DIDIER MANYACH

 

MIGRATION

PIRATERIE

ET MERVEILLE DE GRÂCE

 

 

 

1

 

Se souvenir : d’une certaine lumière captive, captée dans les contreforts de glace, de la soif étanchée, du monde qui s’élimine par le dedans en produisant du langage, de la conscience écarquillée face aux pôles de l’invisible, de l’os des migrations futures, dans tous les règnes, de la caverne aux cercles enlacés et des sentiers déroulés dans la splendeur...

 

Se souvenir : du refuge, de l’usure, des sandales et de la paille, de la solitude, de l’univers dérivant, d’un cri de terreur dans la gorge, aux phrases noyées, de la souffrance physique de l’exil.

 

Absence de raisons de vivre, prolifération des signaux pour remplir le vide, plutôt que de l’occuper, s’y appuyer. De plus en plus de mots, paquets de veines, pourrissent en haute-mer...

Ne demeure que l’énigme de l’itinéraire et l’ensemencement de la parole illusoire.

 

Là-bas il n’y a que la poussière, le vent et le hasard.

 

Se souvenir : de tout et de rien, de la vertigineuse intensité du torrent dévalant, progressant dans mon corps, de la violence du néant comme une explosion sans fin. Pour manger : le couteau et la gamelle !

Mais je n’arrive pas à dépecer le démon, ce mouton mort dans l’abreuvoir dont la tête penche contre moi avec tout le sang de l’écriture.

 

... Et voici dès l’aube celui qui pointe son fusil :

– « qu’as-tu fait, chien, et qui es-tu ? »

– « Rien qu’un sac de gémissements, aurais-je pu lui répondre, venu écouter les derniers tremblements de la terre... »

 

Mais où est le monde : le sens de mon séjour chez les morts, les bêtes abattues, les pas dans le souterrain et la nourriture à trouver...

 

Plus d’arbre pour retenir l’incendie, plus de lieu où vivre...

 

Je retrouve le sang de la roue, les émondes du langage, le regard des cellules, la forme encore constellée du cerveau et dans une crevasse le sens de toutes ces migrations, lovées dans le puits des espèces.

 

Migrations sans fin des neurones et des mots.

 

Battements sourds à l’intérieur

comme des serpents devenus ivres

appels entendus au fond de la matière.

 

Fuir : le temps, les signes, l’insupportable partout, une douleur derrière l’ombre qui danse et le miroir brisé où glissent les fragments d’un corps.

 

La neige du vide

la pluie des morts

l’errance

les bordures continentales arrachées

digues rompues

fleuves et mers

que les âges accumulés libèrent

chairs et mémoires ouvertes

migrations et pirateries.

 

Actes de mimétisme à travers l’évolution, ordres magnétiques, bouleversements biologiques et la cruauté, la plaie vive.

 

Je vois ces hordes, ces groupes, ces clans dans les fissures comme autrefois les rennes suicidés dans la Baltique.

Puis une conscience qui vomit.

 

Appel de tout l’être pour échapper aux massacres, physiques et psychiques, fonder de nouveaux territoires intérieurs dans un espace où faim et souffrance ne seront plus.

Tout cela vaincu, impossible ne laissant place qu’à la fuite, aux sauvageries de la destruction, au chaos du pacte social, volé en éclats.

 

Avec dans l’entre-deux

une rumeur barbare, entre vie et mort

abandonnant aux termites

deux faces qui se retournent entre les tempes.

 

Énergie sacrifiée, ôtée, remplacée par des images, artefacts, glu de concepts, guerres économiques.

 

S’engouffrer à l’insu de l’histoire, pour voir...

 

Et j’ai vu des semences déchirées, des cassures génétiques, l’épuisement nerveux, l’asphyxie d’un monde, des glissements de terrain, un fourmillement de flux et reflux déréglés, déglingués au sein de l’unique.

 

Ici commence la folie des premières migrations déclenchées par des événements climatiques, biologiques, politiques. Au hasard, entre lune et soleil : déplacements, entropie, nulle-part où aller, répercutions dans le corps, échanges chimiques, virus, scories de pensées mortes, rendues microscopiques, lézardées, étoiles naines.

 

Longer les dunes, les murailles, observer les mutations atmosphériques, l’atlas du chaos, l’œil qui vibre dans la statue, les craquements dans le masque, les sifflements dans la langue, l’annonce d’un arrêt cardiaque, le souffle des failles, les dérives contraires...

