DIDIER MANYACH

 

PREMIÈRES EMPREINTES DU CHAOS

(L’EXPÉRIENCE DES CLIMATS) :

 

 

I)

 

Dès qu’on s’avance : des corps se détachent.

Un chant de dunes au-delà de la mémoire :

roses sur la mer & le ciel observé qui me donnait des renseignements

sur le Lieu où sur terre je pourrais être...

Or je cherchais à dégager du ciel, dans la neige, des étoiles

dont les rayons m’étaient apparus en rêve.

Hébergé dans des chambres de passage par des Êtres déjà rencontrés...

 

Ce vent qui luttait — ce matin — pour franchir la terre :

un corps au loin se mouvait (on le croyait fixé à jamais, accroché à la marée des os mais il est devenu sphère lui-même...).

Reine des climats : tu porterais cette tiare de vent & de soleil

une chapelle de rosée dans l’écume

chevauchant des âmes & des corps de Gloire...

 

 

II)

 

Terreur du vide :

au-delà cette pression dans les membres — zones maléfiques.

Au loin des oiseaux sans ailes se brisent comme du plâtre

et remontent contre le vent — l’horizon lavé de larmes.

Ciel noir infranchissable sur toute la terre

racines obscures d’où surgissent

des éclairs inondant ta face ouverte.

Silencieusement un corps te frôle et te manque...

 

Carne que je déchire

Chair noire & bleue

bois mort du mental.

La Merveilleuse, celle qui trancha l’ombilic avec ses talons :

chercher un visage dans les rues insoupçonnées.

Voile polaire

dont la luminosité irradie les Êtres...

 

 

III)

 

Quelques brèves éclaircies

entendre certains craquements atmosphériques

dans les hauteurs du ciel.

Une fraîcheur du cosmos, une saveur : une jeune femme poursuivie

par les chiens de l’Énigme.

 

Le feu traversait la vitre de la chambre : lumière — partout —

sur la table, dans les mains

Lumière orangée dans l’observatoire : îles mêlées à l’océan opaque

& madrépores au fond du sud.

 

Puis les chaleurs disparurent, d’un coup, brutalement...

 

Brumes à l’ouest, murs ensevelis.

Navires sombrant dans l’obscurité : les vitraux des bars l’hiver...

Couronne de la lune au-dessus des sables.

Vitres brisées

ces yeux qui scrutent l’invisible, l’intérieur

autour des cercles du sang

pôles de l’enfer.

Serpent des océans : se retrancher derrière les dunes...

Le temps : une vapeur de la matière comme une écharpe autour du corps.

 

 

REINE DES CLIMATS :

 

Les abysses de cendres

le drap d’or naviguant sur ses membres

Se tenant à la proue de son double

le cœur lové au long des racines blanches du sang

Manteau d’ange en feu au-dessus des ruines

de ses demeures inhabitées rougeoyantes

et l’incendie de ces mondes propagé sur sa terre

Dans un temps de guerre

dans les âges successifs du sol

Dans le chaos de ses chairs entassées

contre la porte.

Seuil couronné de deux serpents d’ivoire

de chaque côté du Manoir

où il se tenait droit dans l’ombre plantée

lance d’os sur les sables

aux bannières claquantes

Sur l’abîme d’un visage

Vitre sanglante ouverte

et la nacre intérieure enfermant un cadavre sans bouche

respirant dans les fonds de sa propre voix

lancée en spirale.

Puis ces comètes éteintes au château solaire

la neige carbonique recouvrant des villes flottantes

dérivant sur les bords du toit de la nuit

Les mains fouillant les décombres

L’Heure tintait

au cadran de ses vies antérieures

marquant le deuil au Nadir

et son astre mouilla l’ancre dans la rade du jour.

Langue bleutée de l’ineffable

derrière l’armure de feuillage

et la Saveur humecta nos tempes tièdes :

cette dame féconde apparut dans l’ovale fenêtre

à travers les rayons du soleil

libérant le noir désir de l’orage en toi.

Comment peux-tu murmurer ainsi le nom

de celle qui se dénude en te remettant le voile

de ses mains fragiles ?

