LUCIEN
HUNO BADER
MALADIVES suivies des DÉMESURES
à Ghemma et José Galdo
Préface
L’œil
roule l’abîme et le corps goule l’ombre dure comme l’algue suffocante qui
se tord et s’enroule aux bourbiers du vertige. Boue d’extrême dans le pataugement
de la meute arachnéenne qui tisse et piège l’écho et l’assourdissement en
une seule langue tordue qui ne cesse de retourner ce corps, toupie sanglante
de vie née telle ces prothèses dans le flot de la multitude en marche au néant.
De certains
laboratoires de la révolte comme de certains crânes en rage qui crachent la
phosphorescence même du silence et qui coulent ce monde sur le brancard traîné
par des spectres sans visage dans l’horreur caverneuse du vide et dont l’œil
est cette membrane glauque et gluante qui aspire et noie attire par le fond
le centre en trou noir, cocon et arche vers l’autre monde de l’autre corps
dressé dans la titubation et la vermine de cette boule de grouillante qui
ronge jusqu’au seuil du vide brûlant les nerfs et la nef loque au vent d’un
basculement inénarrable.
Dans le guêpier de l’œil le trafic intense des bouillies
de la chair qui morceau par morceau se déplacent sur les os par grappes entières
et les ombres courent et se tordent dans le vent ou se lovent dans l’arbre
des nerfs aux jeux de la face et du masque. Et si le corps devient ce creusement
de grouillance frénétique les paroles qui en découlent
ne sont plus que les signes d’ombre et de vide dans leur effroyable cohabitation
se mangeant l’un l’autre pour se reproduire sans cesse comme une torche éternelle
dans la nuit du monde.
Et dans cette
flamme portée “la risée des ombres” se nomme en Lucien Huno
Bader, c’est-à-dire une conscience de miroir coulée dont l’entredeux du tain
déborde et brasille à son propre emportement.
José
GALDO
Novembre 1978 — Paris.
MALADIVES
1.
Distance agressive des formes à l’échéance de la mimique
Médisance cosmopolite aux formules elliptiques
Limites sacrilèges de l’être
touché du bout des doigts
judicieusement manipulé dans l’étouffement-délire
Silence à brûle-pourpoint
à la périphérie de l’Identification
Tremblement
Vertige entretenu
Zones égarées de la vacillation
Mouvements somnambuliques disséquant la lumière
Pénombre expérimentale
Laboratoire secret —
2.
Bruissements d’élytres
mes doigts écrasent des
insectes venimeux
mandibules de chair abdomens de feu
suçoirs glacés vrillant mes
veines
antennes bourgeonnantes vidangeant
ma tête
fouillant chaque repli pompant
l’énergie
multitudes d’araignées m’enjambant
criquets révoltés discourant dans
la nuit
langages étranges fusant de toutes
parts
facettes roulant des sphères
multicolores
le long de mes paupières
crépitements
guêpes enragées en mes reflets
vitrifiés
cherchant une issue entre les yeux
Bruissements d’élytres
une langue immense rampe dans
ma bouche
et de son dard dressé
m’inocule le silence —
3.
et de rage
des mots
qui me font mal
une douleur
lancinante
dans le corps
comme un son
qui voudrait frapper
FRAPPER
écorchant ma chair
et ses téguments mécaniques
toutes ces saletés
dépecées
visages membres noms
sur l’étal
nauséabond
de la fantasmagorie
haut-le-cœur
flambeau-solitude
hachoir d’illusions
retournant la tripaille
poème-bifteck
impropre
à la consommation —
4.
La Pensée Schizoïdale a jailli d’une source intarissable
et les yeux des nébuleuses
se sont allumés dans l’euphorique
crépuscule ni soir ni matin où des
créatures transitoires
agenouillées depuis le commencement du
phénomène
demeuraient ainsi humiliant
l’éternité les mains piétinées
sur un chapelet sexuel.
Vanité céleste du songe
tombé de leur bouche fascinante
sous forme de glaviot
sacralisé giclant sur l’interminé
charriant la pensée humaine
d’étoile en étoile ensemençant
le vide et ces endroits les
plus reculés du cosmos où la
pupille voyage avec
l’incommunicable désir de se cacher
définitivement.
5.
CLOÎTRÉ DANS LA NUIT
MONDE EFFERVESCENT
PAROLES ÉCLATÉES
ABÎMES PHOSPHORESCENTS
LES HEURES ICI ET LÀ
TOURNENT DANS LA PIÈCE
ET FOUILLENT PARTOUT
ÉTERNELLE PERQUISITION
des souvenirs peut-être
gisant dans un placard
aux portes cadenassées
trahiront ma mémoire
LE TEMPS SANS DOUTE
FINIRA BIEN PAR ME JUGER
6.
J’AGITE DES YEUX lourds de
rêverie
qu’une vie interne brûla sans
répit
au tison des mirages dressés
sur la nuit
aux enfers du sommeil
sublimant l’ennui
non, je ne suis pas ici pour
faire des rimeries
ni des poèmes pour tromper
le temps
avec chaque seconde, orgasme
éphémère
je suis là pour toujours
malade
monstruosité mentale à exterminer
l’abîme m’entraîne dans ses
vertiges
avec mes ulcérations, derniers
vestiges
je suis là pour me confondre
et rire
de cette charogne sans
apparence
qui gît sur un brancard
céleste
que nul ne porte tant elle
empeste —
7.
ÉCHOS TÉLESCOPÉS dans la ville électrisée
pas se ravalant avalant
d’autres pas
se ravalant avalant d’autres
pas
se ravalant avalant d’autres
pas
ravalés sur leurs pas
vibrations étourdissantes
acoustique d’asphalte
poubelle métallique dressée sur
mon chemin
rugissements
passants jetés dans la fosse aux
métros
orchestres détraqués répétant
orchestres détraqués
répétant dans les caves closes
grincements de chaînes
entrechoquées aux os
les rats sont à l’écoute
cacophonie envahissante
tohu-bohu viscéral
jeux d’ivresse fêtes foraines
gosses croquant des flûtes à bec
carillons malingres
vent râclant
ses violons
balbutiements langages fous
onomatopées répercutées
sur des bouches bâillonnées
dans l’ombre inalphabète
GRISAILLE HURLANTE
8.
J’AI POUR MOI la hargne
le remord (s) de l’absence
le besoin fou
de me dilapider
sur des parois sans fin
murs aphones
dressés sur la mouvance
grattés jusqu’au sang
par ces ongles séculaires
rongés à l’unité
sur d’innombrables doigts
tentaculaires
j’ai pour moi
la cosmicité du rêve
et l’absurde
royaume de la conscience
9.
ce vêtement tendu dans la
phosphorescence
et ces moignons obscurs
dressés vers des abysses haletants
comme une étreinte future
ces ossements visqueux de
cigarettes exécutées pour
affronter le temps et ses
sécrétions bilieuses
cette chair plate et insondable
offerte sans gloire
ces choses sacrées qui
occupent les mains
ce feu où chaque geste se
consume jusqu’à la racine
ce besoin de toucher pour
démentir l’hallucination
CETTE DESTRUCTION
10.
en moi l’espace noir
le jeu sans fin des trappes
les oubliettes tactiles
les pièges de la mouvance
en moi l’espace du doute
la distance des rires
fantômes hilares
allant et venant
m’entretuant
JE SUIS LA RISÉE DES
OMBRES
11.
