DIDIER MANYACH

REMONTÉS DES FONDS

 

 

 

 

Diamant de l’Opaque :

 

Dans un carré mental

est enterré l’Être

qui est sans retour

sans nom sans date

sans culture sans origine

sans fin : seul vrai Lieu.

 

Dans la souffrance

gît le corps

sous l’horreur

de ces temps

emporté par l’énigme

aux ailes envahies

de boue & de sang.

 

Et nous sommes l’espace

entre la naissance et la mort

dans un désert infini

Intouchables

En chacun de nous : la Vie.

 

Vous foulerez donc cela

avec respect !

 

 

 

 

I

TOUS LES POINTS CONSTITUENT LA FIGURE

 

 

 

 

Première partie

 

 

 

 

I

 

La tempe du Fleuve. Le sérac sur la terre du corps central.

L’incision des traverses. Le pétillement des étoiles. La flottaison des phosphènes. Le métal de l’éther. Le sodium des rosées. La nuit soudain qui explose dans l’air puis s’enflamme...

Les longues feuilles diaprées, comme des fossiles, délivrent la Proie.

Le soleil se répand à l’entrée des tombes. Les rayons noirs se couchent sur la terre et la recouvrent de Saveur. Tout le visage est blanc. Dans l’orbe de glace, il inonde l’inabordable matière. Les lames se brisent devant le friable portail de craie.

Elle se tient à présent au bord de la rive, l’en-allée du sépulcre, dans la Douceur. Ne sommes-nous pas mains d’œuvre, par nos signes, qui rendent la Venue propitiatoire... ?

Gagner du temps sur la dissolution !

Il faut longer les voûtes en éventail, cette incroyable boucherie, le château du sang entouré d’étoiles, ce courant de bouches à l’agonie qui bavent sur les Portes Rouges & maculent la vision, antérieure, de l’Abîme.

Sans Langue, sans Réalité, hors d’atteinte ...

Redescendre dans la nuit où la substance, engloutie, illumine l’envers des parois. Il n’y aura pas d’inventaire.

Le Recommencement est inimaginable... !

 

 

 

 

II

 

Tout est desséché. Le glacier du vide surgit comme un cygne. La mort s’élève en criant. Le monde se brise dans les cendres. J’écoute derrière les visages cette rumeur océane, lointaine...

Peu à peu les eaux ensevelissent l’âme & l’éblouissement se pulvérise dans le néant. Le silence se retourne et il ne reste plus qu’une lumière noire, à l’opposé de l’Être.

Je marche dans le brouillard.

Une voix ferme l’écho dans ma bouche.

Le voyage est sans retour.

Mais toute la terre devient un chant, une clameur... !

Tout emporter... Jouer aux dés sa vie ou troquer la viande des morts pour une table de granit : qu’importe !

Maintenant j’entends cet Appel lancinant de toute la substance, du chaos, de la Vie, une musique au fond des Yeux...

... Tu vas dans cet espace que la lumière signale, tu fractures les passes étroites de l’air et du Souffle. Le verbe est bleu, la chair dans l’écume montante.

Celui qui s’est perdu se retrouve ainsi dans le vide sidéral de son propre corps, dans le silence, où il voyage...

Rapace ! Tu voulais mes larmes : voici mon armure de corail, ma sanguine ferraille de Guerrier !

... Car la Vie, qu’aucune grammaire ne restituera, n’est pas encore Langue morte. Elle ruisselle sans commencement ni fin. Certes elle est ce qui meurt sans cesse dans le Nom qui la remplace. Mais cette part de Vie est toujours sans réalité, dans le vide de sa forme illimitée, substance mutante dont le monde n’a jamais voulu...

Descendu là où il croyait renaître, surgir : il n’est que la proie de l’Impossible...

Nous traverserons le cercle de feu jusqu’au centre de la Créature... !

 

 

 

 

III

 

Qui est-elle ? Celle dont je vois le corps maintenant s’élancer dans la mâture des bras qui se tendent et la soulèvent...

Ce sont des terres là-bas qu’elle convoque, des songes qu’elle dicte : voici sa robe blanche, ses deux mains qui tiennent le soleil. Elle est seule au-dessus des porteurs. Une étoile brille dans l’orage. Des marques de craie maquillent sa face brune.

Ce chant qui la nomme, ce brouillard errant qui l’appelle. Tous ces mots qui la vêtent, crinière de sang dans les eaux lavées, écume blanche.

... Le miroir du néant est troué et s’enflamme. L’Heure sonne au-dessus des dômes de la mer. Elle laisse entendre sa voix tout au long du rouleau céleste.

... Un visage, là-bas, de l’autre côté, semble se lever de la mer boréale, au-dessus des murs qui m’entourent...

Il faut célébrer le Jour, la sérénité de la Femme, l’oraison de sa parure, une dernière fois. Jusqu’à la nuit : les linges bleuissent sous la lune et dans le mystère de l’ombre une Forme apparaît.

Pénétrer dans le Lieu de la Célébration.

Franchir le seuil d’une ville et ouvrir ses portes. Contempler les vêtements, le sol, les arbres... Préparer le banquet de l’Amour ou renverser les tables!

Mon cœur s’illumine. Le feu me recouvre.

Le Devenir succède à l’Être comme les pierres à la terre. Je ne réclame qu’un lit profond dans le torrent.

Au loin des étraves respirent sous la mousse. Barques & sépultures de la Création. Le souffle coupé. Le sang monte sous la Lampe. Les brouillards se détachent. Les yeux sont là dans un grimoire de staff et de pyrite, boueux.

Je me tiens près d’Elle. Je me dirige vers le lac où se réfractent les ors du couchant. Les voix se mêlent au tombeau...

« ... Rejoins-moi. Passe de l’autre côté... Entends-tu ? Traverse ce pays debout... Car il est comme le vent celui qui ne reviendra pas... »

La Substance m’apparut dans la lumière de tous les yeux, me menant de cercle en cercle jusqu’à cette vallée, au centre de mon corps, où la matière est Amour.

Je suivais les pluies, les neiges, le soleil. J’allais de ville en ville, de pays en pays, guidé par les derniers signes, par l’Appel ultime de la Vie...

