FERNANDO PESSOA

 

UNE LETTRE À ALEISTER CROWLEY

 

Carissime Frater :

 

          je vous remercie beaucoup pour vos lettres du 11 et du 22 décembre, particulièrement pour la seconde, et tout spécialement pour son addenda manuscrit.

          Je suis juste de retour à Lisbonne, de sorte que ma ‘réponse par retour du courrier’ est inévitablement quelque peu retardée, bien que je m’y attelle immédiatement.

          Je demeurerai à Lisbonne, à des fins pratiques, les trois mois qui viennent. Même lorsque je suis absent d’ici, ce n’est que pour séjourner à Evora qui n’est qu’à quatre heures de train. Je puis donc toujours revenir à Lisbonne très rapidement. La seule chose, c’est qu’il faut me prévenir à l’avance, et même ainsi, il ne faut pas qu’un tel courrier atteigne Lisbonne alors que je viens juste de partir, car je ne le trouverais qu’à mon retour, qui peut être immédiat comme dans quinze jours, et dans ce second cas m’avertir à l’avance perdrait tout sens.

          Si, cependant, l’un des trois premiers mois de l’année peut correspondre à vos desseins et à votre emploi du temps, je préférerais, et de loin, vous rencontrer ici en mars à n’importe quelle date de mars. Je ne quitterai pas du tout Lisbonne ce mois-là. Et le mois présent, comme février, est encombré par certaines affaires, sans importance en elles-mêmes ni dans l’absolu, ni relativement a votre serviteur , mais qui m’obligent à une attention d’un autre ordre, à laquelle je n’aimerais pas être soumis lorsque je vous écouterai.

          Mis à part cela, il existe des raisons astrologiques me conseillant de vous proposer mars, et c’est de fait le manque d’aspects qui fait de janvier et février des mois non valables, alors que mars sera propice, tout spécialement pour vous rencontrer, l’aspect solaire sous-jacent (Soleil sextile Neptune) étant remarquablement adapté aux circonstances.

          En outre, il y a une vague possibilité que je doive partir en Angleterre fin février. Si tel était le cas, je vous en informerai suffisamment à l’avance et (à moins que, pour une raison que je n’entrevois pas, le lieu du rendez-vous doive être Lisbonne) cela vous éviterait la peine de venir au Portugal.

          À la mi-février, je serai à même de vous dire ce qu’il en est.

          Je ne parlerai bien entendu à personne de votre visite. Votre avertissement était-il lié à la réception de la plaquette (en français) de Raul Leal ? C’est un ami à moi (pour ainsi dire, car je suis totalement à l’écart de toute forme d’intimité); je lui ai traduit quelques pages, ici et là, du premier volume de vos ‘Confessions’, et il m’a demandé l’adresse de l’éditeur, afin de vous faire parvenir, par l’entremise de ce dernier, son livre. Il m’a dit, à mon retour à Lisbonne, avoir reçu une lettre de vous, et il est sur le point de vous rédiger une longue missive portant sur des ‘questions occultes’. Je suis bien sûr sans rapport avec cela, du fait que je n’entretiens aucun rapport avec quoi que ce soit. Ne prenez pas ceci pour une quelconque réflexion au sujet de Leal, que j’aime vraiment et dont j’apprécie les magnifiquement intenses capacités métaphysiques. C’est un simple énoncé des faits et pour ainsi dire la remarque d’une personne qui refuse de prêter serment de fidélité.

          J’espère pouvoir vous envoyer dans le courant du mois le thème natal rectifié avec les calculs des aspects pour la période présente. Lorsque je suis hors de Lisbonne, je n’ai pas d’éphémérides avec moi.

          Je vous envoie cette lettre en recommandé pour être sûr qu’elle ne s’égare pas.

 

          Fraternellement vôtre.

 

                                                                   Fernando Pessoa [ 6 janvier 1930 ].

[Traduit de l’anglais par Philippe Pissier. Première parution in ‘Alexandre’ n° 60 (février 2000)].

 

 

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