ÉCLABOUSSANT les orifices
immondes
réceptacles tentateurs
accumulateurs de rêves
visions gangrènes
entassements gigantesques
nidifications dantesques
rats multidimensionnesques
démons mystificateurs
à l’incision du jour
plaie béante
sur l’espace noir
projections conscientes
calculs mystérieux
astres éphémères
soustraits à la gravitation
échéance soudaine
de mondes chaotiques
entrechoqués
d’une réalité à l’autre
prodige de croire à tout instant
échapper aux prophéties du désir
les membres distordus
le long d’un corps non
identifiable
d’une écœurante immobilité
12.
TROU CREUSÉ à même mon
trauma
écriture encroûtée
modulant le moule
palpitante à fleur d’aura
solitude travestie
d’iconoclaste rêvant
fondant des cités fabuleuses
sur des déserts épidermiques
oasis corporelles aux tours
glacées
derrière lesquelles
l’Illusionniste au répertoire usé
entame sous les huées
l’Ultime tour de piste
vitrifiant les embrasures célestes
reflets de dieux nymphomanes
accroupis
dans la primitivité de l’acte
révélateur
louant les préludes
de toute finalité
tournoiements amassés
sur les hauteurs de l’asthme
surgis de tant d’ailleurs
localisés ici
13.
À CETTE HEURE grave de la nuit,
je m’aventure sur des chemins ignorés par tout-un-chacun,
élan primaire de préciosité que nulle fureur n’apaise. Les mots s’amusent de ma
pensée et broient l’espace sourd de mes mouvements intérieurs sur la surface
plane de mon écho. Au gré des silences coltinés sans fin, se pâment dans ces
longs gémissements que couve ma persistance.
Que signifient
cette écriture et ce subconscient en train de moudre mes particules
visionnaires en bouillie pour chat, en imagerie pour nyctalope averti, en
cinémathèque pour voyeur cosmique..? Poésie, et alors... Poésie un simple mot
lâché sur des horizons d’errance verbale cuits sous le soleil glacé de la
facilité, des passe-partout phonétiques... Me voici comme au premier jour de l’Univers me voici dans mon impuissance de non-créé, dans mon abstinence de forme, nu sous mes os,
sous chacune de mes cellules, sous mes atomes, nu dans le Rien, au point Unique
d’engendrement où s’unifient les cycles. Pourquoi l’INUTILE
proféré dans la DOULEUR ? Ô cette ivresse momentanée
des rires lancés dans l’intensité du DOUTE, ce quant-à-soi des latences qui
brisent les fausses connaissances extérieures de l’Innommable...
Les choses ne se prononcent pas. On me poignarde incessamment durant mon
sommeil. Je me réveille toujours en sursaut, ébloui par la lame récidiviste.
Les TÉNÈBRES me nomment et je les désigne tour à tour d’un œil accusateur,
regard dévoré par le besoin d’accumuler sa perspective tout entière. Soit, je
ne suis tout au plus qu’un témoin. Pour fuir une telle mythomanie, de connivence
avec mes dieux les plus fidèles, de préférence je renaîtrai ailleurs. D’une
autre façon. Dans l’autre sens. Des conflits galactiques naissent et partent en
fumée. On brûle les calendriers sur les places publiques. ... Déjà, je ne sais
plus l’ère qu’il est. —
14.
que rien jamais n’arrête mon
élan
mes envies simplistes mais
furieuses
mes suicides instantanés
sous les averses laquées de
feu
sous les glaces brûlées de
vent
... PASSONS
que rien ne m’oblige à vivre
face à ces regards bouche-trous
ventouses à serrures chimériques
... PASSONS
que peut-être le manque
m’habite
que peut-être une foule en
moi
fuit les foules
que peut-être une foule
dispersée
une foule désertée
que peut-être un fou en elle
me fuit en moi
... PASSONS
que peut-être je me moque du
ciel
tombé dans le traquenard de
tous mes yeux
tentant — le lâche — de s’enfuir
par les toits
mais passons
passons
passons
j’ai sûrement vécu dans un
rire suintant
lancé sans but
immense ricanement projeté sur ma
face
dans le miroir incandescent de
la narcissique morbidité
passons
j’ai ô que sûrement émis une
phrase quelque part
avant
loin des crissements
paperassiers
des grattements de tous
genres
gratin encéphalique bouillie
cérébrale
... JE PASSE
que peut-être ce diable de
silence m’emporte
le relent me nomme quand
l’écho me ravale
faute de crachoir
mais passons
passons sur l’Univers
dernier recoin de mes scrupules
... J’AI ENCORE OÙ COMMETTRE
15.
du rire le plus atroce à la
douleur la plus heureuse
je me consume comme de
l’encens dans les meurtrissures
fastidieuses du Jour
broyer l’horizon pilonner l’infinité
silence de tous côtés
dissonances métalliques plaquées dans
le mutisme épars
des espaces renfermés
nuées courbées dans la syncope
crépusculaire
fessiers gothiques orages innombrés
ogives foudroyées
cataractes ventrales trépidations
organiques
confusion pulsative des éléments
MAGIE
Ô l’ardeur étrange qui me
propulse hors du temps
et paradoxalement m’entraîne
dans ses catabolismes
VIEILLIR
silhouettes familières de mes
errances séculaires
chairs mixtionnées putréfaction capiteuse
cadavres magnifiques exhalant la
permanence
m’engendrant par le souvenir
PERMANENCE qui me démange
de durer
SOUVENIR perpétuellement transformé
par le flux ravageur de l’INCERTITUDE
16.
CORPUSCULE INTROVERTI, je
soulève des cataclysmes
en toute forme dévoilée dans
les fibres symptomatiques
du faux-sommeil
je demeure longtemps ainsi
surgissant de tous mes nerfs
électrocuté par chacune de mes
impulsions
des horizons s’enchevêtrent
de part et d’autre de mes membranes
éparpillées au vent des réflexions
nymphomanes
je sème la distance au fil
de ma course entre le geste et la parole
entre le rire et l’abondance
profusion d’intermèdes
tremblement sismographique
un volcan dormait quelque
part en moi
voyez son éveil décisif
nœud informe fumant sur
l’immensité de cette bombance que recouvrent
mes cils battants dans la
lumière révélatrice
voyez cet éclatement au ras de
l’imperceptible
ce microcosme convulsé
quelque-part en vous
dégouttant ses vomissures infernales
dans les canaux démesurés
de votre tête orgueilleuse
voyez l’hémorragie
et ces yeux fous qui
tournent
en d’innombrables prunelles
: ON VOUS OBSERVE —
17.
une métaphysique incertaine
où ma pensée ploie
triturée de part et d’autre d’une
réalité folle
à des rêves authentiques
écrivant peut-être
laideur émissive
la vision sacrilège me
heurte de plein fouet
fluide aveuglant en mes
fibrilles dardé
magnétisme subjectif
béatification hypnotique
les pseudo-vocables
m’entraînent en deçà du murmure
distance redoutable
les objets violés les ombres éventrées
démantelées dans l’Unification
pour avoir osé chercher le
synonyme du MAL
je pourrais sombrer à jamais
dans les limbes faméliques
d’un dictionnaire
je pourrais sombrer dans la
folie
18.
