DIDIER MANYACH

 

SEUL PARMI LES SEULS

 

 

Tout un pan de la parole s’est englouti dans l’envers du monde. Seuls demeurent les seuls sur des chemins égarés que le hasard ou l’urgence dévoileront dans le fracas ou l’ensemencement des expériences. Vivre n’est pas encore. Vivre ne fait jamais que commencer…

 

 

 

 

1)

 

Grattant la terre

mangeant mes racines

Étendu

au fond des torrents

desséchés

nulle trace de pas

pour le guider

ni d’eau pour s’abreuver

remontant vers la source

qui miroite

l’anéantit

le recouvre entièrement

soif sans fin

vagues déferlantes

l’abandonnant

dans les seiches

au sein d’une forêt

décapitée

aux troncs pourris

ruisselants d’algues

et d’eaux mortes

sous la Langue

où des pluies tombent

glacent le rivage

ourlant son corps

de bois flottant

venu de l’autre côté

de la nuit

roulant ses baves

au long des rives

écroulées

 

 

 

 

1

 

 

 

 

Là où mon cerveau

saigne

avec les pierres

 

je regarde le ciel

le sable des nuages

au couchant

 

le ressac des mots

et la plage

qu’ils abandonnent

 

pour offrir

au crépuscule

 

mon sang

rose de vipère écrasée

 

au fil de l’eau

 

recraché par le mur

 

 

 

 

 

Une ombre

envahit la sphère

 

la lampe

sans lumière

se cogne aux tempes

 

contre le rempart

il y a cette empreinte

 

d’une langue morte

 

avec une tombe

face au tremblement

de la pensée

 

qui se remplit de vent.

 

 

 

 

 

Je descends lentement

dans l’ornière

 

le cœur

plongé dans sa tourbe

 

avec les astres

balbutiant

 

comme aux premières pluies

de printemps

 

lorsqu’on buvait

les mots dévalant la rivière

 

avec les bêtes couchées

 

et qu’au sortir de l’étable

les mains égarées

 

touchaient dans la nuit

la poussière du miracle.

 

 

 

 

 

Dehors

à deux pas du silence

c’est comme le sel

une accumulation de la soif

un vent sec

 

ailes d’oiseaux

plaquées contre les dunes blanches.

 

Je traverse ce paysage

miroir sans fin

de corps sans visages

 

agglutinés dans l’estuaire :

 

un cœur contenu

dans la vase

hissé sur le quai

et dont les battements

au contact de l’air

 

s’inversent . . .

 

 

 

 

 

Dans le dédale de l’épuisement

la bouche pourrit

et se détache du visage

 

une outre crevée se renverse

 

laisse perler

une eau croupissante

 

comme si le langage

harassé, sans figure

 

tentait d’abreuver

le sol de la mort

dans une forme de mirage

 

dans une fosse

sans fond ni dents

 

 

 

 

 

L’écho du vide

se propulse hors

du corps

 

trou noir

dans le cœur béant

 

il vrille

autour du poto-mitan tête

s’enroule dans la spirale

 

se drape des moires

puis les déchire

 

astre soudain

redevenu conscience

bleue

de l’origine.

 

 

 

 

 

2)

 

De l’aorte

par la traîne en éclat

ses gisements

dans l’étui nacré

d’étoiles filantes

répandus parmi les aires

achevées maintenant

il s’avançait les yeux brûlés

par le soufre du soleil des morts

sous les arcs de descendance

marchant

sur des silex enfouis

débuchant les écumes

Seul

dans la nef originelle

parmi les seuls

faite de limbes retombés

au fond des sols

et des lacs

où se brisaient les proues

de basalte

jusqu’à l’épicentre

 

 

 

 

2

 

 

 

 

Marcher

dans la pensée

tenir à l’insu des mots

 

Là où même l’ombre du souffle

risque de s’éteindre

s’y risquer...

 

Au sol n’éprouver que la rareté

afin que s’épure la langue

au contact de l’air.

Gravir la montagne du double

et son issue : l’absence.

