FRANCIS GUIBERT

 

FINS DE CYCLES

 

« Bien qu’éternellement délivrée

Je dois sans cesse à nouveau Me délivrer. »

(La Doctrine secrète de la Déesse Tripurâ)

 

 

Époque fameuse entre toutes, époque où l’humain s’effondra pour laisser place à l’indicible. De tous les mondes étaient venus les êtres, de tous les espaces ils étaient venus pour assister à ce prodige de la fin de l’humain & de la naissance de l’indicible. La Terre était entrée dans l’hyperespace sans que ses habitants s’en rendent compte, la Terre était sillonnée par tous les esprits du cosmos venus sur place pour observer l’œuvre de l’indicible. Un rire de canard coincé sous le coude, le cri perce le toit : « nous avons vaincu le monde, cu le monde ! » et le rire pleure sur la Bretagne & ses satellites jaunes. J’ouvre ici la porte au temps sur la piste fraîche d’un mannequin qui est votre pensum, les gnostiks rêvent tout haut sous une peau de boa : « nous avons vaincu le ciel, cu le ciel ! » & les photomatons inscrivent le nom du gourou en lettres dynamitées sur une feuille d’éther géante, l’imaginaire réel vous suce la moelle par la racine et tombe en gouttes de cerise par la sortie de secours. À l’avant du regard noyé de brume blanche impalpable, pour respecter le silence des sphères, nous écrivons avec le rayon d’une source les bribes de son. 10 éclairs/minute suffisent à changer le paysage en torrent d’avril, tandis que la balance des changes ne bronche pas dans le ciel polaire. La veine bleue centrale charrie le rouge en-dedans, c’est la voie dont on n’ose parler sans alibis tributaires du culte des morts. Maintenant c’est le brouillard sublime, on est défait par le bas le haut & le milieu, un drôle de massacre, les esprits dansent la karmagnole, on est les fantômes on ne dormira plus, les cordes du rêve sont pétées où plutôt on veille à travers tous les rêves, pour le meilleur & le pire. Les esprits ont sonné le verdict, à vue humaine on ne voit plus rien, sinon un vague brouillard blanchâtre, dans la nuit les extraterrestres ont dû passer par là et n’ont rien laissé de nos totems, nous sommes la tribu perdue de l’ère de rien.

 

anachronik dis-je, tandis que tournent les mosquitos de l’au-delà, anachronik-time menaçant les hordes de Nyarlathötep, tandis que j’écoute pour la 220ième fois la Persian Surgery Dervishes de Riley et tandis que je me dis qu’on a bien raison de ne pas avoir raison /

que va t-on faire de ce temps anachronik, plutôt QUE VA-T-IL NOUS FAIRE ? zallons être bouffé de silence, sûr, oui, du silence enfin partout dans tous les bruits du monde,

et l’œil d’une caméra invisible est en train de capter les derniers soubresauts du vieux monde, les derniers sauts de puce de ma vieille carcasse /

c’est l’aube & minuit à la fois, overdosé de doctrines secrètes j’éructe la fatigue du siècle /

 

D’un geste le livre se ferme. L’heure est grise, l’horizon d’un sombre total. Un aigle vole très haut. Toutes les horloges sont arrêtées ici depuis des siècles. Elle a mis une cape noire. Elle descend vers le parc.

 

La terre tremble avec le ciel, avant l’homme il y a les esprits de l’espace aux formidables extrêmes, avant l’homme il y a sa pensée qui est exactement son corps, un corps ployé dans l’espace, la limite est là, c’est la borne, la balise du vide, le joyau noir d’Hiéroglyphe, le temple sans ouverture : un bloc-symbole, le sanctuaire du Un dont chaque face pose l’énigme de l’identité codée des images magiks, un rire de profond recueillement. Le neuf étant inusable, je peux voir le soleil dans le joyau & le Thibet dans une cloche de verre. Au carrefour des vents invisibles se dresse la forteresse noire des légendes sur laquelle se fracasse le monde & mon idée. Aventure trouvée endormie au cœur d’une pierre, je suis Melmoth & la tête coupée de Méduse avec l’œuvre chymik dans les veines. Les fantômes parlent la langue du sommeil, je me rappelle les lames d’un tarot que j’ai vu dans mon enfance, je n’en sais pas plus depuis le Moyen Âge, l’ars magna est tout entier dans ce tarot déployé dans un temps « en dehors », l’histoire magik est une piste à plusieurs voix, noircir le papier pour le donner au joyau est un rite éternel, je suis le clown de Thot, je suis le scribe du rituel des nains de l’espace qui jouent à la marelle.

