FRANCIS GUIBERT

LES NEIGES D’ATLANTIS

 

“GENÈSE D’UN YANTRA” (couleur à l’eau de FRANCIS GUIBERT, 1973).

 

 

 

« L’un des plus anciens parmi les grands théoriciens de la peinture chinoise, Hsieh Ho (Vème siècle), évoque, sur le thème : “tonalité spirituelle en accord avec la pulsation vitale”, le problème de l’interaction entre l’intérieur et l’extérieur. Exposant ce principe — le premier — il montre qu’en toute bonne peinture doit s’opérer une correspondance harmonieuse entre le rythme intérieur de l’homme et le rythme vivant de la nature extérieure. Une tonalité spirituelle indéfinissable pénètre ainsi tout l’espace du tableau, l’anime de façon subtile et confère aux moindres objets dépeints une signification métaphysique. Lorsqu’un peintre parvient à actualiser ce principe, son œuvre s’emplit d’une sorte particulière d’énergie spirituelle en pulsation rythmique avec la vie. Elle exprime le rythme partout répandu de la Vie cosmique elle-même, et l’esprit de l’homme y est en communion directe avec la réalité intérieure du Ciel et de la Terre. »

Toshihiko Izutsu

(Le Kôan Zen)

 

 

quand tout s’échappe c’est que tout revient

quand tourne la roue c’est la vie qui se déploie irrésistiblement

le cœur seul agit et personne ne fait rien

j’interroge la pythie

elle me donne le la

elle me dit que je suis le mat d’amour et que je suis rien

elle me dit tant de belles choses qui m’assassinent et me libèrent

mes pouvoirs sont à ses pieds

elle fait ce qu’elle veut

elle est mon unique loi

et quel est ce “moi” qui se débat ?

quel “moi” peut se débattre sinon ce fantôme de vie noyé dans un torrent ?

Aimez ce “moi” qui est votre fantôme, et en l’aimant vous le verrez tel qu’il est, perdu, pitoyable, errant, et en l’aimant il s’approchera de vous, il se fondra en vous la suprême conscience réelle.

imaginez ce que vous voudrez

z’êtes suprême imaginal dans le torrent de la mémoire

frémissez dans les courants

votre vérité est dans tous les courants et dans aucun

pas besoin de se creuser la cervelle

vous êtes le pour et le contre

vous êtes l’obstacle et son dépassement

vous êtes l’immuable & le muable

vous êtes libre & enchaîné sous le joug de la liberté

telle est votre loi

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Dans l’ombre se tramait la catastrophe.

Les troupes avaient rassemblé leurs effets pour la finale.

Chaque instant était vital et voilà que le choc n’était pas venu.

L’attente se détendait, chacun parlait de son rêve, rien n’arrivait.

Le soleil se levait, l’air balayait les miasmes, les envahisseurs étaient partis, on voyait le jour à nouveau !

Quelle folie d’amour avait pu transporter à ce point le monde ?

Chacun interrogeait le vent, le monde respirait comme avant, la danse des petits pains se multipliait sur tous les fronts, le jour repartait comme en 14, la nuit frémissait toujours plus fort, Shiva s’éclatait, le point de rupture venait d’être dépassé à jamais. Et comme d’habitude mais avec plaisir, la Terre tournait sur ses axes.

J’écoutais ce chant, je l’écoute hier comme aujourd’hui.

)))°(((

On glissait en aquaplane, le reste importait peu. On était à Marseille, juste sur la frange, en la cité phocéenne émergeant des grands fonds. Ça déferlait de coquillages dans les manteaux d’algues. Les architectures sous-marines brillaient au soleil de tous leurs nacres. Encore une fois, Atlantis était à la une de la vision de choc. Sur le front de mer c’était comme d’habitude. Mais il fallait voir les choses sous un autre angle : celui à 360°. À ce moment-là tout changeait. Marseille devenait alors la cité sauvée des eaux. Le Grand Passé revenait comme une vague de fond pour nettoyer les rues. La Porte de l’Orient s’ouvrait dans la 6e Dimension, et toutes les mouettes du Vieux-Port traversaient les siècles pour témoigner de la présence d’Atlantis.

Une seule vie ne pouvait suffire à se préparer à une telle rencontre. Les initiés avaient servi durant des siècles le Maître du Temps qui n’avait pas d’âge. Ils s’étaient concertés pour avancer pas à pas à travers ce qu’il est convenu d’appeler la succession des réincarnations et qui n’était pour eux que le contrôle lucide du déroulement temporel. À cette condition ils pouvaient se permettre d’envisager le passage de la Porte Solaire. Ils s’étaient libérés de la peur du Temps, par le simple fait d’une compréhension de ce que représentait ce flot perpétuel de la Manifestation Universelle. Ils acceptaient sans trembler cette force agissant en un domaine où la temporalité n’avait aucune place. Ils sortaient du temps pour entrer en un monde où celui-ci n’existait pas. Il fallait pour cela maintenir la mémoire à un niveau dégagé de la notion de durée, ce qui certes n’était pas facile. Il s’agissait là de ce que l’on appelle en Inde yoga, c’est à dire : union de la mémoire avec sa source. En somme, ce n’était ni plus ni moins que le retour de la conscience à sa propre origine, ce qui permettait de se maintenir en un monde où le Soleil lui-même ne pouvait être vu que dans sa face éternelle de force intérieure. Il y avait là un mystère, mais ce mystère n’en était pas un pour celui qui, une fois franchie la Porte du Soleil, pouvait à la fois voir l’œuvre interne du Soleil et sa contrepartie externe.