 

 

 

 

Deuxième partie

 

 

 

 

1

 

... Toutes sortes de signes devant ses ailes lisses, brunes et par endroit rougeâtres, avec des langues de feu qui lui dévorent les os. Je vois les griffes aussi, recourbées contre le sable, acérées, métalliques dans le soleil. Les plumes sont vertes comme des roseaux, au bord de l’étang, miroir du sang, du ciel. Les flancs palpitent : on pourrait ouvrir, on plongerait sa main dans les entrailles pour y dérober l’or ou la poussière, les cendres encore tièdes. La patte de devant est tendue : les muscles sont longs, fins, figés.

Le visage ne ressemble à aucune face humaine connue. L’œil est grand ouvert, de profil, les cils agrandissent la paroi immobile de la pupille. Les lèvres sont minces, entre-ouvertes : on ne sait si elles happent ou recrachent une Langue dont le bandeau se déroule. Le nez prolonge la couronne posée sur la longue chevelure, le buste se bombe pour mieux étendre les deux ailes dans le vide.

Le sol où il marche semble aussi se dérober comme si il se retrouvait sans cesse suspendu entre la chute et l’équilibre. Lorsque j’essaie d’imaginer sa course la nuit tombe soudain sur lui puis, une fraction de seconde plus tard, je le retrouve comme une empreinte, luminescente, dans la cire obscure. Ainsi la tiare se met à briller, le pelage se parsème d’étoiles comme de petites plaies. Le collier dissimule mal les cicatrices, le sang sèche sur les reins légèrement cambrés, les signes que je voyais se craquèlent, le visage se penche avec douceur et sa bouche est là comme un vase à libation.

Alors, entre les dents, les mots sont jetés ! Entaillés dans le relief ils s’apparentent à des roches ébréchées, dans les fissures où suinte la source, entre les mauvaises herbes. La nuit surtout la lumière darde de leurs yeux, transparents, éblouis. De grands faisceaux traversent le ciel orageux, leurs membres se mettent en cercle.

Leurs crinières retombent jusqu’à l’aube, lentement, avec des mouvements amples que la lune lisse, blanchissant leurs faces de pierre ronde comme si le regard, les lèvres se retournaient au fur et à mesure que le jour croît. Dès lors il ne s’agira que d’attendre. S’impatienter serait les détruire...

Les journées sont de plus en plus longues. Dès que la lumière décline, les Formes se recomposent. Cela commence à l’intérieur de certaines parties du corps : l’Infiniment petit y résonne comme dans un sarcophage.

On distingue le même animal, à l’entrée de la Cité Lumineuse, dont le nom ne se trouve pas dans la Langue, inconnu de l’Espèce. Animal cosmique, peut-être...

Il se trouvait près d’une pierre, dans la boue, tout en bas de l’édifice où s’accumulaient les ruines, les demeures abattues d’un autre empire de fastes que l’horreur avait dû ensevelir. On pouvait lire certaines inscriptions. Étendu il écoutait son cœur battre contre les aspérités rugueuses, le rythme de ses entrailles projetant sa tête, dans un rythme régulier et sourd, sur la roche imprimée de signes. Au ciel volaient les animaux ailés dans leurs constellations. Au loin on entendait les grondements de la mer derrière le rideau de feuillages.

Je voyais à présent une autre forme qui se détachait peu à peu du brouillard. L’Ombre qui la cernait s’était cristallisée. Il s’agissait de roches mentales, de pluie, d’un esprit de lueurs étendant son territoire du pays d’avant-naître jusqu’aux terres de l’aube que les déserts recouvraient peu à peu d’un manteau de mort. Le silence régnait. Lorsque la Langue se retire il n’y a pas d’autre deuil possible et la gorge rend à l’éternité son rouleau d’inscriptions. Il ne reste plus qu’à compter les marques du temps, les cercles concentriques et les scarifications...

Aucun retour ne serait permis ! Pour l’instant il demeurait au bord, en attente, le masque sur son visage. Comme taillé dans le quartz, avec un bec retourné, les pattes puissantes sous lesquelles rampait une vipère cornue se frayant un passage entre les hautes herbes desséchées par le soleil. Il s’avancait ainsi : le paysage extérieur n’était que l’anamorphose d’une transformation intérieure aux analogies bestiales. Paré pour la danse il était le Corps dans sa totalité... Une femme portant un labret de cristal dans sa lèvre inférieure s’éloignait dans les flaques du crépuscule, entre les demeures de banco, nacrées de lune.

On ôta une à une les strates : le corps contenait un espace & l’espèce se libérait, délivrée de sa contenance...

 

 

 

 

2

 

Nous marchions depuis des heures en direction du monde de l’Origine.

En bas de la pente on avait disposé les textes et les images. Le maître des deux-terres fermait la marche. Nous avancions sur les os blanchis des ancêtres...

Sur la paroi de la cité mythique des trous comme des bouches ouvraient sur un labyrinthe de voies entrelacées, de boyaux de pierre menant à de gigantesques salles. C’est ainsi que le monde semblait se clore, dans ce lieu de l’âme et des sacrifices...

Les danseurs se rapprochaient pendant que le soleil se levait au-dessus des boursouflures de la terre.

Paroles lentes et noires : la mort ne pouvait franchir le corps, barrée par la Langue. Animal d’effroi sur chaque marche de la demeure, venu s’emparer de la face humaine... Le sang cognait contre les tempes et derrière le masque l’œil fixait un point unique : l’Espace.

... Plus tard la lumière envahira comme une flore sauvage les chemins de traverse qui mènent au Village. Les bêtes conjurées et anciennes, démasquées, iront pourrir loin des hommes. Elles s’enliseront dans les marécages.

La nuit comme une barre de fermeture verrouilla le paysage. L’âme montait dans la danse de l’animal effaçant soudain les traces et la signification du Lieu où elle était retenue... Retournant dans le monde des vivants la Parole refluait vers la mémoire. Ainsi à travers les espèces nous revenions à l’identique espace, comme une secousse, un tremblement de terre mental...