 

un loup sillonne la pente de la nuit

vertige du temps

l’horizon crache les dés

le huit s’allonge sur la route avant de plonger dans les nuages

le monde est inconnu

c’est l’extase invisible qui frémit dans le grand arbre

terreur terreur l’humain se brouille dans le vent des esprits

les fauves reviennent avec des lueurs de métal

les messages du soleil sont entrés dans les banquises du silence

& sous les pôles des œufs de marbre rouge attendent

des fleurs électriques courent dans les circuits dominants

un sommeil lourd bourdonne dans les têtes aplaties du camp de la mort

cette vie est la dernière du camp de la mort

naufragé, ni base ni sommet, l’espace, j’ai glissé à travers le réseau des images, me voici dans l’espace, aussi mort que vif, le réseau du monde aujourd’hui est un métal battu en neige, j’ai perdu l’adresse du bureau des identités, plusieurs événements discutent à voix basses, une fille dont j’ai oublié le nom vient de monter dans un taxi, une flotte de drakkars a appareillé à la vieille lune des Serpents de l’Ère Torride, les vikings font escale à Phobos pour suivre des cours accélérés de tir au laser & les vieilles femmes peaux-rouges ont enfin compris qu’il fallait coûte que coûte ressusciter tous les minnesängers afin de leur faire cracher le morceau /

 

L’être est le défi donné à notre conscience, l’instant est riche de la richesse infinie, c’est une leçon ambiguë, une donnée subversive, une révolution potentielle, un oiseau posé sur notre main, une invitation muette. Nous croyant plus fort que l’énigmatik oiseau, nous lui tordons le cou. Mais cet oiseau est notre être qui ne meurt jamais, il reviendra hanter nos nuits & nos jours tant que nous ne saurons reconnaître sa puissance. Il est le vol sans lequel nous n’échappons pas à la mort. On est allé trop loin dans l’erreur, on ne peut plus se reprendre, les jeux sont faits, il ne reste que l’oiseau énigmatik posé sur notre main, rien d’autre. L’éveil est une rupture & une union, rupture avec nos peurs, union avec l’être instantané. Il n’est plus temps de se demander ce qu’il va se passer dans 5 minutes, il n’est plus temps de faire des plans, les plans sont morts, il n’est plus temps de jouer avec les choses, nous sommes joués déjà avant par les choses, il ne nous reste qu’à les balayer, le destin est un épouvantail à moineaux.

 

l’orient est tombé en occident en mille miettes / dans une déroute d’hallucinations l’esprit & le corps sont cloués au sol / on ne s’entend plus respirer, l’apocalypse a hypnotisé la planète / les formes ont envoûté le monde & le monde craque dans l’espace avec tous les démons d’énergies & la fin du monde est une figure de proue qui se dissout dans l’espace /

 

L’erreur est tellement énorme qu’on en rit même plus, on en perd le sens. Le sens perdu, on se perd peut-être, qu’est-ce à dire ? Pour se perdre il faut d’abord s’être trouvé, qu’est-ce à dire ? Que peut-on trouver dans ce « on » ? « On » est une façon de parler, « je » est une façon de vivre & de mourir, « lui » « elle » ce sont des histoires insensées où chacun prend son plaisir & son malheur en y trouvant un sens. Le sens nous prend à la gorge, alors pas de doute : on a fait une erreur en trouvant le sens. Alors on trouve autre chose pour desserrer l’étau du sens, on trouve le non-sens, on trouve la défaite du sens. Le sens défait, le destin chaud & froid ne peut plus se marchander, c’est la démoralisation des troupes. Géovâ bave jour & nuit en écrasant une à une les fourmis en colonnes, mais dans le non-sens nous n’avons plus rien à faire de Géovâ & ses armées, nous n’avons plus rien à faire de la terreur, nous sommes la terreur en chair & en os, invisible, imparable. Dans la défaite du sens il n’y a plus de force et sans force nous traversons les champs de bataille, nous sommes les fantômes, nous sommes la terreur des armées, la terreur de tous ces soldats de guerre & de paix dont nous traversons les cuirasses sans même croiser leur regard. Ils ne peuvent nous voir mais sentent soudain au cœur de leur être la morsure fatale de ce rien qui est leur fin. Géovâ se révulse dans son épilepsie. Les fantômes posent leur regard dans la nuit, ils vont, chaque atome de leurs os magnétiquement accouplé à un atome du courant infaillible des champs de vie & de mort.

