DANIEL GIRAUD
LÉCHAPPÉE BELLE
(pour
dominique et daniel)
j’aime daniel
giraud, et théo lesoualc’h
a raison : «daniel se déshabille nu, jusqu’à l’os
(voir le magnifique texte publié par «bunker», marc questin
éditeur) — daniel, traducteur, astrologue, poète,
nomade, chanteur de blues, ami de jean carteret,
libertaire, citoyen du monde, frère de julian beck, grand voyageur, vitupérant avec tendresse contre l’histoire
totalitaire, contre la censure totale (meurtre et terrorisme), contre le bureau
des idées, les vilains de l’espace et la police du cerveau — nous le retrouvons
souvent dans les fanzines et les magazines souterrains, clandestins, aux côtés
de serge sautreau, yves
buin, alain jouffroy,
joyce mansour, daniel biga, théo
lesoualc’h, gaston criel, thierry tillier, christian laporte, didier moulinier, et tous
les compagnons de l’underground européen — incroyable ! les «grands éditeurs»,
un mètre quarante, debout sur un char soviétique, ou à cheval sur un missile
pershing, n’ont jamais voulu publier ses traductions
du «i ching», ou ses poèmes — yin yang dan, l’être cru, celui qui connaît
l’entre-deux — je suis enchanté d’être un de ses amis
— je ne possède pas son érudition, ni sa connaissance des langues orientales
— je suis un pauvre poète, médiocre étudiant du zen, un barbare civilisé —
bref, daniel est «cela», ou «ça», ou «rien», et «tout» — je ne connais
même pas «mon» ciel — lui, oui, par cœur, mais comme lui je vis avec ma compagne
dans les montagnes et les forêts, près des grands lacs et des rivières indiennes
— entre ciel et terre — et qui veut le savoir ! — nous sommes des clochards
célestes, toujours en vacances, terrorisés par le quotidien — «que l’échappée
belle soit échappement libre !» — que les balises ne soient plus dans des
cadres — que deux soit un — car tout état est policier et toute police est
politique — en vrac voici daniel à l’envers du réel,
à corps perdu, à âme brisée — créer, son corps et lui, les kô-ans de la poésie nécessaire — la voie du buddhadada, celui qui voit dans la nature de son être, le
troisième œil, kalpa yuga,
la danse des quatre coups de dé, le livre des morts français et américains
— «hare merda !» s’écrie joël hubaut, parodiant son «family show»
— le karma de tous les êtres a la petitesse ou la grandeur — moi, lui, vous,
nous n’avons rien, que la voie du milieu, comme michel
et valentine, juste le temps d’un sourire, c’est vrai, tandis que passent
les nuages — et j’espère qu’un jour, alain brissiaud (le livre
à venir) aura les moyens de publier ses poèmes et ses traductions — comme
daniel je résiste, je comprends, j’oublie tout, même ce que
j’ai écrit, demain n’existe pas, hier non plus — mais qui parle dans ma bouche
— saga-naufrage du boddhi-dharma,
kerouac soufflant les mots de passe, «be bop», poévie — il n’y a pas de
bout du monde, il n’y a pas de voyage au bout de la nuit, il n’y a rien, et
ce rien bouge dans le miroir vide — lors de son voyage en orient, daniel
m’a envoyé une carte postale, kali yuga, kathmandu, signée : «le conducteur du destin» — quoi, quand,
comment, et pourquoi pas — il avait rendez-vous avec un autre que lui-même
— ceci n’est pas une préface, une postface, un article, ceci n’est certainement
pas une pipe — ceci est un clin d’œil à daniel et
dominique, une caresse, un sanglot, un éclat de rire qui glisse
entre les pages — quand un homme écrit : «que la neige est triste sans toi»
nous savons qu’il était avant de naître — que deux soit un, comme julian beck et judith malina, comme mary et moi,
que la vague se brise, que le cœur demeure, que la suite soit au prochain
numéro même si on meurt — li po et la mort d’un
prunier blanc, et daniel ivre de la lune, fol amour
et folle sagesse — juste avant de mourir julian
beck, un soir, chez victor bockris, m’a convaincu — je veux dire (nous avons fumé un
joint) et pendant une heure julian m’a regardé,
son regard m’a pénétré, comme la lune folle entre les nuages, et je lui ai
dit : «julian I love you», il m’a dit en
