CHRISTIAN RIVOT
L’ÉTERNITÉ (extraits) À Edwige
I
ta peau
jusqu’à l’imprononçable
là où le corps se fend
de n’être
que de naître
rien
nul souffle même
pour venir disperser
les lettres de ton nom
dissiper cette densité
qui noie les rythmes
de ton corps
ne viendra pas même
la luminosité des nuits
arracher par lambeaux
ce placenta
qu’on aurait cru miraculeux
II
ce corps est écarté
il part d’ailleurs
un autre point
je veux le dire avec
les mots
qui font retour
à l’empêtre des biologies
mots défaits déments mots
démolis
urine et sang
tant cette rame d’inertie :
ton corps au partage du monde
défie toute beauté de lame
III
où tu saluais la tempête
venue laver la langue
la bonde ravinait le vortex
tirait vers en bas
vers la chose coupable
pas encore coupée
levé
à la mesure du geste
tendu vers toi
comme jamais
le geste de ceux qui sèment
pour féconder la terre
où la violence va
IV
passer le mot
vivre de corps
ouvrir aux choses
seulement ceci :
jouer sa vie
à un vocable près
le mot
TU
comme si la parole
avait pouvoir
de rassembler les ombres
dressé dans ce théâtre éphémère
la débâcle des coups de langue
crispé
avec la peur de perdre
hanches — seins — nuque
jusqu’aux baisers de ta bouche
V
ce sera sur ta peau
l’usure de mes doigts
à l’écarté des membres
cette lettre
dressée
cette lettre de l’être
et qui joue dans les mots
qui nous faiblit
où le mot dit
renvoie à notre jeu de langue
casse-tête épouvantable
écarter la lettre
pour laisser s’émouvoir le corps
zyeuter dessous
mais alors que tout
à nouveau s’est ouvert
c’est l’ouverture qui accable
VI
tu
tiendras contre
la poussière
sans image
dans ta tête le mort
ne fait pas
de bruit
tu as l’éternité
l’oubli d’avant et l’oubli
d’après
se rassemblent
alors
faire retour à la parole
on n’ira pas plus loin
une portée de main
l’esquive sur l’ornière
l’autre est au spasme
rien que la main
celle qui marque
humainement la main
VII
imparable
le mot bâti
à la rescousse des membres
seuil endeuillé déjà
de n’être que le terme
sur l’arête de quille
frange d’eau
c’est la mort qui irise le verbe
mon / nom
en miroir de dépossession
imprononçable
de ce que ta lèvre a murmuré
ce mot TU
comme une arme
VIII
dans ta jupe
ma main l’autre
celle qui tourne
mal
un caillou entre les dents
il faudra rendre
il faudra
rendre
l’éternité