JEAN-DANIEL FABRE

 

 

NE TOUCHEZ PAS

À FABRE

 

 

 

 

 

 

Je veux que ce livre inspire l’horreur, comme l’apparition de la magie noire et des pandémies et du LSD, afin de toucher du doigt la conscience avariée du siècle. J’ai poussé les choses à bout, c’est le seul moyen de cerner le mal. Je ne saurais le faire sans grand repentir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la fin de la guerre

 

 

Kyria je vois ton visage bouleversé dans cette ville morte et je suis navré

J’ai trahi

J’ai livré

J’ai perdu

J’ai fait toute la guerre

Et je me demande encore comment je puis survivre au chaos des nations.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

prélude

 

 

De beau je m’habille ce soir

je me sens bon et j’ai envie de me battre

 

L’imagination a perdu le pouvoir

mais avec des amis sûrs je me suis caché derrière le mont MEZENC

 

et j’attends

 

Satan et Dieu

Un seul gredin

Surgissent de leur repère des îles anglo-allemandes

Depuis le début je sais que cet homme-là veut ma mort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le succès des armes

 

 

Figé ou errant, le désir me cerne et me brise

Il m’a chassé de la ville, il m’en rapproche sans cesse

Et me conduit par le détroit de mépris et de douleur

il m’a fixé pour longtemps

C’est un long siège.

 

Celui qui fait toutes ces choses

Celui-là je le prends, je saisis ce qu’il trouble

Et je l’entends dire

Alors la nuit je cherche Kyria

Tout près d’elle je passe en frayage inutiles

Elle enfermée dans cette ville étroite et presque vide

Plantée devant moi comme un Dieu brute

Devant qui je tourne et je rends toutes les saloperies du siège.

 

Nul nom de Dieu

Nul arbre ne me protège

Qu’un amas de pierres concassées

Je rassemble, je force des espèces dérisoires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

prologue

 

 

Je fus dans le préau de l’École Alsacienne

se réunit le grand état-major prussien

À la fin de l’été 1945

Et j’avais imposé à l’ordre du jour le dépistage des simulateurs

Avant même de commencer mon discours

Je fis passer, arraché au cantique de la supérieure de Sainte-Odile

un feuillet traçant la carte de notre inconscient

un arbre à deux branches dépouillé de ses attraits

l’une et l’autre reliant un bordel et une fabrique abandonnée

Réunis de l’autre côté par un œuf maculé de sang

c’est alors que le général Los von Kant pourtant confondu s’est écrié

« Non jamais non je n’ai donné d’ordre de ma vie

et vous le savez que cela m’est impossible

j’ai trop longtemps vécu à Léningrad

pour commettre une chose pareille. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la fin du socialisme

 

 

Non, Dieu n’est pas si méchant que cela

Staline me le disait un jour, et vous pouvez en être sûr

il ne faut pas croire son demi-frère, qui le disait fourbe et cruel

certes il n’était pas un tendre.

Mais l’assassin de Jaurès, lui, était un doux

c’est un geste si menu d’appuyer sur la gâchette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

cantate à staline

 

 

Mon premier est paralytique

Mon second est épileptique

Et je vis dans la hantise du troisième

 

Tant je suis pris par les événements

Que j’attends la venue du socialisme.

Bientôt Spartacus sera fusillé

Fabius Mort

Et Justus se sera suicidé.

 

Troncs démantelés

Hommes ou femmes tirés par des idoles sadiques

La foule perdant son visage

Se plaque contre les murs à leur passage

 

La nuit, quand je ne veux pas dormir

Je demande leur mort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le désir et la contrainte

 

 

Morde m’a dit : il n’y a plus de Bon Dieu, demain on rase gratis.

À ces mots, je bondis dans l’escalier ; quand je fus sur le boulevard,

je m’écriais : salaud de Dieu de salaud de Dieu.

Irrité, je l’étais, et furieux.

 

De l’autre côté, de Borco remontait le boulevard.

Ferme, décidé, courageux, plein d’entrain, il clamait :

il crimine paga, il crimine paga.

Quand je fus vis-à-vis, je lui répondis : e lo pagero molto caro,

les flics le laissaient encore passer.

