MARC QUESTIN

 

LE RUGISSEMENT DU LION TANTRIQUE

 

                                                                                                                                  Pour Hélène & Jean-Claude

                                                                                                                                  Pour Dhagpo Kagyu Ling

 

Quelques notes prises au jour le jour, entre les arbres et la montagne.

Expérience de l’instant dans un centre tibétain.

Sans ambition, mais avec joie, avec l’ardeur, la volonté, au cœur du vide de l’Émotion.

 

Le visage de l’esprit est toujours immobile. Le voyage fantastique à l’intérieur de ses cellules. Le vent hurle dans la nuit d’un désir contrarié. Le sang des rennes écrit l’Histoire. Le yoga de l’énergie détermine les postures. Rester conscient de chaque mouvement. Le rugissement du lion tantrique. Tapis de pierres et de diamants. L’infini du ciel bleu dans la gorge du désir. Silence des arbres et des offrandes et du paisible magnétiseur. La brûlure d’une conscience dans le feu du désir. Apaiser l’ombre et la souffrance, l’acédia du désert, la profonde solitude.

Voyage au cœur de toute souffrance. Courage de voir la vérité. De regarder son vrai visage. Toujours seul dans le temple des énergies magiques du rire. Inutile de frimer quand la mort te saisit. Dans le night-club de l’univers des émotions perturbatrices. Destruction par les guerres du néant des paroles. Kali danse dans la mort du Bardö des consciences. Transmute, visage, Mahakala. Juste au cœur du désir. L’écriture féminine. Le songe d’Alice dans la chapelle, la crypte d’or, les champignons.

C’est justement dans la confrontation héroïque avec le Samsara que la force véritable jaillira de mon être. À l’unisson des forces vitales, des énergies cosmiques du Soi. Demeurer naturel, souple, flexible, illimité. Utiliser la volonté. Une phénoménologie du travail intérieur. Casser l’ego. Le sacrifice. Intensifier la compassion. La parole doit refléter l’évolution physiologique mise en branle par un travail de soi sur soi. Le corps de la parole est l’esprit et c’est dans la vue juste, la vision juste de l’essentiel, que l’être enfin peut s’éveiller aux splendeurs naturelles de la non-dualité. Ce qui importe c’est la rigueur, technologie du corps subtil, et le reflet de l’expérience, l’approche du vide et de l’union. C’est dans le calme que naît l’union. Sans forcer, à son rythme, en étant détaché, naturel, réellement naturel, il est possible d’atteindre l’éveil, de le saisir, de le comprendre. Utiliser toute énergie. Il n’y a rien à purifier car nous sommes purs de toute essence, de toute interne éternité. Car nous sommes immortels, fils de sagesse et de lumière. Rester simple, naturel, et ne rien rechercher. Le plus bel arbre porte ses fruits.

L’écriture coule de source dans le corps du désir. (cf. citation de Carteret). Purifier la vision négative de l’esprit. Un hologramme de force paisible. La saveur du réel concernait cette image. Chacun trône sur le ciel de son vide intérieur. Aphrodite, femme altière, jeune déesse épanouie, tient une fleur dans sa main à l’orée du soleil. Labyrinthe de bambou dans le temple bhoutanais. Pour que cesse la souffrance. La souffrance d’être et d’exister.

Il y a celui qui s’entraîne durant des années à la même chose et qui un jour surprend ceux et celles qui s’étaient habitués à ne rien percevoir de sa force potentielle.

Mais Kenneth White le dit très bien (passer un jour à Edimbourgh, retourner en Irlande), la meilleure expression de la philosophie et de l’expérience mystique demeure toujours la poésie, l’écriture poétique, aphoristique et foudroyante. Rester centré sur la vision. Le feu des anges garde la parole. Sacro-sainte connaissance d’un dépassement du corps subtil. L’essentiel est de vivre et de vaincre la souffrance. Devenir aussi fort qu’un rayon de lumière, un éclat du soleil sur le monde froid des phénomènes.

