DANIEL GIRAUD

 

 

PAR VOIE ET PAR CHEMINS

 

 

 

 

 

Dessin de BARJOL

 

 

 

 

« Buvant, puis buvant encore, tombant à terre et se relevant pour boire, c’est ainsi qu’on atteint la libération ».

 

Tantrasâra.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AU PAYS DU DÉSERT

 

 

« Ah! si j’étais le vent, et toi marchant le long des grèves de la mer, les seins nus, pour que mon souffle te prenne. »

(Anthologie Palatine V.83)

 

 

J’ai vu dans la bière des mondes s’effondrer

d’autres se soulever

J’ai vu dans la bière des lunes danser

ivres et folles

J’ai vu dans la bière la noirceur des nuits blanches

plus dures que la route de Shu

Si en me frottant le front les rides s’effaçaient

de combien d’années rajeunirais-je ?

Aussi destructeur qu’un chantier de construction

et immoral que la morale

Aussi triste qu’un rêve qui n’en finit pas

de ne pas devenir réalité

À toi qui ne désires plus ton toi

mais l’ailleurs

We gonna rock, we gonna roll, lil’ baby

all night long !

Vénus danse au Sud quand j’offense au Nord

bombance !

Adieu rases campagnes battues et nourries

de l’air du temps

Le jour où le monde entier sera hors de combat

nous vivrons à découvert

Sans contraintes et au diapason du monde

variations en sous-sol

Sans diabolique sainteté des lois et de groupes

d’enquêtes réservées

Le repris de justesse sans domicile ni idées fixes

L’homme qui vivait dans sa tête au bas du pavé

Babouineries qu’il pleuve ou qu’il pleure

Confondant les réalités d’où l’on est confondu

Par celui qui arrive toujours trop tard

Regard d’effusion avant de s’en morfondre

bien entendu

étendu éperdu de malentendu le mordu était

sur les dents

On naît par occident, on meurt par accident

et ça grouille

C’était comme les cafards de l’hôtel des Grands Hommes

dans les années soixante

Et les moustiques de ce gourbi de Mexico :

Dès les lumières éteintes ça courait et volait

à en gesticuler

Ça se ressource dans le noir pour faire chier dans la journée

humains idem

L’attente du présage incitait à chanceler dans les bars

au fil des bières

Mais rien ne s’annonçait et rien ne changeait

Le voleur ne poursuivait pas le gendarme

ni le malade son médecin

L’uniformité régnait de main de maître

et demandait :

De quel dispositif de survie dépendez-vous ?

enfermé dehors

Fermant la porte avant d’entrer l’Éveil n’est pas hors du monde

sinon quelle excuse te sauverait ?

Si le monde est le monde libre

de faire chier le monde

Même les gens constipés feront caguer

à l’époque du pouce baissé

Nietzsche est mort à Midi mais au grand jamais on n’a vu

un tel oubli

Quand le dieu Pan s’agenouille devant la jouvencelle

la nature frémit

Au déclin de notre dernière pièce

les récitants ne parlent plus

Quelle pin-up aux fesses rondes éclaboussera

le poète libertin

Que ses amies courtisanes enterrèrent

dans la Chine profonde ?

Il n’est pas lamentable de demander aux choses de boire

et de trinquer à la mémoire

Dans les greniers de l’underground les caves

sont sous les toits

Plus on veut atteindre plus on s’éloigne

dans le camp des vaincus

Sans chemin ni cheminement mais en quête d’éblouissement

il dégringolait

Confondant toujours la pluie et la sueur

il descendait

Courant chargé comme un mulet

maison sans mur

Le soleil se levait, la brume glissait

neige ou pluie tardait

Cogneur de mots battu par le temps

c’est pour bientôt

Sans avances pour ceux qui reculent

se vendent au plus offrant

Cachant leurs cartes entre la peau et la chemise

Ne pas m’en croire c’est bêtise

Esprit gaillard mais crucifié on cite bien Jacques Prével

à propos de Cantona

Rentrant de Paris à Saint-Girons à pied

sous les étoiles

Marmonnant titubant quelques poèmes sur la route forestière

lampe de poche à la main

Éprouvant la ligne courbe comme plus directe

des jambes dans le ventre

Écrivant dans l’herbe face à l’ombre des monts

au son d’une ballade d’Hank Williams

Songeant au mystère sensuel et imaginaire du non-dit

en une p’tite cabane

Marchant sac de brochures en bandoulière

bourdon bourdonnant

Est-ce pour veiller sur son foyer

que mon marseillais de père disait

de trouver ses pénates

Lui qui vivait chez sa maîtresse soi-disant ma tante

lui ayant juré

de ne jamais la quitter

Et le mental mentalise sans mentir à son mécanisme

Et les mâchoires de la machine mastiquent l’émotion

Et les mandibules malaxent des pensées le marteau-pilon

de quoi gerber

Quand le laminoir du remords s’active dans la chaudière

dans un boucan d’enfer

Mots de treuils et poulies d’idées en rouages de roues dentées

soupape d’insécurité

Tout ce qui fait le pont roulant de la machine à broyer

du noir

Dans la belle pute d’existence rampent les attardés

« payez avant de consommer »

Mais à la postérité de poète ambulant voici le postérieur

Et la terre tremble dans la pétarade des pets !

