IMPACTS DE FOUDRE
Lie
& Rosée de Voix
I
De
la mort des signes le feu obscur resurgira-t-il ?
Autrefois
j’étais roche d’étoile, poussière
du grand-mouvement
non dissocié, absolument vide.
La lumière ruisselait...
Je fermais les yeux &
la terre intérieure m’apparaissait.
J’étais eau et plante dans
le fleuve et le sol
j’étais neige et soleil en fusion
sur les cîmes
boue et sang, écume avant de
naître
et nous errions sous des voûtes
indescriptibles...
J’étais nébuleuse et veines
de l’unique
grains de l’air et pollen des fleurs
Espace, voix du silence et
des arbres.
On m’apportait des pluies,
du vent, les crevasses gelaient
les ruisseaux emportaient les
pierres
les oiseaux cherchaient des
passes dans l’orage
nous remontions les courants
jusqu’à l’abîme.
J’étais cascade et flamme
Chaos & Poème
avant de mourir au monde...
Il me fallait gagner les
rives de la mort à la nage,
traverser cette terre étrangère dans
les eaux glacées du
ciel. J’attendais je ne sais
quel miracle de l’œuvre, bête
blessée sous les feuillages que les chasseurs continuent de
traquer... Il me fallait avancer,
partir, ne pas se retourner,
aborder l’origine...
L’étrangeté blanche du monde
qui se retire : la Face
aveuglante qui nous dévisage derrière
la porte, au centre
de tous les rayons de la Chute.
La Vie bouillonne dans les tempes, les Voix se
propulsent, l’arc du
corps se tend.
Flux de la parole, entre jets & rejets –
Le Souffle : errant sur les pierres, comme une goutte de
sang dans la nuit.
Elle s’est dévêtue
Elle s’est mise en mer
Elle a disparu
comme une Lampe
dans la tombe.
Mais je frôle parfois
derrière l’empire des
masques
son visage...
Enfant, allongé dans l’étable de la bergerie, la bouche
pleine de terre et
de mouches, souffrant que les mots ne
puissent faire de miracles,
j’entendais déjà tous ces cris
venus de l’Impossible...
J’atteignais le fond d’une brume rougie où volaient des
rapaces et je suivais
la piste des loups.
Enfant, la joue contre le sol interdit, sous le toit bleu des
chaumes, j’écoutais
en larmes les battements du monde
autre...
Lumière de l’automne
féline et cruelle
en fin d’après-midi.
La pulvérisation des ombres
les visages recouverts
d’argile :
jadis je voulais
me jeter dans le vide
rejoindre ces teintes
inhumaines et tribales
suivre les pluies
sous les impacts de foudre
marcher en direction
des étoiles, dans la montagne, sur
les chemins
jusqu’aux frontières
perdues
où l’on devient
de chaque côté l’Étranger…
Les gants de peau de l’orage sont posés
sur le pare-brise en miettes du ciel...
Un soleil étincelant
ancré dans le sol, bordé de neige
fourrure éclose dans la nuit.
Un soleil dans la fraîcheur des herbes
ruisselant de lumières
un soleil planté sur la porte
sur le mur blanc
un soleil qui se referme sur la page
pendant que des pas s’inscrivent au loin
et disparaissent...
Sous l’éclair, zébrant l’astre fixe, dans la lumière
des eaux
noires, partageant de ses lances la soie du feu, l’enrobant
d’un bleu vif, bleu polaire de la mémoire : on entend les
palpitations sourdes du sang entre les parois du corps.
Plus haut
dans l’embrasure
la chouette ardente déplie ses ailes de cendres
& s’envole dans la nuit...!
Un chemin de montagne
un seul chemin observé durant
des années
un chemin délavé que mes yeux accompagnent dans la
solitude
aujourd’hui
et
qui mène à l’Observatoire : ici j’étudie le chaos
les
migrations, l’apparition de nouveaux climats...
C’est sur ce chemin de poussière que j’ai voulu disparaître
tout
en haut il fallait se jeter dans le vide
& tout en bas il n’y avait que le néant !
