THÉO LESOUALC’H
KAZE NO KASHIRI (Paysage de Vent)
film de Keichi Uchida
Vent.
Vent du vent de la chair de l’homme-vent. De l’homme qui tremble dans ses plus insondables bas-fonds. Dans ses cuisses de chair au ventre de son vent.
Et vécu pleine chair de son propre vent l’homme marche en couloirs d’une ville. Vent égaré se cogne aux angles les ailes rognées et trace sans retour possible sa piste de chair sur le même parcours noué
et noué
Vent de ciel
dans ses rues de ville aux écritures impavides des néons.
l’homme danseur rompu aux articulations et possédé de vent divaguant le danseur maculé grelottant dans son sexe sa vision phosphorée du temps
à quelles autres divinités adresser le message en blanc des papiers « fudé » repliés. Labyrinthe
en geste de papier
à quel vent
la danse calligramme pèse le poids de l’homme pesant. Du poids le plus lointain d’un antécédent batracien
Hijikata Tatsumi se veut vent fils du vent et se redessine image froissée aux coulis du vent
le yukata serré flottant furi-furi de frissonnements
Le torse ployant
les cheveux massés noués en boule et le regard interné
et frôlé de tous ses paysages en mouvement
les paysages sans parole
les paysages leur réalité gelée
l’homme par traînées d’asphalte semelles dansées
homme-limite
en fuite éparpillé
dispersé morcelé
contre-jour de l’homme ajouré frappé aux verticales aveugles des façades
le temps m’est aujourd’hui témoin et je me souviens de l’homme déjà creusé que je retrouvai il y a quelques années à deux pas de chez lui... le temps d’aller acheter des cigarettes.
De l’homme le temps accroupi sur le tatami et allumé de saké dans la fumée des mots
au temps entrebâillé de vent
au temps de tous les espaces en blanc qui accusaient formulaient qu’es-tu devenu depuis tout ce temps ? la phrase tendue de pièges... hésitante... en attente. Lente sous ses évidements.
et j’avais seulement prononcé le nom de Mishima.
des fantômes s’abreuvent aux silences. Présences. Dans le regard soudainement grave de Hijikata qui se tournait vers moi quelque chose vacilla. Bascula.
de la mort-happening de Mishima
de sa mort en farce de tragédie antique
réponds-moi
oui de quelle nature es-tu véritablement homme qui te réclames du vent ? et d’où te vient l’invention terrible de ce regard au blanc ? du regard qui se retourne vers l’autre lieu du dedans ?
vaguant
à pas comptés hésités sur l’équilibre péril de la nuit d’un autre Tokyo reconstitué. Déshabité ?
l’image là en plein écran qui me tourne le dos sautillant qui cherche à s’échapper. L’image qui lambine.
piétine la matière lézardée du passé
et adhère aux haillons des papiers shidé
fantômes des corps assis debout étalés tous encore tracés des mêmes replis
l’homme continuera d’avancer aux dérives de sa nuit
et la voix d’une bande sonore marche elle aussi au même pas. En une voix qui harcèle. Trame d’unique phrase au fil des rues ivres
j’écoute tinter les syllabes. Anathème.
j’entends le tintement
au vent rugueux des mots qui s’empoignent
au chuintement soyo-soyo du vent
par flots ruissellements j’écoute
au goutte à goutte
et se sèment par caillots se racornissent
chaque mot comme un gong un glas dans sa flaque de silence
toute la scène houlée d’errance
corps de chair qui se mure
condamnée à ne plus grouiller qu’en-dedans
et bouillonner sara-sara grouiller
formellement interdit de jamais s’étirer
les mots
échos des pans de ciment
rebondissement
la mort vécue viscères
aux entrailles de la ville
le temps tenaillé
du regard au loin
pas à pas en soif
d’autres rivages
autre langage
le temps de l’injure
ironie de la morsure
l’homme dans l’instant d’une peau-camisole
kampai !
se tournait une fois vers moi le menton dégoulinant de saké
... oui, me dit-il, j’irai moi aussi vivre quelque part dans la montagne... mais il n’y a plus aujourd’hui de montagne et ça tu le sais.
et quelques minutes plus tard rageait
... et qu’est-ce que tu fous bien dans ta putain de montagne... tu peux me dire ?... oui dis-moi...
kampai... kampai !
faute ici de place
l’homme empêtré de son corps
les membres lacérant les oripeaux du vent
jointures désaccordées
shi-shi raclé dans l’usure du temps
aux affres de celui voyant dont les semelles étaient de vent
et les mots venaient empoisser l’alcool du paysage
frigide
image après image le film faisait boucle
d’une mécanique de signes décombres
aux grincements des détours
par rictus quelques êtres béants
qui lapaient le vide édenté
ses danseurs les corps rognés
venus d’ailleurs lui faisaient parade
kampai !
et le feu prit aux fleurs du champ
dans ce paysage de lieu de vase
de boue de corps
détaché du visage
le feu attisé de vent
sortilège
le décor se déride en surplace
à l’aube du corps
par reptations. marécages
autour
d’un mouvement concave
qui fore
les froissements
que le film
image par image
désentrave
kampai !
Le film roule sa pellicule dans le temps au néant du craquellement
et la pupille se recroqueville
Tatsumi Hijikata a inventé un monde encore immergé où la chair en naissance ne cesse de se débattre pour assurer son vertige entre les apparitions d’instant
et c’est comme au ventre le plus saignant de la ville — les abattoirs — au temps mort de la tuerie que le danseur traîne encore ses pas le long de tables d’équarrissage entre les entassements de fers rangés rincés
accumulés
innocents
en oubli
en sursis des quartiers de viandes dépecées
et le vent on imagine s’engouffrerait soudain pour transformer les corps les crocs les cris les groins
kampai... kampai......... !
la chose qui ronge
comme aujourd’hui ici
se déchaîne un vent de Cévennes
qui m’entre dans les pores
et m’insurge
au fil de mes coulisses du film
chaque geste devenu clé
chaque clé impasse
il y a dans la démarche de celui qui passe
le même creusement
au long de cette rue de Tokyo n’a jamais rôdé qu’un clodo
kampai !
geste après geste comme page sur page
l’image
et éloigné de moi le même paysage qui se poursuit inlassable
creusant encore l’enfermement
l’enfer blanc du temps
l’écran éteint du lieu-dit
Hors-lieu de l’homme
ligaturé
qui bute aux naufrages de la mémoire
les ré-ouvrant aux vents
le film de Keichi Uchida met à nu les ténèbres de vivre dont Hijikata a sculpté sa danse, les pétrissant, les violant, les contraignant au plus vif de leurs grincements et les étalant impudiques aux astres de l’éclairage comme pour les accoucher du supplice imprononçable
par les circonvolutions du film-poème j’enfile aux plus étroits des boyaux en anesthésie de celui qui n’a fait que se remettre au monde
le danseur rebelle
envoûté au prologue me colle au corps me suce à blanc
et m’écartèle
insalivé de vent.
oct. 88