français «Claude je t’aime depuis longtemps» — et il m’a pris la main, et
quelque chose s’est passé — et puis judith est venue
s’asseoir sur mes genoux, avec un de mes «magic
sticks», elle m’a embrassé, et m’a dit : «je suis vraiment ravie que vous
vous aimiez, et que nous nous aimions», puis elle a embrassé mary, tendrement,
comme joël hubaut sait
le faire, ou arnaud labelle-rojoux,
et k-roll — bon, maintenant je déconne, j’sais plus quoi dire ou écrire, j’suis
sentimental — car non seulement l’écriture est de la cochonnerie bâfrant sur
les décombres de la conscience et allen ginsberg est arrivé, me disant : «ou peut rien contre toi»
et je l’ai embrassé, et burroughs, pété, était là,
et il m’a dit : «by the way
who the fuck
is daniel giraud» — «william, he’s a man, just
a man» — «ah, well» — daniel
giraud, la vigie, le barbare à rencontrer, le témoin,
un collage d’être et d’âme, un capricorne à qui ou ne la fait pas, je crois,
pas sûr, un mec qui fait le mur depuis toujours, un dérivant, un saint — et
je pense que les «bonshommes de sable» et «les étoiles eu plein jour» sont
ses plus beaux poèmes — les mecs, écoutez «face à l’océan sous le flot des
nuages comme au ciel sur la terre» — et puis ouvrez vos oreilles et fermez
les yeux : «à perte de vue la marée basse de quoi se marrer sur les bastingages»,
alors soudain on pense à blaise cendrars, à philippe soupault, à henry miller, à kerouac, à corso, à bob
kaufman et à richard brautigan
— et puis on pense plus du tout : «ce qui roule dans la marée ceux qui marchent
dans la fumée ce qui apparaît disparaît» — dan giraud
est un «grand» poète; il embrasse l’entre-deux, il est à demi-plein,
à demi-vide, et le son d’un vieux blues qu’il crache
eu pissant sur les myrtilles, là-haut, dans la montagne, mon pote, tout ça
pour te dire que je t’aime
cooperstown, octobre mille neuf cent
quatre vint cinq
claude pélieu
QUE DEUX
SOIT UN
La tête au ciel
Les pieds en terre
En l’esprit et dans la chair
Mourir avant de mourir
Soleil d’Orient
À l’Origine
Dis la parole perdue
en mots à portée de voix
ÉTAT D’URGENCE
Le vif cramé trompant
le mort
où l’absence se détache du corps
L’ombre de celui que je suis
est-elle le double que je deviendrai
À la croisée de nos nuits
en écrivant pour ne pas tuer
je suis revenu au même
Infirme du divin
ivre de chair et d’or
mon corps est le joint blessé
dans la partie secrète
d’un après engagé dans l’avant
À l’envers du réel
le ton du cri brisé
profère la limite
réalise les réalités
du dormir débout
et glisse le terrain
et vigile le risque
de l’écrit noyé
dans le spasme
Dessus et dessous
Dedans et dehors
Plein de remous
dans le vide du corps
L’autel en contre-bas
En manque du haut
Le plus évacue le pas
Le moins complète le saut
Sors tes entrailles
Entre en forêt
Les chiens-de-paille
brûlent en secret
KARMA
SUTRA
De la graine à l’arbre
De l’acte au fruit
Sans graine pas d’arbre
Sans acte pas de fruit
Toute graine suppose l’acte
Tout fruit suppose la vie
LATENCE
Sur la voie je suis une
étape
Dans l’étape je me vois
Dans la vie je suis une réalité
En réalité je me meurs
Le Non-Être
est le propre de l’Absence
L’Absence est
le propre du Silence
Le Silence est le propre du Sourire
Le Sourire est le propre de la joie
L’INENGENDRÉ
Miroir dépoli d’avant
monde où l’on voit le miroir sans voir le reflet de l’image
Miroir poli d’après monde où la forme
réfléchie se voit en même temps que le miroir lui-même
Et transparence ultime malgré le plomb
fondu coulé le miroir sans alouette dédouble le Regard oublié
Réflexions de l’érosion du Temps à l’inversion
des forces des deux faces du miroir
Mort au miroir de Co
naissance en re naissance où le Passage tue le mourir
Ad mirant le miracle ou le mirage du
miroir la Mort est ce dont je suis le miroir
Qui regarde et se regarde en se voyant
voir le vu
Connaît et se re
connaît
Comme Connaissant Connu et Connaissance
Que le monde miroir de l’homme se renverse
en l’homme miroir du monde
LA SAGA DU GYROVAGUE
1.
