PAR VOIE ET PAR CHEMINS
Dessin de BARJOL
« Buvant, puis buvant encore, tombant à terre et
se relevant pour boire, c’est ainsi qu’on atteint la libération ».
Tantrasâra.
AU PAYS DU DÉSERT
« Ah! si
j’étais le vent, et toi marchant le long des grèves de la mer, les seins nus,
pour que mon souffle te prenne. »
(Anthologie Palatine
V.83)
J’ai vu dans la bière des mondes s’effondrer
d’autres se soulever
J’ai vu dans la bière des lunes danser
ivres et folles
J’ai vu dans la bière la noirceur des
nuits blanches
plus dures que la route de Shu
Si en me frottant le front les rides
s’effaçaient
de combien d’années rajeunirais-je ?
Aussi destructeur qu’un chantier de construction
et immoral que la morale
Aussi triste qu’un rêve qui n’en finit
pas
de ne pas devenir réalité
À toi qui ne désires plus ton toi
mais l’ailleurs
We gonna rock, we gonna roll, lil’ baby
all night long !
Vénus danse au Sud quand j’offense au
Nord
bombance !
Adieu rases campagnes battues et nourries
de l’air du temps
Le jour où le monde entier sera hors
de combat
nous vivrons à découvert
Sans contraintes et au diapason du monde
variations en sous-sol
Sans diabolique sainteté des lois et
de groupes
d’enquêtes réservées
Le repris de justesse sans domicile ni
idées fixes
L’homme qui vivait dans sa tête au bas
du pavé
Babouineries qu’il pleuve ou qu’il pleure
Confondant les réalités d’où l’on est
confondu
Par celui qui arrive toujours trop tard
Regard d’effusion avant de s’en morfondre
bien entendu
étendu éperdu de malentendu le mordu était
sur les dents
On naît par occident, on meurt par accident
et ça grouille
C’était comme les cafards de l’hôtel
des Grands Hommes
dans les années soixante
Et les moustiques de ce gourbi de Mexico :
Dès les lumières éteintes ça courait
et volait
à en gesticuler
Ça se ressource dans le noir pour faire
chier dans la journée
humains idem
L’attente du présage incitait à chanceler
dans les bars
au fil des bières
Mais rien ne s’annonçait et rien ne changeait
Le voleur ne poursuivait pas le gendarme
ni le malade son médecin
L’uniformité régnait de main de maître
et demandait :
De quel dispositif de survie dépendez-vous
?
enfermé dehors
Fermant la porte avant d’entrer l’Éveil n’est pas hors du monde
sinon quelle excuse te sauverait ?
Si le monde est le monde libre
de faire chier le monde
Même les gens constipés feront caguer
à l’époque du pouce baissé
Nietzsche est mort à Midi mais au grand
jamais on n’a vu
un tel oubli
Quand le dieu Pan s’agenouille devant
la jouvencelle
la nature frémit
Au déclin de notre dernière pièce
les récitants ne parlent plus
Quelle pin-up aux fesses rondes éclaboussera
le poète libertin
Que ses amies courtisanes enterrèrent
dans la Chine profonde ?
Il n’est pas lamentable de demander aux
choses de boire
et de trinquer à la mémoire
Dans les greniers de l’underground les
caves
sont sous les toits
Plus on veut atteindre plus on s’éloigne
dans le camp des vaincus
Sans chemin ni cheminement mais en quête
d’éblouissement
il dégringolait
Confondant toujours la pluie et la sueur
il descendait
Courant chargé comme un mulet
maison sans mur
Le soleil se levait, la brume glissait
neige ou pluie tardait
Cogneur de mots battu par le temps
c’est pour bientôt
Sans avances pour ceux qui reculent
où se vendent au plus offrant
Cachant leurs cartes entre la peau et
la chemise
Ne pas m’en croire c’est bêtise
Esprit gaillard mais crucifié on cite
bien Jacques Prével
à propos de Cantona
Rentrant de Paris à Saint-Girons à pied
sous les étoiles
Marmonnant titubant quelques poèmes sur
la route forestière
lampe de poche à la main
Éprouvant la ligne courbe comme plus
directe
des jambes dans le ventre
Écrivant dans l’herbe face à l’ombre
des monts
au son d’une ballade d’Hank Williams
Songeant au mystère sensuel et imaginaire
du non-dit
en une p’tite
cabane
Marchant sac de brochures en bandoulière
bourdon bourdonnant
Est-ce pour veiller sur son foyer
que mon marseillais de père disait
de trouver ses pénates
Lui qui vivait chez sa maîtresse soi-disant
ma tante
lui ayant juré
de ne jamais la quitter
Et le mental mentalise sans mentir à
son mécanisme
Et les mâchoires de la machine mastiquent
l’émotion
Et les mandibules malaxent des pensées
le marteau-pilon
de quoi gerber
Quand le laminoir du remords s’active
dans la chaudière
dans un boucan d’enfer
Mots de treuils et poulies d’idées en
rouages de roues dentées
soupape d’insécurité
Tout ce qui fait le pont roulant de la
machine à broyer
du noir
Dans la belle pute d’existence rampent
les attardés
« payez
avant de consommer »
Mais à la postérité de poète ambulant
voici le postérieur
Et la terre tremble dans la pétarade
des pets !