Quand ce qui part du corps vient à l’esprit

les braves ne bravent plus

Et la fleur rend son odeur à la vie

pétales baisés à l’envie

Et les nymphes s’entrouvrent sous l’œil du monde

afin qu’en pleine clarté

Hommage soit rendu à la beauté et au spontané

Voyez les dieux du dedans, riant et saillant

comme dans le temps

Comme si l’incroyance était l’expiation des croyances

basculant à cloche-pied

Le poèt-poèt se disait qu’il aurait du mal à s’en sortir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE VOYAGE DU DÉVOYÉ

 

 

le voyage inspire le poème

le poème témoigne du voyage

mais

quand le voyage est d’agrément

il ment

comme un charlatan

le voyage enchante le désenchanté

mais

l’enchanté peut déchanter

le voyage est comme l’amour

enfer du paradis ou détresse d’une allégresse

l’amant est dans l’aimé

il n’y a pas d’horizon à l’amour fou

don d’amoureuse merci

se tailler

la clé des champs prise dans les taillis

de l’amour buissonnier

se barrer en liberté

le battant palpitant

et le reste tout autant

se dérober sous la robe de la vie

suave saveur

l’ayant en l’air pour la fille de l’air

voyager

c’est tout larguer et déserter

quand le cœur est seul

pour se faire la paire

en moins de deux

levant le siège de la société

mettre les bouts

quand on ne peut les joindre

loin des bien-pensants et mal-baisants

et

le poète au long cours prend la route

l’escampe

attaches brisées

brûlant les stations

lieux vidés

courant le monde

ivre en son corps et son âme

pour arriver à bon port

pas de passeport

avec la mort comme passage

pour le fou comme pour le sage

dépouillé

du cadavre que l’on porte et supporte

sans bruit

s’en aller à la dérobée

dans la nuit

les voiles mises gagner le large

et s’envoler

s’esquiver en petite ou grande fugue

cherchant au fond le pays de nulle part

ici ou là

apparaissant et disparaissant

l’échappée belle s’éclipse et s’évapore

sans billet de retour

celui qui est parti n’est pas le même

que celui qui revient

mais

si partir c’est mourir un peu

revenir c’est revivre à peine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ROUTES ET SOUKS

 

 

        Les mouettes accompagnent le bateau d’Algésiras à Ceuta... Au passage pratiqué par Hercule. J’éviterai Tétouan, trop d’escrocs et trop de tanks. Direction Chechaouen, au pied du kif, pardon du Rif... Montagnes de Kétama. Les poules dans le coffre à bagages, le car bringuebale au son de la radio arabe. Ciel bleu, nuits froides, l’air vif donne des ailes. Tendance à demeurer dans cette auberge de jeunesse...

        Mais Fès appelle Al-Sâlik, le Voyageur. Dans la médina il s’oriente à la boussole plutôt que de louer un guide agressif... Dans un tel labyrinthe, plaisir de se perdre tandis que résonne la voix du prieur de la mosquée. Dans les parcs les étudiants, bêtes et obéissants, révisent comme des perroquets.

        Je préfère aller à Marrakech la Rouge plutôt qu’à Casablanca la Blanche... Dans les gares deux pancartes côte à côte sur le quai : « salle d’attente » et « salle de prière ». De quoi surprendre l’européen matérialiste. Mais « qui se connaît soi-même connaît son Seigneur » ! Allah est dans toutes les bouches...

        Déserts de cactus, forêts de palmiers, femmes voilées de blanc et de noir, chèvres et moutons paissant dans les ordures... Avant d’arriver à la Porte de l’Orient : Marrakech et sa place Djema et fna. Boxeurs et acrobates, singes et tireuses de cartes, charmeurs et avaleurs de serpents, marchands de cuivres harnachés de cuir, danseurs au son des flûtes et tambours, géomanciens vêtus de couleurs bigarrées et de grands coutelas...

        À la lueur des lampes à pétrole ou à gaz, le soir, les bateleurs baratinent et les petits vendeurs à la sauvette se mettent en rang sur plus de cent mètres pour proposer aux badauds pantalons, chemises ou vestes à l’européenne. Guides, dealers, mendiants demandant « par Allah » ! et touristes demandant par où aller...

        D’un lieu à l’autre, en solo et sans calèche, je traverse la médina sous les cannisses et l’été de plomb. Ah ! les thés à la menthe délicieusement sucrés entre joueurs de dominos et de tarots (les lames majeures sont dans ma poche)... Les commerçants fument le kif derrière leur comptoir dans de petites pipes ou “sepsi”. Bavardage des joueurs et fumeurs, rieurs, enfantins, ils se bousculent en chahutant ... Allah akbar ! Unicité divine “Towhid”...

        Dans le Sud, même les dromadaires peuvent tirer les charrues et de cars en cars voici la mer... L’air du large, vie paisible à Essaouira. Sardines à savourer... Trois poissons pour trois francs. Musulmanes au regard brûlant derrière le voile. Certains avancent cahin-caha sur de petits ânes et les chèvres grimpent aux arbustes. Mélos du tiers monde et films indiens. J’aime entendre un musicien d’Essaouira comme Al Maalem Mahmoud Gania qui s’accompagne avec un instrument sénégalais.

        Puis Agadir... Atroce. Station balnéaire de luxe. Miami du Maroc. Si peu de Marocains... Les mêmes musiciens qui dansent à Marrakech s’amusent moins ici mais reçoivent plus d’argent. Vivement un nouveau tremblement de terre qui ensevelirait cette vie hors de prix !

        Descente vers Tiznit puis Goulimine où se danse la “guédra” avant le marché aux chameaux. Ville des touaregs en plein désert. Mais à court d’argent le voyageur remonte vite dans les dernières classes de ces vieux trains bon marché. L’errant traîne sa jambe, le retour s’achèvera dans un auto-stop épuisant...