La Tradition du vaguant
se dérobe sous ses pas
et tourne hors du temps
jusqu’au naufrage de l’horizon
Quand l’Autre
se voit
au truchement du miroir
déplaçant l’imposture du moi
Alors
Démocrite d’Abdère s’arrache les yeux
pour penser
Boddhidharma s’arrache les paupières
pour ne pas dormir
Au regard qui garde la vision
regard du poète divagant
mégard aux yeux du monde
Ce qui passe au travers du désarroi
c’est l’interrogation dont le point est la
chute
l’impénétrable de ce qui tisse le vent
Au visage d’avant naître
comme la flaque d’eau
iceberg de l’Arctique
Saga de l’Alborée
au Feu de la Mer
Ciel mes Philosophes !
Ainsi
dans la liqueur de Dan-tsig
flottent des paillettes d’or
comme pour abolir l’ivresse
et
le silence passe par le vide
de l’entre vif sans filet
or
blessé au flanc je fus jadis
comme cœur sent ce que tête ressent
et je suis
mort suspendue à la vie
ou poisson au fil de l’eau
existant au fil du rasoir
est-ce grande folie sa mise a jour ?
alors
la Mort guet-apens
révèle
la Vie gué à penser
sur
le qui-vive du mourir
l’être précaire d’un corps provisoire
où l’écart de voie ne pardonne pas
2.
Dans le ciel chaviré le froid claquait
des dents
m’inquiétant du Soleil et de la Lune du haut d’un
ziggourat
Je dénudai l’érection du thème d’amour
sperme de Shiva
et veillai sur les décans dieux conseillers
qui soufflent le mot de passe :
— Chevreau je suis tombé dans le lait...
Aussitôt je glissai de la Porte des dieux
dans celle des hommes
qui s’étonnera des boniments des bonnes
gens
ou de la débandade des impuissants ?
Sur le rivage d’un désert où le lait
clapotait
j’étais la Gueuse coulant à flot et à marée
basse parfois je riais
Avec en surimpressions les côtes escarpées
des fjords de Phocée
Avec les mouettes en travers de la cage
solaire d’un plexus défoncé
Je tremblai gyrovaguant
mais bonace
Et quand bien même possédé par l’idée
qu’il y a de l’idée
errant hors du sens de l’histoire des réalités
manipulées
je sais
que je suis ce que je ne sais pas
je sais
que je suis quand «je» n’est pas
Alors
Faut-il marcher pour oublier ?
3.
Combien profond
est le puits dont le fond est le ciel !
J’entrai en
transpiration hurlant j’entrai
quand je voyais
les cadavres qui marchent plaintifs comme cœur de vierge
et dieux de la
mêlée au-delà des plaines et du ciel élevé
l’homme tant il était
accompli dans l’éclair d’un jour moins sombre
quand je voyais
ensuite rendre la chair bouillie à ses os
le nouveau-né
écorché se levait pour tourner dans la marche du soleil
j’entrai en transpiration
hurlant j’entrai
quand je voyais
le monde intégré poisons consumés sans s’empoisonner désintégré
et le cinéma
comme trou dans l’espace où s’infiltre le temps
pertinence des valeurs
d’amortissements à l’usage des vivants
quand je voyais
ensuite ce qui brûle sans flamme
ce sans-forme dépolarisant celui qui va vers où il est
j’entrai en transpiration
hurlant j’entrai
UNE NOUVELLE
FOIS...
Je chante le naufrage
de l’amour qui ne se manifeste plus
Je ne crois pas en Dieu car il n’y a
jamais rien eu
La langue se fait oreille de tous les
sens
Elle dit que la peur de Dieu est la peur
de soi-même
Et que l’amour sans abandon est l’amour
de soi-même
L’amour qui n’est pas de soi-même n’est-il
pas plus fort que lui-même ?
La rupture de l’androgynat n’est-elle
pas un assassinat ?
Le dernier orgasme coïncide-t-il avec
la première mort ?
Avec ce squelette qui rôde encore et
le besoin de mourir sans me tuer
J’entends mon corps parler et demander
son chemin
Et les vagues du temps battent dans les
tempes
Et l’écume du cœur remonte dans la gorge
Sous les huées dans l’arène et les rires
dans le cirque
Je t’aimerai aussi longtemps que je vivrai
Et même après
Sur les rivages où la mer s’est retirée
Sur les sommets où la neige a fondu
Dans les territoires de l’être inscrit
dans le ciel
Zone de l’exil aux chairs tremblantes
En chaque lieu où je vais je retrouve
une partie de ton corps
En chaque instant où je pense je reperds
une partie de mon corps
Je tuerai le poison dans l’embuscade
du monde au risque de me perdre
Celui qui veut mourir est-il le même
que celui qui va mourir ?