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L’obstacle est un support d’existence, en son absence on n’existe même plus. On devient le simple déroulement du film de la vie, on devient juste le rythme des jours & des nuits.

Qui, en définitive, pouvait vivre ma vie ?

Grande question pour une réponse inexistante. Car moi seul aurait pu répondre à cela, et il se trouvait que je n’étais jamais là pour personne, ni même pour ma propre personne. La vie m’avait définitivement absenté de moi-même. C’était sans appel et sans recours. Je n’existais plus, simplement je vivais et c’était largement suffisant pour le restant de mes jours.

À quoi pouvais-je bien soumettre mes heures, sinon à cette incessante pérégrination immobile ? Traversant paysages & personnages d’un pas égal et prudent, je me représentais le danger sous forme de panneaux indicateurs. Il suffisait de les respecter pour ne pas avoir de problème. C’était une question d’attention.

Je ne cherchais pas ma route sur des cartes routières. Je lisais les indications aux embranchements et choisissais ma direction suivant l’inspiration du moment qui consistait essentiellement à opter pour l’étape qui portait un nom évocateur. Car seul l’Argot des Argonautes me guidait en cette voie qui s’improvisait au fil de Sa voix, cette voix solaire sur les flots de l’éternité retrouvée avec Atlantis.

À vrai dire le Soleil d’Atlantis résonnait si bien en moi que j’aurais presque pu conduire les yeux bandés en m’en remettant uniquement à Ses directives qui, de toute facon, n’étaient jamais à discuter. La résurgence de ce continent invisible ne laissait aucune part à la fantaisie, et ceux qui, comme moi, se retrouvaient sans trop savoir comment dans cette histoire, ne pouvaient en aucune manière remettre en question le moindre détail du déroulement des événements.

De deux choses l’une : ou l’on acceptait la réapparition d’Atlantis ou on la refusait. Ce n’était pas une question de philosophie mais de puissance vivante, active, omniprésente.

Le pouvoir d’Atlantis se manifestait dans une profonde transformation des paramètres de la vie sociale & politique, sans parler de l’individu qui, lui, ne savait plus où il en était. Ou l’on acceptait cet état de fait, ou on le refusait. Mais dans un cas comme dans l’autre, on n’y échappait pas. Si on l’acceptait, la conséquence en était que la cohérence de l’action omniprésente d’Atlantis se faisait jour après la disparition des habitudes standardisées d’une existence subie mais non voulue. À ce moment là, on passait rapidement du stade de la vie régie par des réactions inconscientes à celui d’une vie maintenue en permanence dans une action consciente.

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Quel était l’imbécile qui avait décidé que le Soleil était de principe masculin ? Cette érudite question m’avait mis en émoi. La moisson de la Terre brille comme l’or hors de toute question. L’or de la Terre est féminin comme l’Or Solaire. Le masculin n’a rien à voir avec le temps solaire. Il est juste une larme sur fond d’espace, là où le centre céleste déploie ses sphères. Au centre de la danse est le masculin, et nulle part ailleurs. Il est ce point intangible, à la fois hors et dans le mouvement. Rien ne peut l’affecter ni le décentrer. Dans l’espace il est ce point qui détermine la danse des étoiles. Il est mobile & immobile. Mobile en apparence, immobile en fait. Son action ne peut être perçue. Dans cette immobilité il actionne l’ensemble des sphères de la Création. À partir de ce centre se déploie l’espace stellaire. C’est là qu’intervient le Principe Solaire féminin dans toute sa puissance. Dans l’espace les Soleils charment le chaos, réduisent le froid en le tenant sur les limites du vide.

Ainsi, les peuples qui, dans le passé, adoraient le Soleil, ne pouvaient en aucune façon être des peuples dominés par le principe masculin de la Création. Leur culte était bel & bien celui de la Grande Déesse. En adorant le Soleil ils adoraient aussi la Terre qui était considérée comme le réceptacle de l’énergie solaire, et pour eux cette Terre était l’image même de la vie du Soleil à son plus haut niveau créatif. On ne pouvait dissocier la Terre du Soleil. Ils étaient l’un & l’autre les deux faces d’une même action. Et l’image mythique d’une porte cachée dans le Soleil répondait à ce besoin qu’avaient ces peuples de participer, en tant qu’humains, à une œuvre cosmique qui s’insérait parfaitement à la vie terrestre.