Quand ce qui part du corps vient à l’esprit
les braves ne bravent plus
Et la fleur rend son odeur à la vie
pétales baisés à l’envie
Et les nymphes s’entrouvrent sous l’œil
du monde
afin qu’en pleine clarté
Hommage soit rendu à la beauté et au
spontané
Voyez les dieux du dedans, riant et saillant
comme dans le temps
Comme si l’incroyance était l’expiation
des croyances
basculant à cloche-pied
Le poèt-poèt
se disait qu’il aurait du mal à s’en sortir
LE VOYAGE DU DÉVOYÉ
le voyage inspire le poème
le poème témoigne du voyage
mais
quand le voyage est d’agrément
il ment
comme un charlatan
le voyage enchante le désenchanté
mais
l’enchanté peut déchanter
le voyage est comme l’amour
enfer du paradis ou détresse d’une allégresse
l’amant est dans l’aimé
il n’y a pas d’horizon à l’amour fou
don d’amoureuse merci
se tailler
la clé des champs prise dans les taillis
de l’amour buissonnier
se barrer en liberté
le battant palpitant
et le reste tout autant
se dérober sous la robe de la vie
suave saveur
l’ayant en l’air pour la fille de l’air
voyager
c’est tout larguer et déserter
quand le cœur est seul
pour se faire la paire
en moins de deux
levant le siège de la société
mettre les bouts
quand on ne peut les joindre
loin des bien-pensants et mal-baisants
et
le poète au long cours prend la route
l’escampe
attaches brisées
brûlant les stations
lieux vidés
courant le monde
ivre en son corps et son âme
pour arriver à bon port
pas de passeport
avec la mort comme passage
pour le fou comme pour le sage
dépouillé
du cadavre que l’on porte et supporte
sans bruit
s’en aller à la dérobée
dans la nuit
les voiles mises gagner le large
et s’envoler
s’esquiver en petite ou grande fugue
cherchant au fond le pays de nulle part
ici ou là
apparaissant et disparaissant
l’échappée belle s’éclipse et s’évapore
sans billet de retour
celui qui est parti n’est pas le même
que celui qui revient
mais
si partir c’est mourir un peu
revenir c’est revivre à peine
ROUTES ET SOUKS
Les mouettes accompagnent le bateau d’Algésiras
à Ceuta... Au passage pratiqué par Hercule. J’éviterai Tétouan, trop d’escrocs
et trop de tanks. Direction Chechaouen, au pied
du kif, pardon du Rif... Montagnes de Kétama. Les
poules dans le coffre à bagages, le car bringuebale au son de la radio arabe.
Ciel bleu, nuits froides, l’air vif donne des ailes. Tendance à demeurer dans
cette auberge de jeunesse...
Mais Fès appelle Al-Sâlik, le Voyageur. Dans
la médina il s’oriente à la boussole plutôt que de louer un guide agressif...
Dans un tel labyrinthe, plaisir de se perdre tandis que résonne la voix du
prieur de la mosquée. Dans les parcs les étudiants, bêtes et obéissants, révisent
comme des perroquets.
Je préfère aller à Marrakech la Rouge plutôt qu’à Casablanca la Blanche...
Dans les gares deux pancartes côte à côte sur le quai : « salle d’attente »
et « salle de prière ». De quoi surprendre l’européen matérialiste.
Mais « qui se connaît soi-même connaît son Seigneur » ! Allah est
dans toutes les bouches...
Déserts de cactus, forêts de palmiers, femmes voilées de blanc et de
noir, chèvres et moutons paissant dans les ordures... Avant d’arriver à la
Porte de l’Orient : Marrakech et sa place Djema
et fna. Boxeurs et acrobates, singes et tireuses
de cartes, charmeurs et avaleurs de serpents, marchands de cuivres harnachés
de cuir, danseurs au son des flûtes et tambours, géomanciens vêtus de couleurs
bigarrées et de grands coutelas...
À la lueur des lampes à pétrole ou à gaz, le soir, les bateleurs baratinent
et les petits vendeurs à la sauvette se mettent en rang sur plus de cent mètres
pour proposer aux badauds pantalons, chemises ou vestes à l’européenne. Guides,
dealers, mendiants demandant « par Allah » ! et
touristes demandant par où aller...
D’un lieu à l’autre, en solo et sans calèche, je traverse la médina
sous les cannisses et l’été de plomb. Ah ! les thés
à la menthe délicieusement sucrés entre joueurs de dominos et de tarots (les
lames majeures sont dans ma poche)... Les commerçants fument le kif derrière
leur comptoir dans de petites pipes ou “sepsi”.
Bavardage des joueurs et fumeurs, rieurs, enfantins, ils se bousculent en
chahutant ... Allah akbar ! Unicité divine “Towhid”...
Dans le Sud, même les dromadaires peuvent tirer les charrues et de
cars en cars voici la mer... L’air du large, vie paisible à Essaouira. Sardines
à savourer... Trois poissons pour trois francs. Musulmanes au regard brûlant
derrière le voile. Certains avancent cahin-caha sur de petits ânes et les
chèvres grimpent aux arbustes. Mélos du tiers monde et films indiens. J’aime
entendre un musicien d’Essaouira comme Al Maalem
Mahmoud Gania qui s’accompagne avec un instrument sénégalais.
Puis Agadir... Atroce. Station balnéaire de luxe. Miami du Maroc. Si
peu de Marocains... Les mêmes musiciens qui dansent à Marrakech s’amusent
moins ici mais reçoivent plus d’argent. Vivement un nouveau tremblement de
terre qui ensevelirait cette vie hors de prix !
Descente vers Tiznit puis Goulimine
où se danse la “guédra” avant le marché aux chameaux.
Ville des touaregs en plein désert. Mais à court d’argent le voyageur remonte
vite dans les dernières classes de ces vieux trains bon marché. L’errant traîne
sa jambe, le retour s’achèvera dans un auto-stop épuisant...
Hommes du Livre ! Si le Royaume de Dieu est en vous, la Résurrection
est pour maintenant.
