DIDIER MANYACH

 

 

IMPACTS DE FOUDRE

 

 

Lie & Rosée de Voix

 

I

 

De la mort des signes le feu obscur resurgira-t-il ?

 

Autrefois

j’étais roche d’étoile, poussière du grand-mouvement

non dissocié, absolument vide.

La lumière ruisselait...

Je fermais les yeux & la terre intérieure m’apparaissait.

J’étais eau et plante dans le fleuve et le sol

j’étais neige et soleil en fusion sur les cîmes

boue et sang, écume avant de naître

et nous errions sous des voûtes indescriptibles...

J’étais nébuleuse et veines de l’unique

grains de l’air et pollen des fleurs

Espace, voix du silence et des arbres.

On m’apportait des pluies, du vent, les crevasses gelaient

les ruisseaux emportaient les pierres

les oiseaux cherchaient des passes dans l’orage

nous remontions les courants jusqu’à l’abîme.

J’étais cascade et flamme

Chaos & Poème

avant de mourir au monde...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il me fallait gagner les rives de la mort à la nage,

traverser cette terre étrangère dans les eaux glacées du

ciel. J’attendais je ne sais quel miracle de l’œuvre, bête

blessée sous les feuillages que les chasseurs continuent de

traquer... Il me fallait avancer, partir, ne pas se retourner,

aborder l’origine...

 

L’étrangeté blanche du monde qui se retire : la Face

aveuglante qui nous dévisage derrière la porte, au centre

de tous les rayons de la Chute.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Vie bouillonne dans les tempes, les Voix se

propulsent, l’arc du corps se tend.

Flux de la parole, entre jets & rejets –

Le Souffle : errant sur les pierres, comme une goutte de

sang dans la nuit.

 

Elle s’est dévêtue

Elle s’est mise en mer

Elle a disparu

comme une Lampe dans la tombe.

Mais je frôle parfois

derrière l’empire des masques

son visage...

 

Enfant, allongé dans l’étable de la bergerie, la bouche

pleine de terre et de mouches, souffrant que les mots ne

puissent faire de miracles, j’entendais déjà tous ces cris

venus de l’Impossible...

J’atteignais le fond d’une brume rougie où volaient des

rapaces et je suivais la piste des loups.

Enfant, la joue contre le sol interdit, sous le toit bleu des

chaumes, j’écoutais en larmes les battements du monde

autre...

 

Lumière de l’automne

féline et cruelle en fin d’après-midi.

La pulvérisation des ombres

les visages recouverts d’argile :

jadis je voulais me jeter dans le vide

rejoindre ces teintes inhumaines et tribales

suivre les pluies sous les impacts de foudre

marcher en direction des étoiles, dans la montagne, sur

les chemins

jusqu’aux frontières perdues

l’on devient de chaque côté l’Étranger…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les gants de peau de l’orage sont posés

sur le pare-brise en miettes du ciel...

 

Un soleil étincelant

ancré dans le sol, bordé de neige

fourrure éclose dans la nuit.

Un soleil dans la fraîcheur des herbes

ruisselant de lumières

un soleil planté sur la porte

sur le mur blanc

un soleil qui se referme sur la page

pendant que des pas s’inscrivent au loin

et disparaissent...

 

Sous l’éclair, zébrant l’astre fixe, dans la lumière des eaux

noires, partageant de ses lances la soie du feu, l’enrobant

d’un bleu vif, bleu polaire de la mémoire : on entend les

palpitations sourdes du sang entre les parois du corps.

 

Plus haut

dans l’embrasure

la chouette ardente déplie ses ailes de cendres

& s’envole dans la nuit...!

 

Un chemin de montagne

un seul chemin observé durant des années

un chemin délavé que mes yeux accompagnent dans la

solitude

aujourd’hui repris en sens inverse

et qui mène à l’Observatoire : ici j’étudie le chaos

les migrations, l’apparition de nouveaux climats...