Ce fut l’oubli, l’espace blanc, le vide comme au sortir du monde. Le corps qui crée la pensée, qui à son tour l’explore, pénétrait dans l’absence de forme, pourtant présente comme l’Éveil...

Ce fut une lente frutescence de la parole après l’amnésie. Puis le silence jusqu’à l’advenue de l’Être qui ne pouvait se dire, s’écrire, se parler : le signe, obscur, de la Vie... Instant de destruction et d’explosion en myriades d’étoiles nerveuses.

Le monde blanchissait, s’effaçait.

Le matin illumina les murs ocres : j’ouvris la porte...

TOUT S’ORDONNAIT PARFAITEMENT... !

 

 

 

 

II

 

REMONTÉS DES FONDS

 

 

 

 

Première partie

 

 

 

 

I

 

... Marcher seul parmi les seuls dans ce monde urbain impitoyable et haï jusqu’aux portes du naufrage...

Ne connaître que solitude, quotidienne survie, errance, refus, privations, désespoir...

Chercher une issue au gâchis, au massacre de toute existence, piégé par la nécessité commune, la durée sociale, au fond du labyrinthe interminable.

Être à l’écoute, avec ses semblables, de toutes les pulsations du Vivant. Car la Vie n’est pas encore, engloutie dans une société d’illusions, créatrice de terreurs, de souffrances...

Les mots ne restitueront pas la descente aux enfers.

Se propulser dans le futur nécessitant une transformation profonde, sincère, individuelle et collective que seuls l’expérience, la recherche hominale, l’amour, dans le Réel, peuvent vous faire acquérir...

Le néant est pire que la mort.

Dans ce monde sans espace, sans avenir nous assistons à la lente agonie de l’espèce humaine, à son suicide au jour le jour et à la destruction progressive des Êtres en mutation.

Refuser cette fatalité, marcher encore, sans faveurs. Préserver l’âme rebelle, fracturer le Social. Trouver un Passage...

Lentement avec la force d’aucun espoir : se redresser !

Recommencer...

Marcher, voyager, chercher à devenir un transfuge, vivre autrement, écrire clandestinement, dans l’urgence, la nécessité... Dériver, traverser le Réel. Se propulser dans le futur !

 

 

 

 

La nuit n’est pas descendue jusqu’à mon chevet. La Lampe obscure ne s’est pas éteinte mais je suis là, encore une fois, à attendre qu’elles m’effacent...

Marcher dans la pensée où chaque respiration ouvre un espace.

Médium du Mouvement une forme se décante, ôte la gangue des fossiles agglutinés sur l’Ombre, arrache ses racines puis s’avance sur le sol qui se dérobe.

Ces longues errances à travers la ville, seul, démuni, pour s’emparer d’une énigme et déchiffrer l’Impossible.

Sur cette terre qui n’est pas mienne, exilé de nulle-part : qui m’occupe ?

On ne déplacera les Points de la Figure centrale qu’en révélant la face du Chaos.

Hantise quotidienne : les grandes migrations, l’exode, les peuples fuyant l’oppression, la terre, les climats, l’enfer, les cités.

Seul parmi les seuls jusqu’à être dépossédé de sa propre mort...

Ramer vers le bleu de la conscience pure et râcler le Réel.

De rue en rue : observer chaque jour la lente disparition de l’envers du monde.

La Beauté sera t’elle au rendez-vous de l’Ultime ?

On trouve dans chaque regard croisé les règles d’un jeu de massacre ou de divination.

Face à la mort la pensée finit toujours en exil...

On ne s’arrête jamais assez dans l’esprit des autres. On préfère toujours ramener le feu dans la cendre. Certains finissent même par éjaculer comme on vomit... !

Je n’habite ni le jour ni la nuit mais l’Essence avortée.

De l’Autre je suis revenu au Même : qui passe ?

Plus la Quête est profonde, douloureuse et plus le silence gagne.

La Face tombe à travers l’espace, bombé comme une femme...

Les privations sensorielles annoncent la barbarie des corps.

L’exaltation de l’amour rend insupportable la durée sociale, l’alternance du jour et de la nuit.

Il n’y a plus que la virginité du vide dans des espaces solitaires.

Cet orage du sang dans la forge : plonger dans le crépuscule pour saisir le bouclier de l’Éclair.

Nous revenons de nos dérives usés, épuisés : rien ne se passe... Nous rentrons dans nos demeures étroites, vides, sales, sans espace. Nous repartons chaque matin pour survivre, sans issue. Le soir nous recrache en vain dans les rues. Nous recommençons...

Nos gestes ensevelis dans les décombres de la Douleur.

Mourir importe peu.

Lorsque le verbe s’incarne le destin prend forme : elle devient dès lors la respiration de l’Unique, son véhicule, au sein même de l’Être qu’aucune Langue ne saurait restituer.

Matin de soufre, de gaz et d’eau : un soleil mélancolique rase les trottoirs. Seul. Partir, tout quitter, marcher sur les routes...

Telle est l’offrande : le sang des Images se répand...

Étranglé par ses choix, mis à l’épreuve par ses désirs et ses contradictions les plus secrètes, inconscientes, l’Être, cette forme inachevée, en gestation, proie de la douleur et de l’éblouissement. L’Être : ce feu, cette énigme, toujours en perpétuelle mutation, reculant, avançant, questionnant, cherchant la plénitude au milieu du désastre, quêtant l’Autre, l’Amour... Cet égaré sur la Voie, doutant, errant sur des cadavres.

Nous sommes le Sens que rien n’a jamais pu accomplir, des corps qui agissent dans les décombres, nous sommes la nuit génétique, pour la terre ce que le ciel est à l’infini : un arrêt brutal, une violente secousse.

S’arrêter un instant au bord du chemin pour dire que la pierre éclate.

Nous sommes les lettres anonymes des veines ouvertes, nous sommes dans les corridors verrouillés du sang.

Imagine qu’un soir d’orage une femme frappe à la porte pour incendier ta chambre : le destin est-il autre chose que l’exactitude d’un rendez-vous criminel ?

Aider le monde à s’anéantir avant qu’il nous détruise. Partir & mourir ensemble : dans une clameur ! Se diluer dans l’indicible, jusqu’à l’infini...

