t-il pas.

Personne n’étant parti.

 

 

 

 

II

L’ENTRE-DEUX

 

 

 

 

Fragments d’être...

Comme des vers dans

le cadavre du monde

ou des mutations

dans la dépouille

du vieil homme...

 

Il est un étonnement primordial... Celui d’être. Il pose la première attitude du vivant. Et c’est ainsi que l’homme de croyance n’est jamais aussi perplexe que l’homme de Connaissance...

 

Dans la Voie de la Dévotion le mystique, qui connaît la vacuité, se retire de lui-même comme des autres et dissout (Solve) sa conscience dans l’Univers.

 

Dans la Voie de la Connaissance le gnostique, qui connaît la plénitude, se donne à lui-même comme à l’autre et réunit (Coagula) sa conscience à l’Univers.

Et tous deux se rencontrent sur l’Autre Rive...

 

 

Mais n’y a-t-il pas

qu’une seule Rive ?

 

à demi plein

à demi vide

je retourne

 

Aujourd’hui l’homme des bois est comme un arbre déraciné. Mais l’emPYRée contient les astres et brûle en PYRénées. Cause sans cause, le Ciel informe. Fermeté du firmament. Signes nécessaires « sur la mer de nuit »... sur la ligne de mire.

 

 

Là où le regard ne nomme pas...

Voir sans regarder.

 

Vivre est un SACRifice. SACRé, l’être est le lieu où l’on entretient le Feu. Sur le pont de liaison du langage le mot est rendu sacré quand il est sacrifié. Alors l’excrément du meilleur de nous-même secrète le secret.

 

Entre deux sons le silence.

Entre deux mots personne.

Du sans place émane la parole sans mot.

 

Le sens des mots suit leur son.

Quel est le son du Sens ?

 

Le Sens n’a pas de sens.

 

Je module des sons dans l’arrière plan. Je boîte avec les mots, actes invisibles, dans la chaleur qui couve sous la fraîcheur. Dans l’instant présent l’écho précède autant le son qu’il le suit...

 

Au bois dormant

l’éveil

 

La Vie se dévoile

dans les trous de mémoire

La Conscience se révèle

dans l’éclair de conscience

 

La mer plonge

dans une goutte d’eau

 

Le soleil est tombé                       Le vieil homme à saigner

à l’occident                                  Le barbare à rencontrer

 

ô merveille !

le monde est en moi

mais je ne le suis pas

 

Au pile ou face du jeu du monde toujours est l’échec du partiel sur le dos comme sur la face.

Mais l’espoir de la tranche demeure pour un profil perdu...

L’Homme étant le seul être à pouvoir transgresser sa loi, son mérite réside en son erreur. Mais sa sagesse réside dans la transgression de son mérite.

Sur la pile comme sur la face.

 

Com       prendre

Sans rien prendre

 

Qui Sait Voir Sait

Que le monde s’y amortisse !

 

abusé

par le miroir de l’eau

désabusé

par le miroir du monde

 

 

Ce qui apparaît disparaît

Ce qui connaît est

Ce qui est connaît

 

À l’écoute de l’écoute éliminant tout contenu du véhicule...

L’Esprit est à la racine comme la Lumière à l’envers de la Nuit.

Entre jour et nuit on se ressent toujours du combat de l’insomniaque contre l’amnésique.

 

Orage des montagnes. Aura des cîmes. L’éblouissement de l’éclair jaillit au même instant que le crépitement du tonnerre.

La brume monte de la vallée comme la fumée d’un vaste incendie. Ivresse du grand air. Je crache comme un népalais sur ce sentier perdu. Altitude et solitude.

Les névés fondent à grand fracas. Un vent violent emporte les nuages et fouette le visage. Parfois je repère des emplacements de pas pour y poser les miens. Et déposer mon corps au bruit assourdissant de PYRène en chaleur.

Jusqu’à ce que le TOUT PASSE efface tout.

L’ombre chinoise d’un nuage au flanc du Mont Vallier. Lieu du Surhumain. Avoir l’œil... Voir par où l’on monte et savoir si l’on peut redescendre.

Les izards sautent d’un rocher l’autre puis s’arrêtent et m’observent... étonnés. La roche s’effrite. Le cœur bat. Éboulis de pierres où le pied glisse.

À force de voyager je ne bougerai plus de mon for intérieur.

 

 

Je me cherche en me suivant mais ni suiveur ni suivi il n’y a pas à suivre... Le chercheur n’est-il pas le cherché ?

L’englobant l’englobé ?

Où est la dualité en identifiant le non-soi avec le Soi ?

 

 

L’ Eau de Mer est l’Eau de Nuée

L’Eau céleste est ignée

 

Lors d’une escale, au campement d’une existence, passe la demeure et coule le chavirement...

La demeure perdue, la mémoire s’oublie. Les idées passent rapidement sans que la conscience ne s’y attache.

Observant un train de vie bourré de pensées... Pour quoi ? Pour qui se dit le Cœur.

 

Si nous rêvons une réalité le Réel peut très bien nous rêver puisqu’on croit être ce que l’on n’est pas quand on veut ce que l’on n’a pas.

À vivre le sans-précédent qui est penser le non-pensé.

Pensant le sans-pensé sans être pensé et mourant sans être mort d’un poème sans poésie...

Je dois mourir

où est née la naissance

 

 

Aux dieux du site et à l’oiseleur de mon cœur...

Quand les mésanges font leurs nids entre les pierres des murs de notre maison il n’est plus question de tourner autour de la question. C’est à la question de nous tourner autour.

 

 

Par mes os je suis minéral

Par mon eau je suis végétal

Par ma chair je suis animal

Et mon tout est aussi humain

Que mon Rien est Divin

 

S’ouvrir à l’ouverture...

 

Au pôle Nord l’Orient n’existe pas. Chaque pas va vers le Sud.

Vers le Nord ? Seule l’élévation... Voyage sans distance.

 

L’accès au sans-accès est l’espoir des sans-espoirs...

 

Le vrai Ciel est sans air

La vraie Terre est sans sol

Le vrai Homme est sans chair

 

Le corps du Ciel est de Terre

Le corps de la Terre est d’Air

Le corps de l’Homme est d’Homme

 

Quand le jour accouche de la nuit et que je marche dans la fumée les montagnes sont comme ces grosses bêtes velues allongées par terre en faisant le gros dos.

Quand elles se redressent le pelage tombe et la ligne de crête apparaît.

C’est ainsi que je suis entré dans la montagne comme on entre dans une femelle obscure au son d’un vieux blues qui crache...

Croire ni en ce que l’on voit ni en ce que l’on ne voit pas... Ultime disponibilité.

Sous le Ciel les sommets se fondent dans les nuages blancs. La brume s’étend d’un geste. Le fleuve céleste inonde l’espace. Le son de la hache s’ébat...

Le temps mûrit dans les feuilles d’automne qui tourbillonnent. Les battements de sang se souviennent de l’avenir. Est-ce hier ou demain ? Et le vide à l’origine des noms ? Quelques mots le chevauchent tandis que l’oubli spontané y retourne...

Enveloppé du corps de la Terre qui donc a laissé son Cœur dans la Porte ?

 

 

Car l’erreur de l’errant

est sa mise en demeure

 

 

Où vider les lieux ?

 

 

L’escalier monte sans que les pas ne bougent. Les parois se fissurent. Seules les apparences sont différentes.

Sortilège de la vision du monde. Un retour de trip...

Il n’y a pas de voyage sur une voie car ce n’est pas même le voyage qui trace la voie mais la Voie qui fait le Voyage.

Quand ce qui est perçu s’éteint, ce qui a perçu s’allume.

Et accompagne le mouvement de la Terre qui se règle sur le Ciel.

Le Soleil mange la Lune qui se nourrit de nous. La saveur du fruit n’existe que si je le savoure.

Connaissez-vous la saveur du Cœur ?

 

Sapidus est Sagesse

 

Humilité du Voyageur des Hautes Terres qui monte par-delà les montagnes.

Au Grand Midi l’ombre rentre dans le Soleil et le Tao est dans la crotte.

 

Connaissez-vous le parfum de la Voie ?

 

 

 

 

INDICES D’ILLUSIONS

(exercices sans exercices)

 

1) Ce que j’étais dans le passé je ne suis plus dans le présent. Alors, n’étant jamais le même, ce que je suis présentement est-il plus réel que ce que j’étais ou ce que je serai ?

2) Dans le même ordre d’idée, que l’on se remémore divers souvenirs du passé apparent d’une part, et des souvenirs de rêves d’autre part... Les uns sont-ils plus réels que les autres à l’instant où ils sont mémorisés ?

3) Avant qu’il y ait souffrance il y a toujours non-souffrance. La souffrance émerge donc de la non-souffrance. Aussi, quand la perception abandonne le perçu, n’est-ce pas alors paradoxalement à l’instant où le malheur s’éprouve qu’il est possible de percevoir la non-douleur ?