Le sillage a tout emporté au-dessus du trou vide :
l’écume se referme et l’Instant est devenu une fatalité.
Suivre la trajectoire de la lumière, jusqu’à
l’éblouissement, voir
jusqu’à ne rien voir : se dissoudre dans l’Invisible.
Le visage central
dont la bouche est ouverte
se tient penché
pour le voyage des morts.
Je veille, travaille dans les tempêtes, voyage au fond
du
silence,
je brise ma voix sur les rochers, je tourne au centre,
la
tempe
contre le cercle.
Allongé au fond d’une rivière de mots
comme une pierre sèche exilée.
En creusant la Voix j’entre dans les sables...
II
Roi mort & vivant dans la source où
la pensée se heurte
comme un tronc d’arbre pourri obstruant l’eau vive
toi qui descends jusqu’au Souffle
à la racine même du mal et de l’origine
Étoile enfermée sous les décombres
toi qui m’étouffes :
le silence est ton corps qui se glisse de chaque côté de
l’obstacle
l’absence est ton royaume où le fleuve rentre en crue
la solitude est ton abîme qui s’étend jusqu’aux confins
du
sang...
La terre s’ouvre :
une eau rouge et sale se répand sur les dalles.
Ce vertige soudain
tout en bas du monde :
je suis là emmuré dans la forme de l’air.
Cet homme aveugle, ce voyageur qui marche sur une
terre étrangère
tente de sortir de ses pas
pour pénétrer au milieu du Cercle.
Mais d’autres points se forment
ouvrant ainsi une infinité d’autres chemins :
il n’est jamais au Centre...
Il est l’Exilé
de nulle-part !
Anonyme présence
de la Fin et silence infini sur toutes
choses.
Telle est l’énigme
des plus grandes pierres sur le fleuve
que les eaux éclaboussent
mais n’effacent pas :
Adulaires,
albâtres, obsidiennes
vous vous êtes
un jour retirés du temps
seules y glissent
les salamandres argentées
et la lune lorsque
la nuit tombe
dans les fissures
du chaos.
Azurites, géodes,
gemmes, cairns
offrandes aux chemins
du déluge
je vous regarde
chanter
vieilles pierres,
murs écroulés.
Un jour le
vent sifflera entre nos lèvres
comme le souffle
dans les plis de l’éternité
la pensée sur
la pensée...
L’olivier dans le champ de pierres sèches :
laves nouées, flammes autour des corps
crevasses, huile verte dégoulinante au long des branches
des troncs mutilés
ce feu pétrifié sur les écorces.
Recouverts de ce qui obscurément les hante, crucifiés
couchés, abattus, sans pouvoir se résigner
à s’écrouler tout à fait
une plaie au travers du flanc.
L’eau qu’ils n’ont jamais trouvée
les olives qu’ils ne produisent plus
cette obstination pourtant à durer...
Leurs mains sont bleues comme la nuit :
on dirait qu’ils se dressent
que la lumière de l’Été les transfigure...
Celles que l’on a jetées dans le ruisseau
comme des chiens qui viennent mourir sur les plages
celles qui finissent au désert :
pierres errantes – rondes – caverneuses –
pierres-poissons, pierres-loups, pierres-lunes
pierres-prénatales, mauves, pierres-sacrificielles
comme des mots entre les mauvaises herbes...
Au long des dunes & de la mémoire :
Les ailes d’une mouette sur le toit de la ferme
le bond d’une lettre entre les dents
l’océan, l’écho des voix derrière les dunes
les nuages effacent l’horizon
les lumières clignotent sur les façades rongées.
Entre la mer et le rivage une surface s’étend
pleine de flaques et de trous : la parole...
La baie ravagée par le vent
le sable glisse sur ma peau, dans ma pensée.
Le bruit des vagues, le mouvement primordial
le ruissellement, la mémoire...
Une Lampe veille devant la maison vide :
qui marche sur la plage ?