Expérience extraordinaire, durant la nuit, d’un parfum magnifique, inoubliable, le parfum du Lama, mon « maître cosmique » selon Cathy. Rêve de purification avec ce visage asiatique légèrement courroucé dans le miroir. À rapprocher de ma vision d’une vie antérieure en Chine suscitée il y a plusieurs années par l’ingestion de psylocibes. Image extraordinaire d’un être surnaturel, mi-homme, mi-oiseau, mi-serpent (une espèce de dragon-Lucifer ailé) surgi soudain dans ma conscience, dans le miroir de mon esprit, écoutant l’enseignement de Guendune Rinpoché. Projection de l’ego ou signal symbolique ? Je préfère les gens simples aux bouddhistes compliqués. Jouer de la flûte et boire du thé, lire le journal, savourer l’aube, le blues, la paix. Dans l’incessant retour du même.

Un espace bleu, profond, limpide, entouré de vert, et une mer d’énergie rouge et orangée tout autour. Subtiliser les centres internes. Séparer le subtil de l’épais. Une source de grâce et de jouvence que de la voir et de l’entendre. À savoir s’oublier pour pouvoir oublier. Devant le lac face aux montagnes. Son seul venin est un nectar. Du monde dans l’être avec cet être. C’est ce qui reste qui est réel. Le blason du courage dans la danse alchimique. Un visage de papier dans une nuit japonaise. Photographie à contre-jour. À la recherche des origines, de son principe d’extase ancienne.

Vêtu de noir, l’homme de courage. Destin secret d’aventurier. Le Maître, ici, est en toi-même. Les arbres bougent en toute splendeur et le vent tourbillonne en rafales de pluie chaude. Ainsi lavé et dépouillé, sans attendre d’aucune sorte, j’écris ces lignes à notre amour, à cette sereine fraternité des âmes en quête du paradis. Dans le plus pur idéalisme des frères-de-la-côte et du vieux rêve. Face aux neiges éternelles d’un lama courageux. Saisit la neige entre ses doigts. Baiser d’un roi sur son voile noir. Attitude de mystère (la reine Sarah des Chouans du Sud). En-deçà du miroir des réponses véritables. L’ultime seconde d’un corps de neige. Le soleil fond dans la clarté. Les couleurs se rebellent dans l’honneur du corsaire. La ville de sable et de gingembre aux déesses bleues du bord des mers. Silence, campagne, obscurité (de mon esprit, de la lumière). Le cœur saigne dans la nuit de son être véritable. Crois-tu en Dieu ou à l’essence ? Chapelle des ombres et du miracle. À glorifier ton corps de gloire.

Pratique du centre avant la neige, du corps de neige dans la parole, l’indissoluble vacuité libre au sein des sphères de toute présence. Tu es seul à scruter l’océan de ton être. Tu te berces dans la mer des mirages de l’esprit. Explose d’un rire transcendental. Voici l’unique réalité. Les grillons crissent en plein midi. Aux paroles de lune. Le mandala d’une certitude.

Au sein de l’arbre à deux colonnes. De la lumière coule dans tes veines. Lumière bleue d’une offrande aux navires de tristesse, aux déserts de ton cœur de ce monde dévasté. Pratiquer le respect du plus humble animal. Se fondre alors en lumière blanche, en immanente lumière de l’être, aussi vide que la nuit dans le cœur du désir. Revient des Indes après trois ans. D’une vie joyeuse avec les tigres, parmi les temples et les palais, elle a ce don, cette légèreté, ce pouvoir d’être vraie, authentique, passionnante. Boit le thé sur la jonque du désir transmuté. Simplement être. Présent. Solide. Regarde les flammes du cœur des âmes. D’un feu de joie s’empare de toi. La plus simple émotion. Le sourire de l’offrande. D’une réelle guérison près du lac de Grenoble. Je l’ai guéri en 24 heures. Cela, et la soirée de « transe » lors du stage de Strasbourg. L’expérience du Danemark, décollant de mon corps. Je suis seul comme un arbre sur la plaine du miracle. Je sais que tout est vacuité. Je sens la force dans mon hara, entre mes mains et dans mon cœur. Que puis-je faire de cette force ? À quel dessein l’utiliser ? Insoutenable légèreté d’être. Désirer la souffrance, la souffrance volontaire. Intensifier chaque sensation, chaque émotion (perturbatrice ?). À défaut d’oublier, d’alléger, en puissance. À défaut d’être et de sentir. La sensation la plus parfaite. La plus pure sensation. L’évidence absolue de l’intime certitude.

