GUY BENOIT

 

 

LA MATIÈRE HÉSITANTE DE L’AMOUR

 

 

 

 

 

— Et je n’avancerai pas de « pensée en pensée » mais d’attitude en attitude. Nous serons inhumains — comme la plus haute conquête de l’homme. Être, c’est être au-delà de l’humain. Être homme n’est qu’un avatar, être homme a été une contrainte. L’inconnu nous attend, mais je sens que cet inconnu est une totalisation et qu’il sera la véritable humanisation à laquelle nous aspirons. Suis-je en train de parler de la mort ? non, de la vie. Ce n’est pas un état de bonheur, c’est un état de contact.

 

CLARICE LISPECTOR.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

les derniers restes

de l’opération junction-body

 

corps caverneux des séquences

comme des chairs sans objet

prises entre deux miroirs contrariés

fripés d’endurance les mots

les mots neuroleptiques les mots

se taisent enfin

dans le maquis vita nova

 

trait pour trait

je me sens proche

 

allez savoir pourquoi

je ne pleure plus qu’au cinéma

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et si la vie s’éloignait

de plus en plus de « son » expérience humaine

tellement le sens est mauvais

le spectacle pesant, les acteurs insupportables ?

de mystérieuses impulsions

s’emparèrent du cerveau qui tâchait de dormir ————————

presser l’emballage

qui ne soit pas réédition d’une ascèse perdue

copie difforme d’un orient

branché dans une mer de lait pasteurisé

y verser des escouades de vide

des milliards d’années de rires autant de métaphores

voilées de charmes d’attractions multipliées à l’infini

qui se confondent sur la piste où une vieille femme

déroule un jour qui se lève

l’axe du monde toujours le monde

mais nos dimensions s’anamorphosent

frankenstein devient un ange

frankenstein est l’ange rafistolé de nos atermoiements

dans les dancings bleutés de l’orgone ——————

 

ce jour-là

premier jour de l’été,

l’acide me passa par toutes les stases

du cul de jument au sexe-roi

un autre imaginaire organique

je m’ouvrais vers moi qui ouvrais

l’onanisme s’accouplait à l’universel don de soi

corps transfiguré, j’ai éteint l’électrophone

les essences de la tête du cœur et du sexe ne se chamaillaient plus

en route vers le circuit sept

mon seul problème : me souvenir et redescendre dans la parole

encore aujourd’hui, je peine ——————

et si notre sexualité était une sexualité d’en bas

brimant figeant le sperme tourbillonnaire de la pensée

retardant le mariage avec une sexualité d’en haut

qui se terre dans les réserves du mental ?

déjà des émulsions moins mystérieuses

mettent au service d’un cerveau plus grand

de nouveaux organes sensoriels

déjà s’autogénèrent les désirs troubles du sexesprit

caresses prometteuses de réels !

lutte à la vie à la mort à la métamorphose

contre la norme et l’ordonnant d’hier !

nous dépêtrer de l’attelage mammouth et prénatal !

imploser les voies préférentielles qui entérinent

la vieille mécanique conjugale du corps et du cerveau !

et les quarante degrés de fièvre poétique

révèlent-révolution les appels monstrueux

auxquels nous devons répondre . . . . . . . . amoureusement !

l’âge humain est une nostalgie —————

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

QUE LE SCHÉMA DE TRISTE

 

l’usage interne commence à dériver

qui trop nerveusement

où les mots sont la toilette de chacune de mes morts

sans la moindre suture je soigne l’intérim

s’ajustent toutes sortes de mains

dans une débauche de plans fades avides

de vieux ma vieille l’amour c’est l’écran de chevet

l’écran reste stérile là où les mots et compagnie

ne meurent jamais assez souvent

et par le seuil

me cramponner au fracas des sens

la pointe cérébrale s’amenuise

dans la périphérie concurrente

d’une tête perdue dans le cabaret vide concurrencé

que le schéma de triste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IN VIVO