4) Observons calmement l’espace qui nous entoure sans mouvoir le regard. Il arrivera bien un moment où, n’étant pas alimenté, le mental suspendra son activité. Alors les êtres ou les objets de l’espace considéré sembleront s’estomper dans la profondeur sans fond de leur apparence. Aussi un certain nombre de questions sans réponses pourront suivre... « Qu’est cela ? », « Qui suis-je ? », etc...

5) Après avoir pris conscience du peu de réalités des phénomènes, le sentiment suprême est que tout est conscience. Or il y a émotions, sentiments etc... Pourquoi les réprimer au lieu d’éprouver leur origine qui est toute conscience ? Étant l’expression de cette conscience pourquoi bloquer son dérou-lement naturel ? En-deçà même des étiquettes positives ou négatives du style « colère » ou « pitié », « jalousie » ou « indifférence », « tristesse » ou « gaieté », ces expressions peuvent être vécues selon la transparence et la porosité qui sont le fin mot de la contamination spirituelle. Sans pour cela mal jouer son rôle d’acteur mais sans s’attacher à des noms qui définissent des états... Ce qui supposerait ensuite une conduite à tenir selon la répression ou la provocation de ces élans au nom d’une morale à respecter, fût-elle immorale, ou d’une ascèse à sauvegarder. Qui laisserait s’écouler l’expression de sensations, de passions ou de compassions, sans s’y cramponner et sans les refuser, pourrait décoller des phases du déroulement de ces sentiments.

Mais si après de telles expériences l’on se croit avancé dans sa Quête, c’est un signe que non seulement l’on est un niais gonflé d’orgueil mais que l’on marche à côté de ses pieds...

 

 

Le village à l’heure de la sieste

Un voyageur à grandes enjambées

Mouvance de la Voie

 

 

éternité

présent

sans

temps

 

Une des mystifications du mysticisme réside dans l’effort intentionnel qui polit la brique pour en faire un miroir. Comme si la Sagesse s’apprenait... Comme s’il fallait forcer la grâce... Même en ces temps de disgrâce.

Le choix, l’intention est fuite. Comment l’intention intéressée pourrait-elle apporter une quelconque félicité ? La volonté d’Éveil réveille l’échec. C’est ainsi que la prière en tant que « demande » est dia-bolique.

L’ascèse se manifeste souvent comme une réaction, une contrainte (coaction en anglais) que s’impose le dévot imprégné par les notions dualistes du pur et de l’impur.

Figé dans les postures de l’imposture l’ascète se crispe alors dans une discipline paradoxalement commode : confort de l’inconfort, force d’inertie séduisante car méritoire... Ceci pour « gagner » (en sanskrit « sâdhana », la pratique de réalisation, signifie aussi provoquer, vaincre, posséder) sa place au paradis des illuminés.

Concentration et objectivation... Nombrilisme et obsessionnisme. Ainsi sont captivés les affamés de sainteté qui envisagent et utilisent le Maître spirituel comme une carte de garantie certifiant et justifiant l’effort vers l’Éveil tant convoité.

Gurumanie... L’assurance rassure. Mais on ne pré-médite pas la méditation, c’est la méditation qui nous médite, un peu comme si elle nous prenait au mot... Sans mot dire.

Celui qui marche sur l’eau n’est pas plus libre que celui qui nage ou prend un bateau.. Ce n’est pas le comportement qui fait la Réalisation.

Vouloir se détacher entretient l’attachement quand il n’y a pas à s’attacher, pas même au détachement. Ainsi sur le sentier de la Sagesse le dernier renoncement ne consisterait-il pas à renoncer à la Sagesse elle-même ?

S’il n’y a pas de recettes il n’y a pas de pratiques. Que cela soit à travers les répétitions formelles des adorations ou de la gymnastique du yoga statique. Activité et passivité procèdent du même système.

S’il n’y a pas de pratiques il n’y a pas de refuges. Tout objectif consolide les mécanismes du « moi ». Le comble de l’égoïsme n’est-il pas de vouloir se débarrasser de son ego... Par égoïsme ?

L’agir sans agir ne veut rien faire... Entre ignorance confuse et conscience disponible il n’y a que deux sortes de laisser-faire : le laisser aller et le laisser venir.

 

 

Voir en haut

Voir en bas

Aussitôt

L’ici est là

 

 

Sur le Qui Vive de la Mort

 

 

Sur la Terre

en appel d’Air

 

Jouissance et réjouissance. La chambre nuptiale ouvre à l’Est de la sainteté. Là copulent l’Homme et la Femme, en attente d’androgynat.

Au-delà de la vie, l’aimé. À rebours de la mort, l’amant. Le passant de ce qui ne passe pas. Le passé non produit. L’amant est dans l’aimé.

La charge magique déchargée le sourire de la déesse fait éclore les fleurs. Mais l’allumage de l’Amour est le risque de la Mort.

Évitons les naufrages dans la Mer des Philosophes. Et les sarcasmes du monde, arrachements de chairs où sous le vent je cours des bordées.

Ripailles bien troussées sous ma bonne Étoile et Maître de géniture.

L’acte grossier est transfiguré dans l’invisible comme acte pur.

Enthousiasme sous la Voie Lactée. La Fille du Grand Secret est Fleur du Soleil.

 

 

où la femme

se dé

robe

 

 

Par la chaleur pénétrante au mouillage, Réverbère la Flamme intérieure dans cette Humidité radicale...

 

 

Aussi je demeurerai toujours vert et brouteur du Val Profond.

Si l’on ne dit plus « ma dame » en parlant de sa Dame, c’est que l’on dit « Madame » à n’importe quelle femme.

L’élément Féminin, analogue aux « Eaux corrosives » des Herbes et Champignons magiques, sang et chair des dieux, peut renverser la toxicité attribuée à son sexe pour désagréger le Masculin. La cavité de la Femme du Philosophe est œuvrée par l’Alchimiste qui débusque les signes de la Pierre philosophale dans le réceptacle de la Femelle profonde au nectar d’immortalité.

Le couple alchimique est dans la Voie de l’Androgynat afin que deux soit un... Une erreur de dosage et c’est la rupture... Il n’y a rien à faire particulièrement quand à chaque instant convergent vie et mort.

L’état du couple hermétique peut dissoudre l’ego à la fois individuel et commun aux deux parties. Et pour goûter à l’Absence absolue ne faut-il pas dissoudre l’absence comme la présence ?

Naître c’est mourir.

S’échapper entre mort et naissance...

Se faufiler dans l’espace entre-deux pensées...

Au nectar de l’Entre-deux.

L’embrassant...

 

 

Ce qui est

dans la vie

ce que nous sommes

 

 

Rester chaud

Sous les douches froides

Ma Bien-Aimée

 

 

L’onde amère. L’onde Noire. Flux et reflux sur les brisants à chaque phase lunaire. Sommes-nous les dé-tenus des aboutissants ? En huitième Maison la Lune ou la mort dans l’âme... Extirper la tête morte de l’Homme enfour-né. Humour noir de Mercure en Capricorne...

 

 

Toujours est-il ?

 

 

Le Navigant agit et nage. Son Vaisseau est le Vase. Il prend la terre à témoin de sa déchéance. Il prend refuge sur le radeau de la conscience. Il ne prend pas l’amour avec des gants mais la Mort avec les dents...

 

 

Dieu est mort !

Nous n’avons rien perdu

Nous le sommes devenus

 

 

À la source de la vie                                            Absence du moi

La Vie Est                                                            Présence du Je

 

 

Qui se Sait ?

 

 

Comme s’il y avait quelque chose à « faire « et que cette fabrication d’actes pouvait être d’une quelconque utilité dans la Réalisation spirituelle. Le laisser-être ne respecte-t-il pas l’ordre naturel des choses qui suppose toujours l’ordonnance de la Surnature ?

L’origine de la lutte pour « le » pouvoir dans le domaine dualiste de la politique est la même que celle de la recherche « des » pouvoirs au niveau de l’ascèse individuelle. Elle entretient plus l’ego qu’elle ne l’efface, elle projette plus dans l’avenir qu’elle n’incite à la vie dans l’éternel présent.

Ainsi à notre époque moderne où tout vécu traditionnel a disparu se joue un spectacle illusoire appâtant les engagements et les encagements des naïfs pantins qui s’agitent hors de l’attitude radicalement différente de « l’homme sans affaire » (wu shih) d’un Lin Chi.

En spiritualité comme dans le matérialisme, le masque de l’effort camoufle l’arrivisme me disais-je, en sueur, souriant, et tirant quelques troncs d’arbre. Dans la clairière, éclaircie de la forêt, espace céleste tombé du ciel, comment le fardeau du monde peut-il encore peser sur les épaules ou loger dans la tête ?

Sans se laisser entamer par les mensonges des gouvernants ou des traités édifiants... L’infâme ne réclame que l’évanouissement. Non-intervention. Alors tout peut se faire sans que personne ne fasse... Tant pis pour les obsédés du « faire quelque chose », éperdument avides dans ce mirage d’un monde hors de l’esprit.

 

 

ah ! la grande histoire

du sans histoire...

 

 

La déconstruction de la personne suppose le lâcher-prise et l’abandon des buts et des recettes pour y parvenir. Alors ? Lever l’ancre vers quelle mer ? Courir sous quel vent ? Mouiller en quelle rade ? Seule demeure la question primordiale du « qui suis-je ? » et sa réponse contenue dans la question.