& remonte dans la brume jusqu’à la chambre noire
?
Nuit encore, toujours plus épaisse
Oh lumière vertigineuse de la Vitesse
sextant des jetées
quartz, réflecteurs en giration
là-bas clignotent les villes comme des navires perdus
la chaleur des courants marins déferle sur le rivage.
Figure en miettes, signal, fanal gisant
dans les ruines occidentales :
L’Autre revient un Même !
Partout l’érosion glaciaire
des sédiments barrent la route
steppe desséchée, sans fin –
Nulle trace ne témoignera du Passage :
avancée de clans, tribus & longues cohortes en marche
sur les ruines successives.
Masques de pierre sont les vents hurlants
brouillard, brouillard : la neige gèle les frontières
ce qui demeure de la Vie durcit...
Plongeons ensemble vers l’abîme que nos yeux révèlent
la source de chaleur s’y trouve et fulmine, inapaisée
rafle ce que nous lui offrons.
Enveloppe de ton mystère celui qui meurt de faim
pour avoir refusé le massacre.
Embrasse, défonce mon corps qui est parmi les morts
Intouchable !
Entre l’aimantation des lumières irisées de bleu, vert,
noir
et la vitre opaque des yeux il y a l’interposition d’un
foudroiement :
l’accès aux territoires magiques...
Regardez longtemps les visages, buvez-les jusqu’aux
larmes,
suintantes paroi en lambeaux. Imprégnez-vous de ce qui
les ronge, traces du chaos, os criard, bouches illuminées
par le ravage de l’Échec.
Racler le Réel pour en faire jaillir la Vie.
Quand je ne serai plus qu’un baiser sans lèvres
la commotion des Éléments.
Lorsque je répondrai à la douceur des nuits par la
violence des neiges
l’étreinte aura la forme du chaos
et je n’aurai plus à me soucier de vos rituels
dans les tours flanquantes de l’affectation
je n’aurai plus à m’attacher aux grilles de la pesanteur
quand je ne serai plus que le revers du Temps...
Tu es l’errant, celui qui traverse d’autres mémoires
du Même à l’Identique.
Tu
es ce voyageur de la matière
tu t’avances jusqu’à la dissolution
du Familier à l’Innombrable
de pays en pays jusqu’à ne plus être...
Seul
l’écho d’un Seul pourra te répondre !
Pour
penser et vivre dans un monde vil et mort,
immonde et haïssable
j’ai aimé dans le froid des corps, dans les glaces de la
pensée
la flamme vive, la flamme pure de la Vie qui dévore
&
ne reviendra plus jamais...
Partout
il n’y a que des voix qui chutent
des gestes confondus
des corps qui bougent encore
en rayant la vitre du pandémonium
des mots perdus
car nous sommes
devenus sur terre illisibles !
Tant
de fois avalé le Crachat
si amère ma bouche
laissons l’humus refermer la terre de mon Nom...
Du
Marasme au Cristal
I
Allons les poignets : à l’abattoir !
Contre l’ordre pourri
du monde !
Au fond, en bas
quelqu’un se révèle, s’éveille
un Être inimaginable
Diamant qui brille sous l’écorce
un Guerrier
une Créature inconnue
en devenir...
Tout ce que la Vie laisse filtrer : le recueillir...
Derrière la hache, dans la forêt incendiée
dans les racines où le sol tremblant
répercute l’écho au faîte du crâne :
toute la parole égorgée du monde...
Au milieu des orages de flammes
les seins tendus comme des soleils coupés
recueillent la lumière bleue
la force obscure éclatante dans l’air
au milieu du brasier et des battements du cœur.
Venus du Nord
Venus du Sud
Voici le temps de l’Exode & des Migrations...
Seul dans les rues vides, sous un linceul
de mots
seul
et démuni, déraciné
dans
la pauvreté, seul et sans issue
comme une tombe à creuser.
Nul ne s’en sortira...
Mais que peuvent-ils
contre les âmes des Rebelles ?