Celui qui parvenait à franchir la Porte du Soleil entrait alors dans un monde inconnu du reste des humains. Il découvrait le visage sublime de l’œuvre ardente de la vie dans son ampleur illimitée. Pour en arriver là, seuls de rares initiés prenaient le risque de dépasser cette Porte. Car il fallait être passé par de rudes épreuves pour supporter sans faillir l’intensité fulgurante de ce Visage incommensurable. Celui qui s’était préparé de longue date à cette aventure pouvait s’y risquer. Mais il devait sans cesse revenir sur ses pas pour ne pas perdre le contrôle de son existence.

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Aux fonds des océans, je découvrais la vie dans ce silence d’eau massive. Au fin fond se trouvait l’or des tabellions. L’argent flottait en fine poudre, suivant les courants froids & chauds. C’était la pêche miraculeuse des trésoriers du Temple. Nous avions disparu un temps pour réapparaître à la Fin des Temps et terminer notre mission à nous assignée par le Grand Maître.

Il était tard et nous étions en avance sur toutes les horloges du monde. Nous remplissions le contrat final pour la Planète des Singes. Nous avions déployé le plan du trésor : c’était un mandala tantrique venu du fond des âges.

On n’était pas là pour rigoler. Fallait jouer serré, juste, et dur. Le mot d’ordre était : pas de quartier. Nous étions seuls avec nous-mêmes et seuls avec Dieu. Nous formions l’équipe la plus indestructible de toute l’histoire du cinéma. Le Maître de la Mort contrôlait l’affaire et c’était un plaisir. Nous terminions l’histoire du cinéma jusqu’à la lettre Z. Aucune difficulté ne se présentait qui ne soit résolue dans l’instant par la rapidité d’intervention de nos équipes de contrôle qui sillonnaient l’espace comme des jets de combat, mais sans bombe ni artifice.

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À travers les temps, la Pyramide d’Or gardait les horizons du monde. Elle émergeait à nouveau des sables, maintenant c’était le ciel qu’elle emportait avec elle. Personne n’avait pénétré son secret. Elle restait fermée à toute tentative d’exploration. On pouvait imaginer de longs couloirs creusés dans sa masse, mais personne ne les avait jamais trouvés. On pouvait imaginer, en son centre, une chambre d’échos ouverte dans une dimension inconnue. On pouvait imaginer la ténèbre absolue comme envers de sa face solaire. On pouvait seulement imaginer, mais on ne voyait d’elle que 4 faces pour les 4 horizons. Quatre pans de feu solaire. Une de ses faces gardait l’Océan, une autre gardait l’Himalaya, les deux autres reflétaient l’une la Terre et l’autre le Ciel. À sa pointe était scellé un pyramidion d’électrum.

De source sûre on savait que cette Pyramide était l’œuvre des Atlantes. C’était un témoignage de leur pouvoir sur le Temps. Cette Pyramide avait été réalisée en hommage à la Vierge de l’Atome que les gnostiques avaient redécouverte, des millénaires plus tard, sous le nom de Sophia. Mais seuls les Atlantes connaissaient le pouvoir interne de la Déesse.

La Pyramide venait de réémerger des sables du Temps et sa puissance se déployait à nouveau. Tous les gouvernements de la planète étaient sur le pied de guerre pour essayer de comprendre la situation et ainsi pouvoir rapidement neutraliser cette dangereuse énigme. Chacun savait que plus rien ne serait jamais comme avant. Ce qui était maintenant en jeu était ni plus ni moins que la vie ou la mort de l’humanité. En quelque sorte on pouvait dire que cette Pyramide était une bombe cosmique que les Atlantes avaient amorcée dix mille ans plus tôt. L’humain se trouvait confronté au plus grand défi qu’il ait jamais connu, c’était sa condition même d’être pensant qui était mise en question. Comme si toutes ses réalisations antérieures se trouvaient soudainement annulées purement & simplement par le seul fait d’une action inconnue émanant de la Pyramide. D’une façon ou d’une autre, la Pyramide concrétisait un signe terminal pour le destin de la Terre. Un signe qui, suivant les circonstances, pouvait se révéler fatal pour la planète ou bien amorcer le début d’une ère nouvelle. Chaque jour confirmait un peu plus à chacun que nous étions maintenant les dépositaires d’un lourd & dangereux héritage : celui des Atlantes. Mais, répondant à l’appel de la Pyramide, des Gardiens sortaient du ventre des montagnes où ils avaient passé leur temps en état de vie suspendue. Ils n’avaient aucune conscience de leur existence passée. Leur seule mémoire était celle de la Pyramide elle-même. Avec une rapidité défiant toute logique, ils s’infiltraient chaque jour un peu plus parmi les humains. Personne n’était en mesure d’endiguer leur action qui, de toute manière, restait totalement hors d’atteinte des capacités intellectuelles de notre civilisation. On pouvait seulement constater leur présence et cela suffisait pour dérégler tous les paramètres de contrôle technologique des gouvernements au pouvoir dans le monde.