 

Blanchissement progressif de la pensée

comme une vrille dans la dent de l’âme.

 

Déforestation mentale. Un instinct de survie

dans l’univers proche de la violence pure...

 

Ainsi

me suis-je mis en marche

combat perdu d’avance

mais qui exalte

épuise.

 

Tout ce qu’il faut recréer à présent :

la vie du langage, la vie qui ne reviendra peut-être plus jamais

avec la terreur, la fatigue

l’échec

plaqué contre la paroi

lâchant la main amie, acceptant l’oubli

la fin, le gâchis

avec ces pierres qui chutent

seul mais parmi les seuls...

avec le froid, l’écho

se jeter dans le vide, remonter, descendre

se taire ou hurler pour toujours...

 

 

 

2

 

Certaines pluies me font penser à la saveur et à la mort.

 

Deviner derrière chaque geste, chaque rue le microcosme des migrations, une dérive des éléments, du sang, lentement rejetés, étouffant corps et pensées.

 

Comme en transparence m’apparaissent ces phénomènes liés aux évolutions, pressions atmosphériques, géographiques.

 

Le temps s’effrite comme la parole brisée dans le miroir des représentations : rêves et chemins remontent à la surface avec le rouge des braises englouties.

 

Disperser les mots comme mes cendres à venir.

 

Penser aux fuites collectives, à l’exode, aux fissures, au basculement des lignes, des axes et méridiens, au dérèglement des comportements humains, au déplacement, à la fin des états.

 

Jusqu’au bout de la nuit mentale

jusqu’à la germination du sens caché

un fossile, une procession, une clameur

et dans tout l’être une vibration

un éveil, pour la pensée

la naissance d’un enfant

avec une précipitation.

Aller au plus vite

voir les veines, les fluides

les amas globulaires

les luminescences organiques

les appels de la matière.

 

Voir le pacte social pourrir lentement.

Place à la violence, au désarroi, à la misère, à la barbarie.

 

Rouilles

ornières, friches

dépérissement

actes de pirateries.

 

Les mots ne sont plus que cette chair

qui opacifie l’angle de la vision : un

œil recouvert d’images barbelées.

Mais le corps s’acharne.

 

Cravacher plus encore

et descendre par paliers successifs

jusqu’à l’envers des tempes

dans le fourneau

où brûle sans fin

l’os blanc d’une Lampe.

 

L’air de la vie toujours plus rare

le champ miné des possibles.

Quelle horreur à la fin !

 

Pendant ce temps

seul dans l’étable

sous l’ampoule couverte de mouches

l’écriture me regarde...

 

 

 

 

3

 

Opaque forlance la douleur. Il tient serré dans sa main le visage de la mort. Opaque déambule en terre étrangère. Halluciné sous l’orage il regarde le sang des nuages, il écoute la substance qui se fracasse.

 

Lentes reptations dans les bas-fonds de l’être. Se jeter dans le monde, dans les eaux torrentielles. Les songes irradient le mental. Formations cristallines dans les cellules.

 

Errance continuelle nuit et jour dans la terre boueuse du mal-vivre. Solitude jusqu’à l’os, à travers les rues et dans le cerveau. La pensée se vide. La conscience a faim et dévore l’urgence. Abjecte continuité dans le rien, le néant, l’absence...

 

Enseveli dans les fissures. Dans un corps qui bat et mourra pour rien. Allongé face à la source tarie.

 

Chaque heure : une lutte et une perte. Même l’émotion s’est déchiquetée dans cette chambre froide. Nulle consolation.

 

L’être vivant est en exil. Il marche dans un feu noir.

Entends-tu les pierres qui raclent le fond de l’oubli ?

 

Bouches inondées au niveau du sol. Saignement oculaire : plus d’images, de mots. Qu’une éternelle nuit et la lampe d’un homme sur les chemins...

 

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Voiles blanches : mer de jonquilles, robe d’une sainte.

La lumière gravit les haubans.

 

Je vois une cascade. Est-ce un cheval ?

 

Je m’endors dans mon habit de lumière, au fond d’une malle, avec une lampe acétylène.

 

Je suis l’enfant du soleil, tournesol, tourne-seul, hélianthes, mauvais sort ! Je suis l’enfant des dunes et de la mer, l’enfant des paniers et de la pénombre, face de poulailler, fumant des lianes, racaille et souple.

 

 

 

Couvert de ciel et de ferraille...

