PIERRE DHAINAUT
De nouveau tu tends ce piège, affirmer
que tu t’ouvres, et t’arrondir
et tourner. Comme la nuit tu trahiras le jour
de nouveau.
Expirer, inspirer,
l’un dans l’autre, l’un pour l’autre,
ce que nous avons dit, le silence en hérite,
le fertilise.
Houle trop belle, heureuse.
On inspire, on expire, on n’a qu’une envie,
tu ne l’admets pas, que ce soit une fois pour toutes,
que l’on soit sans réplique.
La perfection
que les lèvres enseignent, strictement, peser
ce que pèse un souffle, il harmonise,
il n’alourdit pas l’air : j’aimerais le dire
aussi bien que l’alouette, l’air qui chante
en son chant converge et se propage,
vol plané, vol battu, elle attise nos yeux
pour qu’on ne la voie pas.
Existe-t-il un lieu
qui terrasse, qui t’interdise
d’abuser d’un nous dont seul tu es dupe,
où tu doives te fendre
d’un toi ?
La perfection, la poignée d’herbe a-t-elle
moins d’importance que le vent, la forêt
dit-elle plus, tumultueuse ?
nos voix ne sont pas rivales : aucun nom
n’a scellé la rencontre, la parole
amenée jusqu’au chant, la respiration amicale.
Un soleil très haut. La plaine. Et la marche.
La marche illusoire. Où que tu ailles,
le vent qui traque
de front, de dos. Tu mets le pas dans le pas
harassé. Pas d’échos,
pas de sillage. Un soleil très bas.
Tu n’auras pas l’impression d’une survie.
La scène est-elle vide ? est-ce une scène ?
Quelques arbres, ils ne sont bons qu’à désigner
l’air rebelle. L’abîme
étale, pas même le vertige, et l’horizon
t’accule à plier, implorer
pour respirer.
Les arbres les plus frêles,
les plus rudes, ces vents qui les taraudent,
qui perdurent, ils n’en sont pas victimes,
ils ne le sont pas d’eux-mêmes.
Tu l’imagines.
lls n’ont qu’une ressource, leur attention,
notre attention.
Moins peureux, tu irais
vers l’horizon, afin qu’il te déterre, te projette.
Nos arbres, nos maîtres, l’espace bienfaisant.
Mais l’autre, au dehors,
le tout autre ?
Aurions-nous fini ? une vie
pour intégrer l’œuvre des siècles, une vie qui s’ouvre,
en effet, qui ne s’ouvrira qu’en épanouissant,
nous continuons le chemin
quand le chemin n’est plus tracé, la paume aussi rêche
que l’écorce ou les années, aussi lisse,
plus tôt que nous les arbres
se sont engagés, le tremblement, le vertige compris,
ils soulagent la terre et l’horizon, nos années,
les siècles futurs, ceux d’autrefois, enchevêtrés,
nos paroles confuses, dans leurs branches
ou leur chant.
Rien ne se dit à jamais.
Plus qu’ailleurs en la plaine
on s’enferre.
L’éclaircie n’est pas éternelle,
est-elle éphémère ?
La beauté comme un linge
adoucit les traits du cadavre,
ton chant l’a-t-il trouvé ?
Chanter, inviter à la présence
ceux qui furent contraints à espérer,
désespérer, prématurément, les amants d’une nuit,
les suppliciés,
les enfants pour qui n’a pu retentir l’étoile,
l’étoile du matin, l’air est en crue,
les poings se sont relâchés, les paupières,
le temps a tout retenu
de ces cris, de ces pleurs, pour que la terre soit la terre,
inventer de nos lèvres
le chant qui ne console pas,
puisque le souffle alterne avec le souffle,
il prononce enfin la syllabe silencieuse.
Tes mots timides, ce chant n’est pas de toi.
Nous partirons plus pauvres, sans demander
s’il se souviendra de nous,
quitterons-nous la plaine rutilante ?