Ce soir, ou il la baise, ou il la tue, se disaient-ils.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

kyria

 

 

Très aimée et très attendue Kyria

Pour vous j’ai sauvé la fortune de l’Europe

Elle se cache quelque part à Sceaux les chartreux derrière les tombeaux

J’ai trompé la vigilance des lesbiennes anglo-saxonnes qui montent la

Garde à Heligoland pour maintenir le Trésor de Himmler

De nuit et précipitamment

J’ai ramené à Louxor l’Obélisque dépareillé

 

Je suis Chamahot l’obscur

J’étais consul à Alexandrie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

fragment d’une crucifixion

 

 

Alors le Fils de l’Homme poussa un immense cri

Eli, Eli, Lamma sabachtrani !

un si grand cri que la terre toute entière en frémit comme

d’un frisson d’épilepsie,

un si grand cri que le silence infini en écho plaintif à cette plainte répondit :

mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Alors, tous ceux de la terre

les grands et les petits

et la foule à gauche

et la foule à droite

tous ceux-là qui ce matin hurlaient encore « à mort ! à mort !

crucifie-le » insultèrent toujours le Christ.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

chamahaudes doed

 

 

Grimpez les escaliers

Ouvrez la porte

Le premier cadavre à gauche c’est moi et c’est Dieu qui m’a foutu là

Dans ce bordel à franzouzes

 

J’étais parti à Dallas disputer les championnats mondiaux

Toute la ville était tenue par la police chrétienne

Et la John Kennedy Society voulait me déporter avec les Juifs

dans une terre de préférence inhabitée située du côté d’Arkhangelsk

Sous la surveillance de la police internationale des mœurs

 

Salauds d’extrémistes !

L’Ombudsman de Stockholm m’a traqué dans toute sa ville

Il avait disposé sur tous les ponts de l’Artilleriegoatan

les colonnes de ses brigades centrales pour tirer sur moi des balles dum-dum

Ils ne m’ont jamais pardonné d’avoir arraché à la reine de Suède la liste de ses péchés et de l’avoir noyée dans le port de Stockholm.

Ils redoutent le jour et l’heure où je livrerai

l’Europe aux colonels mongols pour la faire crever de plaisir

En attendant les Américains refusent toujours de soigner ma maladie

(c’était une syphilis imméritée dans un bordel de la Nouvelle-Helvétie)

Ce qu’ils veulent, c’est retrouver mon corps pour le percer et le transfigurer de toutes parts

for his salvation and souls immortality, ont-ils dit

et leurs kremlinologues veulent s’emparer de mon cerveau pour retenir ma mémoire fantastique

mais commettant ce crime, ils feraient immédiatement resurgir tous les blindés et les navires engloutis pendant la guerre de 39-45 et les morts gelés qui servaient de poteaux indicateurs sur le front d’Ukraine se mettraient aussitôt à parler

Sachant cela, Staline aussitôt fit masser 300 divisions blindées soviétiques dans le Caucase

Ce qui fit réfléchir longuement l’Amérique

Et vraiment ce jour-là Staline dissipa le malheur.

 

Dieu de dieu mes tempes brûlent toujours

et tous les membres de mon corps craquent comme les vieux ponts

usés par la guerre et par l’indépendance

c’est une doctoresse anglaise qui m’a donné les premiers soins.

 

Vingt ans plus tard les extrémistes du 7e jour sont revenus

ils veulent imprimer sur mon front le tau liquide et la croix gravée sur leurs murs d’acier

les cons, ils ne se figurent pas que je suis le soleil !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

nuit et jour sans sommeil

 

 

Big Black Big Morde m’a dit :

Avec les nègres, avec les Juifs, c’est toujours les mœurs.

Si je le sais, moi qui fus juge arabe à Blois

Avant de devenir l’interprète de Hitler, Staline, Litvinof (Finkestein).

Je vois le jour où la fortune foutut le camp de l’Europe.

Ce jour-là, aux floralies de Leipzig, Hitler et puis ses S.S.

déménagèrent les comtesses Von, les comtes Zu, les sieurs Pour

et les dames Contre, parce qu’ils croyaient encore.