Je chante ce qui est et qui restera après
celui qui ne sera plus
La Dame m’a ensorcelé et nulle conjuration
ne peut me sauver
Mais qui dit la mort dans
l’âme dit la vie dans l’esprit
Le dieu n’est pas le sens comme le nom
n’est pas la chose
Le voyage a pris la route et le monde
s’est manifesté
Chaque pensée qui surgit comme chaque
geste que l’on fait
Modifie du monde l’équilibre et la réalité
Les humains se ressemblent comme les
dieux s’assemblent
Tous contiennent les myriades de soleils
qui scintillent de jour comme de nuit
Écroulé comme une ville en ruine
Je suis le barde des aventures humaines
et divines
Les cerisiers sont en fleurs comme le
poète est en pleurs
Laissant faire sans relâche il se livre
et se délivre à la fois
Et il va vous conter le récit de ce qui
s’est passé et de ce qui arrivera
En deçà des commencements à la fin de
toutes choses
Et de l’impérissable qui ne se manifeste
pas
Alors l’irrémédiable durée n’affectera
pas les mythes actualisés
Et les ruines se reconstruiront d’elles-mêmes
Et les débris s’assembleront tous seuls
Et l’éternité jaillira dans l’instant
Au-delà du luminaire brille
la pure nuit de ce qui n’est pas fait
Recevez donc le clair amant qui passe
par une fente du toit
Recevez la providence qui pourvoit à
toute destinée privilégiée
Recevez la douleur qui pousse à toutes
les extrémités
Tandis que dans les miroirs dansent les
ombres des trépassés
Quelle est la durée de vie d’une vague
se demande le vieux barbu de la mer
Guidé par le phare qui ne se voit pas
L’évidence est de voir l’éternel et éphémère
trans-port vers le non-port
Aussi je vois le ciel retourné comme
un gant
Et des êtres se donnant à vivre et à
mourir dans le corps du monde
Pourront-ils réaliser la partie qui ne
leur appartient pas ?
L’étincelle qui réconcilie la nuit avec
le jour...
Je vois la flèche d’amour qui a fait
mouche
Et la forme de moi qui est sortie de toi
Le regard dans le vague
Dans l’humidité de la vague et l’âme
qui vague
Je vois le flux bouillonnant qui emporte
et dilue tout
Et qui va d’où il vient tandis que sur
place je meurs et puis reviens
J’entends les cœurs brisés dans les corps
souffrants
Consumés d’une ardeur qui se dévore elle-même
Et les zones d’ombre envahissent l’espace
du souffle
Et les formes se déforment chez l’être
qui aime trop pour un seul cœur
Et le cœur bat trop vite pour une image
trop lointaine
Je vois la terre qui ondule prise d’une
douleur souterraine
Comme un cri d’alarme qui ne se prononce
pas
Comme si toute l’eau du corps remontait
dans les yeux
Comme si tout l’air respiré s’étranglait
en sanglot
Comme si la partie éclipsée déchirait
les distances
Et que sous le ciel gris les mains tendues
palpaient l’apparition
Je vois la chair de la terre qui tremble
dans la nuit de l’âme
J’entends la détresse des survivants
noyés dans le rêve éveillé
Mais le seul maître à bord est avant
Dieu
Et je suis encore l’amour mort toujours
vivant
La surprise qui tombe des nues et l’évidence
sous le sens
Je suis le fou1 qui tourne éperdu avec
le visage de sa bien-aimée2
Et je suis aussi la princesse
délaissée morte au tombeau des grands rochers3
Je suis le seigneur du
sommeil aux cheveux en broussaille4
Et aussi la belle fille
de la montagne aux yeux lubriques5
Je suis le dieu dont la
moitié est féminine6
Avec le luminaire de nuit
dans ses cheveux
Je suis le rouge souverain du désir7 qui fait partie de lui-même
Je suis la puissance de jouir8 qui est puissance de joie9
Et je suis celle qui étreint
le phallus de lumière
Je suis le soleil des ténèbres10
Et la magicienne de la
nuit11 aux sept robes noires
Je suis celui12 qui triomphe de l’homme à tête de taureau13
Et qui fut aimé d’une
princesse14
Oui je suis celle qui
fut séduite et abandonnée sur le rivage d’une île15
Mais je suis aussi l’épouse du maître
de la vigne16
m’offrant une couronne d’or
Je suis le charmant17 qui a épousé l’énergie
de la nature18 au pâle éclat de l’or
Je suis l’attirant flûtiste19 et son accomplissement20 en les bergères qui l’honorent
Et la liane de son corps qui habite mon
cœur
Je suis le berger21 à qui la déesse de l’amour22 promit la plus belle
des femmes23
Je suis la voluptueuse
des pays du Nord24 qui pleure des larmes
rouges
Je suis la fidèle25 qui jamais ne se sépare
de celui qu’elle aime
Je suis encore la déesse nue et lascive26
Et aussi l’ancien dieu
de la végétation27
Le guerrier qui attends
le repos et les faveurs de sa Dame
Ma voix28 apaise les tempêtes et
protège des sirènes
Elle charme les bêtes comme les arbres
et même les pierres
Mais elle clame toujours le nom de celle
qui a disparu
Tandis que les flots du
fleuve30 charrient ma tête
Pourtant les eaux s’arrêtaient de couler
pour m’écouter chanter
Et je suis toujours celui qui descend
en enfer avec sa lyre pour délivrer celle qu’il aime
Pourquoi me suis-je retourné ?