Cela dans ta grande pauvreté de langue

où tu pénètres nu

dans les eaux caressantes

qui bruissent sans savoir que tu la recouvres

& qu’elle te dénude jusqu’à terre...

N’entrez pas

que la brume se dissipe

qu’elle soulève le drap transparent

que les arbres et leurs grelots d’étoiles se penchent

sur leurs corps liés...

 

 

IV)

 

Encelade : une vrille sur la face

le cœur pétrifié au fond

le lac est esprit

le temps circulaire

au centre : la saison, secrète, pierre de l’Édifice.

Le sépulcre d’opale scintille

la pensée : l’émission d’un phénomène intemporel

suivre la sombre masse

ramener la vase de l’étang.

 

Plus haut le ciel est blanc car elle y étouffe...

 

Sphère de l’oubli où toutes les traces se craquellent

les signes s’effacent

sol-serpent solaire.

Masques macabres de roches.

L’esprit purifié dans la nacre des empreintes.

 

Transformation physique par les cinq éléments.

 

La voix du mort : la dualité qu’elle prenait

dans la durée de ma bouche terrestre...

Gemmes d’une parole :

elle se cabre et suinte dans l’air.

 

 

V)

 

Je sentais venir la boue dans les crevasses

dans les plaies.

On ne peut rester sous un même climat...

 

Spirales & goules

faces miroitantes en giration

parmi les frondaisons.

On entend la roue qui grince, des coups de bec

des vrilles.

 

Mais que peuvent-ils contre les âmes

contre les âmes des rebelles ?

 

Je ne sais

à qui appartiennent ces pas

qui longent le monde...

 

 

VI)

 

La Vie sur terre n’est pas encore...

Saisons, autres phénomènes atmosphériques :

ils sont gardés dans les béances, les hauteurs

dans les plis des cavernes.

Des secrets conservés dans l’évolution

des réchauffements progressifs :

déserts, famines, migrations. Tabernacle des climats :

les intempéries de l’enfer

des accidents de terrain, métaphysiques

des cassures génétiques.

Le visage perdu au milieu de la chambre glacée.

Mon corps central qui se souvient de toutes les matières :

la sexualité du cosmos

le chaos-femelle...

 

 

ENCELADE :

 

Dans la forêt de limbes montait l’oiseau du sang

Sous la pierre tombale

le noyau de l’Ange

Langue centrale dressée

les yeux ouverts dans le couchant

drapant l’astre noir dans les lymphes

où brasillait la lumière

& les ombres se moiraient dans les racines béantes

où le joyau brillant suspendu entre les doigts

fixait l’or.

Dans le linceul de rosée

le silence ouvrait la conque

et le ciel tombait dans la doublure des os

délivrant l’eau du vent

l’orage approchait

Et les branches des arbres s’entouraient d’une peau mauve

scintillante sous les gouttes du cœur

la pluie s’avançait comme un châle

dans l’espace

Oiseau dérivant

et la Langue tanguait

entre les deux masses bleues du corps

Bête étendue dans la poussière

la pluie chuta

et l’espace renversa la nuit

de la verse les éclats de lune nimbaient le récif

fendu dans les ruines...

Son corps brisé regardait fuir le navire immense

aux voiles gonflées

le souffle montait dans les arbres

la terre ruissela.

La pierre bascula puis disparut dans le crépuscule

dépliant ses pétales

dénudant le noyau figé dans l’or de la conque.

L’orage avait cessé...

 

 

VII)

 

Les nuages défilaient dans le bleu limpide

comme mots, visages, pensées...

Dans la solitude des royaumes déchus nous dérivions vers des pays lointains.

 

Terres abreuvées, maintenant desséchées.

 

Guidé dans le château intérieur

un temps plus reculé que les orages

les pas qui menaient au crâne profond

enfoui sous le mont-scié

lac glaciaire

le feu dérobé dans la vierge noire

la source derrière les lèvres

dans l’oraison des cendres.

 

Un chant persécuté dans les flammes du sang

un camp nomade dans la neige

haleine des chevaux sur la rosace de la vitre...

 

 

VIII)

 

Guerres anciennes, arrachements des cieux

chaos préparatoire des chairs

nous le percevons dans les corps...