 

faire l’amour avec soi-même & le dieu inconnu qui a un visage d’horreur et de tremblement & basculer dans le tourbillon entre le « je » et « l’autre » / dans sa « folie », Hölderlin s’inclinait devant ses visiteurs en les appelant « Monsieur le Baron » ou « Votre Majesté », Hölderlin avait craqué, il était peut-être dans cette horreur magnifique de l’inconnu / le visage de la destruction est extatiquement pur /

à suivre les chemins de l’impossible

à laisser derrière la carcasse du destin carbonisé

il n’y a pas de folie comme rempart

mais la nudité sous le grincement

« je ne veux pas dormir », puis le rêve éveillé

le désert du monde, mon cœur pas à moi qui libère

il n’y a pas de folie comme rempart

l’errance est totale sous le grincement du jour

& la vraie nuit de l’être qui libère

au silence des mots parle l’impensable

un œil ouvert flambe immobile sur la terre dévastée

rien d’autre ne m’appelle

 

Hendrix a découvert la musik de la fin des temps et nous sommes tombés dans le vide pour reprendre notre place au ventre de la genèse, petits animaux psychédéliks du programme terminal / le surgénérateur du grand nettoyage enlève l’esprit du temps avec sa chair pour le rendre à son innocence en surimpression des séquences-vidéo de la peur / les scoops du futur ont fondu dans la pensée / la pensée a dissocié les engrammes du passé / l’apocalypse a hypnotisé la planète et la poussière du camp de la mort a tout recouvert / immobiles, nous entrons dans la chambre centrale du monde, ici se décide le jeu, se font & se défont les mondes sur les claviers des grandes orgues de l’espace, ici se code la reprogrammation essentielle / fantômes noyés au cœur du silence, nous glissons dans l’œil du cyclone où vire la lumière liquide / un schéma se profile, il n’y a plus rien, plus de terre plus de ciel plus de parfums & d’espace, plus rien qu’un schéma / cette vie est la dernière du camp de la mort, comme un cheveu sur la soupe du camp de la mort, je ne suis plus nulle part / le court-circuit de l’instant est suffisant pour ruiner toute prétention / la complicité du rêve est à brûler comme le reste, je ne me retournerai pas pour m’attendre /

 

Lorsqu’on est livré aux forces des esprits on ne peut rien, à ce moment-là TOUT peut arriver, on a perdu cette chère illusion qui consiste à s’imaginer qu’on est maître de quelque chose. Nous ne vivons que parce qu’une force, une conscience inconnue & supérieure, en a décidé ainsi; qu’elle décide notre damnation ou notre résurrection nous n’y pouvons RIEN. Je ne suis pas religieux, je suis entre les mains des esprits inconnus, les remparts que l’humanité s’est fabriqué avec du « matérialisme » & du « spiritualisme » n’existent pas pour les esprits. Que pasa ? Chacun vit dans son abîme et personne ne peut rien, c’est normal. Une amie rate son suicide, un autre tire la sonnette d’alarme dans une rame de métro, il crie dans le micro qu’il y a un fou. Changer la vie ? Non, la vie nous change et j’écris pour pas être dévoré tout entier mort & vif par la folie insane.

« nous sommes TOUTE la science-fiction » (Washburn-Pélieu)

take it easy les dieux nous rêvent très vite

le connu se libère du connu mercy

 

échec total de la pensée de survie / ne plus lutter contre le reflet de soi-même est la trangression suprême en ce monde et dans l’autre / il n’y a rien à savoir, tel qu’en lui-même l’instant se retrouve dans la formidable présence du réel qui fut toujours / il est des couleurs qui ne passent par le temps / le vivant est invisible dans le temps, c’est une forme sans soutien qui ne se reflète pas, c’est une raison sans pensée qui se manifeste sans retard & s’accomplit par elle-même sans lutte / sans lassitude le haut & le bas se rencontrent & l’on y adhère sans fatigue / le destin s’accomplit comme la foudre tombe / l’heure est oubliée, les saisons tournent comme un spot détraqué, les astres grognent en pure perte / les fakirs de la fin de tout ont des yeux de pierre grise, les atomes de leurs corps se sont mélangés au vent d’outre-espace, ils dévident leurs gestes à l’envers, complices des nains & des fantômes / nous sommes le lieu de l’apocalypse-révélation / anges & démons réunis sur nos têtes fracassent tout avant le coup de grâce / tous les phantasmes de l’humanité passent à la moulinette de la fin des temps / nous n’avons plus à déchiffrer les prophéties, nous y sommes /