Rêve avant-hier de Rose-Marie. Désir profond d’aller en Suisse. C’est le manque de foi qui paradoxalement peut être à même de libérer, de soulager, de délivrer. La foi pesante est un fardeau. Une régression vers la morale. La seule morale est personnelle, individuelle, mise à l’épreuve. Relire Houeï-Neng, le VI° patriarche. Sa verdeur, son humour. Ou Lie-Tseu, Huang-Po, le Cinquième Livre de Rabelais. Rester sur ce point essentiel de révolte me semble une très bonne chose. L’autre facette de ce Grand Jeu demeure bien entendu la création artistique, l’irruption sur la terre des puissantes forces du je ludique.

Savoure ce calme et cette lenteur, et le vent qui pourchasse les idées dérisoires. Prendre son temps avant la fin. Laver la plage du dérisoire. Tests d’orgueil, néant du rire. Écrire la vérité envers et contre tout. Le temps n’existe pas. C’est la première évidence. La souffrance est passagère. C’est la seconde évidence. Un feu virtuel et chaleureux, une union douce, paisible, sincère, une transfiguration de notre être profond, un dévoilement du cœur d’amour, de par la grâce d’une sainte alliance.

C’est dans l’aide à autrui qu’on oublie le karma. J’ai pu de nouveau constater hier soir la puissance curative de mon magnétisme en travaillant sur la douleur d’Henriette. Son mal de tête est vite parti. J’ai placé tout à l’heure ma main droite au-dessus de la main gauche de Cau. Il a senti de la chaleur, tout comme Henriette, hier au soir. Cau me conseille d’approfondir une seule spécialité. Michel Dufour, par contre, préconise la synthèse d’une multitude de voies. Il faut trouver le juste milieu.

La pierre précieuse toujours tantrique foudroie les ombres d’un mal de vivre. La volonté surréalise les états de l’UN et du multiple. Pénétrant le Dharma d’une clarté bénéfique, Il se repose au sein des êtres, Mystère, Énigme, le Non-Savoir. Les dix-mille êtres sont chiens de paille. De la neige dans le feu du manoir des paroles symbolise la présence haute et belle de l’Absente, l’Unité transcendée par la quête de l’éveil, le rocher pur et dur sur lequel s’appuyer, pleurer sa joie, vaincre ses peurs, ses doutes, sa transe... L’esprit du corps traverse l’éveil, atteint le sens, la profondeur, la biologie d’une femme des sables. Le foisonnement des énergies embrase le corps d’un feu sensuel. La pensée verticale vers les sphères de l’éclair monte au ciel de l’absence d’un désir absolu. Le visage de l’éveil a glissé dans l’instant. Le feu consume le miroir noir. Les horloges de la nuit dans le corps du souvenir d’un nom dilatent les apparences, les bruissements d’une éthique aux feuillages d’arc-en-ciel, les noces pourpres du désir et du roi des offrandes.

La poésie devenait le fruit et aussi l’acte d’une volonté révolutionnaire de changer l’être et la conscience, l’univers et sa projection d’ordre sémantique. Jean Carteret était dans le vrai. À savoir que l’essence, le principe essentiel, s’attache au fruit de la création. Le jeu de l’homme reflète le monde. Retrouver l’origine des multiples univers devient possible par le langage, par la puissance de la parole, au-delà d’une saisie de l’illusion manichéiste. Cette centrale d’énergie vit au cœur du chercheur, toujours en quête, à ciel ouvert. Il ne fait qu’un avec le monde. La conscience du langage appréhende l’univers. Au-delà tout est vide. Il n’y a rien, rien que de l’être, rien que du vide, du vide des sens, du sens de l’être. L’univers danse dans le regard. Le pouvoir de la parole stabilise l’univers. La puissance purifiante des mantras du secret ordonne l’axe et le sens d’une possible ouverture.

L’innocence du regard, la candeur de l’enfance, vive joie sur ma route de pèlerin ambulant. L’amour change dans le regard de la veuve éplorée. Tout ce qui brille n’est pas or et tu dois te guérir. Repense aux lieux d’anciennes amours, aux prénoms féminins, aux circonstances d’un vrai bonheur. D’un vrai travail sur le bonheur. Une manière d’être « à l’heure » dans la justesse des sentiments. Les Voies de Dieu sont identiques.