 

On a peur parfois que la langue se retourne, qu’elle montre son vide couronné de dents. La nuit scintille dans le creux de ma bouche. J’avance en rampant dans le fleuve, vers la voûte étoilée...On voudrait crier pour avoir une chair, du sang...

 

Le silence des écrits perdus. L’indifférence des paroles englouties, la vie gâchée. Du sable dans le cœur.

 

L’agonie des générations, l’agora des défunts. Le film est détruit, les bandes sont effacées.

 

Achève l’ancienne forme et des cendres minéralise le noyau, imputrescible, ovale et blanc, comme une nuit d’hiver.

 

J’ai rêvé d’exode, des hordes. Quitter le territoire, la mort, l’ennui, le malheur...

 

Suivre un glissement de terrain, la pénombre anonyme.

Quelque chose nous a remplacé : voici l’air, le vent, l’eau...

 

Dans le fleuve : un paquet de serpents, de veines sectionnées. Sortir des images...

 

Les alignements sont pleins de viande.

 

Disparaître dans la nuit. Résister.

Le sang étouffe.

L’extérieur se clôt.

 

... Un peu couché de travers, parmi les poules, les outils rouillés, le purin, dehors depuis trois mois... J’aurais dû l’enterrer dans les labours ! Capte t’il les énergies ? Totem à la lisière, les grandes bannières de ses cheveux claquent contre le mur de la grange : épouvantail aux yeux blancs, au bord de la ville...

 

Ombre nomade. Le soleil s’enroule dans les branches des glaciers. Les trains m’emportent...

Coup de fusil dans le silence, gants de cuir sur le pare-brise en miettes, un phare encerclant l’âme, la folie soufflait sous la peau : derrière le visible, un cygne affolé, ailes détruites...

 

J’ai dû marcher longtemps, suivre l’empreinte de mes pas clouée à toutes les portes...

 

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Voûte du ciel transpercée par une lance. Plaie ouverte sur la terre. Reflets du sang dans la bouche d’ombre. Vitres brisées sur les pierres. Poussière d’or sur les membres écorchés, dans un tombeau bleuâtre. Chevelure d’amante au fond de la conque. Bête blessée sous l’armure de feuillage. Les cordages brûlent dans mes gestes.

 

Deviens un guerrier ! La source qui appelle, au fond du carnage, du dénuement : la Vie. Lui répondre Oui.

 

Jeter sa valise par-dessus bord et manger cru les légumes trouvés dans les jardins.

Parias, réfugiés, exilés volontaires, fuyant la violence, la terreur, la souffrance sur des navires pourris qu’aucun pays ne veut. De plus en plus nombreux, longeant les côtes, entassés, victimes d’épidémies, cherchant désespérément un port où accoster, une ville, un travail, un coin de verdure, un peu d’eau, d’amour...

 

Dans l’opacité, seul, sans lampe.

 

Cortex blanc. La mer monte dans un corps barricadé.

 

... Mais j’attendais que les vautours, les gardiens futurs de la dégénérescence, occupent tout le territoire et s’animent sur les chairs. À l’idée que là-bas, dans une de ces îles des mers du Sud, écrasées de chaleur, nous puissions nous perdre : je voudrais être parvenu au terme des réalités corporelles et que l’aube enfin se lève dans la cavité du nombre infini...

 

Sept anneaux parmi les cylindres de lumière se dressent sur la végétation : notre corps considéré comme un tas de viande... L’esprit et la raison de l’homme — demeure immobile dans sa maison terrestre — nous pouvons les contempler comme un film d’action futuriste ou barbare, une séquence hyper-réaliste, monté au point le plus haut du cortège céleste. Une étincelante procession de sang circule autour du ciel, parsemée d’étoiles sortant de l’eau, alors que déambulent des images, aujourd’hui mutilées, d’un réalisme hallucinant...

 

Il pulvérise les objets les plus misérables, leurs faces bleu-nuit de démiurge, en prononçant des phrases merveilleuses qui frappent le front des morts.

 

Toute pensée détermine l’impensable. Plus le miroir se perd dans son infinité et plus le rien épuise son éclat.

 

Le siège idéal de la matérialité n’est pas dans la résistance mais en déchiquetant l’extrême.

 

Tout en haut de la voix s’effrite l’argile du sphinx.

 

Trop tard pour l’ailleurs

et trop tard pour revenir

tu es comme cette pierre

que l’on repousse du pied

cette planche pourrie

après le naufrage

ce rat piégé

dans le labyrinthe.