 

entre soi & soi le vent a soufflé / quoi donc le vent ? le vent quoi entre rêve & réalité, libre entre conscient & inconscient, libre / le corps taoïste est en visite, adhérer à la voie est la révolution de la lumière / inutile de résister, laisser les choses où elles en sont, rien n’est gagné & perdu, ne pas s’occuper de l’ignorance & de la connaissance / il n’y a qu’un œil ouvert, libre de la vie & de la mort, sans intelligence étant toute intelligence / et le mariage yin-yang œuvre sans qu’on s’en occupe, il suffit que l’esprit ait coulé en eau dans son propre feu entre rêve & réalité / et le langage est libre silence du vide de la joie / le rite du sacrifice au corps taoïste a ouvert ses manches de nuage, pourquoi saisir l’épée alors que l’esprit brille par lui-même ? lumière sur lumière dans la forêt du sacrifice, un arbre & un homme ne sont pas différents, pourquoi s’acharner sur l’écorce ? entre les troncs brille la lumière du sacrifice de l’esprit à l’esprit, la forêt protège le rite invisible / l’espace libre est ici, dans la forêt du monde au rite invisible /

 

Les jours sont noirs, les nuits sont blanches, les opiums ne sont plus « immenses », « la nuit et la solitude sont pleines de démons » (L’Ecclesiaste). Dix mille moustiques de Nyarlathöthep vombrissent sous mon nez, que s’est-il vraiment passé tandis que, le lézard suburbain sur ma tête, nous voyagions sous Marseille ? Je crois qu’il a volé mon âme — du moins un morceau. Ce n’était pas un lézard, c’était une âme en forme de lézard. Je posais la main devant elle et l’âme lézardée montait dessus avant de grimper sur ma tête. Si ce lézard téléguidé a volé mon âme je ne le regretterai jamais, il m’a donné la sienne qui est aussi belle. Il y a de la vanité à vouloir sauver les meubles, il ne reste que la nudité. Le monde tel qu’il est, l’angoisse telle qu’elle est, extase sans fin, angoisse nue chargée de mystère, je me rends à toi & c’est la danse de mort, copulation invisible, la folle divinité vous attend, cuisses ouvertes sur votre pierre tombale. La mort c’est maintenant, le cœur de la vie ne bat que pour elle. Sans doute aime-t-on à se dire qu’il y a un destin, mais la vie & la mort s’aiment tellement que l’histoire humaine n’aura bientôt jamais existé lorsqu’elle sera anéantie sur l’autel du sacrifice de l’Âge Noir. « Le noir de l’Âge attend d’être reconnu » dit la divinité folle en écartant ses cuisses de sagesse infernale.

 

d’une certaine façon, impossible de se retrouver /

le seul acte est celui du feu, direct de nulle part /

dans l’axe du colimateur la poussière atomik en manches de brume elektric obture le champ de vision / tout dépend de l’instant du geste / le mouvement juste de l’être est donné par l’énergie du vide, comme nous l’apprennent les arts martiaux / le mouvement de ce que l’on appelle « la vie » est LE grand geste magik dont nous sommes le reflet / réduit à la plus simple extrémité il n’y a pas de folie comme rempart, les yeux ouverts on avance dans le noir / infusion des sens dans le grand sens vide du geste magik, élixir de folle sagesse / entre extase & agonie, l’intense sous le silence bétonné fulgure de vitesse absolue / la vérité du fil du rasoir œuvre au cœur invisible, invitation immédiate à l’homme du feu blanc / impossible de ne pas crever (en blanc ou noir, et le rouge, AH où sommes-nous donc pour avoir oublié ?) / que reste-t-il ? baiser le mort, voir L’ARTIFICE-MORT, la mort de l’art, sa naissance immédiate dans ton sang qui n’est pas à toi lorsqu’il coule dans l’espace / l’instant retourné sur lui-même vous donne bien le bonjour / coulez le cadavre, le signe vivant s’occupe de vous de toute façon, & l’umour de notre zèle ça vaut vraiment le coup de le voir pour apprécier à sa juste valeur sa liberté sublime / l’époque, l’heure, la vitesse du cycle now nous rend à la simplicité du geste, le grincement s’effile en larsen modulé dans le souffle du vent élektric blanc à toute vitesse / CREVEZ LE PAYSAGE

 

un noir plus noir que le noir gèle lentement les circuits, une stratégie terminale & invisible se trame dans le vent, l’équilibre rompu on tombe en haut en bas, c’est pareil / c’est pareil / le centre se joue de nos yeux / nous sommes l’invisible au détour du chemin, l’inaudible à la croisée des routes, l’insensé au point de fusion des futurs passés, l’intouchable du non-lieu des êtres, le renversement des apparences à la chute du jour / l’impuissance fondamentale dont je parle est une enfance malheureuse de ne pas encore être née, des fantômes frappent aux portes du monde, ils font semblant d’être dehors / la non-parole mitraille le geste en silence / invasion du non-temps dans le temps / monde du temps pulvérisé à 5 images/sec. / l’image discontinue se pose doucement sur les réseaux en surchauffe du pseudo-sens des choses & gagne sans combattre, bêtes anges & dieux se foutent de notre existence, ils l’ignorent royalement /