 

rassasié d’organes

aux yeux bandés sur la sortie

autant de contusions

qui hérissent les répits de la chair

mon film est de passage

j’enquête une main droite aux trousses

de quelle amante transparente

s’éprennent tous mes corps impossibles

les rendez-vous manqués d’une longue peau accumulée

dans le lit de ce qui nous reste

fausse couche ridée au dos de l’oubli

maintenant que l’oubli

l’empreinte de l’oubli doucement me prend

le bras

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FILLE D’ABSOLUMENT

MAIS À LA MINUTE DE POINTE

 

mais à la minute de pointe

sur l’autre flanc

du sommeil du rêve et du gâchis

sans reliure d’homme

et d’ombre et

pâle relais

dans des chairs

imprévisibles

nerveuses

dont les corps anciens

s’éboulent en connivences

davantage que

rêve s’efface en révérences

par intervalles

reculant

dans un placenta de

mots rompus à toute épreuve

quand démesurément

dévoreusement

pour seul tableau de bord :

bio-graphie

sous l’aura de la langue

ourlée

de lèvres et

fille d’absolument

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mais à la minute de langue

sur l’autre flanc

de la folle à boniments

quand davantage que

mots

le tableau de mort

dévoré

de biographie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ÉVOLUTION COMMET

UN GRAND NOMBRE D’ERREURS

 

dortoir

du sexe clos

pendu

à une contagion de lèvres

encore trop naines

 

pas le neurone baisant

qu’elle a pris la mouche

 

et pourtant par-dessus l’épaule de la nuit

mon cerveau est un amour anticipé

 

les masses charnelles

éruptent en bout de chaîne

d’où perdre de vue

dans l’étendue des variances

branchées sur l’une regimbe

et l’un aussi dans le trou noir

des caresses folles à lier

 

de la trame au drame simple

affaire d’affaissement

 

et qu’est-ce

que je braque

ici

d’une bouche encore

trop mâle ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BAGNOLET — STAMMHEIM

LE DIX-HUIT OCTOBRE 1977

 

ni guerre

des monstres dans

la caboche

 

ce qui se planquait

dans mes cellules

 

et la circulaire

de l’espèce pouvait bien

entrer dans la nuque, elle

ressortait par le front

 

ce qui dissidait

dans mes cellules, c’est

un cerveau réciproque

 

quelque chose

d’une photo à ne pas

détourner

 

un endroit bombé

de chromosomes et comment

que ça suffoque

 

le nouveau-naître

d’un œuf

noir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REPÉRAGES

 

blessure de proue

fouaillant un sexe évanoui

sur les cahiers blancs de l’inavoué

 

ton désir, toujours astreint

aux yeux refaits : ce léger flou

quand tu quittes la projection pour

un autre cinéma

 

au large de l’engendré

et de l’ombre spéculaire, l’avancée

 

la transfusion du sens peine à

frayer son sang il tarde à prendre corps

dans mon corps pleine page

 

la chair remonte son encolure

 

d’écume, j’oscille

le versant d’un homme qui défaille

sans citation ni rouge à lèvres

au cerveau que tu demandes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le

désir

ne peut-il

modifier le désir

 

vers ce que tu expires

 

entre les doigts

d’une jouissance frileuse

 

je souffre du germe

dans sa lettre initiale

 

sur un lit d’humanité semblable

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MIC-MAC MOURANT MIROIR

 

je veux forniquer qui tourne les sangs

 

et ce n’est pas l’insipide érotique de la mort

mais sa tumeur, sa pornographie réelle derrière la porte

à élimer dare-dare

 

parce qu’elle drague

le mic-mac du pareil au même

 

le

fin

fond

de la côte

d’adam

 

et pas ailleurs

 

dans le miroir retardé

l’érotisme prive la sécrétion porno

dans sa nature intégrale de feu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

sa nature liquidatrice

d’organes qui ont failli

 

et pas ailleurs

 

la région du mec-mec

 

que les crevures de l’érotisme

attifent en vice de formes

 

et de leur tombe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA MAIN INTERROMPUE

 

trop

de lacunes

aux mots

que j’entreprends

 

et

l’énergie

de quelle mort

mise

au

jour

 

mise au jouir, gisement

d’un non-retour plus fascinant

que des tiroirs de chair

et de cœur, les mots

 

avec leurs réserves

et pièges à dos, ils

crapahutent à travers

tellement loin

quand

 

la pensée habille

d’autres rêves que

les hommes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

l’espèce s’inachève, le monde

descend à mi-chemin

 

de la tête

 

à la tête, au sommet

des frontières, le changement

 

s’écrit-il

en moi

 

changement presque froid

de neurones appuyés

sur leurs cadavres bleus

que la même séquence tire

dehors dans un délire

de hanches

 

arrêt, toujours

 

l’arrêt du corps

image pâleur

sexe apitoyé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

quelquefois le néant oublie son nom.