 

L’absence prenait corps. Autour : un désert sans fin.

Au fond de l’obscurité gisaient les débris de tout ce que j’aimais...

 

Dans la robe du sépulcre : une demi-lune, glacée.

 

Dans l’antre du milieu

apparaît la mort en creux

comme un crachat dans le ciboire.

L’horizon est blanchi sans fin.

Dans l’ombre flotte

la moitié d’un visage.

 

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Flamme et femme : souffle sur la braise et ranime le ventre, le sang, l’enfant. La nuit sur la mer : corps de larmes sur des pages oubliées. Pour un seul cri de joie : ombilic de glace, étoiles qui chutent !

 

 

 

Je revois les sables ou des dieux marchaient pieds nus : la mère porte l’enfant, l’enfant sa mère... Quel nom donner à ce renversement de l’ordre du monde, à ce bouleversement du cosmos ?

 

Écailles du cerveau

Narcoses

Plus rien

Que du bruit des limailles

Quelques mots

au fond du cortex

Dans un puits

de la voie lactée

ou dans un lit d’ordures.

 

Qui reviendra sans haine dans ce monde maudit ?

 

 

 

 

L’esprit erre dans les souffles glacés de la nuit. Sur la voie des filles et fils de l’univers. Avec les pas de l’aimée. Sa chevelure dans le fleuve et la pureté d’un château de l’âme. Routes blanches dans la forêt mentale. Spirale de l’horizon. Nous franchirons d’autres pays. Quitter l’ennui et la mort. Fuir ce petit monde. Trouver la féerie. D’autres cultures. Faire escale. Voile tendue dans le ciel. Loin du champ de bataille et de la solitude urbaine. Et voici l’échange des gestes. Le dialogue de la lumière avec l’étendue cosmique... Mais je suis encore dans les rues, recraché, hantant la misère, frôlant le chaos, observant douleurs et menaces de folie... La nuit me ramène à mon chevet : fantôme nomade je reviens hôtel des voyageurs pour éteindre la lampe magigue... Tout est abandonné sur la table : plan des villes, horaires et poèmes. Disparaître... J’ai laissé mon manteau, en gage, dans une pension de famille sordide derrière une gare de la ville-poubelle. Je vois le phare du bout du monde, le mouvement, d’autres peuples, une vie plus dense. Mais l’agonie s’est infiltrée, le piège s’est refermé et l’espace tourne seul dans le silence comme une roue abandonnée. La Vie n’est pas encore. Et Vivre ne reviendra plus jamais. En sursis nous sommes, embarqués, à notre insu, dans un autre devenir, couleur de cendres et de gâchis...

 

Comme des bêtes blessées qui hurlent dans le froid blanc : l’empreinte de mon sang dans le manoir des morts...

 

Que la poussière de sang

recouvre la viande des morts

que l’astre plein de vent

déterre le secret du corps

plus brillant que le sang

plus vivant que sa viande...

 

Dans la souille des morts ces cris étouffés par les dieux.

 

Que la poche crève ! Que les yeux se retournent affamés !

Qu’ils dévorent l’image de l’homme, foudroyé dans son miroir !

 

Demain tout recommencera par la nourriture.

 

Pleurer en mangeant, à chaque repas. Nourrir sa mort.

Faire table rase.

 

Les chefs pourrissaient depuis longtemps dans la cale.

Nous étions tous sur le pont à contempler l’aurore boréale, dans ce vaisseau naviguant vers une terre inaccessible.

 

Un matin on se réveille

troué dans le délabrement du monde

le manteau de l’absence jeté

sur la vieille chaise en paille...

 

Sur le mur blanc des nerfs : la parure de la transe.

Dans la main : le fruit de la forge...

 

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Apprendre à ne plus être qu’un étranger, sans retour possible. Jours et nuits sous un ciel vide.

 

Il y a opaque, les fissures littorales, des cris aigus, les sources et des phrases retrouvées. On fait semblant de faire du bruit avec sa bouche mais il n’y a que la mort.

 

... Tout recommence à zéro. Un grain de sable balayé dans le nombre infini. Chair d’ombelle soufflée de l’autre côté de la rive...

 

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Ramenez-moi ce soir du côté ou l’on respire, où l’on se repose. La rue est remplie de mauvais rôles.