 

C’est ça qui ?

Vous savez Himmler, je suis protestant et je ne mens jamais

Alors rendez-lui la tête de l’Empereur que je lui ai ôtée

Avec les Juifs, c’est toujours les mœurs,

Me répondit Herr Himmler

Nacht und nacht Schlafenlos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le dernier congrès

pangermanique

 

 

Je vis Goebbels effondré ne sachant même plus où il en était

Me demander s’il se pouvait être

Que Dieu soit méchant

« Comment, lui dis-je,

Un homme de votre culture

Vous l’ignoreriez ? »

Épuisé par la conversation

Je suis allé me branler

Dans le potager de Gœring.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la chute

du troisième reich

 

 

Je vis les rescapés de la grande partouze qui précéda la chute du Bunker

Ricaner sur le pont du dernier bateau de la Kriegsmarine

Avant de pénétrer dans les bordels sous-marins d’Amsterdam

 

Salauds de boches !

Avec leur Théologie allemande

Ils vont nous foutre dans la merde pour mille ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

cantate

 

 

À la fin du siècle dernier, je sortis de l’abîme où je dormais

à plat-ventre, tout près des morts.

Maintenu par le dieu Bon

à la fin j’entrevis sa ruine m’illuminant comme un dément

sa fortune

Comme il n’y a plus de Bon Dieu

il n’y a plus de bousbirs

et il n’y a plus rien

Maintenant, si vous l’avez voulu : voici la guerre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la fin du gaullisme

 

 

Je vis le maréchal de Gaulle dans son refuge

à Madagascar

et tout près de lui et non loin de chefs-d’œuvre en péril

Malraux très anxieux

« Jeune homme respectez donc le XVIIIe siècle sumérien et aussi le XXe qui va bientôt finir »

De Gaulle me dit : « Si j’ai conduit la France à son lit de mort, c’est que depuis Munich je ne comptais plus ses trahisons »

Madame de Gaulle, pour le distraire, tenait un bureau de censure

Elle ne comprenait absolument rien à toutes les cochonneries

qui pouvaient se dire

mais elle les lisait pour voir ce que cela dégage

D’interminables querelles opposaient son mari aux juifs malgaches

Avant que je ne parte

Malraux me dit

« Si j’ai agi ainsi

C’est que j’aime à la passion les religions de beaux vieillards ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

complainte

d’un vieux missionnaire

 

 

J’assistais à la dernière rencontre des intellectuels juifs et des banquiers allemands

Fallait-il maintenir la soumission de la femme pour sauvegarder la civilisation ?

Vingt ans plus tard devant le parlement britannique

Je l’ai dénoncée comme l’être suprême de trahison

C’est à cause d’elle que nous perdons nos colonies

et j’entends encore les vieux coloniaux qui me le disent

Tandis que l’homme se crève la peau à ouvrir des routes et bâtir des hôpitaux, la femme s’en va à la maison rosser les nègres

Nous sommes trahis de toutes parts

La femme refuse la soumission.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

homo faber

 

 

Salauds de Fabre et fumiers d’intellectuels, ils vivent parmi les vipères lubriques et les rats visqueux

Ils détiendraient un sérum de vérité

Toute leur poésie est une infection

Ils savent tout et le principe de plaisir ils le connaissent

Mais Staline a dit « ne touchez pas à Fabre » et Staline était un grand homme.

 

Leurs épouses sont anglaises

et quatre de leurs beaux-parents sont juifs

eux-mêmes, il sont pro-juifs

Financiers sans scrupules, ils financent la prospérité française

et sans eux Nasser ne pourrait vendre son coton

Mais Staline a dit « ne touchez pas à Fabre » et Staline était un grand homme.