Un corps intérieur détruit émettant des ondes comme les rayons d’une étoile enterrée dans la neige cosmique.

La nuit vend ses fleurs aux criminels que l’amour du destin pousse au suicide dans les gares sans destination.

Le regard d’une fille qui s’éloigne est un coup de fusil peut-être dans la mémoire...

Il y a dans les mots une épaisseur de lèvres mortes.

Entre la bouche et l’intérieur du corps : creuser des sources profondes, trouver le Point d’ancrage de l’Étoilement.

Ombres rejetées à la mer dont le pollen se dépose sur les arbres morts du Rivage.

Nuit dans la respiration des grandes solitudes silencieuses.

Nuit au milieu des forêts et des voix qui explosent comme le sang à la bouche.

Aller là où les loups ont encore une chance d’exister en bande.

Sous terre, dans la matrice : les gouffres, l’écho blanc et les quatre pointes d’or du vent qui s’entrechoquent dans l’espace clos.

Des heures, des mois qui semblent siècles j’attends qu’apparaisse le noyau, gratté jusqu’à l’os, râclant, éliminant avec la seule énergie de ne pouvoir mourir afin que surgisse ce qui ne peut s’effacer.

Seul comme une pierre de longues années durant. Soudain la lumière jaillit, éclate intenable puis ruisselle dans tous les sens...

La Vie te brise sans cesse, te recrache, te reprend puis t’emporte dans son Mouvement. Et tu repars chaque matin, un peu plus dépossédé, meurtri, dans les flots amers du Réel, vers le néant et le gâchis.

Il fallait partir, tout quitter, une bonne fois, s’enfuir, abandonner cet univers, rouler toute la nuit et ne pas regarder dans le rétroviseur.

Ce qu’il reste de la vie à la fin : une image sur un écran vide. Un laboratoire d’expériences.

Joyau qui se cambre et accueille la semence. Rosace de volupté et de saveur. Fraîcheur du cosmos : jonction de tous les corps. Il n’y a pas assez d’espace entre Vivre & Mourir, pas assez de vent entre ma peau et mes os...

Je dérive dans l’Éphémère, proche du silence. Je me dilue comme le sable dans l’eau, des Figures au fond de la mer.

Tu t’avances jusqu’à la dissolution, de corps en corps, de pays en pays, jusqu’à n’être plus que l’immensité obscure.

Hyène terrestre des corps qui ne savent pas que la Charogne a déjà été dévorée mille fois au sein de la terre, dans la circulation du sang même et qu’il ne reste plus rien à manger !

Quitter la Piste pour trouver l’espace. Déchirer ses vêtements.

Les saisons de l’âme humaine passaient devant les grands glaciers du Temps.

Je te revois tressant l’osier, rempaillant les chaises sous la Lampe, dans la chaleur des bêtes, la première neige tombée.

Puis en été, habillée de noir, dans l’embrasure de la porte, comme un feu de paille au soleil, glanant la parole éparpillée sur un monde disparu...

La corrosion de nos existences comme du pollen sur un champ de silex.

Il s’agit de changer, par tous les moyens, de vaincre la douleur, d’envahir ses limites, de dégraisser le Réel jusqu’à la conscience, de l’explorer pour en faire jaillir la Vie, le cristal. Il s’agit de trouver le Lieu et de passer, d’atteindre l’autre rive puis de disparaître...

Penser et respirer comme l’immense nuit d’hiver criblée d’oiseaux migrateurs au-dessus du champ de neige.

Jeté dans l’orage comme les braises du bûcher des Générations dans le gouffre stellaire de l’Origine : l’éclair de la Vision.

Le grand corps analogique des Pluies sillonnant l’espace de la planète avant d’accéder à la lumière...

Laver le mental comme le saumon rouge de l’Instant s’échappe du torrent.

Nos actes dans la boue, nos pensées souillées, nos espoirs engloutis, égarés, nos songes enfouis : remonteront-ils des fonds comme le Printemps sur la terre, la Créature dans l’Être ?

Maintenant que les femmes, dans la lumière voilée, trempent dans l’eau glacée des lavoirs les Linges, les Toiles et les Poèmes. Qu’elles étendent à la face de ce pays, devant la montagne et la mer, la Parole oubliée, perdue, sacrifiée des fils de nulle-part...

Notre siècle aura éliminé les tribus, les nomades, les poètes, l’Énergie, pour mieux fonder ses simulacres et bâtir ses miradors autour de la Vie pure, véritable.

Il n’y a plus d’espace, de Lieu & de milieu pour l’éclosion du nouvel Être. La Vie pourrit de l’intérieur...

La nuit le givre sur les mots scintille : écrire, soulever des pierres, couper du bois, faire du feu avant l’aube...

Un arbre couvert de neige qui est la Parole : au bord des lèvres et de la rivière. Un arbre dont les feuilles brillent sous le soleil blanc de l’hiver. La rivière contourne un val clair : la parole remplit la bouche de neige, les mots chutent, les branches se courbent puis reviennent à la même place. La parole est là, dans l’air, comme des flocons sur les cerisiers et elle nous envoie des messages, à notre insu, dans l’espace, à la croisée des chemins...

Entre la terre et la mer, entre les deux immensités, entre vivre et mourir, en exil intérieur : partir ? Rester ?

Du Nord au Sud il n’y a pas de terres habitables mais une parole engloutie qui émerge peu à peu entre les lignes et dessine peut-être des chemins possibles.

Ceux qui cherchent se retrouvent souvent dans l’errance intérieure et géographique. Nous espérons les grands retours de voyage et la revanche des solitaires...

Plus que l’endroit, signe de survie et de perdition, nous souhaitons le Lieu, envers du monde, jonction du sol et de tous les corps. Mais en attendant : Vivre, n’importe où, nulle part, partout et pour rien ! Demain sans doute il nous faudra abandonner ces terres de trahison, d’illusion, vaincre l’Impossible, la mort quotidienne, les artefacts et toutes les limites humaines.

À chacun son itinéraire... Pour aller où ? Là où il faut aller...!

Sur la table : une pomme pourrie. Et contre le mur blanc : l’ombre d’un visage.