 

Le cœur devient phosphorescent

les étoiles crépitent sur les fétiches

lampes errantes

masque de pluie

faire apparaître l’invisible

cette palpitation bleue de la lumière consciente...

 

Nous sommes menacés de disparition — Guérilla contre tous les charognards ! — La Vie veut surgir, attaquer sur tous les fronts : nécessité d’une lutte donc d’une stratégie contre toutes les formes d’oppression qui empêchent son jaillissement. Gagner de vitesse, révéler la vie. Vivre ici et maintenant : que les ruines s’écroulent ! Partir ... L’urgence est une arme contre les acteurs et les simulacres de ce siècle qui tente de nous arracher l’âme. Il est temps de crever le néant, d’ouvrir l’être. De franchir la barre...

 

Quand l’inconscient vous rattrape et que le destin, avec sa gueule de charognard, vous piège, on finit par dériver sur un brise-glace en se posant la question : comment survivre quand l’ailleurs vous attire et peut-on encore changer sa vie en explorant le monde, l’être et sa géographie ? Alors le corps, à l’épreuve de l’instant, rêve encore d’outre-passer l’économie, de faire sauter les plombs pour vivre enfin, le désir en avant, accouplé à toute forme...

 

Force noire

qui pulse dans le corps

et transmet sa transe

aux membres du cercle.

Le sel des mots est jeté

sur la parure de cendres :

se dresser à nouveau dans la Langue !

Rendre la culture

plus cruelle encore...

 

On devine un nouveau visage sous la poussière des jours accumulés : le déchirement, l’absence d’éclairage.

 

Tenter une échappée vers la lumière des faits et gestes.

Être au bord du jour. Dans la vigilance de ce qui va sourdre.

 

Redoutons que les livres ne deviennent pour l’occident ce que les réserves sont pour les tribus : un non-lieu pour les archives de l’espèce humaine. On ne sait jamais : ça peut toujours servir un nouveau livre des morts !

 

On a retrouvé des corps dans la lagune. Tout est confus, corrompu. Ne plus bouger, paralysé comme un lézard, l’œil grand ouvert...

 

Dans le monde de l’origine le chapeau tient le même langage que le porc.

 

Pour quelle vie d’esclave les fourmis acceptent-elles encore d’accoucher de montagnes ?

 

Entre la zone et le règne de la quantité il n’y a que l’espèce qui saigne et se brise en reflets infinis. Comme si il n’y avait plus rien à sauver, à fonder ou à détruire, les hommes se mirent en quête d’une terre nouvelle pour fuir à jamais la douleur, la misère, l’oppression...

 

Migrations : les grands rennes se sont suicidés dans les glaces. Troupeaux, hordes traversant les steppes européennes; longue chevelure noire de cendres...

 

L’enfermement : des corps sans origine, des astres sans territoire, qui dérivent dans le néant parce qu’il n’y a plus d’espace.

 

Où aller ? Suivre la horde, franchir les frontières, partir en quête des derniers signes ? Un peu de vie sous les pierres, sur les mots, sur les routes... Où aller lorsqu’il n’y a plus que la boucherie du monde ?

 

Un visage sous les arbres, un paysage noyé dans les brumes du matin, des images rayées, tout ce temps enseveli à décoder des messages, un mot-fétiche recouvert de sang, des langues, des paroles sacrifiées et englouties, repoussant les murs chaque jour, pour voir le monde derrière la vitre, la plaine puis la montagne, la frontière, prenant les dernières photos...

 

Ils nous jettent à la mer : comment revenir de voyage ?

 

Tatouages du désir dans la nuit, empreintes des mains sur un mur de chaux, lettres océanes, traverser les terres nouvelles et interdites, expulser le destin, marcher dans l’espace, jonction de tous les corps de l’univers, rayonner au cœur des souffles, danser dans le vide...

 

Derrière le masque le sol se dérobe, la pensée se désarticule : fin de l’identité...

 

Le joyau se cambre et accueille la lumière.

Rosace de volupté et de saveur.

Joyau de feu

Rosace de l’illumination entre la peau et les os

vivre et mourir.

 

 

 

... Il faisait si froid cette année là...

J’ai plié mes bagages au bord du ruisseau et je me suis avancé sur l’autre versant des jours...

 

La nuit : la neige sur les mots et nos bouches comme deux louves glacées. Ou : la pluie sous les tropiques.

 

Ne réveillez pas les esprits qui dorment dans l’écorce des cadavres...

 

 

Migration Piraterie et Merveille de grâce !

 

 

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