L’arbre de la Connaissance est au Centre du monde. Au grand Midi il ne projette pas d’ombre... Mais nous avons mangé les fruits de l’œuvre et l’ombre apparaît et s’étire, crépusculaire. Le Soleil et la Lune se lèvent dans nos yeux, présidant à la représentation théâtrale du monde...

Allongé sur la Conscience Universelle le Souf-fle se déroule et tout s’anime. La mise au monde n’est-elle pas semblable à un accident de la cons-cience dans les répétitions de l’existence ? La mise au monde est une mise à l’ombre. Et nous avons oublié d’où vient l’ombre !...

 

 

sous le pont flottant

le vol du papillon

que pourrait-il regretter ?

 

 

Ce corps n’est pas dans le monde, c’est le monde qui est dans le corps. Corps et monde sont issus du mental qui répand ses hallucinations. N’étant pas transcendant le mental ne peut se tuer lui-même... Il peut tout au plus s’apaiser ou se dissoudre immergé dans la conscience. Ce n’est pas parce que l’on a les yeux fermés que l’on médite. De même ce n’est pas parce que l’on a les yeux ouverts que le monde existe.

La pensée est un long métrage projeté dans un cinéma permanent dont il faudrait sortir. Seulement le siège fait partie du « moi ». Quel était donc le prix d’entrée ? Le prix de la mise à l’ombre ?

Filigranes de brèches où le moi abdique... Dans le sommeil profond qu’est-ce qui existe ? Comment y aurait-il des sujets et des objets indépendants de la conscience ? L’observateur et l’observé sont observables mais il est impossible d’observer l’observation. Comme le semblable attire le semblable, dans la contemplation la nature répond à la nature. Seul le silence entend le silence...

C’est la peur qui fait obstacle à cette mise en doute du monde. Désastre de la perte de l’astre mais joie de l’oubli où l’on se réfléchit sans réfléchir. Quand les « dix-mille-êtres » s’oublient, l’être se révèle comme une béance jubilatoire et ce qui ne se conçoit pas se pressent comme perçu et percé... La prunelle de l’esprit s’en donne à cœur joie ! Hsing...

 

 

un crapaud apparaît

à la chatière de la porte

miaou !

 

 

Point n’est trop besoin de partir pour revenir à soi. Le retour n’est-il pas le pire du voyage ? Mais le meilleur en est le Retournement ! Dans ce renversement des valeurs et l’intériorisation le poète inachevé se déploie dans les blancs... Il évoque le séjour sans lieu ni lien, il invoque l’enfant du soleil qui préside à la mort.

Cependant le chemin chemine et les pieds marchent dans la tête sans trop laisser de traces. Le monde apparaît et disparaît dans les raccords entre les plans de l’existence... Mais que de noix à casser et de paroles en l’air en retombées !

 

 

Cela va de soi...

 

 

Si le par-être est le pare-feu de l’être, le non-être est le Feu par lequel brûle l’être.

 

 

(à quoi bon se mordre

le nombril ?)

 

 

Au demeurant le voyageur offre ce qu’il prend mis à part la Lumière qui ne cause pas d’ombre.

 

 

Les palmiers

poussent vers le ciel

la jarre

sans fond

n’a pas de tâches

 

En pleins et déliés la levée des lettres et des corps renvoie à la vague qui parle au rivage.

 

 

La Conscience n’a pas d’acquis. L’Esprit n’a pas de famille.

Dans le monde apparent de la dualité je fais des impairs.

Délier le corps. S’abstenir dans le doute. Sauvé par la foi — en rien — sans se cramponner. Produire de ses cendres un autre semblable mais sans attributs. Sans prise les meubles tombent. Sans contenant plus de contenu. Sans sujet plus d’objet. Voir sa forme sans forme et son Vaisseau sabordé...

 

 

Le mouvement du Tao

Fait des ronds dans l’Eau

 

 

Sur l’eau la Vigie crie : « Terre ! »

Sur terre l’Astrologue crie : « Ciel ! »

 

 

Ciel en creux dans l’être

L’outre monde est vide

 

 

Dans la faille

que fait le mur ?

 

 

La Cause est-elle

dans son Absence ?

 

 

De l’irréel au Réel l’Homme Véritable n’a pas de titres.

Le savoir lie l’être à l’avoir. La Connaissance l’en délie. Quand les ponts s’écroulent, l’Eau demeure...

Connais en Connaissance, au-delà de la vue.

Même si ce n’est pas de l’ordre de l’évidence...

 

 

Je suis ce que je connais. Alors seulement je pourrai connaître ce que Je Suis . « Je « n’est pas de ce monde. Le Vivant est au-delà de la naissance et de la mort. Un acte de l’Esprit... Inengendré et Immortel.

 

 

Déviance de l’anarque.

Défiance des énarques.

 

 

La parole intentionnelle coïncide t-elle avec le Son primordial ? Le silence provoqué est-il silencieux ?

Le silence sans pensées, mais silence voulu donc forcé, n’est-il pas encore une pensée ? Celle de la volonté de ne plus penser. Tout comme la vacuité est autre que le poids du néant ou que l’absence de présence...

Le véritable silence n’est pas obligatoirement silencieux et semble parfois accompagner le mot ou s’épanouir dans l’entre-deux sons, tout comme le Sans-Nom peut suivre, précéder ou traverser le nom.

Le silence est parole primordiale... Le son permanent est Verbe. Et nul silence n’est requis pour l’entendre: c’est par le son que s’écoute le silence!

Le silence de la parole est bien le silence du silence, le principe silencieux du son, qui échappe à toute définition, qui ne peut s’énoncer ou se cerner et dont ces quelques mots ne peuvent donner que des faibles aperçus...

 

 

Le vrai visage d’avant naître

le visage d’avant-maître

 

 

Le langage institué a contaminé les pensées et le code a enfermé l’être dans des réflexes conditionnés.

Le matérialisme progresse proportionnellement au pouvoir d’achat des vendus. Rentiers et travailleurs même combat pour le « prix de la vie » au coût mortel... La différence ça se paye, dans l’étouffoir des sans ressources.

La « bonne conscience « est toujours mauvaise, aussi quand le bon est mauvais les gentils sont méchants... Et si « bien mal acquis ne profite jamais » n’est-ce pas alors la gratuité qui récompense le « mal » ?

 

 

Mon compte est bon...

 

 

Le voile des formes déchiré

Reste la toile de fond

Si elle se déchire

Que reste t-il ?

 

 

Le corps se réveille le matin comme le soleil et la création. Lumière vivante qui aspire la lumière, il se déplace jusqu’au moment où, acculé sous les coups du clair-obscur, il sourit car le rire guérit la blessure.

Le soleil descendait le long des cimes. Plus il se couchait et plus son reflet montait sur les collines face aux montagnes.

Je montais par un sentier... Plus je grimpais et plus le soleil s’élevait devant moi sur la pente de la colline.

 

 

Caché dans les pierres des montagnes ou les arbres des campagnes... Sans pour qui ni pour quoi. Dérisoire approche que celle de l’inconcevable.

Les mots antérieurs se décochent comme pour dire sans parler. Les mots sans mots de l’inexprimable inouï... Comment ce que l’on ne peut énoncer pourrait-il s’entendre? Dans l’éventualité de l’avénement d’une parole sans références, d’une inconnaissance qui se retire des mots, le langage défaille.

 

 

Avant de se promener le long du ruisseau jusqu’à l’endroit où il prend fin pourquoi ne pas s’asseoir pour regarder les nuages qui commencent à s’élever ?

 

 

le vol de la buse

vers sa proie

mon ombre

 

 

Le cœur est dans le ciel comme le soleil dans la poitrine... me soufflait une voix d’outre-monde.

Ici ou ailleurs... Non-lieu. Le « non-lieu » de la fin des enquêtes des hommes, le non-lieu hors de tout lieu et lieu-dit.

 

 

Sur les rives de la conscience

chaque jour en moi des êtres meurent

mais dans le tourbillon des mondes

le bois mort est en fleur

 

 

Tout est conscience. Le monde vit dans la conscience que l’on en a. Chaque être, chaque chose, vit en nous et, en quelque sorte, dépend de nous. Notre respiration même est en relation avec la moindre partie de l’univers où qu’elle soit...

Tout être ne fait qu’un avec la conscience d’être même s’il n’en a pas conscience. C’est un devoir de la conscience que de se manifester. La conscience permet la vie des dieux mais y croire c’est se bercer d’illusions... Néanmoins pourquoi ne pas dialoguer avec eux pour savoir comment s’en sortir... Des humains comme des dieux ! La réalité du reflet n’est pas plus irréelle que ce qui est reflété.

Les réalités s’écoulent du Réel qui s’écoule...

Le vivre ou l’entre-Voir c’est éprouver globalement que Réalité et Réaliser ont même racine.

Aspects d’un même Réel l’émanation des formes des différentes réalités ne sont-elles pas nécessaires à la Manifestation du Principe ? La Manifestation ne se dévoue t-elle pas au Principe comme l’être s’offrant à l’Être et s’y fondant hors de tout désir du personnel comme de l’impersonnel ?