Conseillers secrets de l’assassin de Jaurès

et confesseurs des criminels de guerre

Ils en connaissent tout le déclenchement

Aussi le jour où Staline a dit « ne touchez pas à Fabre »

j’ai voulu sortir le couteau à la main.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

morde entre au crazy

horse saloon

 

 

Quand Morde entra au Crazy Horse Saloon

Tous les hommes se levèrent en l’acclamant

« The King ! The King ! The King ! »

Puis il entra dans la loge de Rita von Tannenbaüm

En criant

« Schultz ! Pour toi je viens de trahir ma patrie. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

élégie

 

 

Où sont ces maisons maternelles et ouatées

ces redoutables demeures où règnent la liberté et la douceur des mœurs ?

Les soldats, les marins, les mendiants les ont-ils emportées ?

Traînant avec eux, et l’or et les cordes et les armes volées

ils s’en vont vers des lieux et des mots arrimés qui les appellent et les confondent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la nouvelle libération

 

 

Je vous dis la Franche Vérité

Les blindés sont partout

Camouflés

C’est leur coutume

à Arras (à proximité de Calais) et cela Guy Mollet le sait

à Rambouillet

Les artilleurs, les docteurs, les imposteurs sont partout

Garde à vous !

Ne vous laissez pas faire

Sinon les martiens viendront pour vous réduire en esclavage

et s’ils le consentent

ils voudront bien vous civiliser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

centurie

 

 

À proximité du désert

Et non loin d’une usine de confiture installée pour faire disparaître

les relents de nazisme

une délégation soviétique est survenue pour me voir

Elle savait que la négociation serait longue et délicate

(J’ai autrefois saboté le baptême du petit Staline)

Surtout, m’a-t-elle supplié, ne faites pas de peine aux protestants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

dernier avertissement

 

 

Surtout ne touchez pas à Fabre

Staline le répétait sans cesse

 

Car derrière Fabre, la Provokationpolizei

et la police montée même avec ses chiens de fusils et ses chiens de bouchers

 

ne pourra jamais rien contre lui.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la vie fabuleuse

de frantz degunius

 

 

À la fin Frantz-Julius était las d’écrire dans les feuilles hostiles à la classe ouvrière

Il ne s’y reconnaissait plus

Que fallait-il à difficile un L ou deux L

deux ou trois M à nommément ?

Il feuilletait avec félicité un dictionnaire

Bientôt il aurait cent mille yeux pour voir

 

Comment cela lui était-il venu ?

d’abord il fixait des mots, créait des phrases

Prenait des attitudes à la manière dont son père autrefois s’apprêtait

à suivre les ruelles secrètes et feutrées

Muni du doux langage il cingla vers les îles fortunées

l’on se souvenait encore de l’esclavage

 

Chez lui le vice lui procurait l’oisiveté

On le disait Juif mais il était gitan

Il était de fait sans patrie, donc sans tradition, donc sans morale, donc sans principe, donc sans scrupule

Il vivait dans une ataraxie complexe

Il passait souvent voir les médecins

Quand vous vous branlez Docteur, demandait-il

vous vous branlez doucement ou rapidement ?

Ô très rapidement, répondaient invariablement les docteurs.

À ma quatorzième syphilis je me répandis dans le monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

l’assassinat de monsieur

valery giscard d’estaing

dans les chiottes de sciences-po

 

 

Les flics m’ont arrêté

Ils m’ont foutu à poil

Ils ont vu que j’étais français

Ils me laissèrent descendre les Champs-Élysées comme je voulais

Ils me confièrent par la suite le soin d’assassiner Monsieur Valery Giscard

d’Estaing dans les chiottes de Sciences-Po.

Paris en était devenu d’une telle puanteur

Que les Ouolofs, attirés par les odeurs,

Venaient par rames entières se masturber dans le métro

À la grande fureur des curés et des belles-mères

Qui vociféraient dans les couloirs du métropolitain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

notre retour en europe

 

 

Revenus en Europe

fuyant l’Amérique et ses négro-analystes

nous formions un couple étrange

fuyant les blancs et la face noire des choses

nous pensions trop de la liberté

 

Par l’Europe en flammes, nous pensions atteindre le désordre et le génie

des grandes cliniques suisses

Mais nous fûmes retardés par dix mille tankistes soviétiques

se profilant partout comme des ombres

à la fin nous fûmes cernés dans le saillant de Koursk

 

Alors la magicienne aux cheveux de lin

qui défait la colère des panthères noires différente

à cent mètres de cette foule dure et hostile me dit

« Laisse Morde, laisse, je ne t’aurais fait que du mal ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

segretissimo

 

 

Sentez-vous menacé de mort

Si vous voulez comprendre ce récit

 

Par un stratagème des occidentaux je fus arraché des monts de la Margeride

et transféré de la zone 5 en zone 6

Mais parce que je suis borgne, ils m’ont traité comme un salaud

Moi le dernier chercheur et le dernier agent secret

Et les plus féroces d’entre tous furent les Français

Furieux et jaloux d’une logique qui leur a échappé.