 

quelquefois pour dissiper le mec et son travesti.

 

les épaulements arrondis s’accrochent à la route qu’une porte glauque... à l’ouest, la fiction du sexe.

 

le corps, le corps obscur, toujours escamoté dans les insomnies de la langue.

 

quelquefois un reste d’émotion sacrifiant son propre texte.

 

les larmes se mordent les lèvres / de la chair en instance d’écho.

 

le travesti dévoile l’impasse : c’est par l’impasse que tout commence.

 

derrière les feux de paille, l’effacement sans témoin — qui prendra forme à l’effacement sans témoin ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAIRS INTROUVABLES

 

figure de hanches

tendue d’ici, la nuit

attend son mâle, il

se souvient

du sexe gris de la matière

à tue-tête, il veut dire

oui au sperme sans nom

qu’un taureau ne bande plus

sur ma face d’homme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MA SEULE OBSCÉNITÉ

 

 

quoi de neuf, rien

 

tissant les liens du neuf

 

dans le corps qui manque, une sexualité bouge

 

derrière la chambre épaisse, un souffle

 

j'écoute ce qui m'aveugle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le sang, son rêve coagulé

 

la bouche, l’anneau des lymphes

 

de la même substance, une soif entr’ouverte

 

sans frein, un corps parfaitement corps

 

connaîtra l’anatomie des rythmes

 

sur la membrane d’un nuage insoupçonné, le sperme

 

a une blancheur d’avance

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                      à Raymond Abellio

 

 

 

Je suis traversé par plus femme que visible. Défricher le manque exact, ce manque à gagner entre matière et anti-matière, embranchement, le corps opaque questionne sa castration, le désir son assomption. Un couple se cherche à l’intérieur de la pensée, dedans, la pensée en quête de son amant, dehors. PREMIÈRE APPROCHE DU MOT «MUTATION».

 

 

 

Dans le ventre sensoriel où je m’alanguis, percevrai-je la bouche subtile qui augurerait les nouvelles chances de vie ? Soleiller le soleil noir ? QUAND LE MOT «MUTATION» COMMENCE À SE NOURRIR DE MUTUALITÉS.

 

 

 

Affleurement de l’homme interdit où nous butons tous, voilà bien le défi, le renversement génétique du fruit défendu : le mâle et l a femelle s’autofécondent en frère et sœur, la génitalité de l’esprit se transfigurant Esprit de Sexualité ! La tentation est forte, tentation entropique, de se noyer dans la matrice sans suite aux limites de l’intenable et déjà poser la question : quelle tenue a l’intenable ? Mais à quoi bon apostasier dans la matière fût-elle parodique, tomber dans un fétichisme du corps démembré car il s’agit de remembrer, ô, seconde mémoire, ordinatrice, prophétique ! L’éjaculation a trop réprimé l’orgasme, la jouissance ne doit pas cacher la joie. QUAND LE MOT «MUTATION» COMMENCE À SORTIR DU MOT.

 

 

 

Les derniers poètes de l’écrit épuisent l’inconscient qui n’en finit pas de pourrir sur notre chair candidate aux grands mystères, au chevauchement du lisible et de l’illisible. L’inconscient, cette carte d’état-major graffitée d’impuissances, nous le larguerons dans les dispensaires de la santé moyenne. Les « déviances » sexuelles et mentales sont suffisamment chargées, risquons la maladie des maladies... vers-une-meilleure-information-de-l’énergie-dans-le-sujet-du-monde. Caresser le clavier des chimies extrêmes. Préfiguration d’une biologie des hauteurs, chairs excavées d’absolu. ET SI LE MOT «MUTATION» SE FAISAIT CHAIR. ET SI LA CHAIR DU MOT «MUTATION» SE FAISAIT VERBE.

 

 

 

Âge noir, des enfilades de pseudo-profondeur en crise, les déplacements, les transferts, les fourmillements de sens paniquent dans le cerveau. Quêteur trop noir ou trop pâle, je me séduis encore dans des schèmes travestis de moiteur — l’instinct de conservation a plus d’un érotisme dans son sac ! Et ma douleur de fin de parcours ? Sous la femme en moi, personne n’assistera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

une tête levée à l’écart de la peau jalousement veille au grain dans la matière même, la matière hésitante de l’amour.

 

 

 

 

 

 

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