 

Rien qu’un instant d’alerte

dans le jardin du mental :

la neige recouvrant une branche

       suspendue dans le vide

puis le silence,

le vent froid de l’oubli...

 

Ce mot

qu’une lettre sépare de la mort

 

 

 

 

 

 

N’être que sur la ligne d’horizon du Vivre...

 

Nuages qui passent

sur le visage en flammes du devenir.

Lancinantes dérives

de l’âme dans la nuit.

Signes de migrations futures

autour du cadavre qui se nourrit d’algues

et de poussières cosmiques.

 

Océanes revenances...

 

Ainsi

donner son corps

pour rompre le silence

puis l’offrir

à la multitude des langues...

 

Renaître…

« Tu es l’errant

celui qui traverse d’autres mémoires

du même à l’identique

du familier à l’innombrable

tu es ce voyageur de la matière

tu t’avances jusqu’à la dissolution

de pays en pays

dans l’immensité obscure

et seul l’écho d’un seul pourra te répondre... »

 

 

 

 

 

Serai-je le prochain ?

 

D’abord l’errant puis l’épave

enfin le mort-vivant

 

Chute blanche : trop tard...

Et toute la parole se pétrifie.

 

Écrire, vivre comme une natte

que je roule à l’aube.

 

Pluie : on devine le voyage sans empreinte

dans le vol de l’augure.

Sa mort ne laisse aucune trace.

Où vont ses os, le sang ?

 

Dans le sol

dans le soleil d’argile

de la solitude.

 

 

 

 

 

Le vêtement de l’eau se déchire

chaque syllabe est un souffle.

 

Au sommet

le chemin bascule dans les glaces :

recommencer de l’autre côté

jusqu’à atteindre le fond de soi même.

L’embrasement des limites

traverser la lumière de l’étendue

le pont de l’autre rive.

 

Le destin chavire dans les moraines

vitesse du serpent-venin

qui se retourne

nous démasquant jusqu’à l’os

au milieu d’une caverne miroitante

sous l’orage.

 

 

 

 

 

Seul

sur la mer d’une vie dévastée

pendant que la langue persévère

gratte le sol, le fond

moissonne...

 

Le passage de l’éphémère

et les rochers qui déjà te fracassent.

 

Ces murs qui se rapprochent

une étoile intérieure meurt au méridien...

Le vent abandonne l’arbre

la montagne marche

l’infiniment petit la fait voyager...

 

Parmi les seuls

au cœur du naufrage

les yeux captent l’énergie contenue

dans le magma de l’origine.

Dans les veines de l’aube

le sang se frotte aux silex

préparant la foudre d’une matière nouvelle :

immarcescible.

 

 

 

 

 

Au fond de la mine

dans la galerie sans fin

une lampe veillera jusqu’au dernier mot.

 

Derrière la nuit

yeux ouverts :

tous ces pas que j’entends

dans le labyrinthe de la ville…

Le fleuve immobile comme un tombeau.

 

Crever la conscience

remonter sur la falaise

lâcher les béquilles...

 

 

 

 

 

3)

 

J’ausculte sa chair

elle ne bouge plus

elle cherche sa viande

mais l’organe s’use

 

la mort attend

 

Attendre Attendre

le sang qui brise les yeux

on la mettra

dans un livre de reflets blancs

 

cette famine

 

la voix l’appelle

lance des ailes

aux proies du silence

qui retombent entre ses mains

 

tendues qui se cassent

en plein jour

 

 

 

 

3

 

 

 

 

Du silence

renaît la vibration

 

comme un enfant

qui a traversé l’univers

 

Le cri achève l’odyssée de son chant...

 

Et dans la féminité du cosmos

soudain retentit

       un mot

 

à la lisière des lèvres...

 

 

 

 

 

Dans la rôdeuse obscurité

la solitude éblouie d’une Présence

qui médite sur le fleuve.

 

La mort est à l’arrêt

l’horizon se cabre.