C’est sur ce chemin de poussière que j’ai voulu disparaître

tout en haut il fallait se jeter dans le vide

& tout en bas il n’y avait que le néant !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sillage a tout emporté au-dessus du trou vide :

l’écume se referme et l’Instant est devenu une fatalité.

 

Suivre la trajectoire de la lumière, jusqu’à

l’éblouissement, voir

jusqu’à ne rien voir : se dissoudre dans l’Invisible.

 

Le visage central

dont la bouche est ouverte

se tient penché

pour le voyage des morts.

 

Je veille, travaille dans les tempêtes, voyage au fond du

silence,

je brise ma voix sur les rochers, je tourne au centre, la

tempe

contre le cercle.

 

Allongé au fond d’une rivière de mots

comme une pierre sèche exilée.

En creusant la Voix j’entre dans les sables...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

Roi mort & vivant dans la source où la pensée se heurte

comme un tronc d’arbre pourri obstruant l’eau vive

toi qui descends jusqu’au Souffle

à la racine même du mal et de l’origine

Étoile enfermée sous les décombres

toi qui m’étouffes :

le silence est ton corps qui se glisse de chaque côté de

l’obstacle

l’absence est ton royaume où le fleuve rentre en crue

la solitude est ton abîme qui s’étend jusqu’aux confins du

sang...

 

La terre s’ouvre :

une eau rouge et sale se répand sur les dalles.

Ce vertige soudain

tout en bas du monde :

je suis là emmuré dans la forme de l’air.

 

Cet homme aveugle, ce voyageur qui marche sur une

terre étrangère

tente de sortir de ses pas

pour pénétrer au milieu du Cercle.

Mais d’autres points se forment

ouvrant ainsi une infinité d’autres chemins :

il n’est jamais au Centre...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est l’Exilé de nulle-part !

 

Anonyme présence de la Fin et silence infini sur toutes

choses.

Telle est l’énigme des plus grandes pierres sur le fleuve

que les eaux éclaboussent mais n’effacent pas :

 

Adulaires, albâtres, obsidiennes

vous vous êtes un jour retirés du temps

seules y glissent les salamandres argentées

et la lune lorsque la nuit tombe

dans les fissures du chaos.

Azurites, géodes, gemmes, cairns

offrandes aux chemins du déluge

je vous regarde chanter

vieilles pierres, murs écroulés.

Un jour le vent sifflera entre nos lèvres

comme le souffle dans les plis de l’éternité

la pensée sur la pensée...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’olivier dans le champ de pierres sèches :

laves nouées, flammes autour des corps

crevasses, huile verte dégoulinante au long des branches

des troncs mutilés

ce feu pétrifié sur les écorces.

Recouverts de ce qui obscurément les hante, crucifiés

couchés, abattus, sans pouvoir se résigner

à s’écrouler tout à fait

une plaie au travers du flanc.

L’eau qu’ils n’ont jamais trouvée

les olives qu’ils ne produisent plus

cette obstination pourtant à durer...

Leurs mains sont bleues comme la nuit :

on dirait qu’ils se dressent

que la lumière de l’Été les transfigure...

 

Celles que l’on a jetées dans le ruisseau

comme des chiens qui viennent mourir sur les plages

celles qui finissent au désert :

pierres errantes – rondes – caverneuses –

pierres-poissons, pierres-loups, pierres-lunes

pierres-prénatales, mauves, pierres-sacrificielles

comme des mots entre les mauvaises herbes...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au long des dunes & de la mémoire :

Les ailes d’une mouette sur le toit de la ferme

le bond d’une lettre entre les dents

l’océan, l’écho des voix derrière les dunes

les nuages effacent l’horizon

les lumières clignotent sur les façades rongées.

Entre la mer et le rivage une surface s’étend

pleine de flaques et de trous : la parole...

La baie ravagée par le vent

le sable glisse sur ma peau, dans ma pensée.

Le bruit des vagues, le mouvement primordial

le ruissellement, la mémoire...