 

Et pourtant en moi tout le pays avait confiance

Dames, Évêques, Préfet, Général, tout le monde me traitait sur le pied de la plus complète égalité

Avec moi, on déposait tout souci, malgré les ravins et les éboulis que produit le moindre orage

tant je connaissais ce pays où je m’étais attardé.

À Budapest dans la nuit de la première guerre mondiale

(Monsieur Kalle de Bieberich me l’avait depuis longtemps déclarée imminente)

 

Nous n’étions pas loin de l’hôtel Ungaria

toutes les frontières étaient bloquées

Une jeune femme

Envoyée par la famille royale de Madagascar

me dit « Morde revêtez le manteau de zibeline

vous avez une âme à sauver »

et puis elle disparut

plus tard, je devais retrouver sa trace grâce à un porte-feuille

volé à la libération que j’ai toujours gardé par devers moi

 

*

*      *

 

C’est un soir que Dzorg est venu

Il me pria de le conduire :

— « Je suis le fils d’un président de la République assassiné

la réalité est un devoir d’État » —

S’ils me poursuivent, c’est parce que je connais pardessus tout les graves menaces qui pèsent sur le monde

Sous le poids de l’Humanité la croûte terrestre va s’effondrer

L’Assistance Sociale, la lutte contre la délinquance, l’Hygiène, le modernisme et le dynamisme général

Font encourir un sérieux danger aux activités traditionnelles qui s’occupent de ce qui ne va pas.

Police, maintien de l’ordre, Justice, avocats, avec leurs journaux tout préoccupés de scandales et de faits divers

Et le clergé qui avec ses liqueurs empoisonne le monde

Informés de mon projet les Américains et les Russes

M’ont offert un pont d’or

Le Vatican était dans une détresse profonde

Le Pape était au bord du suicide

L’ambassadeur de Pologne me fit mander dans son ambassade

Je le vis allongé sur son bureau un cigare à la main

et de l’autre dans le vide un verre de cognac

vous êtes fou si l’Europe songe au bonheur absolu

Elle se mettra à dos les flics, les médecins et le clergé

Ce sera une faillite sociale retentissante si le bien absolu triomphe

Prenez garde ! les seigneurs de la religion engagée, de la religion enragée et de la prétendue réformée ont contre vous

Le Dieu des armées va écraser vos barricades

Et songez donc qu’il faudra procéder au reclassement des parlementaires blackboulés par le suffrage universel

Puis se dressant sur son Séant, il me dit

« Jeune homme mieux vaut la fornication que la procréation

Trop de Chinois, Hindous, d’Américains vont faire craquer le monde »

Je lui dis que sur ce point j’étais d’accord et que j’étais sur le point de trouver un sérum d’immortalité que je tenais à la disposition de ceux auprès de qui il fait bon vivre

 

Je commis l’erreur d’en parler au docteur Lecalacan

Tout préoccupé du principe de plaisir qui me dénonça

Et dans la nuit du 19 au 20 octobre 1939 où l’on fusilla

Trente mille intellectuels

Parce qu’ils refusaient obstinément de travailler

Je me suis enfui de Paris

 

*

*      *

 

Morde conduisez-moi en Afrique

Je ne puis rester ici

Tous les maires de France et de l’Almandois m’ont poursuivi

Une étrangère est votre ennemie

M’ont-ils dit les salauds et les calomniateurs

Et ils m’ont prié de déguerpir

Il ne me reste plus qu’une chance

Kyria est en Afrique

C’est elle qui du haut de l’escalier métallique de la faculté de pathologie

En se détachant d’un groupe d’amis me dit

Dzorg c’est vous qui avez raison

 