Conflagrations de cellules

échanges chimiques

mutation des espèces.

 

Dans la tourbe cosmique : l’or des étoiles.

 

 

IX)

 

L’arc tendu :

qui grandit dans l’antre interdit

du cosmos béant

vision femelle

de tout l’univers

flèche de vent

dans l’espace blanc

lieu de tempête du corps

ensemencé.

 

 

X)

 

Le visage dans la vitre

empalé, blême

voyant, vu, le bateau dans les glaces

le corbeau sur les mâts

qui annonce le rivage

mais replie ses ailes

sur la vision

observé droit dans les yeux

le visage disparaît

comme un masque ôté...

 

 

L’ENSOLEILLADE :

 

Géométrie de la pensée

qui se déplace dans les décombres

son architecture est lumière

pourtant l’empreinte des noces gît dans la boue

Naufrage

ici emmené dans la forge

qui broie et brûle

dans l’espace de ses mille braises

le voile aveuglé.

Puits du Vivre & son Manteau laissé sur la margelle...

Pourtant

le manoir des étoiles s’est brisé

sous le cerveau

le casque du crâne

les nerfs de la guerre

mais une eau cristalline ne cesse de couler

à l’intérieur de la dalle...

Le levant redore le blason d’une plaie ouverte

rameau de la blessure

laissant apparaître une lune bleuie

au-dessus des vignes

les versants de l’enfer

les espaliers de coraux

une présence diluvienne.

Le jour envahit ce corps titubant

qui chute dans son vol

et les pierres se couvrent d’une peau laiteuse.

Les voûtes bruissent encore

quand l’Être s’avance

en écartant les branches de l’espèce.

Le vent éparpille la tourmente

devant l’entrée des lacs :

puits du Vivre & son Manteau laissé sur la margelle...

Les bras s’ouvrent

l’orbe est gelé :

au-dessus les astres se font face.

Jusqu’à l’ensoleillade

Helluland

Helluland apparaît...

 

 

XI)

 

La lumière dardait de la sphère antérieure...

Nous sommes devant l’amas des morts, face au ciel obscur.

 

Les ors des majestés d’orage

les bleuissements des cieux de tonnerre

les nappes de lumières claquantes

ruines effondrées dans les hauteurs latérales de l’atmosphère.

Sous d’épaisses couches de terrains retournés.

Réfraction de l’abîme

retour de flamme transparent.

 

Comment peut-elle ainsi se manifester ?

Je demeure au bord de l’étrange monde

ayant déjà accompli toutes les redditions.

Mais il n’y aura pas d’inventaire...

 

 

XII)

 

Les dévoilements de la mort.

Hors — et cependant par les lignes, les rayons qu’elle géométrise

un Être y pend ses corps et fait la roue...

Par les treuils, les palans, les trépans

je le vois s’avancer comme on se dénude.

 

Cette horde, cette mort :

cerné, pourfendu par cette perpétuelle avancée.

IL Y A UNE MORT DANS LA MORT

COMME IL Y A DES YEUX QUI S’HABITUENT À LA NUIT...

 

 

XIII)

 

Les contreforts lézardés délivraient leurs secrets à la mémoire terrestre

renfermée dans ses conques de langues.

La multiplicité stratifiait le sol

et mot sur mot glissait

la même clarté silencieuse des sphères...

 

 

XIV)

 

Néoménies. L’Expérience des Climats.

Mourir devant le monde.

Créer jusqu’à la fin des images pour qu’elles se souviennent de la Créature

dans laquelle se forme le vide.

Bouche où régnait l’âme

à présent close et sans bords qui ne happait que l’air.

 

La pluie dorait cet espace silencieux

la pluie est la mort

la mort pure : les rayons au-dessus du cirque des montagnes...

 

La voix s’est perdue

mais comment a-t-elle pu s’extraire de la parole

qui la fait naître ?

Par quel mystère a-t-il pu chuter

lui, dans la boue, franchissant nu la rivière gelée

 

& MARCHANT FINALEMENT SUR ET DANS L’AUTRE TERRE...

 

 

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