Une Lampe veille devant la maison vide :

qui marche sur la plage ?

& remonte dans la brume jusqu’à la chambre noire ?

 

Nuit encore, toujours plus épaisse

Oh lumière vertigineuse de la Vitesse

sextant des jetées

quartz, réflecteurs en giration

là-bas clignotent les villes comme des navires perdus

la chaleur des courants marins déferle sur le rivage.

Figure en miettes, signal, fanal gisant

dans les ruines occidentales :

L’Autre revient un Même !

Partout l’érosion glaciaire

des sédiments barrent la route

steppe desséchée, sans fin –

Nulle trace ne témoignera du Passage :

avancée de clans, tribus & longues cohortes en marche

sur les ruines successives.

Masques de pierre sont les vents hurlants

brouillard, brouillard : la neige gèle les frontières

ce qui demeure de la Vie durcit...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plongeons ensemble vers l’abîme que nos yeux révèlent

la source de chaleur s’y trouve et fulmine, inapaisée

rafle ce que nous lui offrons.

Enveloppe de ton mystère celui qui meurt de faim

pour avoir refusé le massacre.

Embrasse, défonce mon corps qui est parmi les morts

Intouchable !

 

Entre l’aimantation des lumières irisées de bleu, vert,

noir

et la vitre opaque des yeux il y a l’interposition d’un

foudroiement :

l’accès aux territoires magiques...

 

Regardez longtemps les visages, buvez-les jusqu’aux

larmes,

suintantes paroi en lambeaux. Imprégnez-vous de ce qui

les ronge, traces du chaos, os criard, bouches illuminées

par le ravage de l’Échec.

 

Racler le Réel pour en faire jaillir la Vie.

 

Quand je ne serai plus qu’un baiser sans lèvres

la commotion des Éléments.

Lorsque je répondrai à la douceur des nuits par la

violence des neiges

l’étreinte aura la forme du chaos

et je n’aurai plus à me soucier de vos rituels

dans les tours flanquantes de l’affectation

je n’aurai plus à m’attacher aux grilles de la pesanteur

quand je ne serai plus que le revers du Temps...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tu es l’errant, celui qui traverse d’autres mémoires

du Même à l’Identique.

Tu es ce voyageur de la matière

tu t’avances jusqu’à la dissolution

du Familier à l’Innombrable

de pays en pays jusqu’à ne plus être...

Seul l’écho d’un Seul pourra te répondre !

 

Pour penser et vivre dans un monde vil et mort,

immonde et haïssable

j’ai aimé dans le froid des corps, dans les glaces de la

pensée

la flamme vive, la flamme pure de la Vie qui dévore

& ne reviendra plus jamais...

 

Partout

il n’y a que des voix qui chutent

des gestes confondus

des corps qui bougent encore

en rayant la vitre du pandémonium

des mots perdus

car nous sommes devenus sur terre illisibles !

 

Tant de fois avalé le Crachat

si amère ma bouche

laissons l’humus refermer la terre de mon Nom...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du Marasme au Cristal

 

I

 

Allons les poignets : à l’abattoir ! Contre l’ordre pourri

du monde !

 

Au fond, en bas

quelqu’un se révèle, s’éveille

un Être inimaginable

Diamant qui brille sous l’écorce

un Guerrier

une Créature inconnue

en devenir...

 

Tout ce que la Vie laisse filtrer : le recueillir...

 

Derrière la hache, dans la forêt incendiée

dans les racines où le sol tremblant

répercute l’écho au faîte du crâne :

toute la parole égorgée du monde...

Au milieu des orages de flammes

les seins tendus comme des soleils coupés

recueillent la lumière bleue

la force obscure éclatante dans l’air

au milieu du brasier et des battements du cœur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Venus du Nord

Venus du Sud

Voici le temps de l’Exode & des Migrations...

 

Seul dans les rues vides, sous un linceul de mots

seul et démuni, déraciné

dans la pauvreté, seul et sans issue

comme une tombe à creuser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nul ne s’en sortira...