Pour m’assurer qu’elle suivait ?
Pour contempler sa beauté ?
Ô dix mille êtres à têtes noires !
L’amour mort est toujours vivant !
La belle mère31 est amoureuse du chasseur32
Tout comme la chaste chasseresse33
Et sur la route de l’exil
surgit des eaux le taureau monstrueux34
Celui qui s’accoupla avec
la femme du roi35
Et la fille de la reine36 me fera sortir du labyrinthe
Puis j’enlèverai celle qui dansera37
Et j’irai reconquérir
celle que j’aime38
Le charmant39 retrouve le sillon40
La vulve des prés de la
femme labourée sous le membre de la bêche
Écoutez le chant de mort des sirènes
captivantes
Il en est qui boivent pour oublier
Et d’autres qui oublient sans boire
L’au-revoir
est à revoir quand toujours est à jamais
L’amour mort est toujours vivant
L’existence n’est pas séparée de la Vie
Et l’amour est proche de la mort
Le phénix41 s’est élevé dans la ville
du soleil42
Et il s’est masturbé de
son poing fermé
Et il a craché la création
C’est toi43 la terre qui se soulève
Le cœur qui donne toute connaissance
La langue qui en est l’écho
Tu as engendré l’ancien dans ses manifestations
Et les rayons de ses yeux ont chassé
l’obscur
Par tes larmes nous sommes nés
La lumière apparue dans l’île de l’embrasement
Offrons donc le lotus primordial surgissant
des eaux initiales
Du grand lotus d’or jaillit le soleil
Celui qui vient des flots et qui vit
dans le ciel
N’est-ce pas toi qui repose sur les eaux44 allongé sur mille pétales épanouis ?
Toi dont le nombril est lotus du monde
!45
Et le peuple qui le savoure
connaîtra l’euphorie de ceux qui ne repartent plus46
Écoutez la parole d’un
vivant s’engouffrant au centre du triangle
Entendez ensuite le grand silence qui
s’étend dans la nuit de l’âme
L’amour qui coule du ciboire de la femme
La mort qui s’écoule de la semence de
l’homme
Et les allées et venues des êtres qui
dansent dans les corps
Jamais Sagesse ne justifiera indifférence
La peau du dehors ressent l’équivoque
des rapports
Mais le cœur d’amour chante le seul mantra
qui ne se décide pas
Répétition spontanée de la parole du
deux en un
Ô êtres des cieux et de la terre qui
montent et descendent en moi !
Dieux de la nuit filant dans les ténèbres
à travers le ciel !
Vous tous qui jubilez en me donnant l’oracle
!
Écoutez la complainte de l’unité bafouée
Jusqu’à ce que l’échec soit à son comble
Et qu’ainsi même le malheur raté devienne
heureux accomplissement
Jusqu’à ce que le passé repasse dans
l’avenir
Et que tout ce qui a été soit de nouveau
Jusqu’à ce que l’être flaire l’espèce
Brise le miroir aux alouettes
Et se libère
De sa libération
1.
Majnûn.
2. Laylâ.
3. Pyrène,
délaissée par Hercule dans les Pyrénées. 4.
Shiva.
5. Pârvatî.
6. Ardhanarîshvara,
aspect de Shiva. 7. Kameschvara,
aspect de Shiva. 8. Rati,
aspect de Pârvatî. 9. Ahladînî-shakti.
10. Osiris.
11.
Isis. 12. Thésée.
13. Le
minotaure. 14. Ariane.
15. Ariane
sur l’île de Naxos. 16.
Bacchus. 17. Râma.
18. Sîtâ.
19. Krishna.
20. Râdhâ.
21. Pâris.
22. Aphrodite. 23.
Hélène. 24.
Freyja. 25.
Baucis, épouse de Philémon.
26. Vénus.
27. Mars.
28. Orphée.
29. Eurydice.
30. L’Hébre. 31.
Phèdre. 32.
