JEAN-PIERRE ESPIL

 

L’EXPLORATEUR                               (extraits)

 

Nous eûmes d’autres Nœuds, d’autres tas, d’autres hachoirs, d’autres signes de survie. Une reptation d’être encavé, englotté de pureté.

Des tiraillements vers les bronzes d’humus, la forêt qui roule ses fleuves d’or, le minéral foudroyant, l’insecte pincé de matériel fragile, la somme des trous noirs, concentrés, où se roule la bave d’or et de sangs hystériques.

Nous eûmes des pertes de nœuds, décimés par la foudre, des dents carriées de taureaux mugissant, équarris par les douze lois de la mort.

Nous pilâmes diamants, machettes, aiguilles, sifflements des lanières racornies des meurtres.

En cette nuit profonde, dans les soubassements, un cavalier-carbone incrusté dans la pierre hèle des totems noirs. Son cri me rejoint sur la route, où je file vers l’extase des brumes, entre barques qui sombrent, où j’explore:

« Vois, tu suces les peaux, tu es fœtus de l’ombre, tu planes au-delà des précipices de mort, tu jouxtes la guerre et les machettes, ta nuit t’englue en cette transe de ventres ensemencés, liquides, sucés par les vertèbres du dedans, et ta grille noircit, encarnée, avec des bouts de peau coagulés, et cette absence de sang t’émeut jusqu’à rage des pulsations, jusqu’à ta perte en cliquetis de lames-tarières, trouant, pondant, écrasant les cerveaux microscopiques, comme cette lueur blafarde te révèle la science originelle, ce monceau d’os récurés, blanchis, témoins des manducations lointaines.

Vois, tu hurles comme loup en ton centre profond, tu tapisses tes nerfs de paillettes fébriles, tes sons de l’espace qui va mourir, ta houle de l’incendie des gemmes.

Vois, ce groupe d’êtres pâles que les rayons poignardent et fixent en léthargies vibrées, or et sang, fœtus inextinguibles investis des sources, et cette face blafarde au carreau de gypse, la mort, comme ce feu profond roule au territoire des sept lunes, dégluti, la mort, ce miasme ultime si prêt du jouir, la mort, caste des êtres noirs séchés de lune, et quand le gypse fond le guépard du sommeil t’emporte, tu es la Face disparue, ce malaise criard, toute configuration de vitraux en flammes, et ce front qui bascule en noire déraison. »

L’explorateur premier largue ses senteurs d’or, au gros du guerroiement, les bancs de soufre pullulent et poudroient, les sons vrombissent en nefs foudroyées, les organes enflent et pèlent, la lente liturgie des souffles s’impose à l’ouïe première, que reniflent les larves, les originelles pluies célestes, les carnassiers géants.

Nous sommes plusieurs prêts à la vase, pourvu que l’ombre soit, que soleil et lune nous chargent de matière.

La nuit se bouscule dans mes têtes, Antérieure.

 

Il est des sombres nuits de cadavres ambrés que les danses aiguisent, que le songe trouble, qui vont dans les brouillards de sagaies sniffer les gros museaux articulant des signes.

Nous serons vingt à désirer la vase, et nous essaimerons les foyers en creux, englottés, martelés des pics et tridents souterrains, car la voix est la senteur des astres, le frileux des organes, la lente déperdition dans le castre des os, punie, la cave, cet autre moi repu en libations de pierres, lui qui crie, lointains attroupements, proches remugles et meuglements, les sabots.

 

LIVRE OPAQUE DE SIGNES IVRES.

Morcelée dans le temps, la bête roule et croule, dessaoulée.

Des filaments blanchâtres filent au retors des douves, sous les pontons, les cascades qui gèlent, qui meurtrissent la harde.

Requiem pour enfants opulents, noirs de becs et de sang, acérés. Enfle la tête du deuil, perclus d’immiscences incontrôlables.

 

Blafard, la face tailladée, il scrute l’écharpelage qui le divise et le hante aux traversées des nuits, vers les structures gonflées, les outres mal tannées, les respirations massacrées, le trou de sang qui luit à l’enflure des chairs, les venins, tous les venins des dorures et catapultes et matelas vissés, quand le vice échardé se rebiffe à la soif, une traînée de soi vers le haut du domaine, l’être noir, le maléfice, torturé à la gemme, implosé à la face accouplée des démons, la lutte vers le fond, le transcendant, la suie, aux remugles des casques et des tranchées d’artères, comme si empalés nous n’étions qu’étouffés de la gorge et du cul, et le centre du centre en quête d’OXYGÈNE.