        Hommes du Livre ! Si le Royaume de Dieu est en vous, la Résurrection est pour maintenant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SOLEIL D’ORAGES

 

 

« Pour cercueil je veux

un tonneau qu’avec ma belle

j’aurai asséché »

Jugo (1654-1717)

 

 

jours d’été à Assise

chez le « petit pauvre »

à présent que d’argent !

 

ermitage

no pic nic

 

ah ! le petit vin blanc d’Assise...

 

rescapé

à l’ombre

d’une défaillance

 

les hirondelles

au ras des tilleuls

suave !

impondérable !

 

la toile du fond

l’étoile de fond

les yeux du Sage

 

marche en montagne ?

et le cri du corbeau !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CE QUE DIT...

 

 

Y allant de nos voyages... On ne revient pas des îles de l’Immortalité, PERSONNE n’étant jamais parti. Au beat du temps, des Pyrénées à Cooperstown, je te salue ami et nos signes se répondent. Oui, « Les marées abandonnent nos pensées sur le sable » et dans la résonance du son d’une vague, je t’écris à l’aube de l’hiver, quand la neige tombe sur les soucis en fleur et que je rentre transpirant de couper du bois. Face à ma vieille “Remington” tout passe, le meilleur comme le pire... levant mon verre, portant un toast à la Lune (peut-être la vois-tu nous cligner de l’œil entre les nuages ?) fumant la divine (encore une que les gens d’armes n’auront pas, même si des oreilles ennemies nous écoutent). Songeant aux siècles passés — ou à la possibilité de pouvoir vivre en soi-même sans contrainte. Vie d’une bulle de savon ! Le temps d’un trompe l’œil... Cendres et poussières. Ma première lecture de “Claude Pélieu” date des “scripts” d’Onan City — en simultanéité globale (nous vivons continuellement dans des amalgames où les parties sont dissociées du Tout) d’images d’instants / stop. Flashes here and now ! « Qué Pasa ? » dit ton collage... Et ce « Plan de démolition 23 » ! J’ai retrouvé un moustique écrasé page cent quatre vingt quinze vers le haut, là où est écrit : « c’est ici (ici même) »... De ces couleurs aux « quelques notes sur la démolition 23 ? ») de Burroughs (qui a « perdu son dernier 23 » — en cette époque de challenge à remporter par des gagneurs performants et battants à l’esprit compétitif, spécialistes en productivité et marketing — appât du gain et tâche de tâcheron — les mondains de bonne famille à paroles de vipères, vénérables vénéneux qui mènent le monde... Coluche président ! Quand Moloch et les mordus de la tarentule nous encerclent l’abstention est nécessaire, évitant l’édulcoration / tétanisation par intoxication médiatique ! De même la beat génération française a été occultée par les médias, comme quoi les beatnicks des années soixante sur les quais de la Seine ne faisaient pas “œuvre littéraire”... Merde ! à l’horizon de “Fruit cup” trouvé en 69 à City Lights Books : « ANARCHY THE POET’S LUCKY STAR FOR THE OTHERS TOO. STOP » et à Paris l’Hallucinex ! de “la génération grise invisible”. Qu’on s’écrivait des cartes postales en voyage te souviens-tu ? Puis c’est ta petite musique de “Jukeboxes” et la frappe de cette phrase : « J’ai vu les âmes... serrures baiser avec les machines à calculer je cogne des textes de sang sur le clavier de neige ». Avec le sexe « tel un coup de hache » pour allumer « le bleu de toutes les mers » — comme si le fléau de la balance commençait à battre le rythme d’un poids sans mesure — le phallus de la pendule du temps (jusqu’à ce que sorte le p’tit oiseau du cui-cui encore). Nulle différence entre une fleur qui se ferme devant nos yeux et une femme qui s’ouvre aux antipodes — courbé comme un arc, immergé dans l’entrefesson, le monde s’arrêtera-t-il ? Yèh ! Il faut détruire « ces murs, ces barbelés, ces clôtures, ces pancartes ». La bonne conscience n’est pas bonne, le bon sens n’est pas bon — dans une société où joue la présomption de culpabilité. Et chacun de continuer à voter la gueule enfarinée pour les politiciens ripoux ! Et mézigue, croyances défroquées, qui se demande si une situation sans issue ne serait pas salutaire. Quand les guetteurs de chemins jouent leur va-tout — pas que les soupirants qui soupirent... Tandis « QUE BRÛLE L’ESPRIT ». Le « Vieil homme des Montagnes » est toujours vert « & tous les poèmes à la mer iront très loin ». Et c’est comme Fred Bellow chantant la route “sixtysix”. Et que nos poèmes n’ont pas l’air de poèmes... Claude tu es « les racines rouges du ciel » ! Le monde bat en nous et les étoiles aussi — d’où l’année 73 de “Star screwer”... “Am I doin” de Cut City ou “debout Toulouse-Lautrec” / “hip” and “drogue” (grande plaidoirie à relire !) « GO FUCK YOURSELF ! »... Au fond la Libération ne reviendrait-elle pas à ce qu’on se libère de ce que nous ne sommes pas ? Alors disparaîtrait « l’histoire dans un cauchemar »... Allez Washburn ! Lave et brûle, ça cautérise la blessure quand « l’ouest avale les derniers reflets du soleil »... Tiens Marcel, voilà le sel ! « DEATH FREEZER » ! T’as vu mec cet « éclair dans le rétroviseur » ?... Toujours le cri en course folle des trains de nuit et de couleurs (pendant que des glaçons s’accrochent aux moustaches des hommes de neige qui descendent les pentes silencieuses). Porte-toi bien Claude ! Avec ce qui me touche aujourd’hui le plus chez toi (« Et là-bas simplement ») ou « sans écho la mer plonge dans une goutte d’eau » avec le VIDE qui se profile entre le ténu du ton et le motus du mot... « BOM BOM SHIWAYE ! » — « indigo express ! » vers l’Or riant, « la Chine fleur lunaire » de Cherry Valley... Oui, « Dans le sable du temps » on se fait signe de détresse en allégresse. Et comme tu dis en tes “koans et haïkus” (M 25) :