Théâtre informulé d’un
Artaud désarticulé
phonation circonflexe soutenance
magnétique
bouleversant tout un monde empoussiéré
de protozoaires accouplés
dans la division
dialogue mâché en ma bouche
édentée
fulgurance écarlate d’un langage
saturé
métamorphose non discernable
JE N’AURAI PAS LIEU
19.
Trognes meurtries de
l’absence
lambeaux-photomaton
rictus maléfique repoussant ma
bouche
prisonnière
faille bourdonnante de mes
transports
creux mutilé
où se solidifie mon délire
qui n’atteint pas le rire
Théâtre de la fabulation
imagée
l’espace sourd dans ma peau
tendue sous la caresse
foudroyante
des psychés
aux doigts de vitriol
chacun de mes doubles en pièces
détachées
trames restituées au contre-jour
SOUVERAINETÉ DU VIDE
20.
ÉTRANGE DE SE CREVER
doucement en avalant les moments comme des barbituriques sur un fond de musique
d’un autre âge... le poste à modulation de fréquence branché sur une station
extra-terrestre... radio-pirate qui jamais ne
révélera sa provenance
de se rire de se pleurer à
la fois
roulant sur les miroirs grosse
larme visqueuse
égayant l’ombre de ses masques
multiples secrètement conservés car trop clownesques car trop inhumains au yeux
des spectres
de penser l’évidence folle
de se vivre... latence interne... lavabos souillés de rêves
à toi... phénoménale
machination du hasard dont l’insensibilité me touche au plus profond... là où
tout est noir... dans les abysses de mes paupières dilatées
là... ici même
partie de vide... monceau de
complémentarité
orifice qui n’en cache pas
d’autre
peut-être lâche
ni yeux pour te décrire...
ni mains pour te construire
et marcher longtemps parmi
les herbes tentaculaires des villes aux millions de bras tendus et de sexes
affaissés... métropoles souterraines... décombres de promenoirs fabuleux où
jadis j’errais tant sans feu ni lieu l’homme n’ayant pas encore satisfait ses
instincts de pyromane... et point de frontière à franchir
aveuglant minuit de nulle part... mes membres en quête d’antipodes battent l’air d’un pôle à
l’autre
hiver sans nom qui me met à
égalité avec ceux que je ne désignerai pas
je t’aime laid... en tout
endroit de ma conscience vierge de neurone... ma conscience pure de mourant...
ma dégénérescence lucide
et debout d’une extrémité
précise à des prolongements sans fin d’interminables terminaisons nerveuses
je t’attends
toute la nuit ne rien faire pas
même dormir
parlant aux étoiles
attroupées à la fenêtre... astres curieux... badauds ivres jouant avec mes
pauvres misérables mots ingurgités depuis ma naissance dernière pour effacer
tous mes langages maudits... linguistiques cosmiques assimilées au fil des
millénaires durant ces voyages mythologiques
parlant et lisant les
lignes de quelque main tremblante où un œil étincelant tombe comme une bille et
roule à mes pieds avant de ricocher bien plus bas encore
à haute voix je
m’exprime... d’avance les vautours dépècent l’écho mort-écoutant
ça et là leur bec frapper et déchiqueter la molle substance.
hurlant... hurlant ce que je ne
puis murmurer seulement
la radio éteinte... sur ce
gramophone grotesque mon délire insensé gratte enduit de toutes ces poussières
amassées sur mes auditoires muraux parmi les araignées en mal d’architecture
rythme... rythme sans mesure
et le souvenir de toi...
intact parmi ces revenants invétérés détruisant à chaque retour des centaines
de milliers de cellules microscopiques en ma mémoire trop émotive
et le souvenir de toi
demeuré... intact... inchangeable... monté de toutes pièces
dans ma tête
multidimensionnelle un rire impuissant qui jamais ne communique
et les nièmes strophes
glorificatrices de l’anti-désir entamées sur mes ondes cérébrales
télépathie sans fil
à haute voix... sans la
réussite du son... sans la vibration torturée de la matière
et tu m’échappes
la vie m’applique ses
sangsues de toutes parts... colle à ma peau et se fraie un chemin parmi la
vermine grouillante
... et je germe à nouveau
—
21.
L’INCLUS
j’aimerais me cacher, ne serait-ce
qu’un
instant — en l’ornière ineffable
d’un miroir
dément — où mon image plongée
dans l’effacement — révèlerait
à tout dieu
ce que je suis vraiment !
dans la passion et la rage
jouissante
d’horrible — quand la luminescence
de ses phares
me crible — ma douleur
d’être au grand jour
risible — sous les voiles de la
nuit grimaçante
visible !
MAIS CE BESOIN FONDAMENTAL
DE SOURDRE DE JAILLIR
DE M’ÉTALER
en toute surface comprise
entre le vide et l’absolu
entre le geste et la parole
entre l’esprit et le papier
CE CRI PHYSIQUE
ce besoin vivace de me
dilapider
mon corps inclus — - entre
naissance et mort
ma vie incluse — entre vous
et moi
22.
comme une lente déraison
dont l’aboutissement mènerait
au suicide nu — plus loin que
la mort
comme une rage noire — lanière
sifflante
dans la blancheur du dire —
plaie ouverte
dans le Rire et l’Envie — carapaces vides
dans l’illusion des formes —
plein tragique
cette voix de magnésium
cette aveuglante ordonnatrice
cette malformation du silence
que l’on n’entend pas
mais qui se sent
perçante sous les doigts
qui se devine à tout instant
au bord de soi
sur l’articulation du mot
des orties nous poussent
entre les os.
23.
Le Vide m’avale
pour me recracher de suite
j’entends mon Mal palpiter au loin
labourer les murs de ses ongles à
vif
une cité et ses millions
d’architectes
ensexués jusqu’à la moëlle
s’ébranlent tout autour
C’est qu’ils n’avaient
plus rien à dire
prisonniers qu’ils étaient
de la ponctuation de leur
regard
et de mille règles
grammaticales
encroûtant leur bouche roide
bâillonnée d’étiquettes
C’est que le soleil a
conduit
leur fou rire à saturation
glaçant tout un échiquier nominal
dans leur pharynx fatal
figeant leurs pupilles dilatées
en des paupières enténébrées
où tant se sont perdus
errant sans but
d’un corps à l’autre
en quête d’un vain désir
24.
je m’anime tout entier
me révèle à même l’infime
mes yeux étranglent les
distances
catapultent les horizons...
des membres jaillissent de
tous côtés
chassant les guêpes survoltées...