Manifester c’est aussi savoir partager. Tel l’amour. En aimant le Principe, la Manifestation t’aimera. Rêve de la Possibilité, elle suggère que nous sommes antérieurs à nous-mêmes... En retournant l’acte dans la puissance qu’en est-il de la naissance ?

Le « Ciel Antérieur « des taoïstes c’est réaliser que là d’où l’on vient est toujours devant. Le Ciel se cache dans le corps. Tout Principe exprime une certaine vacuité. Pour être « plein » le vide ne doit pas être meublé. Le vide enlevé... reste le plein.

Tout choix suppose option et refus d’où affrontement. Discussions, disputes, opinions « pour » ou « contre »... contraires malencontreux ! Or l’origine de l’opposé réside dans son contraire. Supprimez les contraires et vous abolirez les contradictions...

À la fois le monde Est, manifestation du Principe, mais n’est pas puisque n’ayant pas de réalité en soi. Être la totalité de ce qui Est quand l’Être apparaît, sous la forme de l’être, issu de l’ineffable Non-Être, c’est l’évidence d’Être à la fois le visage et le miroir qui le reflète. Comme si l’être agissait dans les êtres en suscitant leurs puissances latentes.

Où se trouverait l’opposition entre Être et Devenir puisque l’essentiel vient lorsque le Devenir conduit à l’Être ? Le sens du mouvement vital est le Retour éternel à l’Origine, la réintégration dans le Principe, alors, comme l’ab-solu dissout le relatif, l’être absout son devenir. L’absolu n’est-il pas la profondeur du relatif ?

La racine de ce qui apparaît n’est pas manifestée, mais l’Esprit contenant toutes choses, elle est autant dans le manifesté que dans le non-manifesté. C’est donc par la virtualité de ce qui apparaît que la Voie renvoie à son possible et que le Sage le Réalise.

Le Souffle manifesté par l’Âme émanerait du Souffle de l’Esprit respirant. Car l’Âme anime le Souffle inspiré par l’Esprit tout comme l’Esprit au centre de l’Âme est le Souffle qui inspire le Souffle qui anime.

L’ab-solu délie des restrictions du relatif. Il se rend mani-feste comme s’il palpait de la « main » l’impermanence de la « fête » du monde, de Fatua aux divines faveurs et illusoires fééries. Ne peut-on palper la profondeur de l’espace comme l’on caresse un corps de femme ?

La liberté c’est le droit à la différence et la Libération c’est être libéré de cette liberté. Alors le relatif Re-tourne à l’absolu. Comme la goutte d’eau contient l’océan, l’enveloppe charnelle renferme le message spirituel du Pneuma : il exprime la mort comme résurrection et les phénomènes comme théophanie.

Et si le monde n’était que l’image de la fable imaginée par l’image ? Miroir aux alouettes au clin d’œil du mythe dormant...

 

 

L’émerveillé s’éveille

L’éveillé s’émerveille

 

 

Mais en fin de compte,

y a t-il eu quelque chose ?

 

 

 

 

III

SUR LE CHAMP MÊME

 

 

 

 

PROLOGUE

 

Les menus propos badins à la manière des anciens chinois sont « des sortes de textes courts »... « des espèces de petits écrits » (hsiao p’in wen). Disposer le langage c’est « placer les paroles » (cho yü), c’est aussi placer une pièce aux échecs (cho), faire un « coup » sinon de Jarnac tout au moins de Pékin...

Ainsi à partir d’un texte ch’an ancien, historiette-graine d’Éveil, des remarques s’ajoutent qui le commentent en un langage familier ne s’adressant pas aux mandarins. Car lorsque tout se fait de soi-même (tzu) tout tourne rond... Spontanéité de la nature propre (tzu jan).

Au Japon, les adeptes du Zen s’expriment par question-réponse avec le « mondo » et les poètes écrivent le fameux «haïkaï » ou encore l’autre court poème, le « waka » qui entraîne une réponse. Dans l’Occident médiéval s’étaient esquissés des jeux de langage avec les « fatrasies », il est vrai bien souvent de caractère superficiel sans parler des glissades dans la contrepèterie...

Retrouver la saveur de l’anecdote et de son apostrophe, croquer par petites touches sans avoir l’air d’y toucher comme si la réalisation de la Voie pouvait passer par la connaissance des grands chemins en essuyant le feu des bandits de mots et ravisseurs de sens...

Et si c’était l’Androgyne qui donne le nom secret que l’on ne doit pas prononcer à voix haute ? Nom d’aussi longue vie que l’Élixir... La puissance cachée du silence n’a t-elle pas partie liée avec l’éternité ?

Voilà pourquoi celui que l’on nomme « Modo » s’ajuste toujours en affinant sa vie et ses propos. Mais il est « seulement » là... Tant qu’il ne peut réaliser l’attitude de « Grosso », il demeure dans le « maintenant » sans vivre « l’ici »...

Grosso, quant à lui, comprend tout en « gros » et sa dérision se manifeste volontiers d’une manière grossière... Tant qu’il ne peut réaliser l’attitude de Modo, il perçoit l’espace sans vivre l’instant...

Grosso et Modo se rencontrent parfois nez à nez. Leur dialogue est court comme des instantanés. Généralement Modo parle et Grosso réplique, ne me demandez pas pourquoi. Parfois un quidam les croise et croit voir les arbres morts refleurir... Mais ces ébauches se déroulent seulement en gros... Comment savoir « qui » est « qui » se dit le quidam qui ne peut joindre les deux bouts... Cahin-caha.

Grosso Couci et Modo Couça pipent les dés en n’étant pas comme ci- comme ça... Ne vivons-nous pas le monde à l’envers ? Donc le modo-grosso, comme son nom l’indique, signifie non seulement l’un dans l’autre mais l’autre dans l’un... Si l’autre est en moi il n’y a pas plus lui que moi.

Bien entendu si les gros mots de Grosso ne sont pas toujours de grands mots, nous pouvons observer les grands mots de Modo comme des gros mots en puissance... « Grossomodo ! » tel est le « Sésame-ouvre-toi ! » des deux compères.

Et si, contemporains du visage d’avant-naître, les deux amis, sous couvert de banalités, investissaient les mots en désarticulant la langue ? La poésie n’est-elle pas un prétexte pour affleurer la vraie Vie ?

C’est au barde d’Occident que l’on a confié la tâche de nous conter les aventures de ceux dont il ne connaissait pas le nom. D’autres sont ratatinés à force d’être gavés et aseptisés au nom du confort et du progrès...

C’est donc au barde de surnommer les nouveaux-venus et je ne sais si c’est en songeant à Cati et Mini, à Ubi et Orbi ou Laurel et Hardy qu’il les a appelé Grosso et Modo. N’est-ce pas le moins que rien qui est entrevu ou encore l’éloge de l’homme oisif à la joyeuse compréhension ?

Guettant l’interpellation le poème est sans sépulture. La nature est un risque à courir... Auquel on peut avoir recours quand Moloch s’avère trop implacable. Pour écouter le son du tonnerre ou le silence qui suit le chant de l’oiseau...

Il arrive qu’entre eux s’installe une certaine paix à défaut d’une paix certaine. Mais il suffit de quelques coups d’œil réciproques pour qu’à nouveau l’apostrophe jaillisse. Ce petit jeu peut avorter prématurément en un fou-rire prolongé, inépuisable comme la Voie.

Il va sans dire que tout ce qui va suivre ne se passe pas spécialement quelque part... Lorsque Grosso et Modo prennent leurs cliques et leurs claques ils ne laissent pas de chaussures derrière eux. Clic ! Clac !

 

 

 

 

(des voyageurs marchaient à reculons, suivant leurs traces du regard... Aussi croisaient-ils ceux qui ajoutent des mots dans la poussière des temples en ruines. Dans les champs fleuris par l’effroi des vivants le poème détournait la poésie d’elle-même...)

 

 

 

 

– D’un infirme ou d’un aveugle, quel est le guide ?

– L’aveugle... Car si un tigre vient à passer ce sera lui qui guidera.

 

 

 

 

(le ciel se découvrait et se baignait dans le soleil. Le bruissement du silence dissipait les surcroîts de malheur. Les cerisiers étaient en fleurs comme ailleurs. Saveur des framboises au son des grillons)

 

 

 

 

– D’où vient le crapaud de l’été ?

– Et le crachat de l’hiver ?

 

 

 

 

(le temps coulait entre deux journées. Parfois un cri de chien... Ou encore ces vols d’oiseaux qui, d’un coup d’ailes, changent de direction...)

 

 

 

 

– Qui donc pense quand je pense ?

– Le pense-bête, gros bêta.

– Tu ne vois donc pas qu’aujourd’hui je me sens comme une vieille braise qui cligne du feu...

– Et moi je ressens comme une vieille démangeaison au bout du pied...

 

 

 

 

– Être hors-la-règle selon celui qui vient de l’Ouest c’est ne pas rechercher la Sagesse, la Délivrance et ne pas respecter les saints, les textes sacrés, etc... Ce qui revient à pacifier son esprit et ne pas craindre la vie et la mort.