 

 

« N’étant porteur

d’aucun message

Zen fait corps

Avec la réalité

Tout disparaît

Tout demeure. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VIRÉES 92-93

 

 

To blueshobo

Guitar Gabriel,

 

 

        Au festival d’Avignon ... J’ai vu l’O.M. battre amicalement Nîmes deux à zéro, avant d’errer dans la foule de la place de l’Horloge. De bières en bières la nuit passait et je partais à pied vers Tarascon où se déroulait un festival de poésie. On m’avait payé le voyage (mais pas l’hôtel et la bouffe) pour représenter la revue Blockhaus...

        Dormant en cours de route sous un arbre à moustiques, planqué dans mon sac de couchage. Réveillé à l’aube par le chant des oiseaux et une forte démangeaison sur le front, je reprenais la marche, aucune voiture ne s’arrêtant... Et que de villas s’appellent “chien méchant” ! Chiant comme un chien qui aboie aux mollets...

        Marchant ...Échoué sur le rivage d’un quotidien rouge sang sous une apparence banalisée dans la transpiration de la journée face au fatras des paroles et des livres. Barricadé dans ses pensées mais quittant sa tête le singe du mental éternue ses souhaits : l’important est le sans importance. Reste à présent ce qui se présente...

        Le “grand” festival de poésie de Tarascon rassemble les organisateurs et les participants, autrement dit une vingtaine de personnes. À l’époque où fleurissent subventions et décorations (même Mouna est décoré de l’ordre du mérite) la culture poétique ou musicale se déroule devant des salles vides.

        Les journées s’étirent avant que je ne me tire. Heureusement quelques bonnes premières rencontres comme Giroux, Élisabeth, Hutchinson et Serge Pey. Sans doute le seul intérêt de ce genre de manifestation mis à part le fait que les organisateurs et leurs employés ne soient pas au chômage et gagnent ainsi mieux leur vie que les poètes invités. Monde à l’envers au temps des intermédiaires...

        Dans les coulisses de l’être que faire ? Se dit le poète solitaire tout en dévorant son misérable sandwich... Il partira plus vite que les autres après avoir déclamé “Léa”, un poème porno de Crowley... Voyageant de nuit pour économiser l’hôtel avec trois correspondances interminables.

 

 

Le militaire qui marche : une, deux... une, deux...

Le Sage qui marche : pas deux, pas deux...

Pour le premier un plus un égale deux. Pour le second un plus un moins un égale Un.

 

 

C’est ainsi que j’arrivais aux entretiens de Jean Klein à Notre-Dame-du-Laus. Le voyage sans distance est beaucoup plus long à concevoir que les voyages les plus lointains mais il est sûrement beaucoup plus court à réaliser sitôt perçu...

Adossé à la montagne, regardant l’oasis qui traverse le désert, je me demandais jusqu’où l’on doit transporter son cadavre et ses excréments sans éviter la répétition.

Entre un passé dépassé et un avenir à venir ma mélancolie écrit de son pire...  « I got the blues so bad »... Ondulations de pensées paradoxalement virevoltantes et grabataires même si le monde naît et meurt à chaque pensée. Il y a tant de murs à abattre en sourdine. Enchaîné dans des circuits de compensations, enterré vivant sous les décombres des pensées fracassées, l’apparent n’est pas plus réel que la pensée, ce « fantôme » selon Max.

Mais chaque instant ne peut être comme avant et l’intuition précède la pensée comme un éclair insaisissable. L’inéluctable... — Imperceptible et innommable car sans fragmentation ?

Après deux jours de bon blues à Fort-Médoc, je marchais avec Magic Slim dans les oreilles et les pieds pleins de rosée dans des pataugas parfumés... Tôt levé d’une bonne nuit à la belle étoile. Au fond vaut-il mieux avoir une démarche dite“intégrée” par rapport à une perspective dite spirituelle ou une approche quasiment désintégrée au comptoir des bars au son de l’œuf dur qui casse en même temps que le cœur ?

À force de vivre au “feeling” on est tributaire de vibrations, d’impressions et de sensations au point de “monter” et de “descendre” sans arrêt au fil du temps et des événements. Je préférerai toujours un pochard aux poches percées qu’un bourge qui prend la pose...

Sac au dos sous le cagnard, débarquant dans le boucan de l’océan (plus de p’tits joints mais un litron d’vin) je marchais dans le sable pendant longtemps, le long des Landes, bandant à peine quand passait une beauté à poil, intouchable comme par obligation (le nu est chaste, le nu est con). Et dire que Vénus est née de l’écume des vagues !

Joie d’un chant d’oiseau au soleil ... Don de l’abandon à l’âme de fond... Qui suis-je ? La pensée ne peut répondre à cette question. Elle ne peut qu’indiquer ce que je ne suis pas...

Que d’eau ! Que de sable ! Allongé près d’une bouteille de Bordeaux, lisant les “anges vagabonds”. Avec les vagues qui s’écrasent sur le rivage où mon âme vague malgré tout ce qui remonte à la surface...

Découvrant quelques bois lustrés par l’eau salée, je les fiche dans le sable pour accrocher chemise et foulard : un vrai radeau sans méduse m’offrant un peu d’ombre pour casser la croûte sous la dent où le sable crisse... Jusqu’au moment où la marée inonde mon campement.