SOLEIL D’ORAGES
« Pour cercueil
je veux
un tonneau qu’avec ma belle
j’aurai asséché »
Jugo (1654-1717)
jours d’été à Assise
chez le « petit pauvre »
à présent que d’argent !
ermitage
no pic nic
ah ! le petit
vin blanc d’Assise...
rescapé
à l’ombre
d’une défaillance
les hirondelles
au ras des tilleuls
suave !
impondérable !
la toile du fond
l’étoile de fond
les yeux du Sage
marche en montagne ?
et le cri du corbeau !
CE QUE DIT...
Y allant de nos voyages... On ne revient
pas des îles de l’Immortalité, PERSONNE n’étant
jamais parti. Au beat du temps, des Pyrénées à Cooperstown,
je te salue ami et nos signes se répondent. Oui, « Les marées abandonnent
nos pensées sur le sable » et dans la résonance du son d’une vague, je
t’écris à l’aube de l’hiver, quand la neige tombe sur les soucis en fleur
et que je rentre transpirant de couper du bois. Face à ma vieille “Remington”
tout passe, le meilleur comme le pire... levant mon verre, portant un toast
à la Lune (peut-être la vois-tu nous cligner de l’œil entre les nuages ?)
fumant la divine (encore une que les gens d’armes n’auront pas, même si des
oreilles ennemies nous écoutent). Songeant aux siècles passés — ou à la possibilité
de pouvoir vivre en soi-même sans contrainte. Vie d’une bulle de savon ! Le
temps d’un trompe l’œil... Cendres et poussières. Ma première lecture de “Claude
Pélieu” date des “scripts” d’Onan
City — en simultanéité globale (nous vivons continuellement dans des amalgames
où les parties sont dissociées du Tout) d’images d’instants / stop. Flashes
here and now
! « Qué Pasa ? »
dit ton collage... Et ce « Plan de démolition 23 » ! J’ai retrouvé
un moustique écrasé page cent quatre vingt quinze vers le haut, là où est
écrit : « c’est ici (ici même) »... De ces couleurs aux « quelques
notes sur la démolition 23 ? ») de Burroughs
(qui a « perdu son dernier 23 » — en cette époque de challenge à
remporter par des gagneurs performants et battants à l’esprit compétitif,
spécialistes en productivité et marketing — appât du gain et tâche de tâcheron
— les mondains de bonne famille à paroles de vipères, vénérables vénéneux
qui mènent le monde... Coluche président ! Quand Moloch et les mordus de la
tarentule nous encerclent l’abstention est nécessaire, évitant l’édulcoration
/ tétanisation par intoxication médiatique ! De même la beat génération française
a été occultée par les médias, comme quoi les beatnicks
des années soixante sur les quais de la Seine ne faisaient pas “œuvre littéraire”...
Merde ! à
l’horizon de “Fruit cup” trouvé
en 69 à City Lights Books : « ANARCHY THE POET’S
LUCKY STAR FOR THE OTHERS TOO. STOP » et à Paris l’Hallucinex ! de “la génération grise invisible”. Qu’on s’écrivait des cartes
postales en voyage te souviens-tu ? Puis c’est ta petite musique de “Jukeboxes” et la frappe de cette phrase : « J’ai vu les
âmes... serrures baiser avec les machines à calculer je cogne des textes de
sang sur le clavier de neige ». Avec le sexe « tel un coup de hache »
pour allumer « le bleu de toutes les mers » — comme si le fléau
de la balance commençait à battre le rythme d’un poids sans mesure — le phallus
de la pendule du temps (jusqu’à ce que sorte le p’tit
oiseau du cui-cui encore). Nulle différence entre une fleur qui se ferme devant
nos yeux et une femme qui s’ouvre aux antipodes — courbé comme un arc, immergé
dans l’entrefesson, le monde s’arrêtera-t-il ? Yèh ! Il faut détruire « ces murs, ces barbelés, ces
clôtures, ces pancartes ». La bonne conscience n’est pas bonne, le bon
sens n’est pas bon — dans une société où joue la présomption de culpabilité.
Et chacun de continuer à voter la gueule enfarinée pour les politiciens ripoux
! Et mézigue, croyances défroquées, qui se demande si une situation sans issue
ne serait pas salutaire. Quand les guetteurs de chemins jouent leur va-tout
— pas que les soupirants qui soupirent... Tandis « QUE BRÛLE L’ESPRIT ».
Le « Vieil homme des Montagnes » est toujours vert « &
tous les poèmes à la mer iront très loin ». Et c’est comme Fred Bellow
chantant la route “sixtysix”. Et que nos poèmes
n’ont pas l’air de poèmes... Claude tu es « les racines rouges du ciel »
! Le monde bat en nous et les étoiles aussi — d’où l’année 73 de “Star screwer”...
“Am I doin” de Cut City ou “debout Toulouse-Lautrec” / “hip” and “drogue” (grande plaidoirie à relire !) « GO FUCK
YOURSELF ! »... Au fond la Libération ne reviendrait-elle pas à ce qu’on
se libère de ce que nous ne sommes pas ? Alors disparaîtrait « l’histoire
dans un cauchemar »... Allez Washburn ! Lave
et brûle, ça cautérise la blessure quand « l’ouest avale les derniers
reflets du soleil »... Tiens Marcel, voilà le sel ! « DEATH FREEZER »
! T’as vu mec cet « éclair dans le rétroviseur » ?... Toujours le
cri en course folle des trains de nuit et de couleurs (pendant que des glaçons
s’accrochent aux moustaches des hommes de neige qui descendent les pentes
silencieuses). Porte-toi bien Claude ! Avec ce qui me touche aujourd’hui
le plus chez toi (« Et là-bas simplement ») ou « sans écho
la mer plonge dans une goutte d’eau » avec le VIDE qui se profile entre
le ténu du ton et le motus du mot... « BOM BOM
SHIWAYE ! » — « indigo express ! » vers l’Or
riant, « la Chine fleur lunaire » de Cherry Valley...