*

*      *

 

Or moi Morde

Je connais l’Afrique

Tout part au galop

Les mœurs y deviennent si libres

que j’ai même vu un colonel

pourtant le père du régiment

se branler devant ses tirailleurs sénégalais

Il faut surveiller sa femme

tout comme sur un bateau

J’ai connu la maîtresse belge du dernier gouverneur du Congo

Gabrielle Matata

qui disait à son amant (un bâtard de Kropotkine)

« Sois un peu plus Romanov »

Messante Gabrielle, disaient d’elle les noirs

Depuis ils sont devenus un peuple-mélangé de

brutes et de neurasthéniques

 

*

*      *

 

J’avais dû fuir la France

Et partir de Bordeaux

Pour avoir fait l’amour avec la fille de l’Ambassadeur de l’Allemagne de l’Est (c’était à l’époque un pays neutre)

Les vieux flics bismarkiens qui n’avaient pas été admis au siège de Paris

N’avaient pas non plus admis la chose

Ces vieux salauds me rattrapèrent près de Château-trompette

On a compris vous êtes communiste

Nous avons découvert votre correspondance à Louvain

Les salauds ils me parlaient de la correspondance

de la Kaiserin et de la tsarine sur mon propre compte

Des échos j’en avais eus dans une ville d’eau passablement délabrée

Là des ombres dégénérées circulaient, des groupes

se décomposaient avec la plus grande facilité

qu’importe !

Cela me permit de connaître le plus formidable

Réseau d’évasion

Et Dieu sait si l’Europe en est remplie

« De qui se moque-t-on et qui veut-on tromper leur dis-je

Je connais vos rêves

Et cette tête d’empereur que vous avez laissé flotter ! »

Ils blêmirent

Mais le maire de Bordeaux trouva cette histoire

Sombre et mauvaise

Elle l’atteignait dans tout ce qui le touchait le plus

Vendre son vin aux Anglais toute la guerre de Cent Ans durant

Je dus quitter l’Europe

Cette terre où tout se termine par des brouilles, des querelles et des suicides retentissants

 

*

*      *

 

Un jour en Afrique

J’ai voulu construire un pont métallique

Plus magnifique que la machine fantastique de Leczin en Tchécoslovaquie

Je fis même venir un ingénieur allemand (nul ne peut mieux faire qu’eux)

Mais qui peut détourner les fleuves et entamer les forêts africaines ?

Rien à faire

J’avais montré aux noirs que le pont n’était pas droit

Je leur avais montré mon fil à plomb

C’est votre fil à plomb qui n’est pas droit

m’ont-ils répondu

Avec le plus grand aplomb

Et ils se marraient

Le lendemain le cours de la rivière était dévié

Ma femme était partie

La faute de tout cela en revient au Père André

Qui chaque nuit apparaissait

Et Kyria devenait de plus en plus effrayée

Elle refusait toute consolation

Satané Père André

Qui souriait d’une manière bienveillante et faisait saillir

Ses muscles temporaux

Il ignorait tout de cela

Je le revis calciné dans son oratoire

J’étais moi-même dans la merde la plus complète

Toutes les pires maladies de l’Inde me guettaient

serait-ce le choléra ?

J’allais voir l’ambassadrice d’Angleterre

Elle avait toutes les peines du monde à se maintenir propre

Dans son pays de misère

« Buvez du thé avec du bacon »

Comme les demoiselles missionnaires

Salauds d’Anglais !