Puis, c’est le coup du crépuscule avec un beau soleil triste qui fait miroiter les vagues une dernière fois. C’est ainsi que le soleil se couche tandis que des centaines de mouettes se réunissent sur la plage face à l’océan et s’envolent au fur et à mesure que le voyageur avance. Puis elles se reposent derrière lui et continuent leur contemplation de l’infini aquatique...

Malgré le vent j’ai bien dormi sur la plage et au petit matin quelques gouttes de pluie me font bondir hors du sac de couchage. Fausse alerte, le ciel s’éclaircit et je m’allonge à nouveau dans le fracas de l’océan.

La lune est pleine et je me sens vide. Quand le Rien absolu vous saisit, l’espace qui se crée comble les jointures du morcelé et détruit les tribunes provisoires du mental échafaudé...

Partir ! Mon grain de folie germe et la bougeotte me reprend. Plus le temps passe et plus je parle seul, avalant des kilomètres de sable...

        Mise à part une petite fille qui m’a souri quand elle m’a vu ramasser un coquillage, le seul salut fut celui d’un routard noiraud qui m’a lancé une vanne en espagnol tout en me croisant... Peut-être venait-il d’Espagne à pied sous son sac à dos ? Nous avons ri tout en continuant de marcher en sens inverse...

Le soir sur la plage après que le monde soit parti, quelques rusés (et pas seulement des jeunes mais des vieux loups de mer) cherchent des bijoux perdus grâce à un appareil détecteur...

Passant dans l’ambiance atroce des campings et plages de vacances... La mine hirsute... Passant comme un mutant autant désespéré que ceux qui se donnent des airs joyeux. Chaque personne est un produit numéroté et classé, une marque derrière laquelle on s’affale. Posture d’imposture aux vertus enfermées dans un cercle vicieux.

Passant comme un passant qui ne fait que passer avant de pieuter dans le sable tout en redoutant les nuages qui s’amoncellent... J’ai quarante six piges, ni jeune, ni vieux et me demande comment mourir sans se tuer. Imaginant deux sortes de roulettes russes...

Pour la roulette russe érotique il faudrait réunir dix ou vingt des plus belles femmes qui soient. Dans le révolver une balle pour six coups. Visez votre cœur et tirez ! Si vous échappez à la mort vous pouvez baiser la première. Puis, vous recommencez à tirer... Avec un peu de chance vous ferez l’amour plusieurs fois avant de crever le cœur éclaté. Ce serait alors un beau jour pour mourir. Cela dit si d’aventure vous ressortez vivant de cette mésaventure (tout dépend aussi du nombre de femmes) vous aurez au moins de bons souvenirs sinon celui de n’être pas mort en plein amour...

Pour la roulette russe du Yi King il s’agit de se tirer un coup de révolver à chaque tirage de trait d’hexagramme avec toujours une seule balle dans le barillet bien entendu : une chance (ou malchance) sur six... Si vous arrivez à tirer les six traits sans mourir le sens de l’hexagramme (ou des deux hexagrammes s’il y a mutation) est d’autant plus intense qu’il vous raccorde à la vie sans limite...

 

 

Sous des nuages bas et lourds, le bras fatigué à force d’être tendu, le “stop” marchant moins bien que mes jambes, je rentrais en montagne avec des ampoules aux pieds, souhaitant découvrir un lieu, plutôt un non-lieu, où tout se percevrait de manière non contradictoire...

J’avais sorti mon chapeau de Camargue pour repartir en quête de soleil. De la “Note Bleue” à Saint-Girons à un festival destroy à Saint-Ybars : deux nuits blanches. Ras l’bol des guitaristes à tronçonneuse et des batteurs à bétonnière... Boire et fumer avant de faire du “stop” à quatre heures du mat’... Tombant sur un ivrogne qui faillit nous tuer... Sortant vite de son cercueil roulant avant d’errer dans la banlieue toulousaine.

 

 

Parfois, de Rochefort-sur-Mer à Caen en passant par Poitiers on me paye le voyage pour quitter les délices de mon enfermement au grand air où je suis condamné à vivre entre les murs verts d’une cellule rose avec les nuages comme barreaux et les oiseaux comme matons...

Partir pour dire des poèmes... Dérivant entre sentiments et pulsions. L’homme qui vit dans sa tête est un veilleur insomniaque enfermé dans la durée des longues nuits. Fatigué de soi-même quand le corps se retire de soi...

Randonnée française vers Paris où devrait paraître ma “Randonnée chinoise”... Coup de blues à Saint-Girons comme une crampe au mental. Train de Nîmes puis auto-stop sur les routes du Gard, de l’Ardèche... Allant voir Théo puis Sabine, fredonnant sur le bas-côté. En Haute-Loire on m’a pris pour un “marcheur” de la route de Compostelle. Feeling en dents de scie... Insaisissable sentiment de liberté de l’angoisse à la joie.

Paris. Expos de Gysin, de Pélieu... Comme si le document historique l’emportait toujours sur le vécu actuel (en ce moment même où j’erre sous la pluie en quête d’un bar sympa). Comme si le “beat” avait fait son temps et n’avait plus sa place (à contre-courant et contre-culture) dans le monde présent.

Quand Kérouac faisait des virées c’était moins tristounet. Tout semble si vain. Partir ? Retourner ? Poser sa chique sans bilan à déposer ? Les pieds gonflés par la marche sur les pavés... Arrivant un matin où Noël Blandin stoppe brusquement ses éditions après un article pervers du “Monde des Livres”. Ma “Randonnée chinoise”, composée, devait paraître ces jours-ci !