Oui, « Dans le sable du temps » on se fait signe de détresse en
allégresse. Et comme tu dis en tes “koans et haïkus”
(M 25) :
« N’étant porteur
d’aucun message
Zen fait corps
Avec la réalité
Tout disparaît
Tout demeure. »
VIRÉES 92-93
To blueshobo
Guitar Gabriel,
Au festival d’Avignon ... J’ai vu l’O.M.
battre amicalement Nîmes deux à zéro, avant d’errer dans la foule de la place
de l’Horloge. De bières en bières la nuit passait et je partais
à pied vers Tarascon où se déroulait un festival de poésie. On m’avait payé
le voyage (mais pas l’hôtel et la bouffe) pour représenter la revue Blockhaus...
Dormant en cours de route sous un arbre à moustiques, planqué dans
mon sac de couchage. Réveillé à l’aube par le chant des oiseaux et une forte
démangeaison sur le front, je reprenais la marche, aucune voiture ne s’arrêtant...
Et que de villas s’appellent “chien méchant” ! Chiant comme un chien qui aboie
aux mollets...
Marchant ...Échoué sur le rivage d’un quotidien rouge sang sous une
apparence banalisée dans la transpiration de la journée face au fatras des
paroles et des livres. Barricadé dans ses pensées mais quittant sa tête le
singe du mental éternue ses souhaits : l’important est le sans importance.
Reste à présent ce qui se présente...
Le “grand” festival de poésie de Tarascon rassemble les organisateurs
et les participants, autrement dit une vingtaine de personnes. À l’époque
où fleurissent subventions et décorations (même Mouna
est décoré de l’ordre du mérite) la culture poétique ou musicale se déroule
devant des salles vides.
Les journées s’étirent avant que je ne me tire. Heureusement quelques
bonnes premières rencontres comme Giroux, Élisabeth,
Hutchinson et Serge Pey. Sans doute le seul intérêt
de ce genre de manifestation mis à part le fait que les organisateurs et leurs
employés ne soient pas au chômage et gagnent ainsi mieux leur vie que les
poètes invités. Monde à l’envers au temps des intermédiaires...
Dans les coulisses de l’être que faire ? Se dit le poète solitaire
tout en dévorant son misérable sandwich... Il partira plus vite que les autres
après avoir déclamé “Léa”, un poème porno de Crowley...
Voyageant de nuit pour économiser l’hôtel avec trois correspondances interminables.
Le militaire qui marche : une, deux...
une, deux...
Le Sage qui marche : pas deux, pas deux...
Pour le premier un plus un égale deux.
Pour le second un plus un moins un égale Un.
C’est ainsi que j’arrivais aux entretiens
de Jean Klein à Notre-Dame-du-Laus. Le voyage sans
distance est beaucoup plus long à concevoir que les voyages les plus lointains
mais il est sûrement beaucoup plus court à réaliser sitôt perçu...
Adossé à la montagne, regardant l’oasis
qui traverse le désert, je me demandais jusqu’où l’on doit transporter son
cadavre et ses excréments sans éviter la répétition.
Entre un passé dépassé et un avenir à
venir ma mélancolie écrit de son pire... « I got
the blues so bad »... Ondulations de pensées paradoxalement virevoltantes
et grabataires même si le monde naît et meurt à chaque pensée. Il y a tant
de murs à abattre en sourdine. Enchaîné dans des circuits de compensations,
enterré vivant sous les décombres des pensées fracassées, l’apparent n’est
pas plus réel que la pensée, ce « fantôme » selon Max.
Mais chaque instant ne peut être comme
avant et l’intuition précède la pensée comme un éclair insaisissable. L’inéluctable...
— Imperceptible et innommable car sans fragmentation ?
Après deux jours de bon blues à Fort-Médoc, je marchais avec Magic
Slim dans les oreilles et les pieds pleins de rosée
dans des pataugas parfumés... Tôt levé d’une bonne nuit à la belle étoile.
Au fond vaut-il mieux avoir une démarche dite“intégrée” par rapport à une
perspective dite spirituelle ou une approche quasiment désintégrée au comptoir
des bars au son de l’œuf dur qui casse en même temps que le cœur ?
À force de vivre au “feeling” on est
tributaire de vibrations, d’impressions et de sensations au point de “monter”
et de “descendre” sans arrêt au fil du temps et des événements. Je préférerai
toujours un pochard aux poches percées qu’un bourge qui prend la pose...
Sac au dos sous le cagnard, débarquant
dans le boucan de l’océan (plus de p’tits joints
mais un litron d’vin) je marchais dans le sable
pendant longtemps, le long des Landes, bandant à peine quand passait une beauté
à poil, intouchable comme par obligation (le nu est chaste, le nu est con).
Et dire que Vénus est née de l’écume des vagues !
Joie d’un chant d’oiseau au soleil ...
Don de l’abandon à l’âme de fond... Qui suis-je ? La pensée ne peut répondre
à cette question. Elle ne peut qu’indiquer ce que je ne suis pas...
Que d’eau ! Que de sable ! Allongé près
d’une bouteille de Bordeaux, lisant les “anges vagabonds”. Avec les vagues
qui s’écrasent sur le rivage où mon âme vague malgré tout ce qui remonte à
la surface...