– Sans agir il vise bien le bougre... Dommage qu’il œuvre pour les fruits de l’œuvre, prêt à sortir tout le bataclan mystique... Myope ! Hé ! Va pisser !

– Tout comme les objets inanimés n’ont pas de dépendance hors de nous-mêmes, notre corps qui se meut n’est pourtant pas indépendant de notre nature propre. La posture ne nous enseigne t-elle pas la connaissance de nous-mêmes ?

– Véhicule, Doctrine et Cie... Assurés pour tout accident... Au Refuge ! Au garage !... Austérités ! Inanités ! Dénoncez-moi comme inconvertissable...

– Les paroles de l’impie me ravissent.

 

 

 

 

(rares étaient les ermites à vivre en montagne... Et ils ne buvaient pas)

 

 

 

 

– Le jardin d’été

   sous le soleil

   quelle chaleur !

 

– Couper du bois

   en plein hiver

   quelle chaleur !

 

 

 

 

(certains témoignaient de leur existence comme l’on frappe aux portes de la ville que l’on veut connaître... Tandis que les buissons de roses se fanaient, il coulait des bouillies informes... D’autres guettaient la chute des titans)

 

 

– En voyant l’arbre dans la graine, cache t-il la forêt ?

– Gredin ! Tu es démasqué ! C’est l’acte qui nous cache la vue !

 

 

(sans pourquoi ni éclaboussures... En abordant au pays des étoiles les rayons de lumière traversaient l’intervalle entre visible et invisible. Et ils souhaitaient tous d’être aveugles...)

 

 

 

 

(sitôt surgi, le point d’interrogation s’écrasait sur la nature propre de l’être dans un choc silencieux...)

 

 

 

 

– La vie ne s’ouvre t-elle que dans ce qui se meut lors du Retour ?

– Pas mal... hé, hé... Répète ?

 

 

 

 

– L’appel d’air glisse dans le ventre du monde...

– Confirmé par le sang de l’innocent. Mais parfois les journées passent vite...

 

 

 

 

(certains offraient des sacrifices de volailles à leurs ancêtres. D’autres récupéraient toutes les boîtes de conserves. D’autres encore ramassaient des pierres de formes étranges pour consulter le sort. Des personnes s’adressaient aux personnes. Rien de bien extraordinaire en somme)

 

 

 

 

(les étendues désertiques étaient jonchées de tumulus de pierres. Ils avaient fait de la route car c’était un pays où les poètes préféraient chanter qu’écrire)

 

 

 

 

– Le pal s’enfonce dans la terre comme un pénis de charrue. Quel est le laboureur ?

– Le poème est dans la fente comme une lettre à la poste. Qui donc répondra ?

 

 

 

 

– Or je suis comme un faux mouvement pour celui qui ne le fait pas. C’est ainsi que je me soustrais à moi-même...

 

– Plus complexe que toi, il meurt.

 

– Marcher sans que l’herbe ne se couche.

   Nager sans que l’eau ne bouge.

   Penser sans que le mental ne courre.

 

– Le tuyau éjacule ses dernières gouttes.

   Bientôt nous n’aurons plus d’eau.

 

 

 

 

(quelques arbres décharnés se dressaient dans un blanc à perte de vue... Au bord du chemin avant de franchir la passe)

 

 

– Du vert au blanc !

– Où est le vert ?

– Quel regard ?

– Qui parle ?

– Au revers de l’air ?

– Le vide fait le prix du plein...

 

 

(il ne faut pas croire...Le dernier ayant parlé ne l’emportait pas toujours... Quoi ?)

 

 

 

 

– La nuit tombe... La lune monte...

– Ma coupe est vide !

 

 

(des pensées galopaient entre les arbres délaissant leurs ramifications... Elles s’accrochaient aux branches comme à des planches de salut, se disait le croque-mort. N’est-ce pas au coin des bois que se font les rencontres les plus décisives ?)

 

 

– L’eau coule entre deux rochers... Qui donc pleure ?

– L’hôte de la montagne

   ivre sous la pluie

         quel rire !

 

 

 

 

– premier coucou

  dernière neige

  bientôt les beaux jours

– Oui si cela diffère du sensible comme de l’insensible.

– Dans la terre du cœur, que fait le germe ?

– Et dans la fosse à merde ?

 

 

 

 

(dans la fumerie brûlait l’encens. Le rituel se faisait lentement. Chaque geste en accord avec chaque regard. Le monde ondoyait et à travers ses plis pouvait s’entrevoir ce que l’on ne nomme pas)

 

 

 

 

– Sans agir et sans ne pas agir... Que reste t-il ?

– Rien à dire... Rien à ne pas dire.

 

 

 

 

– Nous voici arrivés à la croisée des chemins... À la prochaine !

– Tiens voilà la prochaine !

 

 

(répondait-il en lui balançant un coup de pied au derrière avant de prendre la poudre d’escampette dans un grand éclat de rire...)

 

 

– La moelle de l’os !

– Le noir de l’ongle !

 

 

 

 

ÉPILOGUE

 

Il en est qui prétendent avoir vu de loin Modo, bras au ciel, en état quasi second, égrener des paroles indistinctes... Il en est aussi qui soutiennent, il est vrai sous l’effet de puissantes rasades d’eaux corrosives, que Grosso serait mort de rire... Quant à Modo il paraîtrait qu’il ne se soit aperçu de rien... Enfin de bonnes langues affirment qu’ils sont tous deux entrés dans la Voie et l’ont pénétrée en y disparaissant comme le soleil au crépuscule.

(rien à conclure ni à clouer)

 

 

 

 

IV

AU PARFUM

 

 

 

 

C’EST L’HISTOIRE, C’EST L’HISTOIRE...

 

C’est l’histoire d’une personne enfermée dans sa personne et qui voudrait en sortir.

La carte du ciel a beau être le champ d’expérience de la vie, si elle ne peut témoigner d’un au-delà des états où rien ni personne n’est séparé à tel point que l’on ne sait où se trouve l’un et l’autre... Alors basta !

Et le thé déborde.

Mieux vaut laisser courir le temps que mourir sous la chute d’une bibliothèque murale comme Johannes Stoeffler ou Junctin de Florence, astrologues du seizième siècle.

C’est plutôt l’histoire d’un poète éméché bégayant une métaphysique inachevée... Barde païen du neti-neti.

Même si les images du monde l’embrassent et l’embrasent il pressent que seule la conscience est sans limite. Tourné vers le moindre ne suffirait-il pas de mûrir au soleil de la conscience ?

Dans ce monde d’assistés les produits de la pensée ne déstabilisent pas les normes du conforme. C’est pourquoi notre barde laisse courir le temps après sa durée et la vie dans la mort même, comme l’absolu nous rêve, en cet irréel plus réel que le réel dans ses parties...

La chair doit se faire verbe du non-dit... se dit-il.

Cela mettrait fin à la discussion à propos du dieu et du fantôme même si l’on ne reconnaît pas là le Surhomme du cheval de Turin et l’Unique de la taverne de Hippel.

C’est l’histoire de celui qui n’a rien à raconter, ni fadaises, ni friandises, ni roman. Ce qui revient à dénoncer le scandale permanent : être ce que l’on a et non ce que l’on est.

Il n’y a rien à décrire ni à faire vivre quand la vie est dévoilée, révélation de la lumière qui empêche de voir la lumière... Car il suffit de la lumière d’un soleil pour ne plus voir les autres soleils, les autres étoiles. Ce qui apparaît doit disparaître.

Comment écrire au lieu de tout oublier ? À perte de vue s’étend ce que l’on ne voit pas. Presque mort en naissant, presque vivant au moment de mourir... Le cœur compte ses heures dans les plis du bras du monde.

C’est l’histoire de l’être qui suit son corps comme son ombre tout en sachant que le doigt n’est pas la chose... Comprendre le corps comme la trace de l’acte et non comme son origine.

Or l’action entraîne la réaction. Par quelle libération échapper à cet enchaînement ? Ce qui d’ailleurs effacerait les traces et l’affaire serait réglée. Comment retrouver le pays d’avant-naître ? Est-ce le paysage d’après-mort ? Comment surprendre l’essentiel ?

Il s’agit d’une histoire qui a beau être sans histoire, le voilà reparti dans l’éclaircissement intérieur. Ou ses tentatives... Est-ce le désir de ce que l’on n’a pas ou de ce que l’on est ?

Ni affamé de plaisirs mondains ni assoiffé d’expériences mystiques il n’est pas de ceux qui souffrent sans atteindre leur objectif puisqu’il ne cherche rien à obtenir. L’idéologie signe la mort de l’idée dont l’idéal est le drapeau. Mais cet arrêt de mort touche aussi la pensée qui observe d’autres pensées... Atteindre sans viser. Cette atteinte sans viser ne s’apprend ni se décrit.

Alors le voilà devant le vide de sa page. Et toujours de son être. Les mongols disaient que nous descendons d’un rayon de Soleil... Laissons pousser l’herbe et blanchir les cheveux, les yeux se retournerons d’eux-mêmes vers le dedans... On ne rencontre pas tous les jours la toute-possibilité à la croisée des chemins !