Arrivé dans le métro... Dans ma rame une petite vieille joue de l’accordéon. Oh ! The Blues come down on me... Comme une image forte et incontournable. « Longue, longue durée ! » clamait Paul lors de notre tout dernier bœuf avec Philippe et les aminches... Longues, longues marches du métro Télégraphe, pliant sous le poids d’un sac et des pensées écrasées sous les pavés... M’arrêtant comme un mot froissé dans une poubelle.

 

 

Ce n’est pas par hasard si la fête de l’Âne se déroulait le six janvier au moment de la fête des Rois... Est “fou” qui ne s’occupe du Royaume Intérieur. Le ciel, “hault domaine” de Rabelais, est partout. Non seulement tout autour mais aussi à l’intérieur, le ciel interne de nos possibilités, le ciel sans dehors ni dedans, tandis que dans un étranglement de pensée le cri s’étouffe en un rire hoquetant sur le dérisoire des sociétés.

 

Le romancier est au poète ce qu’est le voyeur au voyant... Sac au dos, guitare à la main vingt quatre heures de route pour trois heures de musique... Par les chemins de “traverse”, remontant avec un pote batteur aux baguettes plus légères que ma guitare électrique...

C’est ça aussi les “répèt” ariégeoises d’une vallée à l’autre avec quelques haltes chez les uns et les autres. L’homme en jachère n’est pas libre. Mais pour l’homme en friche l’écart brûle et le cœur se serre dans l’orgie du dedans, bavant entre aise et malaise... Nature s’esjouit en nature !

 

 

« Expressin’the blues »

dixit l’Ange Gabriel...

 

 

 

Dessin de BARJOL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

oscillant

entre dehors et dedans

laissant

le temps rouler

et le corps en friche

 

 

le voyage voyage

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MÉLANCOLIE

 

 

les étoiles pleurent sur terre

ravivant la blessure

les montagnes percent le ciel

d’outre en outre

l’être vacille

en son corps et son âme

buvant pour oublier

la mémoire

dès la naissance condamné

à mort

le moindre de ses actes

est un regret

la moindre de ses pensées

est un remords

quelle est la vitesse

de la chute d’un corps ?

allez...

un dernier tour d’horizon

avant de se tirer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MON VIEUX COPAIN

 

 

Je sais ce que l’on dit

ce n’était qu’une bête

mais au printemps

la mort d’un chat

n’est pas pour les médias

mais la mort d’un chat

c’est triste au printemps

tandis qu’au loin

un âne brait

sa solitude

et la mort d’un chat

allongé dans l’herbe

sous une ombrelle

c’est triste au printemps

quand il ronronne encore

sous les caresses

entre deux gémissements

quand il ouvre la bouche

pour tenter d’avaler

un peu d’eau au compte-goutte

la mort plane

et le coucou chante

la sale blague de la vie

en écho dérisoire

Mistigris se meurt

et nul ne peut le soigner

Mistigris se meurt

et je vais l’enterrer

 

 

ma dernière Leffe

à mon dernier chat

Bankei !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA CLEF DES CHAMPS

 

 

Big Brother veille l’holocauste nucléaire

cabale de bigots aux intentions de messes

étouffoir des parties honteuses des sociétés

conjuration des médiocres en décomposition avancée

ça craint quand les cloportes croient-croassent

asservis par les superpositions des existences

et des reflets miroitants des parts de marché

décorons-nous de l’opprobre en dissidence

 

je suis le caillou du torrent et le vent dans les arbres

— gardez-vous de cracher contre le vent —

pris de boisson, épris d’amour et sans pas réglés d’avance

la source des plaisirs jaillit des cimes en pleine poire

l’esprit libre ne s’identifie plus aux images du monde

comme si tout était illusoire — même l’illusion

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

quand l’on ne sait si                                     et si le soleil éclaire

les nuées tournent                                        la lune c’est au

autour du ciel                                               soleil d’éclaircir

ou si le ciel tourne                                        la nuit car l’envoi

autour des nuées                                          sans voie n’est

alors le bruit du                                            pas viable et le

marteau-piqueur                                          mot sans mot n’est

blesse le cœur                                              pas motus quand

à moins que ce                                            de la naissance

ne soit le cœur                                             naît la mort mais

qui résonne comme                                     ce qui n’est pas

un marteau-piqueur                                     né avant naître

en écoutant l’équaris-                                  et après mort vit-

seur qui rabote                                            il aussi dans la

la vie…………….                                      vie ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NÉ DE L’ÉTERNITÉ

 

 

comme si l’ignorance

pouvait sortir de la connaissance

comme si la libération

prenait masque d’arrestation

mais que l’enchaînement aux causes accessoires

voilait son contraire

comme si l’obscur plus que l’obscur

demeurait ni vu ni connu

et que par un beau cacher de soleil

les mouches se frottassent les mains

« n’y en aurait-il pas parmi vous,

caché dans le coin le plus sombre,

que les chiens ne couvriront d’urine  ? »

comme disait Paracelse

ainsi de la culpabilisation à l’expiation

du sens du péché au sens du châtiment

quand vices et vertus se confondent

et que la morale procède de l’immoral

lorsque le rachat est symptôme commerçant

comme s’il fallait

souffrir pour mieux mériter

punir pour mieux pardonner

culpabiliser pour mieux confesser

toujours est proposé le même modèle de société

comme s’il fallait renoncer au ciel

pour s’élever

alors que disparaître au ciel

c’est s’oublier soi-même

être vrai

« l’homme qui s’oublie lui-même

Est

cela veut dire entrer dans le ciel » (1)

 

 

 

 

(1) wang chi chih jen shih chih wei ju t’ien (Chuang Tzu. ch. XII)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA VACHE ESPAGNOLE ENRAGÉE

 

 

Écrivant au courant de la plume d’homme, du coq du village à l’âne de Buridan, à bâtons rompus dans les roues...