Mais que peuvent-ils contre les âmes des Rebelles ?

 

La roue d’aigrettes

tout en haut de l’air

bascule dans les laves.

 

Je suis, dit-il, cet enfant trouvé dans l’allée des Lions

à l’heure où passent les Bouchers...

 

Derrière le masque scintillant

la pluie délivre toute une oisellerie de paradisiers

d’effraies et de fauvettes à têtes noires

qui dorment au fond du Temps...

 

Plus nous avançons dans la Réalité

& plus nous sommes en terre étrangère...

 

 

Toute pensée véritable cherche la source, l’Impensable

l’origine commune, la révélation du sang

les Points qui constituent la Figure errante

à travers les siècles, une substance universelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quitte cette Forme

grée par toutes les voiles de ton Être

fondement de la demeure maudite.

Va au-delà de toutes les limites

réveiller ton cadavre.

qu’il aille au diable boire la lie des étoiles

qu’il aille se disperser dans la pourriture et le vent

soleil creux qui s’effrite

civière de feuillages emportant ton corps sur l’autre

versant.

Tu marcheras sur tes os

tu marcheras dans la terre où sont inscrits les signes et les paroles

tu ouvriras la lourde porte d’argile cuite

qui donne sur l’espace et le vide...

 

Le portail de la région des morts

le corridor de la pénombre

la chapelle du cerveau

transfixée une étoile clignote

et pourrit !

 

Je laisse déferler les vagues sur la paroi des veines.

Il y a dans le ciel comme une grande solitude blanche...

Les galaxies sont creusées dans l’espace

comme des organes dans la nuit du corps

et tout respire dans la douleur.

 

Puis les mouettes ramènent le linge de la mer entre leurs

becs.

 

L’écriture : maintenant qu’elle s’éloigne

que l’oxygène circule

maintenant dans le calme, l’osmose

ne plus bouger

attendre un Rejet...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

Sommes-nous sortis de l’Image ?

C’est toujours la même histoire de l’insondable et de la dissolution /

Une secousse lumineuse et mentale /

Un écho perdu sur la plaine blanche des litanies /

La nuit bleue des avalanches /

Un navire bourré d’explosifs /

Des voitures blindées sous la pluie /

Les portes fracturées d’un hôtel pour voyageurs /

Les continents qui ralentissent /

Un bloc opératoire /

Un garage anonyme et des rondes de chiens /

Des phares qui s’allument au large /

La ville est un masque qui chute /

Un loup noir immobile sur le trottoir /

Un accident atmosphérique / Une cité climatique qui

tombe sur une verrière /

Le bâtiment bascule / Cinq au Nord / Sept au Sud /

Un laser remonte tailladé jusqu’au ciel /

Le vent retrousse les eaux /

Un troupeau d’élans se jette dans la neige /

Un vaisseau fantôme chavire entre les tempes /

& les poignets coulent sur le fleuve /

Où est le bout du monde ? / L’ancre dans la muraille /

La nébuleuse en flammes /

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sommes-nous vraiment sortis de l’Image ?

 

La nuit j’entends hurler

le grand totem de la lisière des Ventres-Jaunes...

avec ses plumes goudronnées sur la tête !

Ses peintures de guerre dégoulinent sous la pluie :

les lanières de ses cheveux claquent contre le mur de la

grange.

Les soirs d’orage les yeux des hommes croisent enfin

ceux des bêtes.

Alors au fond des campagnes perdues

la folie met le feu aux territoires occultes du Malheur...

 

& je marche seul sur la grand-route, loin des fermes

closes

apparaissent des corps

et des signes de plus en plus opaques...

 

Toi qui m’es apparue pour me faire douter de la mort :

Fille du Lait

Matin des Lunes

Splendeur de la mer

Salamandre de Mai

Miel amer

Ô femme du Dedans

je me souviens de la lumière de plomb et du venin

teignant !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je me promènerai de l’autre côté de l’Image

afin de ne plus entrevoir que l’Ultime...

