INTERMINABLE SANG
AVANT-DIRE
DE PAUL CHAULOT
Lorsqu’il
arrive au poète de se heurter plus violemment que d’ordinaire aux parois de
sa propre réalité et qu’il mesure ainsi toute l’épaisseur de l’obstacle qu’elle
oppose à son regard de voyant, le cri de désespoir qui lui est alors arraché,
regardons-le d’abord comme un mouvement de sédition dirigé contre la parole
même du poème. La récuser ou, davantage encore, l’anéantir, comme pour mettre
un terme à trop de douloureux affrontements, voilà ce dont il a dessein, proféré
de l’abîme.
INTERMINABLE SANG ne manquera pas de retenir en ce sens notre attention. Une
volonté peu commune s’y affirme de congédiement du langage, tenu pour responsable
de l’incapacité où demeure l’acte poétique de se réaliser dans son absolue
plénitude. Serait-il, ce langage, sollicité au-delà de ses limites, forcé,
rien ne parviendra jamais à lui donner visage de sûr et authentique témoin
de l’illumination, de parfait répondant. Plutôt donc sa perte que d’avoir
à souffrir de ses infirmités congénitales, plutôt qu’il se désagrège dans
l’explosion du cri.
On ne mettra pas longtemps, cependant, à distinguer la
démarche de Guy Benoit de certaines préoccupations
actuelles, apparemment voisines. De ce côté : rien d’autre qu’un soulèvement
de plus dans le vieux plissement rhétorique de la poésie française. Chez Guy
Benoit : un drame personnel ressenti jusqu’aux lointaines
profondeurs de l’être et assumé dans une totale solitude.
La quête dramatique d’un exorcisme.
Sa témérité nous darde. Elle nous convainc de cet exaltant
pouvoir du poème : être dans le même temps son extrême menace et son ultime
sauvegarde.
Paul CHAULOT.
Dessin de Maxime DARNAUD
LES
NOCES AVEC MYRA
SANS
DOMICILE FIXE
hormis la houe à fleur de terre et l’agir immédiat
le rythme casanier des colères avortées
que me reste-t-il désormais
pour brûler les escarres du béton
et ne pas jeter l’ancre dans le sommeil
ventre ouvert ?
RIEN
rien sinon restituer à la parole
la conviction du poing fermé
qui dépasse l’idée le simple souvenir
où ne bat plus le cœur de l’océan
écart lointain presque innocent
à l’envers d’un espace en déroute
où les sept rasoirs du semainier
protègent l’échelle du lisible
la dernière nuit viendra bien assez vite
qui m’ouvrira la pierre me tendra le miroir
sur lequel danseront les utopies bavardes
ANTEE
?
le verbe naîtrait-il orphelin que je l’adopterais
pour donner le change à mes périples mort-nés
et cependant vécus par cet autre moi-même
aveugle d’avoir trop vu mais l’eau ne supporte
guère
les sous-titres improbables notre vivre
calqué
sur des écrans mouvants qui traduisent l’absence
je je je où pourquoi ? allons une image
seulement
une image d’adieu à l’arbre assassiné
dans le dédale de la cité sans âge le vent
éparpille
ses forces échevelé impuissant aurait-il
renié
le miracle des terres rudoyées par sa poigne
virile et sûre avant juste avant l’averse féconde ?
les feux sont à jamais éteints aucune fumée
ne monte vers le ciel qui disparaît de
l’horizon
entre l’homme et son lieu la chaleur sans
visage
que font nos corps dans le gel des ténèbres
ENCRES
la noria tourne à vif
dans des banlieues difformes
avec pour compagnons les vocables rétifs
qui n’en finissent pas de mesurer
le nord et l’ouest et la couleur
j’ignore m’entendez-vous je voudrais ignorer
les portulans et pâmoisons récentes
dans la trouée des rêves
alors que la noria recouvre la parole
par delà l’écho des vitres brisées
Myra est mon amante
savoir et parabole
MYRA
des ombres
copulent sur un soleil à perdre haleine
longue attente à reculons
qu’il me plairait de soustraire aux migrations
voisines
— le risque est grand ! —
mais comment comment
accompagner mes jours
ailleurs
que dans ce regard calfeutré
par mes lambris d’écriture
l’unique entretien avec celle qui
je l’imagine sous tous les angles
des ombres vont et viennent
sa main pour les noyer
sa main saisis-la
quand elle remontera les pentes exfoliées
de la
mémoire
SPIRES
Bagnolet le 5 février 1966 :
Les méridiens n’indiquent plus aucune
heure.