Et des silhouettes se déplacent comme ayant perdu leurs places. Où sont donc passés les maîtres des esprits errants qui rôdent dans la nuit du monde ? Par les matins de brumes lorsque des om-bres frôlent les pores de la peau...

Sortir à la Lumière ? N’est-ce pas lors de la grande nuit que s’ouvre la Porte des dieux ? « Que s’évaporent les formes des pensées hors des crânes ! Battez le rythme sur la lune en son plein ! Voyez les cieux tournoyer dans la spirale des sphères et tout ce qui ne se crée pas d’un jet de salive... »

Comme s’il y avait quelqu’un derrière lui... Il se retourne. Personne. Sans nom pas de chose. Sans choses pas de pensées. Sans pensée, il Est.

Blotti dans le creux d’une main, un parfum d’éphémère lui a soufflé qu’aucun ordre humain n’est légitime. Mais à force d’être troué l’errant s’essouffle et c’est comme s’il rendait l’âme au souffle ! Tandis que le sang bouillonne et déborde sous le sens. À proximité du vide...

On aurait dit que la fée est la folle du logis... Et il bande du regard comme un loup de Tex Avery. C’est alors que prennent corps les paroles du recours au Ciel et chaque mot s’incarne et chaque mot manifeste la mobilité du vivant.

Mais aucune chance au moins de réaliser le plus. Ni la confession chrétienne, ni l’auto-critique marxiste, ni la psychanalyse ou autre méthode révélant la culpabilité de l’homme occidental ne suffira pour ouvrir les portes du Ciel.

C’est l’histoire d’un corps qui flotte au gré des larmes de rosée ou de sang, de ces larmes rentrées de l’être dissocié et qui a bien des raisons de se sentir mutilé. Mais avec chaque fleur s’ouvre celui qu’il aurait pu être...

Comme la souplesse de ces reins cambrés aux larges hanches sensuelles qui balancent et frémis-sent dans le suc et la sueur. De ces images qui vous rendent visite quand le monde craque. Planche de salut pour l’allergique à la planète. À réveiller l’esprit de vie dans les tourments des nuits sans astres. À la rase campagne d’une nature propre.

Il a tenté le sort et c’était un songe. Le tout pour le tout. Et si c’était vraiment un songe ? La lumière se déploie selon le relief... Les accidents de la nature.

Entre l’irradiation divine et l’irradiation nucléaire les peuples ont choisi dans leur ensemble. Les charretiers de la mort ne sont-ils pas tout autant enculés par le destin que les morts vivants croyant vivre ? L’ami de la Voie sait à quoi s’en tenir...

Si la pensée pense sans que l’on pense à penser c’est qu’elle est manipulée pense t-il... Mieux vaudrait aimer sans savoir que l’on aime. Car il ne suffit pas de penser à se libérer des pensées pour s’en délivrer réellement tout comme il ne suffit pas de vouloir aimer pour aimer véritablement.

Donc c’est l’histoire d’un être touché à vif, marqué à vie, qui s’attend à tout ainsi que l’aventure sans exploit. Cependant il reste assis sur le pas de sa porte. Que les montagnes fleurissent, que les montagnes blanchissent, il demeure assis avec l’histoire qui se déroule, s’enroule à ses pieds.

Le chant d’un ruisseau couvre les bruits de la vallée. Il se couche alors sur le sol comme pour faire acte de présence sans pour cela prendre la terre à témoin. L’inaccessible ?... Qu’en sait-on ?

 

 

 

PAR VOTRE ODEUR CONQUIS M’AVEZ...

 

Bien trop sec pour supporter l’humidité de la femme éternelle, voici l’obscénité d’un dieu souffrant qui entend cacher la fente de la terre avec toutes ses jouissances. Sous le regard d’un tel dieu, bander est un péché. À moins qu’il ne l’impose pour mieux s’en servir en utilisant la transgression comme raffinement...

Dans cette situation et vu que l’imposition dans le monde moderne entraîne la perte de l’innocence, la question qui se pose à l’être différencié, celui à qui il est égal de savoir s’il lui sera pardonné, celui qui cherche sans chercher, le chercheur étant le cherché, cette question qui germe est l’interrogation du mal contenu dans le Bien.

Non pas évidemment le bien en tant que contraire du mal mais le Bien suprême qui n’a rien de bien, même dans son Unité même. Dans ces cas-là la plus grande indécence n’est pas d’être indécent suggère la chair au-delà de la chair...

Priape connaissait-il les casseurs du jardin de la nature ? Et ces gouvernants épouvantables ou ces épouvantails qui font peur aux oiseaux dans les propriétés qu’ils se sont appropriées... Les enfants aiment les polichinelles.

La machine infernale du progrès grince des valeurs marchandes des sociétés compétitives. Ingérence des états par les bourreaucrates du pouvoir... Exploitation et rendement, mamelles de ceux qui avalisent la désolation intérieure.

Aussi le prend-on à sourire... Et si l’histoire finissait par « il était une fois » ?

Le « noir » est clair et sans croyance. Ni blanc, ni rouge, ni mitigé. Sans intérêt pour les endoctrinements. C’est peut-être parce qu’il est sans couleur que le noir est proche de la lumière...

Ni attaché, ni détaché, ni constipé, ni éveillé, il ne sait qui il est mais il sait ce qu’il n’est pas. C’est toujours ça. En flairant les détergents aseptisés des sociétés codifiées, il n’y a pas de quoi saliver. Entre l’engourdissement et l’étourdissement, le bafouillage des bien-pensants fait pendant à ceux des mal-pensants, avec la langue de bois comme grille de lecture.

Instinct grégaire des vers solidaires. Les ramassis des résidus doctrinaires expectorent leurs molards et leurs lois dans le crachoir social. Ils vont même y repêcher les pièces de monnaie comme dans « Rio Bravo »...

Tous récapitulent et capitulent. Tous pélerins en autocars, pieux et piteux, anémiés en diable mais ayant déjà « leurs » pauvres ! Dans les camps de concentration urbains et les dépotoirs humains le fric est adulé comme le dieu caché, le grand idéal camouflé ou si peu...

Pris pour une dépouille le malade social coule. Mais à contre-courant comme une truite qui remonte à la source. Il se pourrait qu’après sa mort ils prennent son épave pour relique... Qui donc conduira le deuil ?

En attendant il lui vient à l’idée que l’amant est l’aimant de l’amour quand la totalité se met de la partie. Et il en rote, en pète et en meurt tout en vivant de peu. Du peu des trois « P » respectueux : Pyrène, Parvatî et le Phœnix en qui je vois le Simorgh, mais à chacun son clin d’œil...

Tous trois vagabondent de concert au pays des Montagnes. Sans le gîte ni le couvert assurés mais loin du mieux-disant de la médiocrité. Ils vont comme si de rien n’était.

Or rien n’était tandis que la montagne qui soutient le ciel pointe vers le haut tout en se faisant déversoir des forces d’en-bas... Et le volcan vomit ! Te voir jouir et mourir !

Chaque montagne se tient au plus près du haut, au plus près du bas. Les dieux y résident-ils ? Ou leurs fantômes ? Dhwess ! Dhwès ! L’esprit des pentes suggère de ne pas glisser...

Et voici le corps qui monte, soufflant sous sa peau de pierre. Il croise les fées de la nuit, nues dans les nues. Il apprend à comprendre comme un petit enfant tente de franchir un espace entre deux meubles.

Et le corps tâtonne en silence, achoppant sur les cailloux d’Hercule. Comme si les sommets de la terre arrachaient leurs racines en une éradication plus qu’humaine. L’homme sauvage est comme le bonhomme de sable qui s’écoule avec le temps... Sans pourquoi.

Certaines montagnes ressemblent à des « cadavres debout » et leur respiration s’entend à peine sous leur chair froide. Mais en reniflant mieux se dégage une odeur de roussi. D’autres montagnes se présentent comme d’admirables déesses ou encore d’abominables femmes des neiges...

À ceux qui ne regardent que le vêtement de la spiritualité, à ceux qui s’agenouillent devant les fruits pourris des entrailles de l’espèce, à ceux qui ne laissent rien au hasard et qui se prennent à dire et à découdre au fil de l’aiguille...

Il ne répond pas et passe à l’acte sur le pas de sa porte.

Lâché dans la nature le voilà bondissant sur les braises qui se consument ! Vers quel ailleurs ? Vers ce qui ne se tient nulle part, le voici vacillant dans la nature hors-la-loi et lascive.

L’irréductible fulgure dans les défaillances. Et c’est comme s’il embrassait le provisoire de l’indigent, le simulacre de l’estropié, l’équivoque du clair-obscur...

Au paroxysme même de l’intolérable une limpidité autre s’échappe en glissant entre les doigts de l’étonné. La Vie ne manque pas à la vie mais comment vivre lorsque déjà, pour une bouchée de pain, nous perdons l’essentiel...

Le voici qui atteint la lisière de la forêt où l’ordre des choses chavire pour laisser entrevoir une ordonnance céleste incontrôlable ni du cap Canaveral ni du cap des quarante ans...

