MÉMOIRE SECONDE
à Jean Dubuffet
Peu
m’importe par où je commence, car je reviendrai ici.
Parménide.
Dès
l’origine
les fins se concertent
Le doute est souriant
quand il tranche
Le sort est furieux
quand il pense
Un regard qui fait mouche
voit double
Contre un Oui sans merci
quel refus choisir ?
Être à la hauteur
de sa déchéance
Renoncer
c’est accepter deux fois
Sur le ballast des mots
la parole déraille
Le langage se ride
comme le vieux cuir
Dans la tourbière des adjectifs
le verbe s’enlise
Au fond, tout est silence
Le reste n’est que du bruit
Mémoire et Oubli
Ordalies posthumes
À la Lune mourante
la Solitude s’allume
C’est dans les yeux
que l’amour se glace
Entre les paupières déchirées
le ciel se prélasse
Des mots des mots des mots
hérissés de rechutes
Crains ton ombre
Elle voit clair
dans ton faux grimoire
La pierre d’aigle*
a une seconde mémoire
*aétite
La profonde pensée
dédaigne le penser
Il n’y a point d’abri
pour l’absence qui se terre
L’Horreur est
généreuse
Elle offre plus qu’elle n’en peut
La Mort
cette bouche libérée
Le risque abolit le hasard
Le brouillard
a de fortes mâchoires
C’est le fragile
qui l’emporte
Le danger
cet abîme frémissant
L’Homme
cette fissure en plein Être
Le Sommeil
cette douceur innatale
Le poète
ce géant vénéneux
Ma pensée bruit
quand la parole la traverse
Accueillir, le crâne entr’ouvert
des images salvatrices ?
Les arbres piétinent sur place
où leurs ombres glissent
À l’aube
les songes frémissent
À marée basse
les épaves sanglotent
Paisible est le regard
de la souveraine détresse
Chacun porte sa mort
comme un talisman tordu
Le visage du sacré est béant
Non !
crie le Oui triomphant
Les grands dépouillés
sont tout proches
des plénitudes impies
Prunelles barbelées
que le pleur havit
L’Essentiel
est complice
du médiocre
À plat ventre
ils commandent !
L’échec
me purgera des louanges
Dans l’inavouable
l’aveu resplendit
Riant est le sanglot
du plus grand passé
Le végétal croît en silence
L’Homme végète
avec bruit
Le bien et le mal
mangent
dans la même écuelle
Martyrs et bourreaux
s’entrelacent
Quand l’ordre est déréglé
le désordre suit sa règle
La Mémoire est ovale
Les grabataires voient le ciel
à sa juste hauteur
Quand l’amour se rend
le dégoût pavoise
À travers le mur de mes sens
je pressens d’autres emmurés vivants
Graves sont les soucis des objets
qui nous gardent et nous aiment
Au cœur de mon état second
bat mon cœur
le premier
Apprendre à penser
c’est mourir un peu plus
Dans le pain et le vin
sévit mon innocence
Les dieux ont soif
d’impuissance
Consommer le
superbe
sa doublure l’exige
L’Évidence
comme la Lune
a une face obscure
L’écriture
cette suprême imposture
Une momie parle mieux
qu’un poète
Déhancher le poème
c’est le mettre sur pied
La voix se tait
Le silence éclate
L’incroyable
Approche
Noire déesse de mon cœur
que mes yeux récusent !
Se nourrir d’impensable
est le plat du poète
Chaque abîme
a ses paupières tremblantes
Les portes s’ouvrent
Les portes se ferment
en pleurant doucement
Rien n’est plus prompt
qu’un regard fuyant
Veille sur toi
sinon la règle t’emportera
Plonge ta main
dans tes surlendemains
Sois inconscient
sinon tu verras clair
Meus-toi dans le vague
Le précis est gourmand
La pointe de l’Esprit
est si fine
qu’elle défaille
J’ai dépassé
l’âge de raison
C’est le contre-jour
envoûté
qui nourrit ma clarté
Tout l’envers redoutable
est mon bien
Au Crépuscule
les ombres se libèrent
de leurs corps
La Nuit déchiquette le Soleil
Le divin pleure ses dieux
La fatigue nous ouvre
de nouveaux horizons
Il n’y a pas de nobles ambitions
Chaque siècle
a ses tortures sur mesure
Tous les morts
ont la même dimension
La foudre triomphe
où elle frappe
Mais son cadavre lui survit
La Rouille est sagace
L’Ankylose
est savante
Toute idée se défend
Elle boite avec insistance
L’homme est à l’image
de dieu
qui ravage
Avec ses ongles
avec ses griffes
chacun creuse sa raison d’être
où il tombe
Le fourbe et le sage
se regardent
Connais-toi
Déjà tu es en pièces détachées
Au fil des siècles
le Terrible s’écoule
Et quand il s’arrête
c’est encore pire
Le passé a manqué
Le futur a passé
Les horloges continuent
Les suppliciés
sont en avance
sur nous autres
Un Monstre affamé
nous grignote sans arrêt
L’ACTUEL sans visage
nous regarde sans voir
L’homme vieillit
Le Poète sombre
J’ÉCRIS
et mon double me pourchasse
et perfore
La forêt se redresse
quand le jour succombe
Le vent se met debout
pour affronter la tempête
L’Être saccage
l’Avoir
Dans chaque vaincu
pointe le sacré
Dans chaque meurtrière
saigne la lumière
L’horizon s’effondre
entre poète et poème
La parole qui me porte
est doublée du MÊME
L’Éternité
est sans visage
Elle n’a qu’un œil
qui me regarde
Je suis une loque minée
Le vent de mort
balaie ma poésie
Le Destin ne frappe
qu’après coup
Mon chant impalpable
brisera toute haleine
J’ose
oser
et j’avance
immobile
Entre mes deux vers
l’Univers s’écroule
Le Chaos
me protège
du Délire