DIDIER MANYACH

 

LE SANG & L’OR DE L’AUTRE RIVE

 

 

 

BLACK & WHITE SUN CHAOS

 

Soleil

Tu es mort depuis longtemps

Fais comme si je n’étais plus là

Toute pensée n’est que le précipité

De tes neiges carboniques

Chute de cendres et de roches

Combustion de lumières

Séparation chimique

Elle apparaît puis disparaît

aux rythmes guerriers des cycles du mouvement

primordial de l’Éternité

que nul jamais n’épousera sur la terre

Alors dis-moi

pourquoi suis-je comme une bête blessée

Sacré soleil

un homme levé pour rien

charchant des racines et de l’eau

venu boire

dans tes chambres à gaz

et tes labyrinthes désaxés

cabines de sodium où tes ombres cognent

aux vitres brûlées écrasées

par ton soleil mourant de soif

Soleil

tu es à l’envers les pieds plantés dans le ciel

je t’ai vu dans le dernière rue

Métal roman

pierre à broyer et sacrificielle

Serpent à sonnettes

tu fuyais sans jamais te retourner

cerf errant

J’ai vu les peuples chasseurs et nomades

se suicider à ta suite au large de l’Europe

J’ai lu ton testament peint sur les murs

et dans les caves obscures suintantes de la terre maudite

Un arbre frappé par la foudre

se réveillait près du fleuve où ton feu tournait

vrillait avec ses ailes de cerveau reptilien

Totem noir

Entité liquide

Décrue de tes flammes qui ont des langues

ravageuses les jours et les nuits de grandes pluies

dans tes arcs-en-ciel mégalithiques

Million de salamandres qui poussent et glissent dans nos corps

Cellules détruites

Chair aveugle Fossile Lune future

Et maintenant rampe

entre les villes illuminées invisibles

des déserts qui hurlent

sans fin

dans ton vide borgne

Matière du silence inengendré

arrache moi les yeux si tu veux

que je puisse enfin te voir

Sortir de ma tête

qui me sert de branche ou de corne

te voir en face

puisque je suis mort et ne peux y consentir

Froid spectre en ivoire

Vitesse des siècles

Souviens-toi des générations suivantes

qui tourneront sans cesse autour de ton cadavre

avec des gestes de tournesol

et leurs mains de vent couchant au levant

s’enfonçant toujours plus profondément

dans la souffrance de tes glaces figées jusqu’à l’os

Soleil de minuit

Mémoire boréale

Nous sommes vieux comme les pôles

Alphabet des ruines

que tu éclaires parfois d’un rayon inondé d’argile cuite

Soleil

J’aimais ta longue chevelure rousse de décapité

J’aimais ton masque intérieur

J’aimais tes parias

Lorsque tu quitteras les fleuves

Lorsque ton vaste estuaire rouge bœuf

s’engloutira éclipse et phénix

au centre embrasé du trou de l’innombrable Étoile

rocaille définitivement calcinée labourée

par les sabots de la destruction

Alors la Vie ressurgira

Soleil

Révolution solaire

Alors nous serons perdus pour toujours

Œuvre de la vacuité

Pardonne-nous

Et va te coucher désormais dans ton lit de roche

Écartelé et crucifié dans l’œil de l’oubli

va bramer tout seul

jardin de nerfs sans espace

que ton fantôme de viande crue revienne nous hanter souvent

chaque matin

et qu’enfin les uns dans les autres

par les quatre points de l’homme constellé

tu t’éloignes à jamais

Soleil

devenu soleil

du grand Soleil

Étranger.