Myriade de flammèches qui tourbillonnent dans la pensée

fugitive.

 

Il aurait fallu échapper à tout ce qui fonde l’Identité

ne pas avoir à utiliser la rapière du Duel !

 

Pour trouver l’Espace : quitter la piste.

Il neige, le corps n’a plus d’ombre. Il fait blanc devant la

mer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle m’ensevelira la neige...

Elle efface l’écriture des arbres, le sol, les roches

L’écriture efface l’écriture, les mots

Et c’est à l’envers qu’il faudra lire

Ce que le corps n’a pas su dire ...

Comme à la mémoire l’oubli

La neige m’ensevelira

Et les mots effaceront celui qui parle.

En suivant leurs traces

Trouvera-t-on mon corps au bout de mes pas ?

Ces pas qui se mêlent à la multitude

De ceux qui auront empreinté jusqu’au silence définitif

Le même chemin...

 

 

La sommation des apparitions fait le carnage des

antipodes.

Maintenant pour toi seul : la légende de l’Ombre blanche !

 

Souffler sur les mots, les œuvres, le monde

comme sur les ombelles au printemps

& partir sur les routes...

 

Mon livre maculé

Mon livre de tatouages, mon livre chaos-femelle

Mon livre de visions

Vivant dans les lymphes

Mon livre de magnésite, de saigneur

Mon livre au vitriol, de refend

mon livre de boue, d’or

Mon livre de guerres blanches

Comme la saillie du cœur où la bave rouge renâcle

à chaque coup de mort

Comme un reliquat sur le champ, comme l’effroi

Comme une lagune, un gong sur la lande

Mon livre-vif

Argenté comme le grésil...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que viennent les grands retours de voyage

sinon nous continuerons dans la Migration & la

Piraterie...

 

Cette vague asphyxiée

qui ne peut atteindre le rivage...

Ces nappes de lumière en larmes

qui chutent d’être en être

de siècle en siècle

qui de l’Autre reviennent au Même

dans une sommation perpétuelle

une clameur bafouée

humiliée par le monde.

Car il n’y a plus que ce raclement de substances

cet effritement face au Réel.

Cette source engloutie

derrière les mots, le visible, les murs

et cet état de mort interminable :

n’être qu’un signe de vie

jusqu’à l’attente de sa manifestation

dans la matière et la forme...

Oui, ce n’est plus moi qui voudrais nommer, être, agir

mais cette lame de fond

cette Langue sans Grammaire

cette créature intérieure

qui se tient entre l’ultime et la totalité...

& des heures durant

qui semblent siècles

je demeure à l’écoute de ce tremblement lointain

exilé dans l’attente de l’aube

et du Ruissellement...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Viande pleine de sang comme un corps sans mort

dans la nuit du vent

nuit pleine de brouillard

viande à venir pleine de nuit

comme un mort sans viande

dans la foudre blanche

comme un claquement entre les deux corps

vers le centre du corps

comme un pôle de la mort première

dans l’axe du sang

tournent les figures de la nuit

comme des étoiles qui éclatent

comme des cris dans le ciel blanc

entre mes os et la peau

sur la lame de ma bouche

cristal noir

plus noir que l’orage

pluie de sang :

verse dans la nuit ton vent

que la poussière de sang recouvre la viande des morts

que l’astre plein de vent déterre le secret du corps

plus brillant que le sang

plus vivant que sa viande...

 

Je marche vers le centre

les lignes se forment

et pénètre peu à peu dans la Substance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcher, errer, dériver, écrire

avec des lumières arrachées aux regards, aux passants

n’être que cette roulure

jusqu’à la prochaine taverne...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nuit

Lignes brisées

Nuit des tambours et des fièvres

dans l’alcool des rues et des villes sordides

jusqu’à l’aube

lorsque les ponts se brisent

quand tout n’est plus qu’absence et destruction

douleurs, fatigues, échecs

l’ombre dévore le nom

le corps et l’âme se pulvérisent.