Découvrant quelques bois lustrés par
l’eau salée, je les fiche dans le sable pour accrocher chemise et foulard
: un vrai radeau sans méduse m’offrant un peu d’ombre pour casser la croûte
sous la dent où le sable crisse... Jusqu’au moment où la marée inonde mon
campement.
Puis, c’est le coup du crépuscule avec
un beau soleil triste qui fait miroiter les vagues une dernière fois. C’est
ainsi que le soleil se couche tandis que des centaines de mouettes se réunissent
sur la plage face à l’océan et s’envolent au fur et à mesure que le voyageur
avance. Puis elles se reposent derrière lui et continuent leur contemplation
de l’infini aquatique...
Malgré le vent j’ai bien dormi sur la
plage et au petit matin quelques gouttes de pluie me font bondir hors du sac
de couchage. Fausse alerte, le ciel s’éclaircit et je m’allonge à nouveau
dans le fracas de l’océan.
La lune est pleine et je me sens vide.
Quand le Rien absolu vous saisit, l’espace qui se crée comble les jointures
du morcelé et détruit les tribunes provisoires du mental
échafaudé...
Partir ! Mon grain de folie germe et
la bougeotte me reprend. Plus le temps passe et plus je parle seul, avalant
des kilomètres de sable...
Mise à part une petite fille qui m’a souri quand elle m’a vu ramasser
un coquillage, le seul salut fut celui d’un routard noiraud qui m’a lancé
une vanne en espagnol tout en me croisant... Peut-être venait-il d’Espagne
à pied sous son sac à dos ? Nous avons ri tout en continuant de marcher en
sens inverse...
Le soir sur la plage après que le monde
soit parti, quelques rusés (et pas seulement des jeunes mais des vieux loups
de mer) cherchent des bijoux perdus grâce à un appareil détecteur...
Passant dans l’ambiance atroce des campings
et plages de vacances... La mine hirsute... Passant comme un mutant autant
désespéré que ceux qui se donnent des airs joyeux. Chaque personne est un
produit numéroté et classé, une marque derrière laquelle on s’affale. Posture
d’imposture aux vertus enfermées dans un cercle vicieux.
Passant comme un passant qui ne fait
que passer avant de pieuter dans le sable tout en redoutant les nuages qui
s’amoncellent... J’ai quarante six piges, ni jeune, ni vieux et me demande
comment mourir sans se tuer. Imaginant deux sortes de roulettes russes...
Pour la roulette russe érotique il faudrait
réunir dix ou vingt des plus belles femmes qui soient. Dans le révolver une balle pour six coups. Visez votre cœur et tirez
! Si vous échappez à la mort vous pouvez baiser la première. Puis, vous recommencez
à tirer... Avec un peu de chance vous ferez l’amour plusieurs fois avant de
crever le cœur éclaté. Ce serait alors un beau jour pour mourir. Cela dit
si d’aventure vous ressortez vivant de cette mésaventure (tout dépend aussi
du nombre de femmes) vous aurez au moins de bons souvenirs sinon celui de
n’être pas mort en plein amour...
Pour la roulette russe du Yi King il s’agit de se tirer un coup de révolver à chaque tirage de trait d’hexagramme avec toujours
une seule balle dans le barillet bien entendu : une chance (ou malchance)
sur six... Si vous arrivez à tirer les six traits sans mourir le sens de l’hexagramme
(ou des deux hexagrammes s’il y a mutation) est d’autant plus intense qu’il
vous raccorde à la vie sans limite...
Sous des nuages bas et lourds, le bras
fatigué à force d’être tendu, le “stop” marchant moins bien que mes jambes,
je rentrais en montagne avec des ampoules aux pieds, souhaitant découvrir
un lieu, plutôt un non-lieu, où tout se percevrait de manière non contradictoire...
J’avais sorti mon chapeau de Camargue
pour repartir en quête de soleil. De la “Note Bleue” à Saint-Girons à un festival
destroy à Saint-Ybars : deux nuits blanches. Ras
l’bol des guitaristes à tronçonneuse et des batteurs
à bétonnière... Boire et fumer avant de faire du “stop” à quatre heures du
mat’... Tombant sur un ivrogne qui faillit nous tuer... Sortant vite de son
cercueil roulant avant d’errer dans la banlieue toulousaine.
Parfois, de Rochefort-sur-Mer
à Caen en passant par Poitiers on me paye le voyage pour quitter les délices
de mon enfermement au grand air où je suis condamné à vivre entre les murs
verts d’une cellule rose avec les nuages comme barreaux et les oiseaux comme
matons...
Partir pour dire des poèmes... Dérivant
entre sentiments et pulsions. L’homme qui vit dans sa tête est un veilleur
insomniaque enfermé dans la durée des longues nuits. Fatigué de soi-même quand
le corps se retire de soi...
Randonnée française vers Paris où devrait
paraître ma “Randonnée chinoise”... Coup de blues à Saint-Girons comme une
crampe au mental. Train de Nîmes puis auto-stop sur les routes du Gard, de
l’Ardèche... Allant voir Théo puis Sabine, fredonnant sur le bas-côté. En
Haute-Loire on m’a pris pour un “marcheur” de la route de Compostelle. Feeling
en dents de scie... Insaisissable sentiment de liberté de l’angoisse à la
joie.
Paris. Expos de Gysin,
de Pélieu... Comme si le document historique l’emportait
toujours sur le vécu actuel (en ce moment même où j’erre sous la pluie en
quête d’un bar sympa). Comme si le “beat” avait fait son temps et n’avait
plus sa place (à contre-courant et contre-culture) dans le monde présent.