Un sphinx plie de l’aile, qui croise
ma déshérence.
L’héritier, un fol été dénué de toute
ponctuation ?
Villaines-la-Juhel le 20 février 1966 :
Pour première venaison, la main morte d’un écho.
L’arbre est seul au milieu du champ,
persiennes closes
Un coureur de bruyères jouxtant les hasards
diffus.
Villaines-la-Juhel
avril 1966 :
Sexe émondé : nouvelle unité métrique
? À l’extrême
pointe de ta fièvre, tu n’atteindras que bauges
ou l’aurore
gagnée sur l’énigme sauvage.
Bagnolet le 5 mai
1966 :
Sous l’innocence la ganache dans la poussière
du galop
même le galop n’existe pas.
FACE
OU FACE
droit de mouvance
serait-ce la césure dans une enfance mienne
— manades des rivières au fil d’un âge
neuf — ?
créer le dialogue et l’oiseau
l’illusion de l’edelweiss
voilà mon âme enrouée jusqu’au vertige
par le souvenir ocellé de ces chimères
aux noms de passes inconnues !
vaudrait-il mieux répondre à l’invite éphémère
au rire tavelé d’une jambe à l’affût
grimpant à même les instances du brame ?
répondre simplement
et puis l’espoir
l’espoir des mannes clandestines
ME RAPPELER
UN VISAGE
me rappeler
un visage que je n’ai pas
connu
une ombre
qui se dessine dans les marées
nocturnes
nul retour n’est possible
et la terre et l’enfance et les plaisirs
nomades de la marche à l’étoile
je parle d’un présent
embroussaillé de gui tout gorgé
de méfiance
— la honte
est-elle d’ouvrir
le rude herbier d’aînesse ? —
sève
chantournée
dans des criques allusives
SOLAIRES
à défaut de tricher sur les blés les éteules
font illusion
ne pas croire aux mandragores
éviter les amers inutiles
vaines brisures du quotidien
dans l’identité blême des soliloques
la rouille prépare ses quartiers de feu
baliser les périmètres du vide. Un signe
peut EMBRASER
tremper l’écriture dans son océan de Dirac
écarteler les dimensions
mettre à sang l’allégorie
une écorce pubère entrave la saignée
l’alternative a-t-elle des branches ?
VAGUE
DÉMARCATION
muezzin mutilé
par la brillance des midis
— l’aspic guette le périgée des élans
solitaires —
duperie des moissons
aux frontières du Tangible
pour qui connaît la faux
ce qu’en fit la légende
tourment
d’une poitrine condamnée
au paraître du sang
et dans le charroi grandissant
des nouvelles jouvences
ce regard qui m’attend
bien avant sa naissance
UNION
LIBRE
source
vestige d’un fleuve
qui ne prendrait pas le temps de naître
l’hymen tissé d’azur
en sa profonde nudité
s’unissent les transhumances
Fixité de l’Envol
aucune étoile
à titre d’héritage
nuit quadrillée d’infini
PAYSAGE
HÉROÏQUE
dans un ciel ourlé de sueur
l’expectative des rochers
se creuse toujours torride
la soif aux mains calleuses
sans crainte de l’ordalie
l’oiseau libère son cri
ne sait-il pas assez
la dure saison des hommes
ô face obscure des fenaisons
pour tenter à nouveau
le bénéfice du rien
quand tout est consumé
tel un brasier d’épines
et que tout brûle
à l’orée des fenêtres
ARTISAN
DE LA PÂQUE
artisan de la pâque j’avais choisi l’outil
feu perclus d’écriture et ma main endeuillée
le douloureux orgueil de ne remuer que
cendres
en imitant la pierre au compromis des flammes
que faire de ces midis à l’aiguille arrêtée
?
que faire de ces midis boursouflés de faconde
?
les sarments desséchés à flanc de solitude
une monnaie courante pour la terre à tombeau !
mon sang mon sang sourcier en avance en
retard
pareil au blé versé et cependant mon sang
cri violence encore violence non n’accepte
pas
l’alchimie des fontaines les haillons d’opéra !
nul besoin de l’étrille chevaux morts à
l’étape
j’incise je taille puis j’ennoblis faute de mieux
ailleurs où ? la foudre
solidaire versant autre
ton visage sauvé à l’aplomb de mon sang
LA
RÉUSSITE
J’avais brisé l’œil dedans le miroir.