Les longs murs décrépis par la guerre —

des pans entiers de brume — les bras échoués sous la mer —

les ombelles de mon sang — l’été —

les glycines poussiéreuses qui pendent toujours aux vitres —

qui s’ouvre à la lumière ?

les rayons dansent —

le bal masqué des marches menant au grenier — près de l’étable —

la corde sur la poutre — le feu de paille — la plage au loin —

la ville se retire —

le ciel est à marée basse — cinq heures du soir —

la Belle Noyée pénètre dans les lieux —

l’air est une aile —

l’horizon n’hésite pas à se pencher —

Le vol d’un oiseau blanc au-dessus des dunes n’est qu’un rêve qui se démâte, une voix désincarnée que l’écho reprend entre les roches aiguisées de la mort.

Prendre un avion un jour de guerre et disparaître, derrière un masque de brume...

 

 

 

 

II

 

Celui qui gît dans l’autre cherche son double dans le langage.

La lumière se fige, blanchit, laiteuse puis redevient liquide et les terrasses du ciel se vident.

Dévisager l’Instant pour s’emparer de l’Espace et détourner l’Espèce.

Désert : le seul lieu situable, comme l’océan, où l’espace rejoint l’origine, où l’homme creuse la soif, où chaque rencontre est l’eau d’un puits gardé par la Présence ultime.

Errance maritime dans un temps mythique, circulaire. Déambulation dans le monde d’avant ou d’après la mort lorsque sur le pont les îles m’apparaissent...

L’intemporelle origine de l’Être : une calme jouissance, le temps suspendu dans la mémoire.

L’apparition des mots dans la pensée : une chair, un tremblement, un ébranlement comme une secousse sismique au fond du corps.

Une pyramide de sable et de signes s’immobilise dans le galop des mirages puis se dissout dans la rose des vents.

J’ai traversé ces terres inconnues sous les éclairs blancs de la Poésie...

Le silence de la pensée nous poursuit à travers vallées, villages, montagnes, jusqu’au cœur de nos futures migrations...

Prisonnier d’un monde malade comme un oiseau englué dans la boue ! Les mots s’enfoncent dans les marécages avec nos os et nos rêves.

Danse finale sur la piste rouge : nous marchons en direction du dépotoir...

Sur les voies de chemin de fer désertes, enneigées se reflètent les giroscopes et les lumières blafardes de la Pauvreté, de la Violence...

Fuir ? Mais pour où... Car les fleuves seront empoisonnés, les forêts décimées, les ethnies exterminées, les individus broyés, les cités invivables...

La fin des territoires et du rêve de la vie autre, la fin de l’Énergie : la terre des Morts !

Il y a dans l’accumulation des jours une épouvante mais aussi une gigantesque Force engloutie, un glissement de terrain, la lave d’un volcan prêt à jaillir. Il y a un fleuve de violence en nous, une marée motrice qui peut tout emporter...

Je ne suis que cet étranger sous la lune, un passant sans bagages qui traverse la nuit.

Écrire... Puis j’abandonne mes vêtements et me glisse, nu, dans son lit comme on se baigne à minuit, au printemps, dans l’eau tiède de la rivière...

Déterrer le cadavre de la Vie et le brandir sous les étoiles avant de disparaître dans l’enfer des Générations !

Descendre à l’intérieur de soi pour y découvrir le ruminement des organes et du chaos, le chuintement du sang derrière la peau, ouvrir un autre espace... Dans la glu noire du ciel observer et révéler le scintillement des Climats...

Écumes, algues blanches et goémons : ce manteau aquatique de la mémoire, avant l’Être.

Espèces : la température augmente, la terre brûle. Neige à hauteur des nuages : marcher sur le sentier...

Entre Urgence & Nécessité, Ultime & Totalité.

Dans la rivière nocturne : le silence de la saison des pluies, les étoiles aux fenêtres, les poissons cendrés de la Chevelure et le cercle polaire au loin, dans le tumulte sauvage de la mer.

Les transformations, les mutations s’incarnent aussi dans la Forme et l’accomplissent. On pourrait circuler, voyager ainsi dans le monde en franchissant à chaque instant les étapes de l’évolution. Tout est dans tout, rien ne se perd dans la Création.

Même l’invisible peut être restitué.

Ce qui nous exalte et nous déchire : la nécessité, ivre, désespérée, d’être en vie parmi nos semblables. Aimer cette énergie, cette intensité, cette chaleur dans la déflagration où nous nous ressourçons pour avancer sans cesse. Aimer la vibration dans l’Entre-Deux.

Je marcherai dans cette ville inconnue, dit-il, pour essayer de trouver un travail et changer mon existence.

Vagabond, affamé, transi, il se promène dans la campagne, seul, effrayé, vivant.

Demain n’existe pas, aujourd’hui est jour de chance : buvons la lie du présent !

La fulgurance de l’Instant : un pli de l’éternité dans la lumière, comme l’éphémère de la Foudre.

À quoi bon chercher un pays si nos pensées sont filles de l’Univers ? La face cachée du monde a effacé nos traces et les empreintes des bêtes se sont confondues avec nos pas. L’ardoise magique du vent a repris nos paroles...

La mort viendra. Je retournerai la terre. Tu renverseras la naissance !

Trop de blessures pour ce cœur enfoui dans le sang du désespoir. Trop de plaies ouvertes entre les lèvres de la nuit. Trop de privations, de misères, au fond du malheur, dans les chambres isolées. Trop de cris et de solitudes, trop d’ennuis, de terreurs, de gâchis, de folies, de luttes vaines ou impossibles pour avancer, survivre plus longtemps. Trop de haines et de révoltes pour le recommencement des jours, trop de trahison et de pureté, trop d’échecs...

 

 

 

 

Deuxième partie

 

 

 

 

I

 

... Hiver — Silencieusement je fuis les cités maudites, la misérable misère, je traverse ce pays à pieds, seul...

Je crois marcher vers le printemps, vers le Printemps de l’Être ! Je passe quelques semaines dans un refuge de montagne, au Sud de ma mémoire...