 

La créature ressemble à cet arbre

qui a chuté dans l’espace-temps

 

foudroyé

ouvert comme une plaie

 

dont le cœur dérive

dans le réel rongé tel un os

au fond d’une barque aveuglée

       par le mouvement des eaux...

 

 

 

 

 

Cette pluie

la cadence maternelle du langage...

 

Un battement

chaque jour plus proche

de la désintégration progressive du monde

 

Voix brisée

enfermée dans sa corolle

 

Et toujours

cette succession de climats

dans la grotte du cerveau

d’accidents atmosphériques

comme des fissures dans la pensée

qui envahissent les frontières :

 

le chaos de l’être

au cœur du pollen de la mémoire.

 

 

 

 

 

La respiration

luminescente du corps

comme une vague retourne à la haute-mer

 

Le rivage

dans l’œil rond d’une mouette

qui scrute la marche intérieure

vers tous les points de la Figure.

 

J’avance

mais les rives inondées ne retiennent plus

le vent des mots-rapaces...

 

 

 

 

 

Imperceptible l’espace

se dilue dans les lointains

 

le mouvement entraîne

l’espèce provisoire

vers les brumes fumantes de la terre centrale.

 

L’ombre au rythme de la navigation

se décharne

 

Forêt de colchiques

le sang s’incruste dans les ténèbres

 

puis se déroule enfin

sur le rivage étoilé

d’une génération d’énigmes...

 

 

 

 

 

L’obscur cristal du duende

et la sauvagerie qui s’en empare

 

mais la combe se perd

dans une brume de lianes envahissantes

 

Sur mes épaules sèchera la boue

d’un manteau consolé

qui se brisera à Midi...

Afin d’atteindre la forge

       le feu noir, la transe, la chair entaillée

 

puis le passage éblouissant

à l’étiage du grand-cercle...

 

 

 

 

 

Écroulement successif

des pierres de la face

jusqu’au néant

 

Je relève

les traces de pas dans la chaux-vive

 

l’esprit pendu

au bout de la corde

 

traqué par sa perte

respirant quelques paroles ultimes

happées par le vertige.

 

 

 

 

 

Années perdues

ressassées

arrachées aux pages du vent

 

Effondrement mental

un peu de sable

le sourire de l’idiot

sur le miroir

 

Tu scrutes l’invisible ?

 

Chaque signe est un phare

sur cette lande désolée

retournée comme un gant

où un être abandonne son écorce

aux chiens de garde.

 

Mais qui se balance là-bas, au fond du puits

en ricanant... ?

 

 

 

 

 

Comme un aveugle

dans le langage

       qui s’effondre

 

contre une paroi

dents serrées

       avec le vent dans l’œil

 

cherchant un peu de jour

dans le carré mental

 

Grimper jusqu’à l’impossible

ou se jeter dans le vide :

 

Arracher les masques de l’écho...

 

 

 

 

 

Encore un instant

un dernier souffle

un geste de trop

 

l’oiseau traverse l’espace

chair du cosmos

braise libérée de sa lave.

 

Un visage surgit dans la tempête

purifié…

 

Ce cri

sans Elle...

 

 

 

 

 

4)

 

Je rends grâce

à la mort interminable

de m’avoir mené

dans ses domaines

pour y puiser l’ultime force

de recueillir

l’Impersonnel

qui n’aspire qu’à sa délivrance

me happe en même temps

se pulvérise

et plonge en haut

asphyxié

dans un double battement

de cœur

entre l’abîme et le néant

le torrent emporte les restes

le Vrai chute

mais pourrit par les siècles

l’Autre revient au Même

et la Vie s’en va

massacrée

ensevelie dans le silence

du recommencement...

 

 

 

 

 

Phrases perdues, bois flotté, phrases-pollen et gemmage de la conscience, phrases errantes offertes à l’inconnu, au passage du vent, aux gemmes de la rencontre et du sens. Lettres anonymes des veines ouvertes, derrière l’être, menacé d’extinction, sous un soleil d’argile. Marcher longtemps sur la terre des tombeaux. Ne plus jamais y revenir... !

 

 

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