Dans l’effroi de tout
instant
dans cette terreur qui
s’installe en moi
ces tumeurs sans fin que
j’arrache une à une
pour laisser en ma chair
d’insondables cicatrices
dans cette envie permanente de
me fondre
en une seule et relative
présence
dans ma multiplication vivante
je suis seul
mais innombrable —
25.
je serai l’ombre du vent
la trace de pas sur le
ventre
d’un dieu préhistorique
fossilisé
l’éclaboussure tuberculeuse issue
d’une bouche sans voix ni
commissures
béante dans l’espace d’une
souffrance
aux bacilles géants
grouillant
par essaims successifs
grandissants
je serai l’aura dérobée
à quelque contenu sans
substance
le souffle moribond du fou
qu’un hurlement étrangle de
l’extérieur
je serai l’écho des nuits
sans âme
ravaleur de sanglots
de solitudes inflammatoires
que supplicie le jour nouveau
ni un saint ni un monstre
une entité perdue
26.
transes long supplice
tu crèves sous cette lumière
le soleil te hait
tu lui rends la pareille
et les araignées façonnent
dans ta tête des toiles folles
où tes doubles s’empêtrent
dans le mensonge du Présent
cet horrible Maintenant
où tout semble conjurer
l’envers d’un monde à face unique
aux océans murés
aux forêts cloisonnées
tu n’es qu’un trou fondu au
Vide
tu n’es qu’une trace de
nuit, une goutte d’ombre
sur les dalles écarlates de
l’aveuglant miroir
tu peux mourir encore
longtemps comme ça
te dégorger de ta mort tout
entière
tu ne seras jamais l’égal de
toi-même
le digne revenant au regard
résigné
tuée de rires, lapidée de cris
ta voix du fond de l’abîme
émet un bruit de scie.
27.
le vide colle à mes semelles
comme du
chewing-gum mâché longtemps
le soleil refait le trottoir
dans l’autre sens
flétrissures immondes sur son corps
suçons de Satan
rêvant de un et mille visages
ravagés
entr’aperçus dans le brouillard
galerie de glaces concassées
en arrière mon squelette
démonté dans l’isoloir
les os éparpillés aux cabots
du faux sommeil
inclus dans le rien
éternité livide
quintessences absorbées
je dure pourtant ainsi
suspendu
je dure une seconde pas plus
à jamais fixé sur mon sort
—
28.
Quelque chose pourtant
demeure ancré dans le silence
comme une suite d’échappatoires
balbutiements fugitifs
mâchonnements dérobés
pluie de borborygmes bus à la
régalade
... un poète oscille sur
la nuit
des rimes désespérées aux
lèvres
des mains plein les poches
... un poète s’enfuit d’on
ne sait où
29.
Bulle évanescente... ma
voix cheminant dans l’espace
Aisance du rythme contenu
en chaque parcelle de seconde
en toute fraction d’euphorie
emphase accélérée de la frénésie
monologue sans timbre
aux relents chargés de
visions lourdes
dissonances vengeresses de téguments
frottés
contre les murs tranchants
séquestrant l’Infinité
l’infirme Infinité
Ambiguïté d’une prose
régénérée à travers moi
sur les bouches... judas
entrebâillés
de mes auditoires
clandestins
fantômes repliés sur leur propre
terreur
Un semblant de folie...
une parcelle de raison
et le tout se résume dans le
néant seul
de leur disparition
Malédiction d’un songe
assumé dans la sueur morbide
d’une logique acariâtre
vision sans mémoire
incantation du pupitre
décombres où mon être ne se
distingue plus de ses ruines organiques
enfouies dans le mouvement que
suspend le nerf tendu... suscitant l’acte
Jour levant fatidique
chant suraigu d’un coq
hermétique
sur l’horizon noyé dans la
transe
de l’increvable dimension
où
dans la ténèbre chloroformique
mon œil tourne inlassablement
entre des yeux bandés —
30.
SUR L’ENCRE SÉCHÉE suinte
l’illisible
la vie entière vouée à
l’inexprimable
je me heurte à des vitres
diaphanes
à des reliefs percutants
à des précipices
superficiels de regards laconiques
au vocabulaire horriblement
banal
à des auras désertées
abandonnées sous la neige
à des ricanements salivants
cataractes caractéristiques
à ce double qui me suit
partout parmi mes semblables
à des panses de pharaons
gonflées de zithum
à la fatalité des besoins
les plus honteux
à cette pensée qui jaillit
autour de moi et me vide
je me jette en elle et la
vide à son tour
de toute énergie
et nous demeurons figés...
ainsi complétés
ridiculement repus
brûlants de rire dans
l’énigmatique question
que se passera-t-il ensuite
quand nous détiendrons jalousement
la solution
dans les recoins cachés de
notre cerveau
celle qui persistera
et que nous ne pourrons
révéler de toute façon
au monde vivant
nos finalités unies
pris au piège de
l’indifférence —
31.
Les jours n’ont cessé de
choir sur le monde tandis qu’entité invétérée je goûtais la permanence du rêve
immédiat dans l’ébauche d’un événement déterminant. Mais rien n’est survenu. Ma
mémoire autonome s’est souvenue d’elle-même. Et le secret du Savoir fermenté
longtemps sous la plume affûtée du ricanement aigu s’est coagulé dans ma
blessure. Mes poings serrés n’ont fait que dévier la trajectoire imbécile des
mouches venimeuses autour de mon crâne méphitique. J’avais perdu la puissance
des mots par un simple coup de sang. J’avais perdu avec la parole ce qui me
restait de chair, squelette pelant de l’intérieur.
Ô fuser dans la
confusion... Crever la toile du subconscient... Débusquer les esprits terrés
dans l’Oubli... s’écrire... Infime frisson permettant
de maintenir un équilibre apparemment neuf mais en fait trop longtemps
dédaigné. (ÉCRIRE D’URGENCE les visions ancestrales, les testaments cunéiformes
de ses ascendances éternelles, S’ÉCRIRE
D’AILLEURS).
Lumière palpitante roulée
en boule sous mes paupières. Novas incendiées à l’horizon fugitif de la rétine
où le Vent terrifiant du Temps se rue, balayant des tourbillons de cendres.