Quand Kérouac
faisait des virées c’était moins tristounet. Tout semble si vain. Partir ?
Retourner ? Poser sa chique sans bilan à déposer ? Les pieds gonflés par la
marche sur les pavés... Arrivant un matin où Noël Blandin stoppe brusquement
ses éditions après un article pervers du “Monde des Livres”. Ma “Randonnée
chinoise”, composée, devait paraître ces jours-ci !
Arrivé dans le métro... Dans ma rame
une petite vieille joue de l’accordéon. Oh ! The
Blues come down on me... Comme une image forte et
incontournable. « Longue, longue durée ! » clamait Paul lors de
notre tout dernier bœuf avec Philippe et les aminches...
Longues, longues marches du métro Télégraphe, pliant sous le poids d’un sac
et des pensées écrasées sous les pavés... M’arrêtant comme un mot froissé
dans une poubelle.
Ce n’est pas par hasard si la fête de
l’Âne se déroulait le six janvier au moment de la
fête des Rois... Est “fou” qui ne s’occupe du Royaume Intérieur. Le ciel,
“hault domaine” de Rabelais, est partout. Non seulement tout
autour mais aussi à l’intérieur, le ciel interne de nos possibilités, le ciel
sans dehors ni dedans, tandis que dans un étranglement de pensée le cri s’étouffe
en un rire hoquetant sur le dérisoire des sociétés.
Le romancier est au poète ce qu’est le
voyeur au voyant... Sac au dos, guitare à la main vingt quatre heures de route
pour trois heures de musique... Par les chemins de “traverse”, remontant avec
un pote batteur aux baguettes plus légères que ma guitare électrique...
C’est ça aussi les “répèt” ariégeoises d’une vallée à l’autre avec quelques haltes
chez les uns et les autres. L’homme en jachère n’est pas libre. Mais pour
l’homme en friche l’écart brûle et le cœur se serre dans l’orgie du dedans,
bavant entre aise et malaise... Nature s’esjouit
en nature !
« Expressin’the
blues »
dixit l’Ange Gabriel...
Dessin de BARJOL
oscillant
entre dehors et dedans
laissant
le temps rouler
et le corps en friche
le voyage voyage
MÉLANCOLIE
les étoiles pleurent sur terre
ravivant la blessure
les montagnes percent le ciel
d’outre en outre
l’être vacille
en son corps et son âme
buvant pour oublier
la mémoire
dès la naissance condamné
à mort
le moindre de ses actes
est un regret
la moindre de ses pensées
est un remords
quelle est la vitesse
de la chute d’un corps ?
allez...
un dernier tour d’horizon
avant de se tirer
MON VIEUX COPAIN
Je sais ce que l’on dit
ce n’était qu’une bête
mais au printemps
la mort d’un chat
n’est pas pour les médias
mais la mort d’un chat
c’est triste au printemps
tandis qu’au loin
un âne brait
sa solitude
et la mort d’un chat
allongé dans l’herbe
sous une ombrelle
c’est triste au printemps
quand il ronronne encore
sous les caresses
entre deux gémissements
quand il ouvre la bouche
pour tenter d’avaler
un peu d’eau au compte-goutte
la mort plane
et le coucou chante
la sale blague de la vie
en écho dérisoire
Mistigris se meurt
et nul ne peut le soigner
Mistigris se meurt
et je vais l’enterrer
ma dernière Leffe
à mon dernier chat
Bankei !
LA CLEF DES CHAMPS
Big Brother veille
l’holocauste nucléaire
cabale de bigots aux intentions de messes
étouffoir des parties honteuses des sociétés
conjuration des médiocres en décomposition avancée
ça craint quand les cloportes croient-croassent
asservis par les superpositions des existences
et des reflets miroitants des parts de
marché
décorons-nous de l’opprobre en dissidence
je suis le caillou du torrent et le vent
dans les arbres
— gardez-vous de cracher contre le vent
—
pris de boisson, épris d’amour et sans pas
réglés d’avance
la source des plaisirs jaillit des cimes
en pleine poire
l’esprit libre ne s’identifie plus aux images
du monde
comme si tout était illusoire — même l’illusion
quand l’on ne sait si et si le
soleil éclaire
les nuées tournent la lune
c’est au
autour du ciel soleil
d’éclaircir
ou si le ciel tourne la nuit
car l’envoi
autour des nuées sans
voie n’est
alors le bruit du pas
viable et le
marteau-piqueur mot sans
mot n’est
blesse le cœur pas
motus quand
à moins que ce de
la naissance
ne soit le cœur naît
la mort mais
qui résonne comme ce qui n’est
pas
un marteau-piqueur né avant naître
en écoutant l’équaris-
et
après mort vit-
seur qui rabote il
aussi dans la
la vie……………. vie ?
NÉ DE L’ÉTERNITÉ
comme si l’ignorance
pouvait sortir de la connaissance
comme si la libération
prenait masque d’arrestation
mais que l’enchaînement aux causes accessoires
voilait son contraire
comme si l’obscur plus que l’obscur
demeurait ni vu ni connu
et que par un beau cacher de soleil
les mouches se frottassent les mains
« n’y en
aurait-il pas parmi vous,
caché dans le coin le plus sombre,
que les chiens ne couvriront d’urine
? »
comme disait Paracelse
ainsi de la culpabilisation à l’expiation
du sens du péché au sens du châtiment
quand vices et vertus se confondent
et que la morale procède de l’immoral
lorsque le rachat est symptôme commerçant
comme s’il fallait
souffrir pour mieux mériter
punir pour mieux pardonner
culpabiliser pour mieux confesser
toujours est proposé le même modèle de société
comme s’il fallait renoncer au ciel
pour s’élever
alors que disparaître au ciel
c’est s’oublier soi-même
être vrai
« l’homme
qui s’oublie lui-même
Est
cela veut dire entrer dans le ciel »
(1)
(1) wang chi chih jen shih chih wei
ju yü t’ien
(Chuang Tzu. ch. XII)
LA VACHE ESPAGNOLE
ENRAGÉE
Écrivant au courant de la plume d’homme,
du coq du village à l’âne de Buridan, à bâtons rompus dans les roues...