Nuit

quand l’amour remonte le temps

et récite ses syllabes sacrées

quand nous marchons sur des couronnes rouillées

vaincus par la nécessité

du labeur qui défigure...

Nuit, Adieu...

 

Se rapprocher de l’abîme, de la putréfaction, du marasme

comme une conscience dévastée

enfermé dans le labyrinthe.

S’avancer les mains clouées aux linteaux de chaque porte

en piétinant la pourriture.

Accéder au chaos

pénétrer dans le calme, le déferlement lointain et régulier

des fleuves.

Offrir l’aurore engloutie devant des éclats de vitre

Être transfixé au sein des mille-voiles.

Apparaître dans le blanc d’une pensée

vécue au monde autre

se croiser d’un rêve et rendre à l’espace

la terre lunaire terminale.

S’échapper des mouroirs, monter dans la lumière

traverser les espèces

& vivre face au vide, face à l’Inconnu

qui va naître...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nul lieu pour celui qui s’en est allé

nul rivage pour ce corps dérivant

à travers sa propre énigme

sur un radeau de signes...

 

Zéro heure :

l’esplanade revêtait l’armure minérale du couchant

le soleil marchait à pas de loup

teintant d’argile les visages...

La terre se couvrit enfin d’écailles.

Un feulement

une voix dans la chambre

là-bas le fleuve coulait, charnel

le vent descendait sous la peau

et chaque plan du visible se dépouillait de sa gangue.

Danses sauvages, lèvres closes

mouvements saccadés de foules, transhumance

un masque abandonné sur le rivage

cette voix qui fixe l’écho

après la chute

une succession de spectres avant la bouche...

La mort féconde le feu

la pluie m’est un chemin...

Voyager dans la transe et la mutation des formes

n’être que le signe de la Vie

qui revient...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une vitesse de vertige dans la lumineuse stupeur du vide

pulvérisa les ombres de nos tempes.

On trouvait de l’eau dans les pierres

des grammaires d’un autre âge...

 

Les pauvres, oui, les pauvres partiront les premiers...!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme une tombe émergée de l’Europe

Et s’y abîmant de nouveau

Dont chaque mur est abattu

Figure impénétrable

Enfouie dans les pétrifications

Sur les frontières si souvent effacées de la terre et de

l’eau...

Comme une zone inhabitée

Une proue qui plonge au milieu des icebergs

Au bout du monde

Quand le soleil se lève

Quand tous les peuples de la horde se jettent dans le

bûcher

Comme une race spéculaire

Comme des yeux de rapace

Comme une énigme, une porte battante où est cloué un

cœur

Comme le brame d’un cerf, la détresse d’une harde

En quête de femelles...

Le vent déchire la mort et le néant

Frappe comme un gong dans le vide

Et les flammes scintillent encore dans le ciel.

Comme une hache de guerre déterrée

Un vaisseau échoué sur l’occident

Comme des fous qui ont revêtu le feu, la lumière

Pour ne pas se renier

Comme l’arc-en-ciel qui se déroule sur les crêtes

Un monde qui flotte dans les nuages

Une épée solaire qui foudroie le centre de l’édifice

À chaque solstice

Comme la montagne qui bascule

Et les blocs de neige qui se dissolvent sur les pentes

Comme une cotte de mailles sur les roches

Comme le signe qui déclenchera l’écroulement du monde

La mémoire du volcan, l’Être dans la chair

Comme le souffle de la pensée

La note qui vibre dans le silence

Comme l’ébranlement des fondations humaines

comme l’Éveil...

Comme un animal sauvage qui marche seul sur la glace

Comme si il disparaissait à jamais

Derrière la roue d’un bouclier d’écumes...

Me revêtir de ton architecture

Redescendre dans la vallée avec un manteau de pierres et

de sang

Marcher, piétiner la terre des tombeaux

ne plus jamais y revenir...

Comme l’empreinte du chaos !

 

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