Quand le rire se prononce
par ma bouche, halètement subjugué sur l’étendue blême du Miroir, tracé façonné
dans la perplexité nue du regard fixe, les ondes m’assaillent et l’effroyable
musique du Chaos Spatial me submerge... Hilarité statique perpétuée sur la Nuit
dont chaque fibre de mon être soutient l’insupportable mesure... Oui, bientôt
je ne serai plus cette masse de fils emmêlés aux circuits déconnectés mais un
tuyau d’orgue immense relié à la toute intégralité du Silence Infini —
DÉMESURES
1.
mon pas enchevêtre l’abîme
le vent propulse ma semelle
sur les infinités
crépusculaires
d’un songe spatialisé
sensations itinérantes
de l’errance emprisonnée
vagabond séquestré
d’une poésie barbelée
torture cérébrale
chambre à gaz verbale
camp de concentration cosmique
2.
Quand il ne restera plus
rien
du doute accumulé
quand les ombres fuiront
la ténèbre ensoleillée
nous nous étriperons au nom du
Souvenir
3.
Pourlécheur de vitres mon reflet
fuyant se goinfre de lumière. La lune souriante aux confins des lamentations
célestes, me perce d’un regard jeté comme un ciseau à froid dans ma chair
maladive. Éclats pisseux finissant où commence l’extase. Jaune brisé dans le
contre-jour d’Éternité. Aisance de la marche quand
chacun de mes pas ajoute au délire de la suprême vagabonderie.
Au travers d’une ville funèbre peuplée de cadavres somnolents, noctambule
lucide, je m’ouvre à la découverte finale. Ravissement de la solitude égarée
par-delà mon image. Ombres multiformes découpées au hasard des murs plongés
dans la perversité d’abîmes architecturaux. Géométrie de l’infini
La fille qui me fuit devra
bien se révéler quelque part. À mesure que je m’enfonce dans la boue des heures
non sonnées et des kilomètres non franchis, limités par l’obscurité cynique, je
me rapproche de cette silhouette fugitive qui se perd dans ma tête au point
vital de la putréfaction.
4.
Pensée prodige échouée là
en rêve sans fond
Heure vague de l’oubli
masochiste quand l’esprit rongé par les rats de
l’apathie se jette dans la poubelle du futur, dépouillé du souvenir, substance
vitale.
Dévalement progressif de
mon être vers les tréfonds du Devenir, perclus pourtant, cloué à l’insondable-mesure que délimitent mes membres tendus dans
l’espace renversé de l’immobilité
Condamnation terrible de
lieux imaginés en des lointains sans fin, si présents dans mes pérégrinations
oniriques, mes utopies d’apocalypses, intensité parallèle des degrés de
l’impuissance, exaltation redoutable de l’extension fatale.
Torture de toute minute,
lenteur qui m’écartèle.
Aveux imprononçables —
5.
Les objets se regardent et
se fascinent mutuellement. Dans le ciel d’un plafond où grouillent les
araignées rouges de ma folie étrange, je me suspends des heures par mes
multiples tentacules secrets, à des toiles translucides qui se déchirent au
moindre souffle... Et c’est une averse de monstres méconnaissables aux côtés
desquels la tarentule la plus ignominieuse engendrée par mon esprit démentiel à
l’apogée du mal, me paraîtrait aussi respectable et sublinale
qu’une bête à bon dieu. Corps humains. Je ne suis sans doute pas tout à fait
normal puisque nul jusqu’à ce jour n’a seulement osé me déconnecter le cerveau
pour emmener son support à l’asile psychiatrique le plus proche. Dénoncez-moi,
vous autres ! Dénoncez-moi !
Moi le déviationniste
spirituel, l’insatiable visionnaire banni de l’espace flou de l’universel
écran...
Mes films, je me les
monte. Ma tête est un fauteuil d’orchestre et l’Absurdité...
une placeuse qui me guide perpétuellement dans cette salle obscure que sa lampe
de poche pénètre d’une lueur discontinue.
Je veux me ranger en moi.
Il me faut une place dans ma cervelle pour assister enfin au métrage censuré de
mon égo. Celui qui pourrait entraîner la camisole de
force à son réalisateur maudit. Oui — je sais d’ores et déjà qu’on y voit une
femme trop bien en chair et mal lotie en os et que le diable lui-même manie la
caméra. À chaque caresse, l’irrassasiable vermine,
issue des futurologies orgiaques des lendemains de fête, grouille sous mes
doigts, mais la substance adorée se regonfle après son passage, se remplit à
nouveau, réaccumule ses molécules, se reforme nette
et lisse — intouchable.
L’Amour
et la Mort se disputent les sous-titres en une suite hallucinante de
hiéroglyphes asymétriques à décrypter au mépris souverain des étymologies les
plus répugnantes. On y voit encore mon visage crispé, sillonné de rides dues à
l’attente, vieilli par l’espérance d’étreindre un squelette d’or massif, au
cliquetis insupportable d’un coït incessamment renouvelé.
Pour qu’elle et moi nous
nous rejoignions un jour,
il nous faudra franchir
l’incommensurable distance.
6.
crocs-hiver
meutes-givre
vampe-vent
vitriol-neige
astre-éponge
saillie-plan
bouche-fumée
bulle-buée
glaçon-cri
tableau-blanc
ombre-craie
aphasie-nuit
7.
hors-mesure
corps-fissure
d’espace-temps
disparates linéaments
impalpables fragments
puzzle nu d’éléments
irrationnels épars
nombres multipares
de faux-semblants
d’ébauches en prolongements
me disperse le mouvement
en l’impossible recensement
8.
Étirement long
encéphalique
embryon transcendé
charogne ensemencée
transposition simultanée
de ma substance substituée
à la mouvante durée
aux étendues pétrifiées
9.
Réverbérations sidérales
Nécromancie biologique
Pulsation révélatrice
... la voix du Vide a
retenti
échos acérés striant
les parois muettes de l’abîme
au fond duquel
je m’écraserai sûrement
où néanmoins
je gis déjà
les pattes en l’air
ectoplasme fluorescent
sous la lentille du microscope
insecte maudit abattu d’une
claque
aux antennes inflexibles
dressées vers l’Intermonde
10.
Impasse non aboutie
murs aux frissons mécaniques
femmes-briques encastrées
en son ombre castrée
Espace mal enclos de sa
sensibilité
que darde au zénith viscéral
de son rayonnement central
un soleil somnambule
syphilitique
11.
Interférence de mon corps
et de l’infini
vibrement long amplifié
sur mes os tuyaux d’orgues
que distend l’hyper-cri
quintessence du son
sève créatrice de lumière
écume d’onde éblouie
rupture magique polyphonique
UNIVERS PAPIER-MUSIQUE
12.
Des orages s’abattent dans
ma tête, faisant trépider mes dents métalliques au roulement sourd du tonnerre.
La foudre a ravagé mon sexe, vieil arbre déraciné aux branches consumées.
Pulvérisé, le soleil a fait place à des nuées sordides d’astres-rapaces.
Constellations flamboyantes de becs acérés voulant déchiqueter mes yeux plongés
dans la nuit dantesque de mes paupières assaillies de tous côtés.