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Dans la tempête dansaient les mouettes, plus haut que le vent.

Le soleil filtrait en lisière d’une masse d’ébène céleste. Le ciel était sur l’eau comme un lac de vif-argent. Les voiliers glissaient immobiles. Personne aux alentours, juste la roche blanche & l’herbe noire. Le parfum du printemps était là, très loin dans ma tête. J’étais le mort sans mémoire. Je vivais, tout vivait. J’étais le mort d’amour. J’étais l’assassin & le tué. Au fond de moi, et rien d’autre.

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Elle errait la nuit, armée jusqu’aux dents. De loin elle ne payait pas de mine. Mais de près on avait peur. Quelques reflets inquiétants miroitaient au hasard sur sa personne. Il suffisait de voir pour comprendre. Un fauve se cachait quelque part. D’un seul petit souffle elle pouvait l’appeler instantanément. Personne n’avait envie de vérifier cette possibilité. On n’osait même pas y penser. Personne ne traînait autour d’elle. On allait vite voir ce qui se passait ailleurs pour oublier cette sensation de malaise. Et vite on oubliait.

Elle errait la nuit, armée jusqu’aux dents. Il pouvait bien neiger maintenant.

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Quand il n’y a plus de route on en invente une dans l’instant. On prend la machine à remonter le Temps & l’Espace et l’on démarre direct en 6e Dimension. On refait Mad Max sur un air de Java & Bornéo, avec un os planté dans la tête en guise de paratonnerre. On secoue la torpeur de la peur, on s’émèche dans les ventilateurs coloniaux, on se prend pour Rider Haggard rencontrant son double dans les yeux d’une panthère. On pousse à la roue à coups de machettes vers les Mines de Salomon. On ne voit plus le ciel mais on sait qu’il est toujours là, veillant aux destinées par-delà la jungle.

À grandes rasades d’Eau de Vie on remet sur pieds ceux qui tombent d’inanition. S’agit pas de traîner, faut sortir de là avant la nuit. Ici elle vient d’un coup et ne pardonne pas.

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Nous étions enfin arrivés dans ce village de la dernière chance. Ici, tout était calme. La forêt s’arrêtait en lisière et le soleil illuminait la grand’place. On pouvait enfin respirer tranquille. On nous accueillait aux sons des tambours & des flûtes. Tout le monde était content et paisible. On prenait soin de nous et le chef du village avait ordonné un banquet en notre honneur. Ils étaient heureux de nous voir, nous étions les messagers tant attendus. Nous leur apportions les nouvelles du monde, et elles étaient bonnes. Ils savaient maintenant que leurs pouvoirs n’étaient pas inutiles et que leurs actions participaient à notre action. Ils comprenaient qu’ils n’étaient pas le rebut de l’humanité et que leur vie n’était pas à part de la nôtre. En eux ils avaient gardé l’essentiel, et cet essentiel était indispensable au monde. Leur micro-société était une des clés de la restauration de la planète. Nous n’avions rien de particulier à leur dire et eux non plus. Nous nous rencontrions simplement dans la même compréhension et la même simplicité. Le Ciel était témoin de notre accord. Leur musique, venue de la Nuit des Temps, rejoignait celle qui se tramait dans les Studios de New-York City. Le lieu n’importait pas, en Afrique ou à N.Y. c’était la même histoire : celle de la guerre totale, de la lutte à mort contre la ténèbre qui osait prétendre neutraliser le pouvoir de l’homme. L’affaire était claire entre nous les “civilisés” et eux les “sauvages”. Nous nous battions pour la même cause, le même but, celui du maintien de la vie sur cette planète. Et pour cela il fallait agir vite & bien, c’est à dire la main dans la main, sans distinction de races et de castes. Nous découvrions ensemble que le seul pouvoir capable de contrer la ténèbre était celui de la vie. La vie dans toute son ampleur et sous toutes ses formes. Il n’y avait aucune limite à cela, et c’était ce que nous devions réaliser ensemble.

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J’imaginais une perfection contrôlant la moindre de mes humeurs. Je me saoulais à l’eau pétillante, je fumais des cigarettes égyptiennes en me prenant pour Ramsès lui-même. Je construisais des pyramides dans ma tête, des pyramides de cristal & d’or, des pyramides à fonctions bioniques branchées sur les batteries d’Akasha. J’avançais dans le territoire intérieur du monde neurologique. Les terminaux crépitaient, les circuits irradiaient sur ondes courtes dans les néons pastel du Kirlian System. C’était une lumière douce sur un air de xylophone.

Il n’était plus question de se répandre en paroles oiseuses. On ne parlait plus, on agissait. Nous étions les techniciens de la danse. Le rythme importait peu du moment que le tempo se maintenait. Il n’y avait place pour la moindre idée. L’action était notre seule énergie, inépuisable dans la mesure où l’on n’arrêtait pas. On rejoignait le Passé dans le Présent et tout redevenait vivant.