Je cherche une forme terrestre à l’errance intérieure, une danse cosmique, un corps de diamant. Quitter la terre ancienne, loin... Échapper au marasme de l’existence & de l’Époque.

Retrouver ses origines, des racines : fouiller le chaos, rencontrer un territoire, réintégrer le Grand-Mouvement, la respiration commune.

Écrire quelques “notes” en passant. Traces mentales sur la géographie de la pensée.

... Je m’enfoncerai, plus tard, dans la nuit d’une ville autre, de l’autre côté de la frontière...

 

 

 

 

Tu as joué ta vie aux dés, derrière la gare... Puis tu es parti, dans la nuit bleutée, nuit de peste blanche, dans la sauvagerie du monde, sous un manteau de pluie et de rage.

Lampes à iode sur les aiguillages —

Mystérieux : les lumières de la nuit comme des appels Apaches —

Le vent dans le hasard et des litanies —

Douceur de l’air — In Riv Europ : les wagons à bestiaux —

Telex dans le temps mythique —

Rappelle-toi qu’Ulysse & Télémaque n’ont jamais pu résoudre une énigme —

Des messages sont transmis —

Chansons de buffet de gare — Seul —

les caténaires allument la foudre —

Flash bleu & Éclair médiéval — Chevalier dans les pendules —

La mort dérive sur le quai.

Devenir un Guerrier...

Ciel sombre, ombre violette : je m’avance vers la montagne. Marcher maintenant !

L’extrême densité intérieure.

Pas d’objet, de sujet, rien ni personne : que la majesté d’un monde inexistant. Atteindre l’indicible brillance centrale, la jonction du corps et du Lieu — Le Diamant...

Battement d’une substance ensevelie : la source de vie comme la steppe sous la neige, le familier dans l’innombrable, l’unité de l’esprit et de la matière, le feu dans les entrailles.

Lutter contre le froid, la peur, la faim avec pour seule règle de Vie : ne pas se laisser mourir !

Pour quel Recommencement ?

Écrire sur la Voie — dans les granges, sur les routes, dans les bars, écrire dans l’espace et marcher vers le Printemps !

Sur ses traces, dans la lumière antérieure au visible, se reconstituer, se restituer, ouvrir une brêche, passer...

J’éclate de rire en mangeant cru un morceau de viande. Le monde ? Survivre... Les larmes montent vers le ciel et je campe au milieu des pierres.

L’indéracinable

le cœur dans le vent noir

la Présence même

dans les ruines et le dénuement.

Être comme un félin ou un oiseau sur le rivage. Nomadiser autour d’un village, vivre dans l’ubiquité.

Je marchais dans la fusion, le vent, les pluies, le froid, vers les arbres, les plantes, la lumière, le pain, les Êtres métamorphiques, une nouvelle terre...

La Nuit : l’immense solitude des vitres éclairées au long des rues et des routes... & moi, dehors !

Bêtes bleues dans les taillis, l’océan roux de la pénombre irise la flexure. Où dormirai-je ?

Faire tinter la note d’un Instant pour la vibration du Temps. Penser, étudier, travailler, vivre : une secousse, un ébranlement de l’Être comme une musique dans l’air. Un Souffle.

Les grandes migrations sont des fleuves. Elles irriguent la terre des hommes, le territoire de l’Être. Ce sont des flux de sang à travers l’Histoire de l’espèce humaine : une nécessité ontologique, une vision de l’espace, l’axe sur lequel se fondent de nouvelles cultures.

Des voix plus amples se font entendre à l’embouchure du Temps. Un à un leurs grelots se répandent dans le val.

La lumière rasante cerne des pas de plus en plus étrangers : traces de quelqu’un qui s’est perdu ailleurs...

Fuir la violence, la barbarie, l’oppression, l’Impossible, les bouleversements climatiques, le passage d’un état à l’autre. Se glisser dans la peau de l’Agir pur. Changer de direction, d’époque.

Près du refuge, dans l’aube, un bloc de granit au soleil levant. Mais l’eau de l’abreuvoir est gelée...

Les Pauvres partiront les premiers !

Effacer nos présences afin que demeurent libres les Voies & le chant des Souffles épars...

Chasse les esprits du Refuge ! Les bruits du vent, sur le toit, dans la forêt : tambour, tambour battant...

Guerrier celui qui va jusqu’au bout, sans mourir. Sorcier celui qui a su vaincre sa peur !

Le matin m’a ramené sur la Piste après une nuit à errer au dehors.

Initié celui qui revient ?

Un cheval aurait pu traverser longtemps ce pays de mort et de désolation. Le monde a disparu. Les forêt s’étendent sur le rivage.

On quitte les frontières...

Ton visage remonte à la surface comme une bombe.

Un cirque s’avance vers une terre d’asile. Tu me souris.

Une chevelure pénètre dans le refuge et les astres tombent au bout du rocher. Des étoiles filantes et tièdes s’enfoncent dans la mer.

Je visite les rues. J’ouvre les portes.

Je salue les gens. Je m’assoie sans rien dire et j’attends ! Plus personne ne fait signe !

C’est un carnaval derrière la vitre, une lampe qui rentre au port, une fête de la mort, un enfant dans la foule.

C’est rien...

J’écoute les grondements, les craquements du dégel, le retour des bergers, la pluie fine sur les pétales, l’impatience des fleurs.

Le Printemps se lève : mon corps s’avance dans l’odeur de la terre et des feuilles mouillées.

Quatre heures du matin : tout est noir sur le chemin bourbeux. Tu marches seul encore.

À 1500 mètres d’altitude je danse sous le soleil blanc de l’hiver.

Ancré dans le sol, bordé de neige, fourrure éclose dans la nuit, dans la fraîcheur des herbes, ruisselant, planté sur la porte du sol, sur le mur blanc, sur la page, pendant que les pas s’inscrivent au loin et disparaissent : un soleil étincelant !

 

 

 

 

& je marche ...

À travers corps, rues, murs

exilé de nulle-part, au dehors...

Dans les villes, les trains

sur les pierres bouillantes

sur la neige, parmi les oliviers

dans les vignes

je marche et caresse

visages, rochers, Poésie de la terre

ivre je me déroule et danse en larmes

dans mon fourneau

dans la Glu.