Hippolyte. 33. Artémis.
34. Le
père du minotaure. 35. Pasiphaé,
femme du roi Minos de Crète. 36.
Ariane. 37.
Hélène enlevée par Thésée et Pirithoüs.
38. Sîtâ. 39. Râma.
40. Sîtâ. 41. Atoum-Képri.
42. Héliopolis.
43. Ptah
dont l’apparence est Atoum.
44. Nârâyana, aspect de Vishnu. 45.
Padmanâbha,
aspect de Vishnu. 46.
Les lotophages dans les voyages d’Ulysse.
APPROCHES
DE L’ESPRIT UNIVERSEL
à la route des Brus,
Le Témoin
Le Témoignage
L’être suppose l’Être
et l’astre a salivé.
Témoins de l’éternel, témoins de l’immuable,
Les Fidèles d’Amour
crament dans le jardin.
Devenant ce qu’il Est, l’homme est Universel.
L’Esprit est
au Centre tel Soleil du rayon.
Si tu le vois, le
vis, aussitôt rien ne tarde.
Si seulement je suis ce que tu Es, je
Suis.
Le chemin est-il la Voie ? Qui donc croit
cheminer ?
Je vois celui qui naît étant celui qui
meurt.
Celui qui marche d’un long pas, là-bas,
n’est pas.
Seul Est ce qui n’est pas, au Sans Être
non né.
Jamais rien ne m’affecte et jamais rien
ne naît.
À son origine la sève adhère plus
Que l’Homme
à la sienne dont le suc est la vie.
La Non Idée est la plus grande des idées,
Elle vient en marchant, elle part sans
marcher.
Dans ta gourde est bien l’eau de ton
corps qui n’est pas,
Et ta sueur et ton sang, erreurs du créateur,
N’ont jamais été Vrai car rien n’est
irréel.
Le cœur qui Sait marche en voyant le
Ciel aux pieds.
C’est la Tête du Cœur qui marche sans
marcher.
Deux côtés au Témoin : irréel et Réel.
Je ne vois que Témoin demeurant Témoignage,
Car le Témoin est le masque du Témoignage.
La Fortune majeure du «Tus» est dans
l’instant.
Les éclairs aboyés de ce ciel déchiré.
Pour ne pas oublier de voir le Grand
Secret.
Après ce témoignage à tes visions d’En-Bas,
Vois donc à l’Intérieur
ce qui t’est Supérieur.
Qui donc est le Désert, soif du désaltéré
?
Appel de l’infini qui dissout l’altéré
?
L’odeur de foin coupé qui sent plus que
le foin ?
Odeur de sainteté, bûcher du sacrifié
?
Ce qui fonde et sonde, lui, raide défoncé
?
Il n’y a rien à dire, il n’y a rien à
faire.
Témoignage et Témoin s’effacent dans
l’Esprit.
Note : Voici exactement le style ronflant que je ne supporte pas ! Alexandrins
sans les rimes, il est vrai, mais avec des césures. J’aurai l’air de mauvaise
foi si j’assure que je ne l’ai pas fait exprès... Et pourtant c’est la vérité.
Ça s’est écoulé lentement au cours d’une certaine marche en Pyrénées. Le «Vieux
de la Montagne» m’inspirait-il ?
SELF
Dans la réalité truquée du marché des
dupes, les prix montent. Les balises d’insécurité flottent quand marcher est
indécent. À l’heure de l’esquive, dépris des circonstances, enclin à décliner,
mis en joue car non mis en plis, voué au dépit du bon sens et au barattage
du sperme, le poète sans poésie manie son Dissolvant Universel et la femme
à la tête coupée n’a plus un poil de sec...
Quand la source se tarit chaque nuit
est cendre du jour. Entre vivre et dire : bruire. Où la cendre sanctionne
la brûlure. Malgré l’illusion de l’épine qui pique au vif du sujet. D’où vivons-nous
? Sinon dans ce qui reste non produit par la pensée... Et quand les dieux
sortent de nos corps chaque veilleur est dans sa réalité comme chaque dormeur
est dans son rêve. Vigueur de la Vigilance... Ce qui est n’existe pas et celui
qui n’existe pas Est par delà vie et mort et du monde du Soleil d’où il n’y
a pas de retour par delà les morts qui enterrent les morts et des mondes qui
engendrent les mondes or la vue de la non vue voit l’Esprit
comme forme du Soi et si le je du Même se joue avec l’Autre
hors du corps de l’autre s’aime le même dont le je est soi dans le jeu du
monde n’importe où mais hors de l’où aussi loin de l’où que de l’ou bien l’Un non né est sans second...