Des visions-vermines
labourent la tripaille de mes rêves au ventre ouvert sur l’abîme perturbé d’un
crâne bouillonnant. Des chacals faméliques rôdent dans ma gorge. Halètements
d’enfer répercutant leur écho néantesque en mes
tempes oscillantes sur des mâchoires qui se renfoncent régulièrement au rythme
incessant des rafales.
Mon cri s’embourbe et ma
pensée patauge quand les meutes-mots, trempées
jusqu’aux os, du haut de la falaise escarpée de ma langue pendante, hurlent à
la lune de leur béante gueule désarticulée.
13.
des yeux me fouillent
me palpent me dépouillent
lentement...
organe par organe
soupèsent l’inconsistant
m’arrachent de part en part
des yeux-vermines
!
des yeux !
grouillant de tous côtés !
une infinité d’yeux
dans la pénombre coagulée
tourbillonnent me subliment
DANS MA LAIDEUR DIVINE
14.
Les morts prient sur ma
tombe
leurs larmes m’ébouillantent
genoux heurtés à terre
cliquètements d’os pourris
refroidis par le manque d’amour
du corps raidi par la pute
universelle
aux copulations-paralysie
15.
Jours !
Que faites-vous de moi ?
Vous vous
contentez de passer en ce rituel illusoire que sont les années. Jours. Je
contracte quotidiennement vos sales microbes d’habitudes. Maladie infecte.
Désespérance qui me ronge et me dévore. Je passerai d’un stade sans retour à un
état nouveau où tous les démons de mes relations tiendront leur promesse
définitive. Les chandelles dégoulinantes de ma pensée huileuse, une fois
soufflées, seront remplacées par des phares immenses qui illumineront chaque
recoin du subespace où mes entrailles s’éparpilleront
au vent de l’Éternelle Durée. L’Unique
à vous ignorer dans le grand Désormais d’un cri triomphal étouffé de son propre
silence aux échos irréversibles.
Jours. Vous disparaîtrez
bien avant moi.
16.
UN GOSSE DANS LA NUIT
Je saigne les veines
ouvertes par le vent
Je saigne dans la neige
sous un ciel noir
où des astres nyctalopes
rôdent en somnolant
où l’horizon glacé grelotte
au firmament
Oh ! Misère d’être !
Douleur d’un rire
s’ouvrant comme une plaie en mon
cœur
un rire atroce où pleurent
toutes mes artères
les larmes du Ricanement
Suprême, au goût amer
Je chiale les yeux fendus
par la nuit
Je chiale dans l’euphorie
du désespoir
à l’heure où des monstres
toutes griffes dehors
dans les ténèbres congelées
hurlent à ma mort
17.
Poix phraséique
engluant l’atmosphère
Paroles entassées là
déversées les unes sur les autres
Pourriture phonétique
Charnier verbal
Fumier cérébral
L’Ennui
vient à passer
sa main pesante, épaisse,
glaciale s’amasse sur mon dos, remonte vers la nuque et m’essore le crâne. Un
liquide puant, globuleux mais bouillonnant comme la lave d’un volcan en fusion,
tombe en flaques sur les partitions.
Les baguettes de la
tentation m’échappent.
Les archets hurlants
s’étouffent dans le vide, violon étranglé.
... Comme il m’est pénible
en ces lieux d’abstractives
résonances
d’accorder la mesure du silence...
18.
Vous qui par un seul
regard
me conduisez en enfer
faces hargneuses ravalez vos
longues nouilles venimeuses
J’écrase des pierres dans
les carrières de ma mémoire, je fends des rocs d’angoisse lourde, des cailloux
froids de solitude, des caillots de cauchemars...
je soulève des dalles à bout
de bras pour me construire des pyramides d’espoir.
Ne troublez pas mon
effort. Ne détruisez pas mes pauvres lubies. Vent, rappelle tes courants d’air,
au moindre souffle elles s’écrouleraient.
Du haut de mes illusions
des siècles de folie vous
contempleront —
19.
Le souci baigne la fausse
transparence du rêve
qui rôde dans mes parages ?
moi, le maudit, le non
assigné, l’enragé de verve
le fou que je suis sûrement,
empanaché
de fleurs bleues diamantées,
cheveux d’étoiles
regard d’onyx, je me transfère
en d’innombrables reflets
sonores
barbouillés de parasites rutilants
empreintes ramassées sur le cri
digital
posées le long de mon corps
oriflamme souillé
figé dans la ténèbre du
firmament —
20.
de n’avoir point de rage
à placer quelque part
je ne sais où mais en un
lieu
interdit d’accès à toute réflexion
de n’avoir point le courage
de franchir cet abîme où le
hasard
me guide en des rues
empestant
le silence et la déraison
un imbécile démon
me retient d’éclater —
Quand les égouts salaces
me montent
dans l’âme ; quand de croire
enfin
parvenir, je me retiens haletant
les mains contre un mur
livide
où, battues au vent sinistre
des affiches aux caractères
de sang
tirages morbides d’imprimeurs
vampires
m’inondent d’une encre martyre
je m’entrouvre à l’infini
les cheveux arrachés par
poignées entières
des gongs infernaux
s’abattent
et m’étourdissent
le mur s’écroule
je m’enfuis — des chiens
fous
s’engagent dans mon chemin
et me suivent jusqu’à la
fourrière
21.
charbon brûlant de ton regard
horizon violet où tu te découpes
visage d’infini aux traits
hagards
caricature de l’inconçu
au sourire nu
je te contemple parfois
debout dans le contre-jour
faisant face aux vastitudes
que délimite ta bouche
l’espoir règne en permanence
en mon esprit béant
sur l’abîme de ton silence
où tombe une ombre de géant
la Mort qui rôde et qu’on
écoute
traîner ses savates de sang
lourdes de tous ces excréments
jonchant les bords de ta route
charbon brûlant de ton regard
ne me fixe plus maintenant
tu m’fous
l’cafard
22.
Profils exsangues taillés
dans le brouillard.
Épaisseur brûlante des
regards figés dans la béate contemplation de l’instant qui passe et se refuse à
disparaître. Ciel brouillé que mouille le crachat fiévreux d’un soleil maladif,
écœuré du jour. Horizon déteint sur la peau. Tourbillons intenses de gueules ravalées dans le gouffre miroitant des distances. Solitude
noire. Manque d’Absolu. Contact perdu. Sourires
acérés à des couteaux ruisselants. Joie de vivre.
Folie secrète de
l’isolement.
23.
Pourriture céleste !
Ô Soleil, toi le lépreux
grattant ses croûtes ternes, elle te démangera encore longtemps cette vieille
envie de me consumer ! mais sache que je résisterai
jusqu’au prochain hiver !
Non. Tu ne m’effraies pas,
affreux vieillard croulant sur ses béquilles enflammées !