L’objectif était atteint sans délai. C’était l’Opération Cœur Brisé, mais à rebours. On transmutait en lumière active la puissance de la Lune Noire du Sturm und Drang. On renversait la polarité des luminaires. Le Soleil Noir du faux-jour de Dürer devenait Soleil d’Or dans la Nuit des Mages. L’or, l’encens & la myrrhe étaient dans le Naos du Temple d’Isis. Osiris gisait à 25 m. sous terre. La fonction des deux Clés pontificales était rétablie. Le solve des alchimistes se conjuguait à nouveau avec leur coagula. L’Ank de la royauté pharaonique se multipliait comme des petits pains dans les noyaux cellulaires, tout au long des méridiens de la conscience solaire d’Amon-Ra.

Les servantes s’affairaient, les musiciennes & les danseuses embaumaient l’air de leurs harmonies, et les princesses se payaient une promenade en barque avant l’arrivée des étoiles.

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Le Maître de la Mort ne plaisantait pas avec la vie.

En son Palais, nul n’entrait qu’il n’ait rempli les conditions à lui assignées par le Maître.

L’admission en la salle d’honneur où siégeait le Maître était sous condition exclusive d’avoir rempli le contrat de sa propre vie. Alors seulement le Maître recevait le prétendant à l’immortalité.

La fonction du Maître était d’infuser en son disciple la force de la vie impersonnelle. Il devait être pur comme le diamant, dur comme l’acier, net comme l’eau de source. Alors le Maître lui transmettait Son pouvoir, celui de l’immortalité de la conscience. Il faisait de lui un autre lui-même, il le transformait en guerrier de la mort, en gladiateur de la vie éternelle.

La cause était entendue, la seule condition de survie et de vie était de rester uni à la mort, non pas à l’idée qu’on peut se faire de la mort mais uni à la présence même de la mort, à son pouvoir, à son omnipotence, à sa toute puissance.

La condition était dure mais juste, et c’était la seule.

Le reste suivait naturellement son cours, à condition de rester uni à ce pouvoir incompréhensible. Nulle question ne se posait si la conscience demeurait dans cette présence fulgurante & éclairante. La force de la mort était la force de la vie.

La puissance de la vie était le pouvoir de la mort.

Aucune autre alternative ne pouvait se présenter.

À chaque instant la mort parlait, elle répétait toujours la même chose. Elle disait : « RESTE VIVANT ! ».

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Cette fois le soleil sortait de la purée de pois. Il brillait sur la neige comme l’aurait fait une explosion nucléaire, à la seule différence qu’une explosion est instantanée alors que cette lumière était permanente. C’était une lumière solide, profonde, insondable, un espace de cristaux stellaires qui mangeait l’immensité de l’univers.

Ni dedans ni dehors, la lumière envahissait toutes les dimensions de l’esprit et de l’espace. C’était le monde lui-même qui devenait un seul espace dans tous les espaces possibles.

Cette fois on touchait quelque chose de vraiment insondable, de vraiment incommensurable, de vraiment illimité. C’était le mystère évident de la présence réelle de l’unité de la vie. Cette unité tant cherchée, tant quêtée par tous les mendiants de la vraie soif. Elle était là cette unité, impondérable, incompréhensible, mais tangible absolument. Sans ferveur il n’y avait aucune chance de parvenir à cette manifestation d’au-delà des apparences. Il avait fallu se battre pied à pied durant des millénaires pour traverser les méandres de la non-perception dans laquelle l’humain est plongé lorsqu’il oublie l’essentiel de sa condition qui est aussi l’essentiel de la condition de l’univers. Une seule force maintenait l’homme, une seule force maintenait cet univers dans son orbite.

Cette neige était de connivence avec le soleil pour témoigner que l’univers répondait toujours à la présence de l’homme si celui-ci savait quitter la vision morcelée qu’il s’était stupidement imposée pour on ne sait quelle fin peu honorable.