La magnifique chanson d’Hélène. Ses longs cheveux noirs et son sourire. La voix montait des profondeurs. J’aime beaucoup le mantra de Gourou Rinpoché : « Om Ah Hung Benza Guru Pema Siddhi Houng. » Rêve érotique l’après-midi. Une belle soirée avec les autres, la réconciliation de mon âme, l’impression d’être en Grèce, le souvenir de Myriam... Parlé du film « L’Apiculteur », film noir et tragique, mais si beau, émouvant. La voie tantrique est très subtile. Apprendre à travailler (apprendre à jouer et à danser) avec les émotions. Rester fort et solide. C’est-à-dire détaché, responsable et conscient. Devenir un homme de caractère. Mais comme le dit Sonam Dordje : « Qui veut voyager loin ménage sa monture. »

La force magique d’une petite fille. Elle désire que je reste, cette adorable fleur d’innocence. Le don de Jacques est une première. Respirer l’herbe pure des hauteurs sensorielles, la réflexion sur les abîmes, la traversée d’un Livre des Morts. Dégager le plexus des puissances négatives. Accélérer la forte puissance. L’idéal nietzschéen des énergies involutives. Le miroir d’un temps simple au détour d’une ivresse. Forcer la paix du cœur des guerres, la parfaite sensation d’une alliance corporelle. Dans l’immanente jouissance de vivre. La pureté de son cœur à la proue du désir.

Par le feu du désir dans le cœur du miroir. Par le jeu des lumières sur la neige de ton corps. Par l’ivresse absolue des célestes dakinis. Les Sables de la Mer. La Puissance du Nectar. De mon âme à ton âme dans l’union de nos souffles. Près de toi, dans mon cœur, à l’instant du désir. Je me glisse dans les rêves d’une conscience pacifiée, dans les strates du sommeil d’une terre pure de conquête. Vision des mages du palais de glace. Banquise des cœurs à la dérive. Purifier les chemins du guerrier des consciences, l’arc-en-ciel de lumière d’un solstice impérial. Pénétrer la forêt du derviche des ivresses, le sanctuaire inconnu du diamant des passions. Centré, solide, dans son hara. Toujours le jouet des circonstances. Le dur brassage des émotions. Préserver le secret de la quête essentielle, le sceau muet et sacré d’une alchimie providentielle.

Approfondir la volonté. Écoute ton cœur, ton intuition. « Ton propre gourou, c’est ton cœur » disait un jour un saddhou indien à Allen Ginsberg. Et celui-ci pratiquait Blake. L’immense pureté de William Blake.

Pacifier son esprit, ouvrir les portes de la clarté, laisser entrer l’onde de lumière. La concentration au service de la foi, de l’amour, de la Voie (sadhana). Ce que tu comprends, maintenant, ouvre ton être de lumière. Retrouver l’innocence de la découverte des écrits de William Blake. « Tu es la personne la plus gentille ici », me dit Hélène, « tu donnes beaucoup de toi aux autres. »

« Si l’on accomplit le bénéfice des autres, on atteint la boddhéité. » (Lama Guendune Rinpoché)

Par les dents et le souffle du palais des plaisirs, les mirages de Safed dans la crypte augurale lèvent le voile sur la plaine des mystères séraphiques. Ceci, et l’impuissance de la parole, ont conduit le chercheur à errer dans la ville. Il se promène dans les rues basses, ignore le rôle des simples souffrances, recherchant le bonheur et la joie immédiate. Mais la joie immédiate, la joie simple de l’instant, création perpétuelle d’un koan sans désir, est une joie éphémère, une onde fugace et frémissante. On devrait deviner que la vie est mortelle, que le temps gèle les impulsions, que le rire sans issue est un rire salvateur. Paradoxe du mourant, témoignage du vivant, paradigme de l’humain et des sciences biologiques, écarte le voile des réponses vaines, des questions muettes et imparfaites. Construire un corps de future gloire, à poser les jalons sur une île de corail, douceur, bonté, saine bienveillance.

 

Août 1988, Dordogne.

 

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