La terre sous mon ventre
n’est que braise et mes entrailles, pourtant, sont entrées depuis longtemps en
ébullition ! Depuis le premier jour ou le cordon ombilical a pris feu ! où le nombril, véritable cratère volcanique, a répandu sa
lave bouillonnante sur les mains de la maudite sage-femme ! et
dès lors, jamais plus le flot rageur n’a cessé ! Le liquide infernal envahit
mon berceau, mes cahiers d’écolier et les corps ensorcelés d’Aphrodites inconnues brûlées vives sur le bûcher ardent de
mes désirs !
Et toutes les surfaces
effroyablement démesurées de terrains arides sur lesquelles on voulait me faire
ramper jour et nuit, de champs de bataille qui se transformaient en torrents
déchaînés, au bond aérien des crapauds bavant sur les médailles rouillées de
cadavres qui se sauvaient en hurlant de terreur !
Pourriture céleste !
Ô Soleil, vieille
fripouille ! Trompe-la-Mort !
Tu ne l’allumeras pas mon
âme gelée dans l’épouvante de vivre !
24.
(consonne
indélébile)
Poète noir
Poète blanc
rouge jaune ou vert
tu demeures dans la nuit
et la mort, ta seule amie
tout au long de ton calvaire
creuse froidement sans répit
dans ton corps illusoire
sa morsure incolore
25.
Il ne me reste plus rien
que des cadavres dans les
poches
que des astres au fond des
yeux
que des rêves entre les dents
Il ne me reste plus rien
que des mondes dans la tête
que l’éternité au bout des
doigts
que cette lame à rasoir - ce
stylo
coupant les veines du silence
qui se traîne à plat-ventre
dans une flaque de sang
séchée par mon cri
Il ne me reste plus rien
que le baiser sublime d’une
femme
dont la langue venimeuse
m’enflamme
et me pétrifie l’âme
26.
Tumeur verbale
là
sous ma langue grossissante
gonflée de morve linguistique
noire d’infâmités
bloquant ma bouche en fièvre
bulle puante (mauvaise bande
dessinée)
ne cessant de se dilater
sur ma face grimaçante
cramoisie
cri saigné à vif
kouak brûlant calcinant mes dents
crocs en cendres durs à mâcher
recouvrant mon visage muet
englobant mon corps silencieux
et l’espace figé de mon écho
avant d’éclater soudain
en une prolifération
de cancers poétiques
27.
En l’espace, plus
pittoresque, un savant-poète !
D’une nuit, l’autre
semaine, les murs et les routes, les étoiles et les urinoirs se couvrent des
propos qu’on lui prête. Qu’a-t-il dit, au fait ? Nul ne le sait. Mais les
craies multicolores répandent sa parole sans la signer. L’auteur se devine trop
facilement par le jeu de la syntaxe. Son œuvre unique est un immense rire que
d’aucuns ont interprété comme un interminable sanglot. D’autres à l’inverse y
voient un ricanement sans fin.
28.
mes angoisses inscrites
dans la poussière
graffitis maladroits
emportés par le vent
mon rire plaqué
face contre terre
mon rire grimaçant
au masque de plomb
mes femmes mortes
dans ma chair
sur mon sexe-cimetière
et mes songes d’enfer
mes femmes !
paralysées dans mes gestes
simulant l’éternel inceste
mes cadavres passés-futurs
dont je sens la froide morsure
dans un sommeil sans rêve
mon sommeil-cauchemar
!
mon soleil-canular
!
étouffé dans la nuit torride
ma nuit-fièvre
!
ma nuit tombée sur un cri
mon cri-ténèbre
!
mon cri au fond d’une gorge
qu’étranglent mes propres mains —
29.
je ne suis plus rien qu’un sous-humain
qu’exila un souffle — un regard
dans la vague odeur du sang
et des fusils dressés dans
la lumière
torturante de la haine
comme des torches inutiles
sur les places publiques
et partout ailleurs où le
privilège
du rire maintient ses droits
au bord des bouches gorgées
de vains discours sur la
famine
et la misère des lendemains
je ne suis plus rien qu’un sous-humain
sans mémoire dans la fusion du
temps
et de la crédibilité philanthropique
des dieux contemporains —
30.
Roulement sourd d’un cri.
Poison virulent giclant dans le silence où seul s’exprime le crapaud maladif du
temps broyant l’espace de son chant monocorde.
Je n’étais rien, pourtant.
Pas même une ombre, mais je savais que Quelque-Part
une entité m’interpellait, perdue dans la divagation de la cacophonie étalée
sur une distance allant de son aboutissement recommencé à son esquisse
prolongée, tracée dans les ténèbres verbales. Je courus à perdre haleine, je
courus à perdre jambes, je courus vers ma perte. Elle me devinait en tous lieux
de ma pensée, m’attirant simultanément vers ses multiples échos. Je remuai mes
millions de corps dans toutes les directions de l’Éternité
désincarnée dans le souffle immense d’un réflexe spontané. Pris au piège,
j’agitais mes particules membraneuses dans une boîte d’allumettes vide.
Morbide, suant, j’étais l’animal gonflé de morve, fouillant la narine d’un dieu
aux profondeurs cathédralesques. Crocodile abandonné
sur un rivage sourd comme une barque échouée, je sentais mes écailles flamboyer
sur des vagues de cristal. Oiseau de proie en chasse, je me laissais vaguer
dans les finitudes intersidérales d’un songe inclassable où je me réveillais
tout le temps, claquant du bec, avant de me rendormir à tire-d’ailes.
Fou dangereux, je me poursuivais sans espoir de me rattraper pour trouver la
voie ultime d’un asile où nul n’a raison d’être, ou la mort elle-même est une
dérision. Dérive souveraine du délire optimal, je m’éparpillais en multitudes
sans jamais m’identifier vraiment. Où étais-je ? La voix m’appelait ; je devais
rejoindre sa source, le point central de toute logique où mon égocentrisme se
révèlerait enfin dans l’Identité Unique. Mais la
chauve-souris grimpait sur les murs sombres d’une architecture pieuse vouée au
Démon. Le chien pouilleux, perdu et battu haletait sur les talons d’un vagabond
chancelant. L’araignée imperturbable trottait le long de sa toile, fouillant
chaque repli de ses pattes névrotiques. Visages grimaçants dans la confusion
des reflets renvoyés à l’infini. Peaux frissonnantes des squelettes emmitouflés
dans l’hiver rigoureux de l’existence. Cimetières pleins à craquer de
corpuscules rampant vers la sortie, une foultitude de vers affamés aux
trousses. Le cri se fit musique. La musique se fit cri. Dans toutes ses
résonances se glissait un message. Un message qui était moi. Qui n’était rien.
Je patinais sur les ondes, véritable banquise. Atmosphère glacée. Caverne
universelle. La Bête sans Nom se fit minuscule. La Bête sans Forme se roula en
boule dans sa vacuité. Un éclair multicolore stria le ciel, tranchant
l’immensité en deux infinis bornés à chaque kilomètre. J’étais cet éclair. Je
portai la main à ma bouche dans l’espoir de saisir un mot au vol, de le palper,
mais ne pus le pétrir sous mes ongles longs, entre mes doigts tentaculaires.