Quand l’amour et l’eau fraîche nous tiennent on bat le fer et la campagne comme le diable et sa femme (cette beauté du diable tirée par la queue). Cherchez-la ! Brûlant le pavé et ses vaisseaux, volant de vos propres ailes rognées, errant comme une âme en peine chevillée au corps... Une belle jambe à son cou, sur quel pied danser en rond ?

Le petit doigt dans l’œil l’a dit : il n’y a que le premier pas qui coûte les yeux de la tête (tournant de l’œil sans obéir au doigt) car du feu aux poudres aux yeux de la tête, qui ne l’a inventé ! Le cœur au ventre n’est-il pas plus petit que les yeux ?

Quand le vin est tiré, il faut boire la mer, tel est le coup d’épée dans l’étrier. Connaissant comme sa poche celui qui est dedans, poisson dans l’eau deviendra grand...

Se mettre en boule avant de la perdre (à corps défendant, biens perdus) revient à joindre les deux bouts de la chandelle même en la tenant et la mouchant à bouche que veux-tu, cul-de-sac de poule cousue d’or et de fil blanc...

Comme on fait son lit on se couche sur la dure. Mort à l’article de l’ivresse, j’ai des absences qui brillent.

 

(Leinad Duarig)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SOUDAIN SOUS CAPE

 

 

dessus sans dessous

dessous sans dessus

sans dessus dessous

 

c’en dessus dessous

sens dessus dessous

 

ouaoh ! souveraine soubrette

le soubresaut survient sous peu

par dessous mon pardessus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le jeu du moi

cache

le Je du Soi

 

quelque part

l’émoi du moi

du moi de moi

 

nulle part

le Je du moi

du moi sans moi

 

l’avant-goût d’arrière-plan

meurt à chaque instant

sur le qui-vive du Soi

 

 

 

Dessin de BARJOL

 

 

 

 

 

 

 

 

à Sanâ’i...

de la Terre de la vérité

à Attâr...

de l’Eau dans l’océan des mystères

à Rûmi...

du Feu dans le cœur de l’amour

à ibn Arabi...

de l’Air ! de l’Air !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ON AURAIT DIT...

 

 

On aurait dit que

tu serais miette de pain

pour que, rouge-gorge

j’aille te picorer

 

 

On aurait dit que

tu serais oiselle volante

pour que, grand vent

j’aille t’emporter

 

 

On aurait dit que

tu serais douce brise

pour que, vieux matou

j’aille m’éventer

 

 

On aurait dit que

tu serais jeune chatte

pour que, torride rosée

j’aille me noyer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TIGE DE JADE ET ABRICOT CRÉMEUX

 

 

« La lune serait toujours noire

Si le soleil ne la baisait

Et la femme serait sans gloire

Si l’homme ne la caressait. »

(Le Nouveau Théophile. 1644)

 

 

Sans rien briquer ni fabriquer comment écrire avec le pinceau enfermé sous les boutons de la braguette ? À ventre déboutonné ?

Prête à tout sinon à tous, large ouverte comme pour un fist-fucking, l’Éternel Féminin rêvait à la poésie courtoise du godemiché abstrait... Banques d’images et banques de sperme confondues.

Le songe se glissait entre les cuisses du quotidien, entre les pages et les jambes de la première audience à OnanCity. Il n’y avait plus qu’à chanter le blues de la p’tite culotte qui dé robe à la vue les gourmandises...

C’est ainsi que braquemardant les abricots crémeux mais la couille bredouille (tout poète a besoin qu’on lui taille une plume) le foutromane de Bordélopolis tentait d’écrire une “Histoire galante et édifiante des demoiselles au trou de bise en rut” au nom de Notre-Dame la Verge.

Il se disait que si les femmes baisaient autant qu’elles pissent on ne serait plus mis à l’index en mettant le doigt... (mais c’est à “l’intuition féminine” de faire la différence entre la gentillesse hypocrite du salaud qui se donne de faux airs sympathiques et la grivoiserie apparente du païen paillard qui voile en fait son besoin de sensuelle tendresse).

Ah ! L’allégresse de Saint Baletrou rabelaisien face aux beautés à renverser les cités ! Ah ! Les incarnations vénusiennes du frémissement au gémissement ! Ah ! Sacrifier à Vénus enflambant nos très mégistes braguettes !

Bouche-bée, badebec, les lèvres de cerises goulues aspirent au temps des cerises : « quand nous en serons au temps d’anarchie, nature sera paradis d’amour »... Ce à quoi répond un chant tzigane de Valachie : « Viens, viens auprès de moi, viens déchirer ma robe, c’est toujours ainsi que Dieu donne ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ADIEU AU MONDE

 

 

garde à vous

garde à vue

à tête d’égout

 

pense-bête de la mémoire

confort-réconfort du pouvoir

 

entre bâillement

saveur suaveur

 

comme si de rien n’est

n’Est-ce pas ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« retourne-toi, c’est le rivage »

(hui t’ou shih an) proverbe chinois

 

 

 

RETOUR CHEZ SOI

 

 

à la racine du ciel

retourne à l’origine

avancée du rétrograde

qui recouvre le printemps

retournant à ce qui précède

à rebours du ciel et de la terre

sans regarder en arrière

de l’histoire irréversible

avec la lumière révolutionnée

et l’hors temps en ricochet

secret de fleur d’or

lotus blanc du trésor

à reculons vers le haut

revirement inespéré

mouvement

de la montagne à la vallée

effacement

de la vallée au sommet

le grand décline et le petit augmente

à l’envers de l’opposé

je m’éboule et tourbillonne

tournoyant sous les étoiles

tournis du tournoi de survie

ressourcement du sans ressource

le regard à l’intérieur

l’éclat renversé

à contre-courant

voilà de quoi

il en retourne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANS LES MONTAGNES CHAUDES

 

 

par l’écrit couché

d’un bond

au pied levé

 

 

Tape-cul dans l’autocar brinquebalant à fond la caisse vers les Terrasses du Ciel (T’ien T’ai). À coups de klaxon vers le pays d’Han Shan (Montagne Froide). Il était une fois dans l’Est...