Un arbre tomba puis
deux puis trois. Femme mise à nu ! Ses hanches
ouvertes
à la Parole ! Et j’ai voulu parler ! Las ! je n’étais
que regard : terre privée de pluie.
Battez les cartes ! Revient régnante
la nuit de pique !
NUPTIALE
assez le pain le vin la table assez l’oraison
ou bien néant avec l’alcôve le lit défait le cri la faille assez l’encens
la liturgie assez j’entends l’hallali creusez creusez
encore creusez mon corps mon sang mon sang à vau-l’eau le flux ceci mon corps
ceci mon sang ce
marées androgynes j’obéis le tympan mais crevez-le
immensément Silence
LA PAROLE
PERDUE
la rivière en toi mais toi tu t’éloignes
je ne
cours plus mon bras s’engourdit bleuit mais
tu
demeures cet homme qui cherche une raison de
courir
l’âme claudicante à la surface des mares plus
haute que son faîte et plus profonde que
ses racines
nul Seigneur nul visage ou fiancée forgée
dans
le sel de l’inceste géographie des ressemblances
mes mains par trop amoureuses et l’aimée
par
trop mon enfant
un regard s’entr’ouvre
sur le néant jumeau
désir à mi-chemin
salve salve une
salve une salve d’oiseaux
hisse l’humeur allégée de nombreux éventaires
avenir blanchi par la chaux morte et vive
c’est Elle ou votre corps sa naissance et
ma mort
résilions tout sursis l’esprit borgne ranimant
la parole perdue
CHANT
1122
1.
l’ascenseur
grince dans le repli
des ronces
j’insiste : il pleut du ciel
ah ! tarauder
ce crâne
au terrain vague
ci-gît un sang douillet un sang
mordu d’écailles poissons
lézards ou du ciment
mes yeux
striés de névralgies
face à l’incendie des roulottes
près l’angle obscur d’une peau rêche
2.
le bleu-vouloir
son agression
la lie déborde
sous l’emprunt d’ironie
reg
ce que veulent cailloux
tous presque rapaces
suivez le pointillé
.........................
.........................
HARGNE
à pétrir un hoquet
3.
gethsémani
un cri d’arbre
ni plus ni moins
l’effort immigré
sous l’insecte critique
innovons
velléités
par temps de puits
vu du treizième
le flou-rogomme
qui
mauve amer
réponse : qui
4.
les sanies
remuent en moi
qui suicident l’étoile un surcroît
de gris-gris étouffe la
prise en chute
DÉRISOIRE AUTARCIE DU POÈTE
de quoi mimer un cœur
un cœur qui sait ? l’indice
INTERMINABLE
SANG
INCENDIE
VALANT MIEUX QU’UNE AURORE ?
coupable la cendre elle précédait le feu
le protégeait
OSSUAIRES
du tranquillement gémir
et de la stricte urbanité
quel spectacle ?
une ligne de mire changea son fusil d’épaule
je pyromane gisant sur les hauts lieux
de ta
sagesse
et la cendre de mes veines abusives
l’abrupt d’un cloaque où
croasse mon sang
ne pas consulter ma montre
une heure pas de ce temps
une heure pas de ce temps et cependant qui
passe
PAYS
COMME SI
à Théo Gerber
la criée est un leurre
que ne supportent pas les houles
alors ?
alors anamorphoses
qui écarquillent les parodies d’eau douce
anamorphoses et ksars
— soupçons de mémoire où m’absenter —
ksars ksars assoupis
sous les lampes
d’amertume
et Ys
du transfert au bocage
Ys hypertendue de cliquetis
alors ?
alors gravats
gravats de sons et de lumières
nulle écorcherie ni annonciation
refonte des miroirs
et les chevaux ricanent en déformant les
socs
SANS POIDS
NI MESURE
aube nue debout voici
harassant
une horde d’impacts
alezans haridelles rarement pégases
et me paralysent en
QUI-VIVE tiraillé d’intentions
pour peu que j’ouvre la lucarne est-ce
enclave au découpé du verbe
ou la mer séparée de ses sables
je crains le rythme à vide rythme
rythme écumant de rien
ozone dégluti
de sombres crispations s’émancipent
l’anecdote se brise à la moindre
fissure à la moindre blessure
j’élague la demeure
HISTOIRE
D’AMEUTER LES PISTES
que ne tremble la pluie
parce que
dedans
dehors
syntaxe fard-fadaise
blasonne les traces
mouillées de saules moqueurs
saules.