C’était un langage que je ne connaissais pas, un langage froid qui devait
correspondre à une réponse. Des semblants de syllabes s’articulaient entre mes
crocs gigantesques, prêtant à ma vocalise une sonorité d’enfer. Je marchais sur
un sol de verre, ployant le dos au-dessus des flaques d’eau infranchissables.
Ailleurs, je me retrouvai suspendu à une corde grotesque, les pattes battant
l’air en tous sens, gesticulant contre une montagne d’excréments séchés au
soleil, durcis par le gel, dont je ne discernais pas le sommet. Verticalité
sans limite. J’étais la Mouche, l’horrible créature carnivore à la trompe
porteuse de germes. Mes yeux à facettes roulaient dans leurs orbites à la
recherche de sa silhouette. Mais je ne pouvais me décoller de ce truc gluant,
mes ailes paralysées refusèrent de me libérer. J’étais bien attrapé. Ailleurs
encore, des larves vénéneuses déversaient sur mon ventre un flot de bave qui se
répandait sur un sexe hypersensible dont la surface velue était sillonnée de
marques sanglantes. Cauchemar infernal. Je réapparaissais dans toutes les races
disparues surgies des catacombes pour s’entretuer sans fin.
Je me montrais à chaque
carrefour de villes pestilentielles d’un doigt accusateur dans les reflets des
vitres de magasins de cercueils en soldes. Je me désignais sans me voir. Ni
même me reconnaître. J’étais cependant extrêmement lucide. Tout tendait à me
prouver qu’il s’agissait de moi. Cet être livide aux yeux ténébreux, ne sachant
où placer ses membres squelettiques tournant sur eux-mêmes, c’était moi. Ce
type qui lisait un journal aux signes hiéroglyphiques en trébuchant à chaque
pas sur des cadavres méconnaissables, c’était moi. Cet étrange individu qui errait
un poignard entre les dents, c’était Qui Vous Savez. Vous vous
êtes tous enfuis à son approche, vous mes doubles tremblant dans l’obscurité,
mais il vous était pratiquement impossible de lui échapper.
Je déambulais des impasses
dont les murs incolores étaient formés de prostituées soudées les unes aux
autres, dressés par les maçons de la perversité des catéchismes de la religion
corporelle. — Tu viens avec moi ? Je les entendais mais impossible de choisir.
Tout se serait effondré. Je ne baiserai pas à coups de pioches et de piques, me
suis-je dit dès lors. Ô Murs de la Tentation, ne vous écroulez pas sur mon
passage... Je ne suis qu’un cabot d’amour, maltraité par lui-même, rongeant ses
propres os, qui ne sait ou lever la patte. (GLOIRE À CEUX QUI N’ONT PAS
D’INHIBITION À CACHER..!) —
31.
mémoire sans âge
j’ai vécu bien d’autres vies
identiques à celle-ci
mascarade du temps
transposition des heures
ennui sans issue
dénégation de mon corps
flottant au ras des miroirs
langage gestuel
hurlement perclus
immobilité muette
les éléments m’enchaînent
aux ténèbres d’acier
La Démence est là qui me
tient compagnie
la Folie
parée de souvenirs plastiques
de lucidité toc
de visages hagards
indéchiffrés
franges d’un passé mal retenu
évidé en mon esprit-poubelle
où les rats pullulent
et dont je me nourris
... Clochard cosmique
32.
Cri atrophié dans l’onde
ravagée
je suis en conflit avec
l’univers
qui pourtant
demeure le seul à m’ignorer
vagues écumantes dans ma tête
océan sans rivage du songe
prolifération des cycles à l’infini
de l’attente maladive sans
limite
dans l’espace oublié où ma
pensée
flotte cherchant les récifs d’un
corps
noyé dans le passé
entre probabilité et devenir
négativité permanente
créative spontanéité d’avenir
brève déraison
éternité retroussée
luminosité intense qui m’aveugle
faisant voler les horloges en
éclats
astres néfastes rayonnants
dans la débilité boréale de
mon regard
au couchant d’une vision
et de ce cri atrophié dans
l’onde ravagée
à l’aboutissement de ma
voix
où je brûle en silence
33.
Permettez-moi de m’étonner
de votre justice
vous dieux pourrissants
créateurs de néant
qui m’avez condamné à mort
sans jugement
permettez-moi de vous adresser ces mots
vous régulateurs de langage
vous articuleurs
d’inexprimé
dans l’universelle aphasie
permettez-moi de me désavouer
permettez-moi de rire de moi-même
de me caricaturer sur le
papier
de me dérober à vos miroirs
de marcher sur mon ombre
comme on traverse une flaque
d’eau sale
de me perdre dans le temps
d’annuler ce qui m’entoure
en broyant la lumière autour
de moi
en soustrayant ma masse de
toute pesanteur
en brisant la glace qui me
paralyse
à la surface de mon esprit
où je patine depuis toujours
marionnette minuscule
imitation ridicule
MALADIVES
... Distance agressive...
Bruissements d’élytres...
et de rage des mots...
La Pensée Schizoïdale...
Cloîtré dans la nuit...
J’agite des yeux...
Échos télescopés...
J’ai pour moi la hargne...
ce vêtement tendu...
en moi l’espace noir...
Éclaboussant les orifices
immondes...
Trou creusé à même...
à cette heure grave...
que rien jamais...
du rire le plus atroce...
Corpuscule introverti...
une métaphysique
incertaine...
Théâtre informulé...
Trognes meurtries de
l’absence...
Étrange de se crever
doucement...
L’Inclus
—
comme une lente déraison...
Le Vide m’avale...
je m’anime tout entier...
je serai l’ombre du Vent...
transes long supplice...
le vide colle à mes
semelles...
Quelque chose pourtant...
Bulle évanescente...
Sur l’encre séchée...
Les jours n’ont cessé de
choir...
DÉMESURES
Mon pas enchevêtre
l’abîme...
Quand il ne restera plus
rien...
Pourlécheur de vitres...
Pensée prodige...
Les objets se regardent...
Crocs-hiver...
hors-mesure...
Étirement long encéphalique...
Réverbérations
sidérales...
Impasse non aboutie...
Interférence de mon corps
et de l’infini...
Des orages s’abattent dans
ma tête...
des yeux me fouillent...
Les morts prient...
Jours ! Que faites-vous...
Poix phraséique...
Vous qui...
Le souci baigne...
de n’avoir point de rage...
charbon brûlant de ton regard...
Profils exsangues...
Pourriture céleste...
consonne indélébile...
Il ne me reste plus
rien...
Tumeur verbale...
En l’espace, plus
pittoresque...
mes angoisses inscrites...
je ne suis plus rien...
Roulement sourd d’un
cri...
mémoire sans âge...
Cri atrophié...
Permettez-moi de
m’étonner...