Bien sûr comme dans tous les monastères du monde il y a les “coquins chauves” qui “fabriquent des actes” dont parlait Lin T’si, le tueur de Buddah... Des cérémonies et pratiques méritoires qui font sourire. D’où le rire d’Han Shan et de son compère cuisinier face aux tenants sans aboutissants de la Voie graduelle... Ou encore “Ji Gong, le moine fou” ivrogne éveillé qui traverse le T’ien T’ai en faisant des pirouettes... Exhibant sa “panoplie” aux “ânes tonsurés” !

 

Tao dans la crotte

crotte de la Voie

 

Dès six plombes balade sur les sentiers... La sueur dégouline rapidement au son des cigales. Escagassé sous la canicule, embrasé dans les froides montagnes... Libre et vagabondant à la Han Shan. C’est comme si je voyais ses poèmes gravés sur les arbres et les rochers...

Et si chaque disparu réapparaissait (le retour de l’apparaître) là même où il est passé ? Dix mille milliards d’ombres à traverser ! De quoi douter des réalités... Rêve d’Han Shan, pas moins réel que le reste.

 

voir sa nature                                 chien hsing

sa vraie nature                                hsing chen

Percevoir la Vie

 

Parfois m’arrêtent les couleurs des libellules ou la pétarade d’un vélomoteur. Souvenirs de Kathmandu... Et si Han Shan était bien une réincarnation de Manjusri qui fendit les montagnes himalayennes d’un coup d’épée ?

M’allongeant dans l’herbe. Fumant un joint au pied de la tour que j’avais repérée en arrivant par l’autocar... Je songe à quelques mots de l’anthologie “Zenrin” compilée au XVe :

 

Étant ainsi, seul, sans affaire, assis

Le printemps vient, l’herbe pousse d’elle-même

 

Déjà Han Shan écrivait « les herbes vertes poussent entre mes pieds »... Il n’y a rien à faire loin des affaires du monde. Désinformé des événements, dépouillé du cadavre de l’espèce...

 

claquement de doigt

claquement de langue

tout est dit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ici ou ailleurs

avant ou après

pas l’ainsi

sans suite

mais de suite

saisissons

ce qui a

toujours été

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

tout en un

comme pas un

non partiel

non partial

l’un dans l’autre

n’en fait qu’un

un instant

plus de durée

un éclair

plus de secret

un clin d’œil

plus de pensée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NETI

 

 

aussi

vrai

aussi vrai

que je ne suis pas

ce que je vois

aussi vrai

que je ne sais pas

ce que je suis

aussi vrai

que rien n’est vrai

pas même

le rien

ni

le vrai

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Dieu a rêvé l’herbe comme il a rêvé la rose.

L’herbe veut l’homme Moïse libéré du joug.

L’herbe est l’aiguille de Dieu dans la meule de foin »

Grégory Corso

 

 

 

L’HEURE “H”

 

 

planant dans la fumée

s’il n’y a rien à trouver

il n’y a rien à chercher

 

routine défoncée

mental apaisé

au cœur du sujet

 

l’ainsi venu

est bien parti

l’ainsi parti

est bien venu

 

fumeur

meurs

à ce qui demeure

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SANS LÉGENDE

 

 

aller son petit bonhomme

de sable ?

mais tout bonhomme de sable

suivant son bonhomme de chemin

perd son sable

et son chemin

comme chez le bonhomme

de neige

le sable écoulé

reste la plage

et la goutte de rosée

marche dans la neige

comme dans le sable

bonhomme crevé

 

se mettre en chemin

sans prendre de chemin

 

il n’y a plus de

 

bas est le ciel

froide est la terre

jour de pluie

une buse immobile

au sommet d’un arbre

une proie

un éclair

 

ça moutonne sur les pics

un avion strie le ciel

la nuit tombe

rideau

 

nuit noire

les étoiles dans les arbres

à un jet de salive

 

en porte-à-faux

se laisser glisser

à la dérobée

 

arbres glacés

couverts de givre

mes doigts raidis

 

voile après voile

d’une apparition l’autre

séismes du désir

 

fleurs humides

abricots crémeux

du joujou des grandes filles

au bijou des p’tites dames

 

saule pleureur

pluie en montagne

qui pleure ?

 

sans bougie à la lueur de la neige

sans bouger par voies et par pièges

les pas perdus n’ont pas besoin de salle

 

le mental ressasse le connu

le corps déplace le convenu

 

coulée des formes

dans le moule du monde

 

premier coucou

dernière neige

 

givre aux tempes

la bulle flottante

 

une goutte de rosée

un enfant naît

un rayon d’équarrisseur

un vieillard meurt

et après ?

 

vivre comme si

la mort faisait une pause

dévisageant le sans visage

avant de fermer son pébroque

 

et si j’allais mourir ?

 

et si j’étais déjà mort ?

 

 

 

 

Dessin de BARJOL

 

 

 

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