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Le matin le soleil se levait et je n’avais pas le temps de me rendre compte que je venais de dormir. La nuit je n’avais pas le temps de me rendre compte que le soleil existait, tellement j’étais absorbé par la contemplation de l’inexistence de moi-même. De fait, je ne comprenais plus le temps, et lui ne devait plus me comprendre. Il y avait un divorce, semble-t-il irréparable, entre lui et moi. Je ne différenciais plus les heures entre elles, elles m’étaient toutes égales. Il y avait un grand froid entre moi et le temps. Je n’avais même pas la décence de m’en soucier. Du matin au soir je courais par monts & par vaux sans regarder les vaches. Comme l’Orient-Express je courais à la rencontre du soleil, mais c’était un soleil lointain. C’était celui de l’étendard nippon, Amaterasu la Soleil, celle de l’Orient extrême. La Sainte-Sophia d’Istambul n’était qu’une étape. J’allais vers l’Océan, le seul vrai, dénommé le Pacifique. À force d’y penser, cet Océan était à mes yeux devenu un mythe. Mais à présent je roulais vers lui. J’étais passé du rêve à l’action. Je ne me souciais plus de savoir s’il m’était réellement possible de parvenir un jour à cette immensité qui, à elle seule, couvrait presque la moitié de la planète. À vrai dire je ne me souciais plus de rien. Ma seule occupation était de maintenir ma route dans l’approximation la plus juste possible par rapport à mon cap. C’était la plus étrange navigation que l’on puisse imaginer. C’était en fait carrément non imaginable, pour la bonne raison qu’à chaque instant je perdais la mémoire de l’instant précédent. La seule chose que je ne perdais pas c’était mon cap. De seconde en seconde je vérifiais mes instruments de navigation et seul le sommeil m’enlevait de ce constant contrôle. Dès que j’ouvrais l’œil je refaisais le point à toute vitesse et rectifiais ma dérive. D’un même mouvement j’avançais à la fois en ce monde et hors de ce monde. De fait, je n’étais peut-être ni dans l’un ni dans l’autre. Parfois je pouvais me croire pris entre deux miroirs infinis dont l’un reflétait l’autre à perte de vue. Mais l’absurdité de ma situation me laissait indifférent. Je contrôlais mes appareils de navigation et ne m’occupais de rien d’autre. On serait venu me dire que dans dix secondes j’allais entrer dans la 28e Dimension, je n’en aurais pas pour autant arrêté mon travail de pilotage. La terre pouvait s’ouvrir en deux, les étoiles s’effondrer, le cosmos disparaître, cela me laissait froid. Cet Océan était immuable. Il ne dépendait ni du ciel ni de la terre, il était le Ciel & la Terre. Il était cette surface où reposait la vie, et ma vie était ce voyage vers lui. J’étais si proche de lui en esprit que ce voyage ne me semblait qu’une fantaisie imaginée par Amaterasu pour embellir mon existence. C’était peut-être Elle qui avait imaginé cet Océan, juste pour me faire rêver. Il était clair qu’Amaterasu était derrière cette histoire. Mon rapport avec ce soleil féminin n’était pas évident à mes yeux. Je sentais bien qu’il me fallait encore naviguer longtemps vers l’Océan avant de pouvoir comprendre clairement ce que représentait cette Amaterasu toujours pointée sur l’horizon extrême de l’Orient absolu. Il me suffisait de regarder l’étendard nippon pour comprendre qu’Amaterasu n’était pas le soleil de ce monde. Ce drapeau était le signe de ralliement de tous les exilés de la Terre. Il ne pouvait être que le drapeau d’une patrie non répertoriée sur les cartes de la géographie humaine. Ses couleurs mêmes indiquaient une origine absolument étrangère aux empires des administrateurs de ce monde attaché aux croissance, excroissances et décroissances du temps séculaire. Le blanc sur lequel se détachait la Soleil Amaterasu n’était pas celui d’un ciel terrestre. Quant au rouge de ce disque solaire, ce ne pouvait être que le rouge d’un sang qui n’était pas celui de la vie liée au temps. La seule façon de ne pas m’égarer dans ce voyage vers ce signe immuable était de ne confondre à aucun moment ce soleil d’outremonde avec le soleil de ce monde qui m’avait vu naître mais que je n’avais jamais vu naître. Alors que dans ce voyage c’était bel & bien cet outremonde solaire que je voyais naître à chaque instant dans mon désir même de le rejoindre. La vigilance engendrait la constance de la vision. Cet outremonde était si vaste qu’il englobait cette terre et tous ses habitants. Mais pour cela je devais constamment reprendre le fil de mon temps qui n’était pas celui du monde, car ce fil était un rayon solaire émané tout droit d’Amaterasu en personne. C’était juste une question de vigilance maintenue envers & contre tout dans la permanence de mon désir inextinguible de rejoindre cette extraordinaire présence qui irradiait par-delà toutes les limites possibles & imaginables que le monde temporel pouvait recéler en lui.

Dans ce voyage je ne comptais que sur ma foi qui, au fil des ans, était devenue aussi intraitable que l’acier trempé et aussi indestructible qu’un courant d’air. J’avais appris à ne m’occuper que du terrain sur lequel j’avançais, même si ce terrain devenait parfois invisible. Dans ce cas j’employais toutes les méthodes possibles de pilotage sans visibilité, depuis le radar de nos ancêtres jusqu’au dépistage par tirage du Tarot suivant la technique Tch’an du wu-wei, en passant par le sonar, le rayon laser et le marc de café soufi. À force de pratique et d’erreurs j’étais parvenu à affiner ces différentes méthodes à un point tel que si, par malchance, j’entrais dans une turbulence d’antimatière, je pouvais maintenir mon cap jusqu’à la sortie. C’est ainsi que j’étais passé plusieurs fois dans un Trou Noir et à chaque fois je m’étais arrangé nour ressortir par la Fontaine Blanche qui se trouvait la plus proche de ma ligne. Bien entendu cela n’avait pas été sans mal, mais ces mésaventures m’avaient appris nombre de secrets concernant les “mécaniques de l’invisible”. Ainsi j’en étais arrivé à comprendre qu’il m’était possible, en cas de nécessité, d’entrer et de sortir à volonté de la non-dimension de l’antimatière. C’est, entre autres, pour cette raison que les conditions extérieures de ma navigation ne m’inquiétaient plus outre mesure. Dans une situation critique, il me restait toujours la ressource de décrocher momentanément dans la non-dimension. Mais j’avais appris aussi qu’on ne passait pas impunément dans un Trou Noir. On ne pouvait se permettre souvent cette fantaisie, car après chaque passage on avait beaucoup de mal à rétablir les coordonnées. Chaque fois que j’émergeais d’une Fontaine Blanche je croyais me trouver sur une autoroute à une heure d’affluence. Il ne s’agissait en fait que d’une perturbation momentanée de mes appareils de contrôles, mais cette désagréable impression ne manquait jamais de me troubler et il me fallait toujours un certain temps avant de pouvoir retrouver l’acuité de la vigilance.