 

*

*      *

 

Il ne me restait plus qu’à rentrer en France

Tout le stupre de la sérénissime République de Venise

Cette ville d’ambassadeurs et d’anges querelleurs

Qui m’a laissé ma blessure ouverte et profonde ne m’inspire pas

Ce mépris et cette haine que j’ai pour Bordeaux

Cette ville de toutes les capitulations

Il a fallu que j’y retourne

Revenu de toutes les fièvres, de toutes les femmes et de toutes les trahisons

Je passais des journées d’attente à lire une vie de Jésus-Christ

Sans cesse recherché par un Jésuite italien qui voulait à tout prix

me soustraire les plans de la marine de guerre et de son port à Toulon

Jusqu’au jour où je fus reçu par le préfet maritime

Je tiens à vous mettre en garde me dit-il

Toutes les femmes de France exigent votre expulsion

Avec autant de vigueur la mort du maréchal Pétain

Je pus quand même prendre mes inscriptions à la faculté de pathologie

Pour moi qui étais las de toutes les tétanies, des philies et des phobies

Je pourrais goûter enfin à cette science humaine

qu’on appelle le crime

 

*

*      *

 

On ne savait pas quoi en foutre

De la santé, à Sarcelles à Nanterre enfin à Rungis

Chaque année on la déplaçait

Tout de suite j’ai compris

C’était le bien commun qui nous cerne

par crainte d’être berné

Mais Dieu est bon

Profitons-en !

Je l’ai appris par la connaissance du professeur Barth

Un aliéniste de la belle époque

Il n’était pas un mauvais bougre

Mais pétri d’anthropologie suisse allemande

Un jour

il s’en alla consulter le docteur de la cambière neuro-calcigraphe

un incapable notaire

Celui-ci épouvanté lui répondit au travers de la porte

que ce n’était pas sur la verge mais dans la tête qu’il avait des points noirs

J’appris leur mort commune dans un bistrot du boulevard de l’Hospital

Où les agents d’amphithéâtre discutaient de la meilleure manière de disséquer les cadavres

Je compris alors combien le peuple français était logicien jusqu’à la mort

 

*

*      *

 

J’étais juché sur l’escalier métallique de la faculté de Pathologie

Lorsque je pressentis quelque chose d’affreux

C’était vrai

Un coup de téléphone du gouverneur du Blesois m’avertit — la mort de Dozrgloz

Le suicide quand ça vient, ça vient vite

et Dzorgloz fait toutes les choses

Dans ces moments-là, il n’y a plus ni de qui ni de quoi ni de comment qui se posent

Il ne reste plus qu’une face éclatée à reconnaître

Et Dieu

Seul qui sait ce qui rend un homme vulnérable

Dzorg gisait dans la forêt de Sologne

Le pays de mauvais sort où nul ne sait d’où viennent les coups

Je vis son corps abandonné rempli d’éprouvettes

Nuit atroce

Hitler et sa bande de Jeunes crapules bombardaient Londres sans pitié

Son corps croissait et multipliait la touffeur de la forêt

Comme à la veille d’une offensive vietcong

Mais en Afrique j’ai perdu la notion du mort et du vif

Je reconnus sa maladie

C’était le vomito négro

la maladie qui terrasse les papes actuels

quand surgissent des scènes de mœurs

Qui se passent à Rome

Et dans le monde entier —

Je retenais mon souffle

et chaque mot et chaque phrase

qui agitaient de terreur cette âme et ce corps

Tout autour prenait l’odeur des champignons et des plantes vénéneuses.

 

Écoute-moi Morde

Je sais que je suis mourant

Puisque ce que je vais dire ne convaincra plus personne

Pas même la femme que j’aime

« La littérature est la Science des ratés » —

Ici retenez votre souffle vous qui n’avez pas connu la fin de la guerre

Les confidences sont le miel de l’inspiration

 

Je reviens d’Afrique

J’y ai vu l’Assemblée des mauvais hommes et des dieux sous l’égide du Pape

l’horreur du mal m’a rendu fou

Dans quel état sommes-nous ? Morde en quel état ?