Je baratte l’origine au fond du puits

dans le lait du chaos

entre les colonnes du Printemps...

 

La Barque s’élève, le sol semble apaisé

l’air est vif

les oiseaux reviennent

tout est fluide...

 

La Tagnarède.

 

 

 

 

II

 

Ce visage inconnu dans les eaux du port...

Je cherche l’origine, la source, le Lieu, la vibration, l’Éveil et ne trouve que l’exil, l’impossible, la misère, l’absence, le brasier...

Partir : la dernière chance du prisonnier qui n’a plus rien à gagner ni à perdre! Trimard chez les derniers nomades d’Europe ou docker dans une ville du Sud ? Comment survivre lorsque l’Ailleurs vous attire ?

Rues, anneaux concentriques qui me conduisent vers un centre imaginaire. Chaque regard, chaque rencontre est une station du chemin, un tourbillon dans le vertige d’exister.

Il ne reste plus rien : ni le Nord ni le Sud au fond du carnage des jours. Les oiseaux planent au-dessus & l’écume se referme...

L’Envers va disparaître

L’Endroit a disparu.

Quitter cette terre maudite, ne plus jamais y revenir. Franchir définitivement les frontières... Au fond du courant une voix perdue tournait dans la lumière.

Allez dire aux espaces que la Nuit est phénix de la mort !

Ces chants figés dans la Matière, comme du sang à l’entrée du tombeau.

Je pénètrerai avec une pierre dans les miroirs pour y briser le néant et je brûlerai les alouettes dans le champ des illusions.

Plaines ivoirées, montagnes nacrées, astres que la blancheur découvre : tu es là, dans le silence, bleu, du cosmos...

Les voix lointaines, les pas de l’Aimée dans la salle étrange, le chuintement des eaux, le diadème des lacs, les signes du printemps, l’Or, les routes si blanches dans la forêt mentale, la spirale de l’horizon : nous nous éloignerons...

Les longs serpents noirs du soleil blessent la déesse du cœur. Une aurore dans les confins du ventre femelle se lève sur l’empire du sang. L’espace s’agrandit derrière la nuit des masques. L’intérieur de l’esprit et du temps m’entraîne vers le vide. Mon corps devient bleuâtre comme le ciel. La pensée se cabre & se fige !

La mort est présente, pourtant tout n’est que clarté, nuit de neige et verse du mystère comme l’espace contenu dans le cerveau : une architecture de cristal, au cœur des plantes et sur les visages ensevelis au fond du jardin, dans la ville silencieuse. On n’en finit plus de dénuder l’esprit, la cité lumineuse, le conjoint idéal !

Chaque geste est une page retrouvée par une passante dans un autre livre ou dans un hôtel anonyme.

Nous écrivons la ville, la campagne, les rues indéchiffrables, les villages isolés, la vitesse du réel avec le sang de la Vie, lavée sur le trottoir, comme un livre d’amour abandonné sur une table de nuit...

Avant de chuter à l’intérieur du fourneau, de devenir comme des égregores, des éclats de feu dans le crâne, nous allons seuls parmi les seuls, nous heurtant, nous frottant aux silex du Réel, à l’Échec...

... Lorsque je marchais seul au mois de Mars, cette année là, en pleine montagne, en quête du Printemps, écoutant les fissures de l’âme, le chant des oiseaux, les failles et le réveil de la conscience, les craquements du sol, les dernières neiges commençant à fondre, j’errais en réalité vers un point de non-retour, en proie à l’exode intérieur, expérimentant dans ma chair le principe des Migrations, animales, humaines, me confrontant à l’Impossible...

Que faire cependant lorsqu’on parvient au sommet de la montagne ?

Sinon basculer dans le vide ou redescendre dans la vallée de misère...

Seule la marche nous fait pénétrer entre les Points de la Figure. En avançant dans le monde nous le révélons.

À travers mélèzes, coupes de la roche, forêts de sapins, à travers neige, soleil, à travers la montagne le feu pétrifié éclate parfois dans la pierre qui roule dans le torrent, dans l’arbre rompu qui s’abat sur la pente, à travers la terre où nous marchons, dans le silence, parmi les nuages.

Tout quitter : partir en montagne, sur les sentiers, dans l’Instant.

Redevenir un journalier...

Rendre l’âme devant les chevaux, au milieu des oiseaux de l’estuaire, dans les eaux ourlées de crinières blanches.

Qui a bu la liqueur de l’Étoile jusqu’à la lie va dans les rues, recraché par tous, happé par son seul tourbillon.

J’écris en marchant vers la gardienne des airs, au milieu des cascades et des cerisiers...

Là où il n’y a plus d’images de l’autre côté du miroir lacéré par l’Époque & l’amour maudit...

Astres empourprés à la nuit tombante : sphères qui dansent à l’intérieur du corps.

La voix dans les chemins et le corps qui disparaît dans les ombelles : la mort marche comme un grand cerf sur les terres pillées...

Touchant le Vide, respirant l’astre de l’Être, dans sa substance, dans les éclairs et les claquements de la chair des morts.

Trébuchant dans les avens, dans le feu central où il se consume, égaré dans la multitude.

Repenser, vaincu, à ces lointains paysages où l’on m’empêche de vivre.

Avant même de me retrouver ici, les mains tremblantes sur une surface illimitée, je veux me souvenir de cette vie qui fut mienne, dans ces villages, au bord de la route...

Dans quelle absence ton corps et ton âme ont-ils dérivé jusqu’à la source de la terre et de la vie ? Tu remontes le temps, à travers les fleuves, jusqu’à l’espace, jusqu’aux étoiles, jusqu’à l’énigme du sang.

Je sens à travers la terre humide et boueuse la mutation brutale des espèces et les saisons du ciel retenues dans l’abîme. Il pleut des étoiles sombres. Il pleut des morts...

Sur un pont en cristal apparaissent des visages. Dans mes tempes bleuies ruisselle la marée montante.

Me glisser dans l’Être, dans le soleil des pôles, me baigner dans l’Été.

Je ne sais plus de quelle ombre je parle, ni pour qui je me suis égaré. Les mots reculent comme la main du feu trop proche.

