« Et la peste est un mal supérieur parce qu’elle est une crise complète après laquelle il ne reste rien que la mort ou qu’une extrême purification. »

Antonin Artaud.

 

 

 

GHEMMA QUIROGA-G.

& JOSÉ GALDO

 

LA PESTE ET LA TRADUCTION

 

    La profonde beauté des textes-traductions de Charles Baudelaire m’ayant séduite, j’ai eu envie de les comparer aux textes-sources de Poe afin de saisir la nature même de ce qui les rend différents.

    Ainsi j’ai commencé tout d’abord par réaliser une traduction près du texte de quelques récits de Poe que j’ai choisis en fonction de l’idée de la PESTE. Il s’agit de deux récits de 1835, Ombre et Le Roi Peste, ainsi qu’un texte de 1842, Le Masque de la Mort Rouge. Ces trois récits se trouvent, par ailleurs, selon le groupement de Baudelaire, dans Les Nouvelles Histoires Extraordinaires, publiées à Paris par Michel Lévy, en 1857. Des trois, seul le dernier précité a été l’objet d’une étude comparative dont le lecteur trouvera dans le présent numéro de Blockhaus une synthèse.

    Dans ma traduction je n’ai cherché ni à embellir ni à adapter les constructions des phrases anglophones à des tournures de langue française. Mon intention étant surtout de parvenir à rendre, à l’arrivée, le ton et les effets particuliers de la langue de Poe, avec ses répétitions et ses longues phrases sans coupes, qui exigent du lecteur un souffle long et coulé, de même qu’un investissement émotionnel aussi important que celui du narrateur, car l’émotion est l’une des marques de ce discours. Ce ne sont là que quelques particularités parmi d’autres que je dégage plus loin dans la synthèse : « Poe/Baudelaire. Autour des déviations et variations ». Ces particularités Baudelaire les a modifiées : il a enlevé les marques qui fondaient la Spécificité d’une écriture, celle de Poe. Mais, cependant, il les a substituées par d’autres marques, les siennes, créant de la sorte, à partir des récits de Poe, un texte à la fois proche et différent.

    Contrairement à Baudelaire, je n’ai modifié ni la répartition des masses narratives en un nombre supérieur de paragraphes, ni la structure des énoncés — autant que cela a été possible. Les récits de Poe sont assemblés d’après les règles précises du récit au moyen desquelles Poe établissait pour chaque conte un équilibre très calculé, comme je le démontrerai ultérieurement.

    Quant à l’idée insistante de la PESTE — insistante car elle est présente à tout moment de l’histoire de l’humanité, tout comme elle l’est à l’heure actuelle — ce thème trouve sa place au cœur même de la problématique de Poe, dans la mesure où ce mal, qui est en rapport avec la présence de la mort, de la maladie, de la contagion et sa menace, bouleverse la relation comportementale entre les hommes et provoque le renversement des valeurs sociales, morales, idéologiques etc., ainsi que le fait remarquer Daniel Defoë dans Le Journal de l’Année de la Peste (1722). À l’excès des expériences, des sensations et des sentiments qui en découlent — et qui sont déclenchés par le contact direct et quotidien avec la mort — s’ajoute le dépassement des limites du supportable, l’horreur du spectacle et la désespération d’être contaminé. Ce sont autant d’excès qui précipitent l’être de raison dans la folie du pestiféré.

G. Q.-G.

 

 

    Car la peste réveille les pulsions et celles-ci mises en relation directe avec le monde submergent les pénibles négociations antérieures que tous les êtres sociaux entretenaient avec la réalité extérieure. Elles deviennent les forces insurrectionnelles qui font vaciller la civilisation toute entière. Or, l’intérêt de Poe pour la PESTE s’inscrit au seuil de ce renversement général, là où s’ouvre l’absence béante de toutes les valeurs. Au seuil de cette faille ouverte sur l’invisible, Poe l’hérétique d’une société puritaine et porté par l’exclusion de cette même société, contemple le déploiement de la PESTE sur ce monde aveugle qui se débat dans l’éternel néant de son histoire.

J. G.

Retour à Blockhaus Revues

Retour à la page d'accueil