J’aime la nuit Dzorg et la nuit m’inspire

Mes yeux prennent des lueurs et la haine jaillit sans bavure

Durant les années sombres

Je suis parti

À Stockholm je me suis entretenu de la conduite de la guerre avec les chauffeurs de la locomotive qui venait du nord

Ils m’ont conduit à la grande maison de plaisir et de repos

Tenue par quatre-vingts bagnards et quatre-vingts filles de Joie

Là j’ai appris à connaître tous les feuillages qui écartent les serpents les plus dangereux

Et les fleurs odorantes qui chassent les maladies

Connaissant tout cela j’aurais pu fonder un empire calme et religieux à Toulouse

Parce qu’il y a là une fille que j’aime bien

 

*

*      *

 

Mais les poulets-témoins sont venus

ils ont clamé : les forces spirituelles doivent dominer le monde

Les femmes se tordaient de douleur

Les hommes étaient à fleur de peau

Devenu subitement fou, un officier prussien passait dans les

Couloirs en criant « Franc-tireur, Franc-tireur ! »

Et un officier français me demanda si la France n’avait pas trahi —

Sur ce point j’ai pu le rassurer

Il y avait encore quelques blancs venu toucher leurs allocations-maladies

Une femme vieillie, accroupie au bord du Lion de Belfort

buvant une tasse de café dans un bol sale chantait une mélopée

Je vis alors autour du bordel défoncé un petit gnome

Qui courait en marmonnant :

Grou, grou...

Et je suis parti

Depuis ma traversée de la Sologne je ne puis plus

entendre ne serait-ce qu’un cri de joie sans frémir

Il me semble entendre l’humanité blessée dans son amour

 

*

*      *

 

Maintenant les poulets-démons m’ont rejoint

Je vais être traduit devant le dix-septième congrès panslave

S’il me relâche je retournerai sur la terre d’Arnim

Là où les hommes peuvent aimer les femmes et leurs enfants et vivre sous le soleil sans frémir

Afin de ne pas oublier le temps qui passe

 

FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

un coup de téléphone

de staline

 

 

C’était dans une salle de tenue sombre

retenue par vingt-quatre colonels félons

J’attendais un coup de téléphone de Staline

qui pouvait me couper l’inspiration

 

Kyria me dit « Morde il faut monter »

Staline était écrasé par un énorme dossier qui visiblement

l’emmerdait

« La mensuration des crânes des races humaines en voie de disparition »

Pourquoi avait-il fait appel à moi et non point à la fille d’André Malraux ?

Il était abattu comme s’il venait d’apprendre

Que sa fille voulait épouser un commerçant

De sa voix fluette de séminariste il me dit, Fabre les élections ça vous intéresse !

Toute présence fiscale constitue une maculation, lui répondis-je !

À des exilés tchèques

je confiais mon angoisse

Staline est un homme de Dieu, m’ont-ils dit

Il a rétabli la famille et la religion pour ses nids de mitrailleuse

Et ne vous reste d’autre issue que l’alcool, la drogue et les femmes

Non, leur dis-je

L’Afrique son œil bleu c’est le lac Tanganika

Si votre frère part pour un long voyage

Prenez un masque et dansez toute la nuit

vous dissiperez votre chagrin

 

Il téléphonait toujours

oui

oui

oui

d’accord

 

c’est dans la vie qu’il faut trouver la manière de faire comme si les choses étaient ainsi

et c’est ainsi qu’il faut faire avec Staline, le Dieu qui trompe

et l’inconscient trompeur car

Staline comme Bonaparte s’en tirera par la littérature

Mais peut-on questionner Staline

comme Dieu

la Bêtise

ou même le suffrage universel ?

 

Quel droit avez-vous à la parole ?

me dirent les docteurs

Monsieur

vous n’avez rien

rien

absolument rien

 

et Kyria me dit

Ne reviens pas là-dessus

c’est irréparable

 

La nuit approche

Hitler revient avec ses bombardiers

autour de moi la mitraille fait

zim

zim

zim

Alors Staline me dit de sa voix suave :

Interroge ces jeunes femmes qui me donnent leurs lèvres sans frémir

 

Ordure de Dieu

et saloperie de moi-même !

Que celui qui me parle

ne cherche point à me convertir

il finira comme naguère ce général S.S.

dans un château d’Île-de-France

je mis le feu

Vous êtes dans le château

me dit doucement Kyria

 

c’est vrai je suis en Île-de-France

au temps de la douceur de vivre

empoisonné à l’âge de trente-six ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

dernier mot

 

 

Et Kerenski me dit

Fabre ce n’est pas drôle d’être perdant

Je le vis dans sa propre face

 

 

 

 

 

 

 

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