Plus loin sur les monts il neige des nuages blancs. Et le cœur bat sous la neige du bonhomme. Et si ses paupières brûlaient ? Il séjourne dans la nuit où d’autres sont assignés à demeure. Comme si le poème était le prétexte que l’existence se donne pour se réconcilier avec la vie.

Le ciel se couvre de la nuit, les étoiles s’éteignent tandis qu’il marche. Le plein se creuse au fil du temps jusqu’à ce que surgissent les premiers vertiges à l’aube de la vacuité...

Tout alors s’estompe derrière un nouveau décor et c’est comme si jamais un vent violent n’avait soufflé dans la steppe. Plus d’odeur d’huile bouillante et de plomb fondu, de viandes séchées au soleil ou de fumées des cheminées d’usine...

Face à l’infini les éléments ne se distinguent plus de la même manière. Au bruit des vagues les algues viennent mourir dans le sable et les mouettes planent au-dessus des canards... Deux chèvres des montagnes ont enlevé leurs sabots. Barque dans les coquillages, le temps s’endort. « Les barrières sont des pièges à sable » est-il écrit.

Hallucinante saisie du monde quand le grand discernement est de ne plus distinguer l’un de l’autre. Au vide du dedans. Parfois une certaine lumière transparaît, vite dissipée sitôt retenue...

C’est peut-être plus une transparence qu’une lumière.

Et pourtant ce sont les mêmes arbres, les mêmes herbes. Révélation de l’inopiné qui met en déroute causes et raisons. Inopiné qui « n’opinare pas », qui ne pense pas...

Car c’est bien ce à quoi on ne pensait pas qui bouleverse toute opinion des dix-mille-êtres nés aussi de l’impondérable. Ce que l’on n’aurait pas cru intervient sans laisser de traces. Celui qui a est eu...

L’inattendu est sans opinions, sans « opinari » ni pensée. Il surgit à pas de loup et disparaît sitôt perçu. Inévitable inattendu. Pourtant rien n’est déjà joué et la pensée perd pied dans le silence des pierres et des sables. Pour celui qui écrit dans le cadre blanc de tous les possibles, l’impensé se donne à lire...

L’inattendu surprend tandis que l’inopiné dérange. Ce qui dégage le terrain pour l’éventuelle visite de l’inconditionné. Au vu et au su du Tout !

Il ne manque plus que ça.

 

 

 

 

NE RIS PAS TROP, TU VAS PRENDRE FROID AUX DENTS...

 

Le sommeil a tiré les rideaux et s’est étendu dans le noir. Chaque jour est une nouvelle nuit pour celui qui ne sait pas pourquoi. Pourquoi tout est sans pourquoi... Mais quand même.

Les nuages déferlent sur les cîmes en attente des retombées. Ça coince dans les entournures du monde. Son hiatus baille... Et le vent mord la poussière. D’ores et déjà.

Les images se télescopent, le rêve s’effiloche. Longue est la nuit pourtant ajournée. Le poème se déploie avant l’aurore de la pensée dans un terrain plus que vague aux confins de la visibilité.

Mais le groin des porcs renifle les vents contraires et les recalés du Système. La malemort guette les nuages artificiels... Dérive entre rires et pleurs.

La vision du vaguant épouse la courbure des montagnes. La jouissure réanime le sens jusqu’à en perdre la perte. Le chemin est étroit....

Des gisants recyclés les uns se cachent, les autres se couchent. Torpeur et stupeur, l’ennemi est en nous. Difforme est la déiformité mais l’intérieur est internel.

Bien que la poussière s’amasse, il ne reste rien à balayer et bien que les poèmes s’écrivent sur les arbres et les rochers, il n’y a rien à inscrire...

Bourdonnement incessant du fond de l’air d’été. Le monde qui n’est pas de ce monde n’englobe t-il pas le monde ? Comme si le paraître se fondait dans l’être...

Pourtant nos corps sont encore imprégnés de la trace des anciens locataires aux mâchoires démantibulées à force de grincer des dents. Les bras nous en tomberont-ils ?

Étranger à Lui-même, son corps de délit battu par le temps, le dissident, s’il y a, écoute au ressac du désert. En quête du mot de passe ou même du mot de trop qui coupe le souffle. Comme un papillon à la flamme d’une bougie... Mais sans brûler tout à fait. Sans même bouger.

L’oisiveté est la mère de toutes les libertés. Sans remplir son temps pour le tuer. Du temps libre dans les temps morts... Des temps vides et de vides...

À dévider tout seul lorsque malgré solitude et détresse le voyageur surplombe l’abîme où l’indicible se meut. Ne rien faire, c’est se défaire... Se décharger du poids des habitudes et des masques. Au mépris du danger d’ennui et de désespoir.

C’est dans les creux que s’entrevoit ce qui ne se définit pas. Dans les trous d’ombre de la vie. Comme dans les vertes prairies où l’herbe est bleue... Au visage à renverser royaumes et cités !

Pas de mariée blanche sans veuve noire et demain sera la veille. À la lisière du civilisé le coureur de bois marche dans la forêt. Attention sans tension... Les chiens hurlent, les trains passent, effluves des villes.

Sur des terrains trop en pente pour dormir il traîne un genou déboîté mais la pleine lune éclaire sa route. Puis, la belle étoile est trouvée...

Réveillé au petit jour par les oiseaux. Chaleur d’été. Un lapin bondit des fourrés. Oh Lord ! Il fredonne et improvise « Je crois en toi Seigneur parce que tu n’existes pas (bis). Je crois en toi Seigneur car tu n’as pas de toi... »

Détresse et allégresse... Tout revient au même. Toute altérité ou opposé se fond dans l’unité dont l’être est parcelle contenant la globalité dans l’instant même du ciel sous lequel il est né.

Avec un torrent comme voisin de l’ouest et des sapins comme voisins de l’est... Et le voisin du centre ? Oui, la Source des Pêchers à droite de la poi-trine.

Les oreilles lui tintent et il capte les sons brefs, la joue parfumée ou la cuisse potelée, le bruit du pied qui s’enfonce dans la boue humide. Le monde est vivant à ce qu’il est. À rien moins qu’à parcourir la terre et faire le tour du ciel...

Images, images... Fadeur ! Ultime saveur...

 

 

le vent est-il faste ?

sur l’embarcadère du vide

dernière hésitation

 

 

 

 

IMMACULÉE PERCEPTION.

 

La Terre est l’ombre du Ciel. Ce qui se pressent à l’état latent. Des gerbes de sens suivent le cours de la nature. Ce qui est donné par surcroît. Fraction ou infraction du poète de grands chemins... Que caches-tu, plié dans ton cœur ?... Ce qui est hors de la parole. Appel des chemins sans issue ? Comme si c’était là où l’on dit qu’il n’y a pas d’issue que pourrait s’ouvrir l’accés...

« Par suite d’encombrement votre appel ne peut aboutir »... Enfin, déjà. Et le phare balaye la nuit au-dessus du cimetière marin. Éperdu mais pas perdu... Aimer les femmes « à cause de la parfaite contemplation de Dieu en elles » disait Ibn Arabî.

Aussi raide qu’une colonne du « Jardin Parfumé »... Le baigneur qui n’a qu’un œil plonge dans la fournaise de l’antre sans fond... Pâmoison. Vénusté sous ciel astré. Les sens ébouriffés... Le désir ne provient-il pas de ce qui est désiré ? Même si c’est l’obscur...

Quand tu n’es pas loin je te sais là et c’est comme si c’était moi. Quand je sens que nous sommes moi je réalise que je ne suis plus moi. Mais quand tu n’es plus là je redeviens le moi sans toi, le moi coupé moins que le moi... Si tu es là, c’est comme si je n’y étais plus, si tu n’es pas là, c’est comme si j’y étais trop. Sans toi je ne suis qu’un moi...

Le devenir est en faillite quand l’impossible est possible. Et dire que toute cette jactance n’est qu’une impression !

De l’étreinte à la contrainte il n’y a qu’un rapport de resserrement. Le monde se déplace en nous. Dans la détresse d’un moi traînant dans la cadence de la durée (dare-dare le tic-tac !) et la décadence des sociétés (même l’initiative a son syndicat !) « normalisées » comme des boîtes à lettres, « la rupture des lois ordinaires » est à réaliser sur tous les plans...

Démanteler la logique linéaire, les habitudes des faussaires. Pacotille du préchi-précha face aux outils de productions et colporteurs de pieux cloportes. Vive l’avenir radioactif et séropositif ! Tant pis pour le credo des camelots et autres constipés de spiritualité... Des coincés de la foi mais pas du tiroir-caisse. Tout incendier au feu de joie de la conscience ! Mort de chaque instant. Mettre saints et bandits dans un même sac et ne pas s’oublier au passage !

Pour le monopole du contrôle d’État tout être libre est une menace pour la société. Mais comment détruire ce qui n’existe pas ? La liberté essentielle ne serait-elle pas la liberté de devenir conscient de ce que l’on est réellement ?