CŒUR BRISÉ...
CORPS SOUFFRANT
Brûlé de l’intérieur, comme consumé sur
place par une ardeur qui se dévore elle-même, il est la proie des flammes
d’amour. Dévasté, calciné, il flambe et s’effondre. Et à travers son être
tous les corps humains et divins vibrent dans la même tonique. Parfois l’angoisse
monte. Il assiste, constate. Elle était tapie dans un coin et noue le corps
à la gorge. Difficulté du respir quand des zones
d’ombre envahissent l’espace du souffle. Inutile de tenter la maîtrise, la
vanité est dégonflée. Observation du processus de désagrégation d’un corps
portant l’élan coupé d’une moitié perdue. Néantisation du temps. Les formes
se déforment. La terre ondule comme prise d’une douleur si souterraine et
si intense qu’elle ne peut se contenir plus longtemps. Le cœur bat trop vite
pour une image trop lointaine. Tout se dilue dans l’inondation et il coule.
Comme si toute l’eau de son corps remontait dans ses yeux. Comme si tout l’air
qu’il respire s’étranglait en sanglot. Comme si la partie éclipsée déchirait
la distance et que, sous le ciel gris, ses mains tendues palpaient l’apparition.
Constance retirée et dérive dans le discontinu. Il lui semble flotter au gré
des apparences imposées et de survivre sur au moins deux plans de réalités
différentes : celui de sa propre apparence agissant plus ou moins en état
de veille et, d’autre part, sur le plan d’un ordre de réalités passées mais
ayant suffisamment impressionné l’espace pour intervenir brusquement, en surgissant
des abîmes, de la faille du monde, dans les creux de la vie qui donnent accès
à la mort. À mi-chemin entre l’état de veille et l’état de rêve il boite dans
un rêve éveillé tenant plutôt du cauchemar qui lui retire les valeurs de la
mort en tant que passage pour le terrasser au fil des jours et du rasoir.
Impressions et surimpressions... Les deux mamelles des apparences. Quand la
chair de la terre tremble sous les tornades de ce qui tourbillonne dans un
véhicule délaissé. Dans la nuit de l’âme un seul nom et un seul visage reviennent
sans cesse tandis que, submergé et vacillant le vaisseau de l’œuvre se brise
par le régime d’un feu trop fort. Détresse... Lune en Maison Huit ou la mort
dans l’âme... Dans la tête du Bélier. Quelle est la durée de vie d’une vague
se dit Neptune en Capricorne ? Dans la mortelle existence, le passager clandestin
en quête de Vie, même s’il jette l’ancre, demeure en voyage... Guidé par le
phare qui ne se voit pas. Mais évidence vient de voir... Où la flamme soufflée
s’est-elle en allée ? Comment le parfum brûlé fait-il pour retourner ? Quand
la tête brûlée peut-elle se transformer ? Le fugitif sait que le pas en arrière
suit toujours le pas en avant lorsque le premier pas est en avant... Percevant
du coin de l’œil la vue sans voir rien de particulier... Par la diagonale
est observé le général. Étendu comme un isthme reliant le ciel à la terre.
Éternel et éphémère trans-port vers le non-port. L’effraction des habitudes permet d’observer certains
élans comme l’alibi du repliement et de la fuite donc de la peur... Comme
un cri d’alarme qui ne se prononce pas. L’au-revoir
est à revoir quand toujours et à jamais. Et Vénus danse toujours au Sud...
Le diapason entend faire le point sur la situation, mais, désaccordé comme
un instrument déglingué, celui qui a perdu sa tonique détonne dans le concert
du monde. L’exclu vulnérable des signes, qui se donne à vivre et à mourir
dans le corps du monde, débris stoppé au bord du vide, du ciel retourné comme
un gant. Rechercher le Maître extérieur est aussi peu nécessaire que de ne
pas le rechercher. Pour que dans la mémoire de l’instant le présent résorbe
passé et futur... Il s’agirait de ne pas être spécialement attentif afin que
l’attention puisse entendre ce qui se découvre, c’est-à-dire ce qui permettait
la recherche... Mais l’oublié voyageur du non-lieu, mal porté chez les bien-portants,
mal pensé chez les bien-pensants, se livre corps et âme à un amour déplacé
dont le dernier orgasme coïncide avec la première mort. La Femme éternelle
et non actuelle l’a ensorcelé et nulle conjuration ne peut le sauver. Il l’aime
trop pour un seul cœur. Étincelle qui réconcilie la nuit avec le jour. Il
est une chapelle ardente où l’invisible est d’or et les larmes d’argent. L’oraison
est silencieuse pour un dernier printemps. Volatile la levée du corps quand
la cloche sonne le glas sous le bouleau ombragé. Nulle épitaphe inscrite dans
l’espace. Mausolée de l’absence, avec ou sans alibi. Songez qu’ici un cœur
s’est brisé pour un visage de bois. Rien de pire que la femme froide... Les
flèches ont fait mouche et de lui sa forme est sortie d’elle. Le regard dans
le vague, de l’humidité de la vague, de la blessure brûlante qui ne se remarque
pas. Ça ondule comme un flux bouillonnant qui emporte et dilue tout. Et qui
va d’où il vient. Tandis que, sur place, il meurt et puis revient.