Je voyageais à bord d’un symbole vivant, un signe mutable à volonté. L’étendard nippon était ce signe. L’infinité des rayons d’Amaterasu était autant d’heures, de jours, de minutes pour ma navigation transterrestre. Dans cette pérégrination aucune chose ne pouvait prétendre à la permanence, ce n’était que symboles sur symboles, seul le disque rouge d’Amaterasu se maintenait envers & contre tout. À présent je comprenais que si les kamikasés de la guerre du Pacifique avaient eu cette vision symbolique, il n’était pas étonnant qu’ils aient agi comme ils l’avaient fait. On ne pouvait être avec ce symbole d’Amaterasu et en même temps être dans la crainte de la mort. Amaterasu excluait cette crainte de toutes les façons possibles. N’importe où l’on se trouvait, si Amaterasu était présente cette crainte n’existait pas. Amaterasu était cette présence de vie, d’une vie tellement claire et intense qu’il n’y avait place pour rien d’autre.

Il m’arrivait parfois de me retrouver dans une ville parmi les sédentaires. L’effet ne manquait pas de m’étonner. J’avais l’impression d’entrer dans un vieux film comique de Charlot. À ce moment-là je ne pouvais m’empêcher de rire intérieurement. Bien entendu je n’en montrais rien, les autochtones l’auraient mal pris. Le problème, pour eux, était qu’ils s’imaginaient être mortels, ils croyaient que leur vie ne durait que quelques dizaines d’années ! Ils s’étaient représenté leur existence sous un angle tellement étroit qu’il se trouvait à la limite de ce que l’on pourrait appeler un non-angle, une linéarité pure & simple ! Il était aisé de comprendre que dans de telles conditions leur vie n’était qu’une monotone répétition de quelques gestes qu’ils avaient appris une fois pour toutes et ne remettaient jamais en question, pour la bonne raison que la possibilité d’une autre compréhension de la vie ne leur effleurait même pas l’esprit. Leur vie ressemblait absolument aux films de Charlot, c’était à la fois tragique et comique.

Alors je repartais vite sur mes coursiers transterrestres, loin de ces fumées nauséeuses, loin des grincements fantomatiques des charrettes de l’Ankou.

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Le mystère de la musique m’entourait dans sa danse. Rien ne pouvait m’en distraire. J’étais absorbé totalement dans cette enveloppe invisible. Je n’avais d’autres perceptions que cette incessante musique qui prenait tous les aspects possibles & imaginables de la vie. Tantôt rapide, tantôt grave, tantôt déchaînée, cette musique ne se connaissait pas de limite. Elle accompagnait tous les instants de ma vie dans cette danse mystérieuse. Elle m’empêchait de m’endormir dans mes pensées, elle me faisait voir que toute pensée était action et rien qu’action à condition que la pensée reste toujours en contact avec le présent. Le sommeil de la conscience venait du divorce entre la pensée et le présent. À ce moment-là le sommeil arrivait et la conscience se mettait à rêver la vie au lieu de la vivre. Mais la musique en moi me maintenait en permanence dans une attention aiguë et me permettait de ne pas décrocher du présent.

Si la danse de Shiva Nataraja avait un sens c’était bien celui du rythme vital de l’existence. Il ne pouvait pas être question de tergiverser avec Shiva. Il dansait sur le monde et le monde dansait avec Lui. En aucune façon ce ne pouvait être un jeu, c’était ça ou rien. Le pouvoir de Shiva ne s’imposait même pas, il était. Omniprésent, omnipénétrant, omni tout ce qu’on veut, rien n’existait sans Lui, il n’y avait aucune alternative à cette présence. Soit on Le comprenait, soit on ne Le comprenait pas, mais de toute façon Ses actions étaient imparables. Il n’était pas question de discuter le pouvoir de Shiva. Chaque être en ce monde n’était qu’un pantin de ce pouvoir, et ce pouvoir ne se connaissait pas de limite. Rien en ce monde ne l’égalait, rien ne le contrôlait, rien ne le dépassait.