à l’image de quoi
arbres se détachent ne sont que
sargasses dans la mer du même mot LE
poète gesticule un mythe poussé
au vert DOUANIER
que ne tremble la pluie
prendre l’enjambée de traverse
pour un calme d’oiseau
parce que
dedans
dehors
histoire d’ameuter les pistes
INVECTIVE
A
ennuis d’identité
d’emblée contre quand
les mois tardent à venir au
plus loin de mon sang comme étang
grouille sous l’herbe par intérim
avorte avers d’homo-véniel
suinte suinte de
la naissance en vrac
et
verbe
voudrait tant avertir
qui ne puis à perte de
remuement
VIE
dire
c’est ajouter le temps autre
moment trop blanc
l’on ne sait dans lequel entrer
faute d’itinéraire
s’essouffle
soudain
l’aune d’un sous-bois
des brûlures sur ma peau
l’ortie
nullement apaisée
toujours
NULLEMENT
APAISÉ TOUJOURS
le sang
rogne sa nuit à vif
dans des sentes rassurées de lucioles
en même lieu béance et le temps asséché
y corrodent coqs douteux
mais sans couper les pages
de nos désirs brisés
par où insectes présumés
vite éclats à la mémoire de feu
atteste
inlassable excorié au milieu des cailloux
*
* *
lequel
franc-tireur
celui-dérive du cri
vers les faubourgs sans projet
lequel portefaix
celui couvant le risque
de son arroi d’abeilles
*
* *
ruisseaux
inclinez-vous
je tance l’entre-deux-eaux
MORTE-NAISSANCE
exsudées
à la longue de moi
chairs qui m’enserrent
délivrant mes cadavres
à mots drainés
m’épure
jusqu’au pourquoi du sexe
déjà
l’alibi des licornes
sur ce que fut un corps
car les eaux s’impatientent
pour les sables diurnes
déjà
l’image immobile l’image
revenue qui n’est jamais allée
dans les carènes du sang
DESCRIPTION
PRÉVENTIVE 1
à Paul Chaulot
SURTOUT NON L’ÉTIAGE
MÊME À CHARGE DE MUE
car limon loess
aux cernes illisibles
— vigie défaite de la pierre ! —
et boues d’origine incertaine
en la confluence des preuves
SURTOUT NON L’ÉTIAGE
MÊME À CHARGE DE MUE
car nouure défaille
à la solde des berges
— mesure bien l’humus répudié ! —
et flux
mutilé de l’ailleurs
par crainte des hautes fièvres
ÉCHÉANCE
tel
sans avenir
brûlé hors ma vie
tel
sans avenir
combien m’accorde
semblant sauve qui veut
y compris le brandon
au soleil mal marié
après pourrai troquer
un front très calciné
jamais pour un rendu
trop brève la réponse
assez souffert des synopsis
doux étangs précisément !
tel
devant toi
sibylle de la nuit noire qui
que tu sois : désir en double
simple squelette
AU PLUS
HAUT POINT PHYSIQUE
du noir au blanc où
commencer quand présente mémoire
malin plaisir des horizons
se confondent d’ici
en la légende d’un corps rêvé
— nuit dernière peut-être ? —
rigoureuse endémie de l’encre
sur mon sang ne sachant
que croire terres soigneusement
écorchées par complice et
main subtile si autre
m’incite mais ne résiste à cycle régulier
par-deçà tout savoir-naître
DESCRIPTION
PRÉVENTIVE 2
continûment l’émousse
mon hercynienne au creux d’été
et la noctuelle sectaire
décline toute parenté
l’erg
les grandes pluies
perspectives fébriles
d’une chair écartée
TOI J’OSE
NOMMER
animée toute droite
près tes genoux
s’ouvre reptile blancheur
enfin choisir
où donc l’excès de bas en bas
mais je déchois sur l’invite mouillée
de ce corps perdu
fors ma soif
enfin le décider vers mien
malgré l’inerte réponse
son absence d’élan