J’ai rendez-vous avec un autre moi-même.
sur les pentes neigeuses
je grimpai le souffle long
croulant sous les vivres
parallèle au sol
comme un avion d’orient
portant la Femelle obscure
à la fenêtre de l’occident
QUI ÉTAIS-TU
AVANT NAÎTRE ?
Qui étais-tu avant naître ?
Que seras-tu après mort ?
Dans la chair du Ciel
où se tracent les Signes
la Lumière ne vacille pas
au-delà du Soleil caillot de sang
et de la Lune cueillie dans l’eau
et de la cape des cieux trouées d’étoiles
et des perles blanches dans la bouche
de la déesse aux montagnes enneigées
et de la brûlure intérieure qui tremble
dans la fièvre des longues nuits
DEUX EN
UN
le Soleil mange
la Lune à boire
l’Esprit brûle
ce que l’Âme
suinte
ceux qui partent
sont comme ceux qui meurent
ceux qui restent
sont comme ceux qui souffrent
suis-je la vague qui se brise
ou l’Océan immuable
?
Abandonne
le corps pour l’esprit
Abandonne
l’esprit pour le non-esprit
Abandonne l’abandon
Et même s’il faut marcher
comme d’autres font naufrage
le lieu éternel
n’a pas de lieu
Et le Cœur demeure
la niche de Lumière
LE TÉMOIN
Emporté
par les pensées
qui me pensent
Pourtant
je ne suis pas
les pensées
Comment serai-je
dans le train
des pensées ?
Laissez-les passer
ou descendre en marche
ou encore à la prochaine
Car en réalité
je suis la vache
qui regarde passer le train
LA MORT
D’UN PRUNIER BLANC
à Li Po,
Il neige des nuages blancs
Le vin coule entre les doigts
Ni jour, ni nuit, ni bruit
La Lune s’accroche à la montagne
Elle descend le long de ses flancs
Ciel et Terre ne sont plus séparés
La barque ondule et balance
Elle descend au fil de l’eau
Que le chemin du retour
Ne soit jamais celui de l’aller
Ivre de la Lune...
L’embrasser !
Boire l’Immortelle
Et glisser...
Dans le Fleuve Bleu
MINE DE
RIEN
percevoir directement
l’arrière-plan sous-jacent
la brume dissipe
l’abrupte falaise
sous le ciel
les montagnes bleues
de l’instant à l’instant
rien ne se passe
tout arrive
CHANVRES
ET MÛRIERS
silence de neige
à fleur de vide
bouffée de sens
l’ultime partout
à même l’instant
la bouse de vache
accepter avec ses tripes
pertinence impertinente
nous dormons debout
les yeux ouverts
corbeille à papier du monde
fausse couche du moi
nuages et cheveux blancs
ongles et idées noirs
manche humide sur perron de jade
le passant vague à l’âme
de nos personnes
seule la mémoire se souvient
aller et venir
rester ou partir
éclosion du moment venu
dans les parages des lieux perdus
brûlante hutte à sudation
avec la terre comme oreiller
être dans la pipe
l’esprit tire à l’arc
cœur écouté
pensée épuisée
courant de vie
le feu efface les traces
unique sans propriété
l’unique quête l’unité
parole du point nommé
instinct de l’indistinct
marche en forêt...
pourquoi nommer ?
fugitif déjà-vu...
dissidence
décrocher des formes...
qui nomme ?
pur ou impur...
tout fait ventre au cœur sacré
les blancs entre les pensées
y entrer sans y penser
frappé par la beauté
ce qui donne à rêver
accueillir
recueillir
fleur éclose
langue écluse
être là
au parfum
à chaque route suffit sa peine
et que roule la bosse !
le blues des steppes
à l’éternel ciel bleu
le chemin voyage
gâteau gâteau paragâteau parasamgâteau
soufflant comme le vent
dans un vaste incendie
les vivres sur le dos
le vent dans le sapin
là-haut