La roue d’aigrettes
tout en haut de l’air
bascule dans les laves.
Je suis, dit-il, cet enfant trouvé dans l’allée des Lions
à l’heure où passent les Bouchers...
Derrière le masque
scintillant
la pluie délivre toute une oisellerie de paradisiers
d’effraies et de fauvettes à têtes noires
qui dorment au fond
du Temps...
Plus nous avançons
dans la Réalité
& plus nous
sommes en terre étrangère...
Toute pensée véritable cherche la source, l’Impensable
l’origine commune, la révélation du sang
les Points qui constituent
la Figure errante
à travers les siècles, une substance universelle.
Quitte cette Forme
grée
par toutes les voiles de ton Être
fondement
de la demeure maudite.
Va au-delà de toutes les limites
réveiller
ton cadavre.
qu’il
aille au diable boire la lie des étoiles
qu’il
aille se disperser dans la pourriture et le vent
soleil
creux qui s’effrite
civière de feuillages emportant ton corps sur l’autre
versant.
Tu marcheras sur tes os
tu
marcheras dans la terre où sont inscrits les signes et les paroles
tu
ouvriras la lourde porte d’argile cuite
qui
donne sur l’espace et le vide...
Le portail de la région des morts
le corridor de la pénombre
la
chapelle du cerveau
où transfixée une étoile clignote
et pourrit !
Je laisse déferler les vagues sur la paroi
des veines.
Il y a dans le ciel comme une grande solitude blanche...
Les galaxies sont creusées dans l’espace
comme
des organes dans la nuit du corps
et tout respire dans la douleur.
Puis les mouettes ramènent le linge de la mer entre leurs
becs.
L’écriture : maintenant
qu’elle s’éloigne
que l’oxygène circule
maintenant dans le calme,
l’osmose
ne plus bouger
attendre un Rejet...
II
Sommes-nous
sortis de l’Image ?
C’est toujours la
même histoire de l’insondable et de la dissolution /
Une secousse lumineuse
et mentale /
Un écho perdu sur
la plaine blanche des litanies /
La nuit bleue des
avalanches /
Un navire bourré
d’explosifs /
Des voitures blindées
sous la pluie /
Les portes fracturées
d’un hôtel pour voyageurs /
Les continents qui ralentissent /
Un bloc opératoire /
Un garage anonyme et des rondes de chiens /
Des phares qui s’allument au large /
La ville est un masque qui chute /
Un loup noir immobile sur le trottoir /
Un accident atmosphérique
/ Une cité climatique qui
tombe sur une verrière
/
Le bâtiment bascule
/ Cinq au Nord / Sept au Sud /
Un laser remonte tailladé jusqu’au
ciel /
Le vent retrousse les eaux /
Un troupeau d’élans
se jette dans la neige /
Un vaisseau fantôme
chavire entre les tempes /
& les poignets
coulent sur le fleuve /
Où est le bout du
monde ? / L’ancre dans la muraille /
La nébuleuse en flammes /
Sommes-nous vraiment sortis de l’Image ?
La nuit j’entends
hurler
le grand totem de la lisière des Ventres-Jaunes...
avec ses plumes goudronnées sur la tête !
Ses peintures de
guerre dégoulinent sous la pluie :
les lanières de ses cheveux claquent contre le mur de la
grange.
Les soirs d’orage les yeux des hommes croisent enfin
ceux des bêtes.
Alors au fond des
campagnes perdues
la folie met le feu
aux territoires occultes du Malheur...
& je marche seul sur la grand-route, loin des fermes
closes
où apparaissent des
corps
et des signes de plus
en plus opaques...
Toi qui m’es apparue pour me faire douter de la mort :
Fille du Lait
Matin des Lunes
Splendeur de la
mer
Salamandre de Mai
Miel amer
Ô femme du Dedans
je me souviens de la lumière de plomb et du venin
teignant !
Je me promènerai de l’autre côté de l’Image
afin
de ne plus entrevoir que l’Ultime...
Myriade de flammèches qui tourbillonnent dans la pensée
fugitive.