Quand l’amour et l’eau fraîche nous tiennent
on bat le fer et la campagne comme le diable et sa femme (cette beauté du
diable tirée par la queue). Cherchez-la ! Brûlant le pavé et ses vaisseaux,
volant de vos propres ailes rognées, errant comme une âme en peine chevillée
au corps... Une belle jambe à son cou, sur quel pied danser en rond ?
Le petit doigt dans l’œil l’a dit : il
n’y a que le premier pas qui coûte les yeux de la tête (tournant de l’œil
sans obéir au doigt) car du feu aux poudres aux yeux de la tête, qui ne l’a
inventé ! Le cœur au ventre n’est-il pas plus petit que les yeux ?
Quand le vin est tiré, il faut boire
la mer, tel est le coup d’épée dans l’étrier. Connaissant comme sa poche celui
qui est dedans, poisson dans l’eau deviendra grand...
Se mettre en boule avant de la perdre
(à corps défendant, biens perdus) revient à joindre les deux bouts de la chandelle
même en la tenant et la mouchant à bouche que veux-tu, cul-de-sac de poule
cousue d’or et de fil blanc...
Comme on fait son lit on se couche sur
la dure. Mort à l’article de l’ivresse, j’ai des absences qui brillent.
(Leinad
Duarig)
SOUDAIN SOUS CAPE
dessus sans dessous
dessous sans dessus
sans dessus dessous
c’en dessus dessous
sens dessus dessous
ouaoh ! souveraine
soubrette
le soubresaut survient sous peu
par dessous mon pardessus
le jeu du moi
cache
le Je du Soi
quelque part
l’émoi du moi
du moi de moi
nulle part
le Je du moi
du moi sans moi
l’avant-goût d’arrière-plan
meurt à chaque instant
sur le qui-vive du Soi
Dessin de BARJOL
à Sanâ’i...
de la Terre de la vérité
à Attâr...
de l’Eau dans
l’océan des mystères
à Rûmi...
du Feu dans le cœur de l’amour
à ibn Arabi...
de l’Air ! de l’Air !
ON AURAIT DIT...
On aurait dit que
tu serais miette de pain
pour que, rouge-gorge
j’aille te picorer
On aurait dit que
tu serais oiselle volante
pour que, grand vent
j’aille t’emporter
On aurait dit que
tu serais douce brise
pour que, vieux matou
j’aille m’éventer
On aurait dit que
tu serais jeune chatte
pour que, torride rosée
j’aille me noyer
TIGE DE JADE ET
ABRICOT CRÉMEUX
« La lune
serait toujours noire
Si le soleil ne la baisait
Et la femme serait sans gloire
Si l’homme ne la caressait. »
(Le Nouveau Théophile.
1644)
Sans rien briquer ni fabriquer comment
écrire avec le pinceau enfermé sous les boutons de la braguette ? À ventre
déboutonné ?
Prête à tout sinon à tous, large ouverte
comme pour un fist-fucking, l’Éternel Féminin rêvait à la poésie courtoise du godemiché
abstrait... Banques d’images et banques de sperme confondues.
Le songe se glissait entre les cuisses
du quotidien, entre les pages et les jambes de la première audience à OnanCity. Il n’y avait plus qu’à chanter le blues de la p’tite culotte qui dé robe à la vue les gourmandises...
C’est ainsi que braquemardant
les abricots crémeux mais la couille bredouille (tout poète a besoin qu’on
lui taille une plume) le foutromane de Bordélopolis tentait d’écrire une “Histoire galante et édifiante
des demoiselles au trou de bise en rut” au nom de Notre-Dame
la Verge.
Il se disait que si les femmes baisaient
autant qu’elles pissent on ne serait plus mis à l’index en mettant le doigt...
(mais c’est à “l’intuition féminine” de faire la différence entre la gentillesse
hypocrite du salaud qui se donne de faux airs sympathiques et la grivoiserie
apparente du païen paillard qui voile en fait son besoin de sensuelle tendresse).
Ah ! L’allégresse de Saint Baletrou rabelaisien face aux beautés à renverser les cités
! Ah ! Les incarnations vénusiennes du frémissement au gémissement ! Ah !
Sacrifier à Vénus enflambant nos très mégistes braguettes !
Bouche-bée, badebec,
les lèvres de cerises goulues aspirent au temps des cerises : « quand
nous en serons au temps d’anarchie, nature sera paradis d’amour »...
Ce à quoi répond un chant tzigane de Valachie : « Viens, viens auprès
de moi, viens déchirer ma robe, c’est toujours ainsi que Dieu donne ! »
L’ADIEU AU MONDE
garde à vous
garde à vue
à tête d’égout
pense-bête de la mémoire
confort-réconfort du pouvoir
entre bâillement
saveur suaveur
comme si de rien n’est
n’Est-ce pas ?