 

NOUS SAIGNERONS CE JOUR PERPÉTUEL D’ESCLAVES.

Tète l’onde de mort, le fourbe et la peau mangée, le maître-nœud corps du Soleil.

Le miroitement des Antres, la Succion de la Poudre.

Fusion de l’être et du magma des sources.

Serons sans doute vermiculés, en ce sens d’êtres-nœuds mordus et sales, où la semence de venin engrosse et trait la nuit.

À la horde ! Au placard noir, velue grotte du crime !

Sècheresse maléfique d’iguanes d’enfer, le Velu son père, son ignominie. Quelle filiation ?

La tourbe, le hachoir, la bête mordue des plaies, la chevauchée des Rouges !

 

La foule des sirupeux se presse au portillon de la peur, dans cette longue nuit de tresses, de ligaments

Se presse de questions, non, pourquoi pas moi, le buveur, la nuit des traces, souffleur, transitoire, fascination pour ce corps qui tremble, sue froid, mortellement blessé, beau, légèrement vibré, enflé, pue

Ce jumeau au sang foudroyé

pourquoi pas moi

Êtes-vous là les Incantés, masques sur vos gueules de cuir, ce nerf commun, la nuit, loup-ligne, ukulé, iroko, le haut de la jungle, percevoir comme se souvenir du premier froid

Un singe râpe mes fonds de crânes, ukulé, glotte-hampe roulée, bafouée dans les tronçons d’azur

comme il est dit dans les récits d’afriques, trompes et légendes, sabots-dagues dans les ruts d’outre-terre

 

 

Perception du sommeil en cet antre du corps

Que de mondes poisseux et de tombes ultimes

La nuit, la fidèle cave verte

Un monstre aigu des chairs taillade et succube

Un monde de loups-vives en cette éternité, marqué

La tête ondule, le sac s’ouvre et se démet des chairs

Ultimes, ces écailles, comme une serre de loup divinisée d’entrailles

Hante-moi, pénètre ce corps pantelant, cette hydre galvanisée

Au rebut les casques, les oiseaux griffus que capte le moindre souffle !

La terre mitonne une orgie de boyaux, que des centres pelés abreuvent et saoulent

Sommes enfantés de racines et de cuivre, velus en cette nuit de têtes irritées, raclées jusqu’à l’os des rapines

Avons somme toute la garde des nœuds, qu’un ouragan baigne de senteurs, de hordes, de chasses écartelées, martelées au nœud central des litanies du monde

 

 

J’ai enduit ma raison de viscères d’insecte, le corps caparaçonné d’élytres vertivales, où louvoie la hampe déglutie, les derniers anneaux d’or, le va-et-vient entre les serres enfoutrées, crochetées de minuscules perles de poison. Cette pressante envie de gicler dans le sertir des mandibules, me suce, la mante, à garots miniatures, vénéneuse explosion dans les conduits fatals.

Sang mammiférien contre encre vitrifiée, les deux températures moutonnent de bulles pures, où c’est le suif des corps qui s’incarne et se tait. Dans cette intense vivirection, un matériel d’invasion s’émeut de tant d’amour. Un éclair aveuglant s’enferme d’enfer, loquaces sont les signes. Et barbouille son antre de myriades de couples, où folles sont les lunes empennées d’ossements.

Nuits vives du rachat de chlorophylle, de bains interdits en configurations lentes, où soufflent les orgues sensitives, où la martre lustre les vasques, où nous n’aurions jamais dû mourir.

Lumière grondante des autres mondes, cet aigle bénéfique, entre les rocs brillants où se heurtent les becs, une vapeur de fer à l’office des baumes. Nous serons, en lentes configurations, parlés.

 

 

L’être rougeoie. Dans la canicule perlée des nerfs, une saturation fœtale engendre des bulles noires, l’organe brûle et pèle, renoue avec l’espace, macule un tissu d’or et de fibres que la cathédrale muette de viande assouplit par secousses, que les tiges des gnomes empalent de leur index anguleux. Ils désignent l’Apparition dans la forêt, méthane de marais, orque qui broie, outres veinées de sang lumineux. Les feux gagnent la brousse, les éclairs chevauchent les carbones premiers, un bouc maraude à la cime d’un arbre mort, dans les cavernes, les sautes d’us et langues perchées, sarabandées.

 

 

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