Il aurait fallu échapper à tout ce qui fonde l’Identité
ne
pas avoir à utiliser la rapière du Duel !
Pour trouver l’Espace : quitter la piste.
Il neige, le corps n’a plus d’ombre. Il fait blanc devant
la
mer.
Elle m’ensevelira la neige...
Elle efface l’écriture des arbres, le sol, les roches
L’écriture efface l’écriture, les mots
Et c’est à l’envers
qu’il faudra lire
Ce que le corps
n’a pas su dire ...
Comme à la mémoire
l’oubli
La neige m’ensevelira
Et les mots effaceront
celui qui parle.
En suivant leurs
traces
Trouvera-t-on mon corps au bout de mes pas ?
Ces pas qui se mêlent à la multitude
De ceux qui auront
empreinté jusqu’au silence définitif
Le même chemin...
La sommation des apparitions fait le carnage des
antipodes.
Maintenant pour toi seul : la légende de l’Ombre blanche
!
Souffler sur les mots, les œuvres, le monde
comme sur les ombelles au printemps
& partir sur les routes...
Mon livre maculé
Mon livre de tatouages, mon livre chaos-femelle
Mon livre de visions
Vivant dans les
lymphes
Mon livre de magnésite, de saigneur
Mon livre au vitriol, de refend
mon
livre de boue, d’or
Mon livre de guerres blanches
Comme la saillie du cœur où la bave rouge renâcle
à chaque coup de mort
Comme un reliquat sur le champ, comme l’effroi
Comme une lagune, un gong sur la lande
Mon livre-vif
Argenté comme le grésil...
Que viennent les grands retours de voyage
sinon nous continuerons dans la Migration & la
Piraterie...
Cette vague asphyxiée
qui ne peut atteindre
le rivage...
Ces nappes de lumière
en larmes
qui chutent d’être en être
de siècle en siècle
qui de l’Autre reviennent
au Même
dans une sommation perpétuelle
une clameur bafouée
humiliée par le monde.
Car il n’y a plus
que ce raclement de substances
cet effritement face au Réel.
Cette source engloutie
derrière les mots, le visible,
les murs
et cet état de mort
interminable :
n’être qu’un signe de
vie
jusqu’à l’attente de sa
manifestation
dans la matière et la
forme...
Oui, ce n’est plus
moi qui voudrais nommer, être, agir
mais cette lame de fond
cette Langue sans Grammaire
cette créature intérieure
qui se tient entre
l’ultime et la totalité...
& des heures durant
qui semblent siècles
je demeure à
l’écoute de ce tremblement lointain
exilé dans l’attente
de l’aube
et du Ruissellement...
Viande pleine de sang comme un corps sans
mort
dans
la nuit du vent
nuit pleine de brouillard
viande à venir pleine de nuit
comme un mort sans viande
dans la foudre blanche
comme
un claquement entre les deux corps
vers
le centre du corps
comme
un pôle de la mort première
dans
l’axe du sang
où
tournent les figures de la nuit
comme
des étoiles qui éclatent
comme
des cris dans le ciel blanc
entre mes os et la peau
sur la lame de ma bouche
cristal noir
plus noir que l’orage
pluie de sang :
verse
dans la nuit ton vent
que
la poussière de sang recouvre la viande des morts
que
l’astre plein de vent déterre le secret du corps
plus brillant que le sang
plus vivant que sa viande...
Je marche vers le centre
où les lignes se forment
et pénètre peu à peu dans la Substance.
Marcher, errer,
dériver, écrire
avec des lumières arrachées
aux regards, aux passants
n’être que cette roulure
jusqu’à la prochaine taverne...
Nuit
Lignes brisées
Nuit des tambours
et des fièvres
dans l’alcool des rues
et des villes sordides
jusqu’à l’aube
lorsque les ponts se brisent
quand tout n’est plus
qu’absence et destruction
douleurs, fatigues, échecs
l’ombre dévore le nom
le corps et l’âme
se pulvérisent.