« retourne-toi,
c’est le rivage »
(hui t’ou shih an) proverbe chinois
RETOUR CHEZ SOI
à la racine du ciel
retourne à l’origine
avancée du rétrograde
qui recouvre le printemps
retournant à ce qui précède
à rebours du ciel et de la terre
sans regarder en arrière
de l’histoire irréversible
avec la lumière révolutionnée
et l’hors temps en ricochet
secret de fleur d’or
lotus blanc du trésor
à reculons vers le haut
revirement inespéré
mouvement
de la montagne à la vallée
effacement
de la vallée au sommet
le grand décline et le petit augmente
à l’envers de l’opposé
je m’éboule et tourbillonne
tournoyant sous les étoiles
tournis du tournoi de survie
ressourcement du sans ressource
le regard à l’intérieur
l’éclat renversé
à contre-courant
voilà de quoi
il en retourne
DANS LES MONTAGNES
CHAUDES
par l’écrit couché
d’un bond
au pied levé
Tape-cul dans l’autocar brinquebalant
à fond la caisse vers les Terrasses du Ciel (T’ien T’ai). À coups de klaxon vers
le pays d’Han Shan (Montagne Froide). Il était une
fois dans l’Est...
Bien sûr comme dans tous les monastères
du monde il y a les “coquins chauves” qui “fabriquent des actes” dont parlait
Lin T’si, le tueur de Buddah... Des cérémonies et
pratiques méritoires qui font sourire. D’où le rire d’Han
Shan et de son compère cuisinier face aux tenants sans aboutissants de la
Voie graduelle... Ou encore “Ji Gong, le moine fou”
ivrogne éveillé qui traverse le T’ien T’ai en faisant
des pirouettes... Exhibant sa “panoplie” aux “ânes tonsurés” !
Tao dans la crotte
crotte de la Voie
Dès six plombes balade sur les sentiers...
La sueur dégouline rapidement au son des cigales. Escagassé sous la canicule,
embrasé dans les froides montagnes... Libre et vagabondant à la Han Shan.
C’est comme si je voyais ses poèmes gravés sur les arbres et les rochers...
Et si chaque disparu réapparaissait (le
retour de l’apparaître) là même où il est passé ? Dix mille milliards d’ombres
à traverser ! De quoi douter des réalités... Rêve d’Han
Shan, pas moins réel que le reste.
voir sa nature
chien hsing
sa vraie nature
hsing chen
Percevoir
la Vie
Parfois m’arrêtent les couleurs des libellules
ou la pétarade d’un vélomoteur. Souvenirs de Kathmandu...
Et si Han Shan était bien une réincarnation de Manjusri qui fendit les montagnes
himalayennes d’un coup d’épée ?
M’allongeant dans l’herbe. Fumant un
joint au pied de la tour que j’avais repérée en arrivant par l’autocar...
Je songe à quelques mots de l’anthologie “Zenrin”
compilée au XVe :
Étant ainsi, seul, sans affaire, assis
Le printemps vient, l’herbe pousse d’elle-même
Déjà Han Shan écrivait « les herbes
vertes poussent entre mes pieds »... Il n’y a rien à faire loin des affaires
du monde. Désinformé des événements, dépouillé du cadavre de l’espèce...
claquement de doigt
claquement de langue
tout est dit
ici ou ailleurs
avant ou après
pas l’ainsi
sans suite
mais de suite
saisissons
ce qui a
toujours été
tout en un
comme pas un
non partiel
non partial
l’un dans l’autre
n’en fait qu’un
un instant
plus de durée
un éclair
plus de secret
un clin d’œil
plus de pensée
NETI
aussi
vrai
aussi vrai
que je ne suis pas
ce que je vois
aussi vrai
que je ne sais pas
ce que je suis
aussi vrai
que rien n’est vrai
pas même
le rien
ni
le vrai
« Dieu a rêvé
l’herbe comme il a rêvé la rose.
L’herbe veut l’homme Moïse libéré du
joug.
L’herbe est l’aiguille de Dieu dans la
meule de foin »
Grégory Corso
L’HEURE “H”
planant dans la fumée
s’il n’y a rien à trouver
il n’y a rien à chercher
routine défoncée
mental apaisé
au cœur du sujet
l’ainsi venu
est bien parti
l’ainsi parti
est bien venu
fumeur
meurs
à ce qui demeure
SANS LÉGENDE
aller son petit bonhomme
de sable ?
mais tout bonhomme de sable
suivant son bonhomme de chemin
perd son sable
et son chemin
comme chez le bonhomme
de neige
le sable écoulé
reste la plage
et la goutte de rosée
marche dans la neige
comme dans le sable
bonhomme crevé
se mettre en chemin
sans prendre de chemin
là
où il n’y a plus de
là
bas est le ciel
froide est la terre
jour de pluie
une buse immobile
au sommet d’un arbre
une proie
un éclair
ça moutonne sur les pics
un avion strie le ciel
la nuit tombe
rideau
nuit noire
les étoiles dans les arbres
à un jet de salive
en porte-à-faux
se laisser glisser
à la dérobée
arbres glacés
couverts de givre
mes doigts raidis
voile après voile
d’une apparition l’autre
séismes du désir
fleurs humides
abricots crémeux
du joujou des grandes filles
au bijou des p’tites
dames
saule pleureur
pluie en montagne
qui pleure ?
sans bougie à la lueur de la neige
sans bouger par voies et par pièges
les pas perdus n’ont pas besoin de salle
le mental ressasse le connu
le corps déplace le convenu
coulée des formes
dans le moule du monde
premier coucou
dernière neige
givre aux tempes
la bulle flottante
une goutte de rosée
un enfant naît
un rayon d’équarrisseur
un vieillard meurt
et après ?
vivre comme si
la mort faisait une pause
dévisageant le sans visage
avant de fermer son pébroque
et si j’allais mourir ?
et si j’étais déjà mort ?
Dessin de BARJOL