Tout redevient noir...

Ce que nous laissons en surface efface t’il ce qui fut vécu dans la terreur, la souffrance ? Est-ce le silence ?

Séparé de l’œuvre qui me hante, roulé, emporté dans les racines qui me happent, dans les algues du sang qui m’attirent vers les fonds...

J’habitais des étoiles mouillées au fond des rues, dans l’antre des enfers.

Je suis en marche vers des soleils qui ne brûleront plus jamais dans les signes obscurs.

Blanc sur blanc de la lumière dans le néant. Pluie l’ombre de sa face qui chute dans la lumière visible...

Dans la nuit des temps brûlent mes visages allumés comme des torches de naufrage.

Entre les murs je caresse des jarres...

Elle se penche au-dessus du puits où jadis son visage s’est perdu dans l’eau trouble. Maintenant au fond du vide froid elle voit remonter l’étoile si semblable au masque qu’elle portait sur terre.

Ma vie est comme ces fleurs pourries lancées autrefois sur les vagues. Nul ne sait d’où elle vient ni où elle va...

Mutations urbaines dans le brasier du néant, sacrifice perpétuel des générations : toute l’aventure mentale visionne notre destruction.

La pensée doit être vécue comme l’apparition d’un phénomène intemporel : la pluie, le vent, la lumière...

Manger les paroles, savourées par le tympan, digérées par les intestins. Certaines, stériles et nocives, dessèchent et affament. D’autres rafraîchissent le cœur, fécondent et nourrissent...

Maintenant que tu n’es plus qu’une proie, les chants du dernier printemps de l’Être te parviennent et tu scrutes les signes du Retour au bord des glaces de la mort.

Elles sont comme la pensée : l’une sur l’autre, immobiles et sèches, les pierres qui défient le Temps !

La mort n’est rien comparée à ce qui meurt déjà dans l’existence.

Ce passant qu’un rayon de soleil fait vaciller de son socle de douleur et de solitude...

Mène moi au long du fleuve, serpent de l’espace, spirale infinie, Oiseau bleu du langage...

Une Lampe veille jusqu’au dernier mot.

Je ne sais plus sauter au-dessus du feu, jouer avec les ombres. Je suis le brasier qui se consume, celui qui ne sait plus donner de nom à sa misère et qui cherche une Langue à toutes les blessures. J’ai trop perdu et vaincre serait exiger la victoire immédiate de la Vie, pour tous...

Entre le soleil et la respiration, la vision et son anéantissement : que restera t’il demain face aux larmes, au sang de la pensée ?

On touche le fond, on remue la vase, on finit par se dissoudre à la surface des choses.

Voyez les étapes de la destruction dans la roue en sang du meurtre originel... Avez-vous déjà contemplé votre cadavre tournant comme un astre égaré au milieu du sacrifice cosmique ?

Une étoile filante qui ira se désintégrer au bout de sa course...

Les plaintes de la nuit se déroulent au long des quais sur le ruban rouge de l’horizon. Les satellites ne répondent plus et les générations trahies se réfractent sur la vitre du Néant...

Les paysages se succédaient. Les grands oiseaux de nuit annonçaient une autre magnificence. Leurs ailes brunes recouvraient la cendre de la Connaissance. Elle volait en haut des arbres, se déployant comme une comète. Le sang jaillissait dans nos tempes...

Sous les plis de la chair un Être obscur combattait à mains nues. Son visage était de brume, sa parole sourde et ses yeux scrutaient l’Invisible de sa forme.

J’ouvrais les caves noires du corps sous-terrain dans les strates de l’écriture. Des norias d’étoiles s’enroulaient autour du cœur dans la forêt de la Vie.

Je griffais les laves et les pierres avec la faim des contrées vierges et le silence marchait vers la terre sans mal de ma Parole...

Entends-tu le murmure de la Vie, la nébuleuse, l’habitant étranger, le souffle du cosmos qui repart dans les branches... ?

Se confronter à toutes les réalités, à tous les champs possibles du Réel. Circuler dans cette société comme un aigle sur sa proie, sans adhérer à quoi que ce soit.

Ouvrir une brèche, s’y engouffrer. Être un Guerrier, s’avancer. N’avoir absolument rien à perdre ni à gagner...

J’ai quitté le sentier pour me battre dans cette ville avec les mots, l’exil, le réel et la mort.

Au 7ème étage je regarde la carte du Sud en pensant aux sommets dans la brume, au Village. Reviendrai-je ?

Comme un puits abandonné dans le désert, envahi par le sable, les mousses, les pierres. Le bleu de l’Instant : un impact du réel.

Nous revenons à travers la brume, le visage contre la vitre du train, en nous cognant aux paysages, dans ce pays de vent, oublié des routes principales.

Nous revenons dans le silence, les tempêtes maritimes, au pays natal, au pays mortel...

J’imprime à jamais le nom de l’Amour sur ce sol que la corne des volcans demain transpercera.

Où sont l’Énergie, la Fête, l’Aventure, le soleil & la danse des héros ? Où sont les Tribus ?

Ils sont dans le ruisseau avec la poussière des façades et le bulldozer des années.

Seuls et démunis : nous sommes devenus seuls et perdants face à l’Époque...

Vivre & travailler autrement nécessitant une mutation de l’espèce : qu’allons-nous faire à la fin de la mauvaise graine qui a toujours eu faim et soif du monde autre...?

Être dans l’observatoire climatique à l’écoute des pulsations du Chaos, de la respiration du monde, jusqu’au chant, jusqu’à la révélation cosmique, jusqu’au fracas.

Du Rivage à la Montagne, de dilution en dilution jusqu’au Cosmos.

Il fallait bien survivre & mener une double Vie... Avant l’arrivée de la Créature Ultime...

 

 

 

 

Boire la lie du Présent, le Vin de la Vie. Plonger en haut du Grand-Mouvement. Remonter des fonds. Crever à la Surface...

 

 

 

 

1977 - 1987

Paris - Reims - Céret - La Tagnarède - Barcelone - Lomé -

 

Retour à la liste des livres

Retour à la page d'accueil