 

 

Gestes pour l’abîme

la nuit descend goutte à goutte jusqu’à mon chevet

liqueur de la terre ancienne

Encelade Helluland

blason aveuglé sur le sol où roulent les eaux amères

déluge d’étoiles sans nom

halots de gloire

naufrage interminable au faîte de la géométrie parfaite de la mort

montagne île-barre de fer

dans l’orgue de la roue

 

 

Plus loin le silence

âmes des navires oubliés

de l’autre côté du monde

l’enfer

 

 

Dans le fond du néant

vague bruissante

oraison

tout se mêle au tombeau

un cheval meurt

dans l’antre cosmique

au fond d’une champignonnière

je me fige

 

 

RÈGNE OPAQUE

 

Règne opaque

Aucun soleil

c’est la nuit froide

sous un dôme d’or

immobile avec des ombres

sur le plafond

règne végétal de la lumière

et nuit de cristal

où les flammes de verre éclatent

comme des étoiles sans branches

au fond du silence

des sphères tournantes

vrillantes et des pensées peintes

tournesols dans des sols de boue

et d’eaux noires

là-bas au fond du cerveau

où le règne est une poche qui bat

avec un cœur accroché

sur l’auvent

cœur girant planté

à l’entrée des grandes demeures

de nulle part

où le vent raconte

la fin des royaumes

sur le bandeau déroulé du temps

où nul ne demeure

c’est le règne

opaque des voûtes bruissantes

où seuls les yeux s’avancent

là-bas au bout du monde

qu’un éclair traverse

le cri des os blancs

sous l’orage du sang

à l’orée du règne où chute

le Temps

et le sifflement lointain

des morts qui ne cessent de tomber

dans le grand trou plein de neige

de la terre

dans le trou néant de la tête

où tournent les roues du soleil

avec un cœur broyé

au centre de la lumière

suspendue au-dessus du monde

comme une étoile de nulle part

remontée au ciel

comme une pierre jetée dans la citerne

où seuls les yeux

immobiles

regardent.

 

 

Étendue noire, cendres et sable, cette terre profonde au-delà du désert. Ruines sur les sentes. Lichens du monde frôlé par les tempes de cette créature couchée dans les épaisseurs nocturnes. Soufre de la pensée, dans les caves sombres, intérieures. Plus noire que l’orage, dans l’or ébréché, poussière des corps dans l’espace et les lames.

Elle ressurgit dans l’humus des rêves

vague encore frissonnante de toute la rosée des lacs.

Elle s’enfonce, nue, dans la boue de la rivière qu’elle traverse...

Sous la grande lune de feu pétrifié les glaces du sang fondent et libèrent ses flots de pierres précieuses.

Dans les vases blancs du ciel elle lève ses yeux où chuintent les eaux.

Telle est la marche

qui rend un instant verticale la poésie

au fond de l’œuf des répugnances...

 

 

J’allais sous les ondées

les poches pleines de pierres

dans les sables seconds où les phénix étaient sans yeux, sans bouches

traversant ce pays sans repos

j’ai perdu

je me suis couché au fond du temps

les hautes-terres m’offraient leurs passes obscures

l’illuviation a tout emporté

 

 

L’ÉVEIL DU CHAOS

 

Selon les fibres de la nuit

à travers l’espace intérieur

entre les os et la peau

du Long-Serpent profané

qui loge au fond des cavernes suintantes

de la douleur antérieure

à toute naissance

sa tête triangulaire

sous une pierre rituelle écrasée

voile rouge

tendue sur le vide

devant la porte du cœur

où frappent les poings du sang

selon les rythmes de la terre

Battements

de l’originelle mort

en son éternité qui chuinte

nuit pendue comme un sac de lymphes

qui dégorgent

bouche éventrée

triangle d’eau sur le sol désert

buvant le Noyau

source tarie qui halète

et crache son venin

tueur de conscience

dans les catacombes illuminées par le feu

qui parle encore

au sein des pierres qui claquent

et répandent leurs substances amères

sur le seuil de l’Œil clos

plein de liqueurs

blanche surface où roulent les premières images du Chaos

dans l’immobile stupeur du Temps suspendu

comme des pans entiers de chairs

soleil d’argile s’éveillant

Cascade entre les parois de la lumière

figée en blocs de granit

qui éclatent

ouvrent le Passage

soudain sous la voûte obscure du crâne

au Mouvement qui ondule

et ruisselle

sur l’oblique flanc du corps

traversé d’éclairs noirs

qui crient

dans la mémoire du sang.

 

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