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La lune dans tous ses états me communiquait ses nouvelles. Je suis si seule, disait-elle. Rien ne pouvait la distraire de son rêve de solitude. Du moins elle le croyait. Jusqu’au jour où en pleine nuit, aux infos de zéro heure, elle apprit qu’une énorme comète allait visiter notre système solaire. Cette nouvelle la renversa littéralement. Elle fut tellement bouleversée que, durant 8 jours, nous eûmes le plaisir de pouvoir contempler de nos terrasses son autre face, celle qui normalement restait toujours cachée à nos yeux.

En plein jour la lune était bien pâle dans le bleu de l’infini. Elle se prélassait au soleil comme une bienheureuse. J’avais fini par comprendre que la lune n’aimait pas la nuit. Dans la nuit elle n’aimait que le soleil, et dans le soleil elle n’aimait que la lumière. Il viendrait peut-être un moment où la lune serait tellement imprégnée de lumière qu’elle disparaîtrait dans le ciel et on n’y verrait que du bleu. Il viendrait peut-être un moment où le soleil serait tellement proche de la lune qu’il l’absorberait dans son feu, et ce serait la fin du monde. Tout au moins la fin de notre monde, celui de l’homo dit sapiens. Les mouvements stellaires nous semblaient réguliers uniquement parce que nous n’avions étudié ceux-ci que depuis quelques millénaires. Mais qu’était-ce que quelques millénaires en comparaison de cette infinité spatiale dans laquelle dansaient les galaxies ? Nos astronomes avaient décidé que cette danse galactique était une mécanique céleste régie par des lois physiques intangibles. Mais ce qui réellement était intangible c’était l’esprit borné de ces astronomes. Si le soleil décidait d’aller se balader du côté de la lune, rien ne pourrait l’en empêcher. Jamais nos astronomes n’accepteraient une transgression aussi flagrante des doctrines de leur très sainte physique stellaire. Mais le soleil se moquait éperdument de la physique, quel que puisse être en l’occurence son degré de sainteté.

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Elle n’a plus d’âme, plus de cœur, elle vibre à sa vie dans les bras de la mort. Elle vibre à sa vie et résonne aux échos. Plus rien ne l’impressionne, elle écoute la musique des sphères et suit sa route. Devant elle les portes s’ouvrent toutes seules. Elle avance rapidement sans regarder à côté d’elle. Une seule voix la guide, celle de la vie & de la mort. C’est une seule voix en stéréo, elle ne peut plus entendre rien d’autre. Elle ne voit que sa voie et trace son dessin sur le destin. Elle est l’artiste en action, la voyante en fureur, la combattante sur la brèche, la tueuse à la tâche. Les mains propres et l’arme nette, elle ratisse tout ce qui bouge. Elle respire profond et avance encore, inspecte l’alentour et dégage sa vue. Silence dans les parages. Elle s’étend et regarde une coccinelle. Elle la met sur le dos, lui chatouille un peu le ventre et la remet sur ses pattes.

Dans son sommeil elle me dicte son vouloir, me raconte sa vie, m’apprend sa vision, sa force, sa foi. Dans son sommeil elle me dicte sa magie, sa métamorphose, sa beauté. À l’envers du miroir elle compose sa partition pour tubes de cristal et hautbois d’acier. Elle note de droite à gauche dans le sens du temps d’Alice au pays des reflets. Je la vois sans l’entendre, je la touche sans la voir, je la comprends sans comprendre. Je l’aime sans l’aimer et l’adore sans condition. Sa façon d’aimer est déconcertante, elle ne pense à rien. Mais cette apparence est trompeuse, elle n’est jamais distraite. Elle voit tout, comprend tout et entend tout, juste en elle et nulle part ailleurs. Je m’enchante à la voir ainsi, tellement invisible, tellement effacée de toute attitude qu’elle échappe aux repères des sentiments. Elle me cache tout mais ne se cache pas. Simplement c’est son secret, et de ce fait il reste invisible et inabordable. Elle ne comprend que le langage de l’intelligence des choses, ce qu’on nommait dans l’antique passé le langage des oiseaux, la langue verte des initiés d’amour. Ainsi le secret reste secret et les profanes comprennent autre chose. Elle s’en tient à cette façon d’être, rien ne peut l’écarter de cette ligne. Elle maintient le cap sur l’étoile polaire nuit & jour. Je ne peux plus avoir d’autres pensées que les siennes. Et comme elle ne pense jamais, c’est simple pour moi. Je danse immobile sur son rythme cardiaque, je n’entends que le tintement de ses neurones, je ne comprends que le sifflement de ses veines. À travers elle c’est l’univers entier qu’on peut parfois discerner par temps clair. Mais pour cela, il ne faut pas en rester aux schémas des figures imposées. Il faut improviser une petite musique au diapason de la sienne. Alors on aborde un espace inattendu. Avançant dans cet espace, on découvre l’infinité de l’imagination créatrice de la vie, on entre dans l’illimité des possibles.

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Janvier 1986

 

 

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