Chahut d’un chat huant... Promettre c’est remettre. L’arc bandé, le ciel décoché. Entendons battre le pouls du monde ! Le battant n’entrave rien à ceux qui bonissent et bonimentent. C’est rapé pour les chercheurs de crosses...

Dans les montagnes rien ne se passe. Il y a assez de vent pour ne pas en faire... Face à la cavalcade du mental l’irrévérence de la volte-face est une flamme qui vacille au vent, une sorte de faux-mouvement du contre-temps mais aussi une bienvenue qui se chante dans les blancs. Sur les pentes, le temps s’écoule, lentement...

Quand il fait nuit dans la journée ça écrit comme un pied écorché, éclaboussant les canards de la mare, éreintant les esthètes du beau style, perçant le panier de la mémoire... Toute personne qui marche le long d’une route est suspecte. Les chiens et les gendarmes le savent. Et le jour revient à l’heure ou presque... Que l’on fasse son vin !

Quelque peu rouge sur plage le dormeur du sable voit derrière lui sans se retourner l’ombre portée du vide. Le soleil pointe son grain de sel et suggère ce que les yeux ne voient pas, ce que les oreilles n’entendent pas, ce que le nez ne sent pas, ce que la bouche ne dit pas, ce que la tête ne pense pas...

Pourtant, alimenté par le passé, la pensée issue de la pensée s’éloigne d’autant plus de l’essentiel qu’elle ambitionne de s’en approcher. Or ce n’est pas par le connu que le non-connu se révèle. Ici la volonté n’a pas son mot à dire. Calmos...

Sentiment... entre pressentiment et ressentiment. L’important... entre opportun et importun. Une pensée chasse l’autre. Mais qu’est-ce qui les chassera toutes ? Comme quoi...

Limites du devenir, limites de l’astrologie. Limites du graduel, limites du yoga. Quelle technique pourrait faire hâter le mûrissement du fruit de la conscience ?

Et si tous les sens participaient à celui en action ? Être derrière l’action. Chacun n’est-il pas derrière quelque chose ? Pas à faire. Pas à ne pas faire. Reste à découvrir ce que nous ne sommes pas. Et comprendre ce que l’on est.

Les pensées galopent sans arrêt. Le penseur ne s’en doute pas vraiment. Imposé dans l’existence, impliqué dans les pensées, inutile de penser de ne plus penser et penser à nouveau... Plutôt constater sans participer, se dit le penseur. En tout cas intervenir le moins possible...

Issue de la personne, la pensée agresse l’être. L’individu ne s’en rend pas compte tant qu’il s’identifie à la personne, au masque. Mais le pensé ne pense pas même s’il est à l’origine de la pensée. Cette déviation entretenue par le mental et le social (identiques en tout point) n’est-elle pas l’enflure à dégonfler de telle manière qu’elle devienne l’ombre d’elle-même ? Ce qui ne se laisse pas penser...

La personne... Impression fugitive. Tout ce qui est apparu disparaîtra. Seul l’écho des allées et venues se transmettra. Les risques paraissent extérieurs à nous-mêmes mais le plus grave danger est en nous. La peur nous habite. La peur entretenue par le mental et alimentée par les morales. L’immoralité ne prend-elle pas ses racines dans la moralité ? Décisive pratique de l’irrévérence...

Comment les créations de la pensée pour-raient-elles être créatrices ? C’est l’état d’ignorance qui non seulement préside à toutes les pensées et les actions du monde mais qui est aussi à l’origine de l’invention de Dieu... Enjamber son ombre pourrait être la pierre de touche d’une création libre et libérée de son créateur dans tous les sens du terme.

Nous sommes « le dixième homme » de la fable contée par Ramana Maharshi : constamment présent il n’avait jamais été perdu. C’était l’ignorance qui l’avait cru. Ignorer est oublier le Soi. Pour le Soi nul n’est autre...

La Connaissance est In-connaissance... Autant que dedans et sans connaissance. L’Inconnaissance connaît l’ignorance plus que la Connaissance. Ne plus ignorer l’ignorance permettrait de connaître l’Inconnaissance. De même, pourtant, connaître sans chercher à connaître est ignorer (ignorance que l’on est) sans être ignorant (ignorance que l’on a). Une fois débarrassé de l’ignorance, il n’y a plus que Connaissance, la seule innocence...

Ainsi en ne collant plus aux pensées nous connaîtrions ce que l’on n’est pas pour réaliser ce que l’on est. Vacuité évidente... La vision voit sans penser. C’est le regard qui jauge et juge. Dans l’immédiat sans médiateur Cela voit sans regarder et comprend sans apprendre.

La foi doute de la croyance quand la foi en rien est vitale. Le doute de l’imaginaire des croyances et de ce que l’on prend pour la réalité est bien la foi dans le doute du reflet non transparent auquel nous nous identifions. Pour le reflet le monde est pris pour des réalités alors que ce n’est que pour l’absolu, ou le reflet réalisant l’absolu, que le monde Est réellement. Mais c’est grâce au miroir que l’on peut voir le reflet. Si le miroir est au Soi ce qu’est le reflet aux apparences, si à l’origine du reflet est le Soi, paradoxalement, c’est donc grâce au Soi que l’on peut observer les apparences. Et même... S’il n’y avait plus de notion de Soi, il n’y aurait plus de reflet ! L’issue est la même si l’on se pose la question suivante : quel est le reflet de deux miroirs vides ?

Le moi prend le moi dans l’autre, le moi se retrouve dans le moi alors que le Soi est autre. Pourtant le moi, qui n’est qu’une pensée, comme toute chose, est une « expression du Soi »... Ainsi dit la voix.

Puis le sac glisse à terre et cela va très vite. Les qualifications tombent sans que personne ne décide quoi que ce soit. La personne se disqualifie, se désagrège et se libère d’elle-même... Ce n’est pas la personne qui peut se libérer mais la Libération elle-même qui libère l’individu de la multiplicité. La Libération ne libère t-elle pas des libertés dans lesquelles nous sommes enfermés ?

Le silence n’est pas absence de sons. À sa source émerge la réponse. S’y abreuver... Au clin d’œil inflammable une allumette a brûlé l’espace d’un instant. D’un temps soit peu. « Le Soi perçoit le Soi » dit la voix. Entre les mots. Comme si le « regard silencieux » en disait plus que les pensées les plus hautes. À peu de choses près...

Le grand rideau rouge devient noir... Les fleurs, l’encens et le corps de la voix disparaissent dans une opacité où seul émerge le visage éclairé par des yeux qui trouent l’espace...

Ils brillent d’une lumière qui accentue le clair-obscur des apparences. Comme des étoiles dans le ciel ou plutôt des trous de clarté dans la nuit. Absorption dans le vide de l’espace troué... En un tel instant d’éternité, il n’y a plus réalisé ni non-réalisé.

Percuté sans le rechercher, saisi sans le désirer, plus de séparation entre lui et Lui. L’ins-trument du corps, dépouillé de son intérêt, observe sans évaluer, comme si tout était conscience... Sans que personne n’en prenne conscience...

Car il n’y a plus personne. Tout a disparu.

Mais des questions surgissent formulées par d’autres corps qui ne semblent pas réaliser qu’ils sont partie intégrante du corps initial. Et, pour lui qui était devenu Lui, tout redevient comme avant. Les personnes consolident la personne en colmatant les brèches pouvant déchirer le voile.

L’espace d’un instant...

Et le visage nimbé dans un halo irisé de lumière reprend forme humaine et image habituelle. Le regard silencieux avait témoigné, se disait-il... à l’imparfait, dans toute la force du terme.

À nouveau aux prises avec les pensées, ne parvenant pas à déjouer les stratégies du moi sacrément ébranlé. Reste un tremblement de chair et d’os dans le chaud et froid d’un corps secoué, chancelant...

En voyant avec les yeux de l’Esprit universel c’était comme si la perception précédait le corps de la même manière que le « salé » précède le « sel », expression qui lui avait toujours paru bizarre mais dont il éprouvait à présent la justesse. Ce renversement des valeurs avait été vécu dans l’instant sans références ni preuves. Et tout ce qu’il pensait à présent n’était que du réchauffé...

L’Être infuse dans l’être. L’Être est non seule-ment le sujet de tous les sujets mais le sujet de tous les objets. Quand l’Absence est réellement présente, c’est la Présence qui se manifeste. Alors plus de pensées ni d’actions... Dissolution des formes dans une lumière sans lumière. Absorption en elle. Ce qui laisse pantois !

Présent à la pure conscience ? Mais comment décrire l’indescriptible et trouver des mots pour signifier une situation au-delà des situations ? Rien à saisir dans le saisissement. Rien à prendre dans la compréhension. Mais... Saisi ! Saisi par le saisissement sans que personne ne saisisse. La nature propre se saisissant par elle-même. En un tremblement de terre et d’âme le véhicule se retourne et le navire corporel chavire...

Porosité dissipant toutes les complicités des fausses réalités. Transparence dépassant toutes les présences indécentes. À l’immaculée perception...

Visité par l’éblouissement... Happé par l’ouverture... Dans un plissement de lumière. Rien à dire et surtout rien à penser. Ça vient sans avertir... Ça part sans crier gare. Et dire que c’est toujours là.

 

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