Nuit
quand l’amour remonte
le temps
et récite ses syllabes
sacrées
quand nous marchons sur
des couronnes rouillées
vaincus par la nécessité
du labeur qui défigure...
Nuit, Adieu...
Se rapprocher de l’abîme, de la putréfaction, du marasme
comme une conscience
dévastée
enfermé dans le labyrinthe.
S’avancer les mains
clouées aux linteaux de chaque porte
en piétinant la pourriture.
Accéder au chaos
pénétrer dans le calme,
le déferlement lointain et régulier
des fleuves.
Offrir l’aurore
engloutie devant des éclats de vitre
Être transfixé au sein des
mille-voiles.
Apparaître dans le blanc d’une pensée
vécue au monde autre
se croiser d’un rêve et rendre à l’espace
la terre lunaire terminale.
S’échapper des mouroirs,
monter dans la lumière
traverser les espèces
& vivre face au vide, face à l’Inconnu
qui va naître...
Nul lieu pour celui qui s’en est allé
nul rivage pour ce corps dérivant
à travers sa propre énigme
sur un radeau de signes...
Zéro heure :
l’esplanade revêtait l’armure
minérale du couchant
le soleil marchait à pas de loup
teintant d’argile les visages...
La terre se couvrit enfin d’écailles.
Un feulement
une voix dans la chambre
là-bas le fleuve coulait, charnel
le vent descendait sous la peau
et chaque plan du visible se dépouillait de sa gangue.
Danses sauvages, lèvres closes
mouvements saccadés de foules, transhumance
un masque abandonné sur le rivage
cette voix qui fixe l’écho
après la chute
une succession de spectres
avant la bouche...
La mort féconde
le feu
la pluie m’est un
chemin...
Voyager dans la
transe et la mutation des formes
n’être que le signe de
la Vie
qui revient...
Une vitesse de vertige dans la lumineuse stupeur du vide
pulvérisa les ombres
de nos tempes.
On trouvait de l’eau
dans les pierres
des grammaires d’un
autre âge...
Les pauvres, oui, les pauvres partiront
les premiers...!
Comme une tombe émergée de l’Europe
Et s’y abîmant de nouveau
Dont chaque mur est abattu
Figure impénétrable
Enfouie dans les
pétrifications
Sur les frontières si souvent effacées de la terre et
de
l’eau...
Comme une zone inhabitée
Une proue qui plonge
au milieu des icebergs
Au bout du monde
Quand le soleil
se lève
Quand tous les peuples de la horde se jettent dans le
bûcher
Comme une race spéculaire
Comme des yeux de rapace
Comme une énigme, une porte battante où est cloué un
cœur
Comme le brame d’un
cerf, la détresse d’une harde
En quête de femelles...
Le vent déchire la mort et le néant
Frappe comme un gong dans le vide
Et les flammes scintillent
encore dans le ciel.
Comme une hache
de guerre déterrée
Un vaisseau échoué
sur l’occident
Comme des fous qui
ont revêtu le feu, la lumière
Pour ne pas se renier
Comme l’arc-en-ciel
qui se déroule sur les crêtes
Un monde qui flotte dans les nuages
Une épée solaire qui foudroie le centre de l’édifice
À chaque solstice
Comme la montagne
qui bascule
Et les blocs de neige qui se dissolvent sur les pentes
Comme une cotte de mailles sur les roches
Comme le signe qui
déclenchera l’écroulement du monde
La mémoire du volcan,
l’Être dans la chair
Comme le souffle
de la pensée
La note qui vibre
dans le silence
Comme l’ébranlement
des fondations humaines
comme l’Éveil...
Comme un animal
sauvage qui marche seul sur la glace
Comme si il disparaissait
à jamais
Derrière la roue
d’un bouclier d’écumes...
Me revêtir de ton
architecture
Redescendre dans la vallée avec un manteau de pierres et
de
Marcher, piétiner
la terre des tombeaux
ne plus jamais y revenir...
Comme l’empreinte du chaos !