 

elle m’a appelé de l’autre côté de la folie

elle a chanté le lai de l’horizon défait

elle tourne le mur secret à l’envers du miroir

splendide chaleur de ton corps perdu à la frontière

je ne t’aurai attendu que le temps d’un oubli

je

des mots assassinés dans leur lit, un poison qui travaille en zone interdite, traverse les envoûtements, transite dans le ciel noir chargé de foudre, laissant les soi-disant ressources au vide / je me sauve de moi-même par la sortie de secours, dehors l’air est frais, tout ce qui a fait trembler l’humanité ne fait plus rien trembler, les étoiles ont écrit « DÉSIR » dans le ciel, j’expire les miasmes de reality-fiktion, j’expire la fatigue-zombi / l’hypnose en circuit fermé tressaute dans la mémoire, c’est le ludion tragik perdu sur les pentes du rêve, mais les sueurs du béton en disent plus sur le rêve réel / quel retard avons-nous sur le réel ? celui de la somme de nos fuites qui soudain retombe en neige sur le paysage /

 

Le centre de la vie envahi par les eaux cède la place : le grand cercle n’a pas de centre, le fil du rasoir n’est pas un fil, l’existence n’existe que parce qu’elle n’est pas / où sont la guerre & la paix ? le sang noir a déjà coulé et la parole aussi / le hasard est un art sans formule où l’on coule en trombe / tous les miroirs explosent au ralenti, la pensée se fait chair, la chair devient pensée, les esprits s’engouffrent entre corps & pensées comme des vikings à l’attaque du ciel & de la terre, le temps-panick fait crisser les pneus, l’espace-umain bouge d’un bloc au bord du vide avant de basculer, les réseaux du Grand Ordinateur sautent de partout / l’art sauvage prend d’assaut l’artiste en débine et le viole sous tous les angles / l’art nouveau est sans formule livré au hasard, un assaut sans exemple dans un monde en retard qui explose / les démons du hasard ont pris les commandes en une nuit pour écrire leurs noms insensés dans les gestes du monde, des lettres dessinées en plaies fulgurantes d’un laser invisible sur tous les gestes du monde, c’est leur art de démons qu’ils vont nous apprendre de gré ou de force car nous sommes défaits / là où dans le monde nous ne fûmes jamais ils attaquèrent sans attendre, l’art nouveau n’a ni forme ni loi et se joue en silence entre corps & pensées / les vikings du hasard font sauter les relais de la communion des esprits umains / ils saignent les signes à blanc entre le geste & la parole / pour les fous, un seul signe indique le nord de leur désir comme une lame de feu glacé / le temps remis à sa place n’a plus de sens, plus tard est remis à maintenant comme une avalanche qui a trop attendu / les sueurs du béton s’ouvrent en torrents de sang, nous sommes le secret au grand jour, indéchiffrable & bien réel, étalé à tous les regards / nos pouvoirs sont impuissants, un seul regard démoniak embrase le monde & ouvre les corps comme de vieilles bibles trempées de sang noir / le temps s’endort au fond des pensées mortes de l’umain, la planète célèbre l’ultime messe noire de l’Âge et je m’échappe avec les vikings dans la colère de l’océan, nous allons dormir enfin et ce sera un rêve de sang lumineux / qui parle ? qui agit ? qui dort ? qui rêve ? sûrement pas moi / alors tous les trains déraillent en même temps dans un hurlement de katastrophe finale, petite fille n’aie pas peur, nous allons nous promener sous la pluie et puis nous irons à la fête dont tu m’as parlé pour rire, encore une fois tu veux m’apprendre la nostalgie, mais cette fois ce sera la fête des amants, « la mer allée avec le soleil » dans un coquillage-météorite /

 

OÙ EN SOMMES-NOUS DE LA TERREUR ? / « but first are you experienced ? » lance le Voodoo Chile / are you ?, appel ultra-terrestre aux fous pour bombarder la Terre, pour voir ce que nous appelons « la Terre » c’est un rêve encore, toujours, un rêve de sang, mais je passerai très vite, oubliant le rêve d’un rêve pour voir le rêve réel de la Terre très vite / plus de loi maintenant puisque la Terre n’est pas réelle encore, passer seulement sans loi sur l’échiquier de la planète, le blanc/noir en vitesse passe d’un trait, s’étire en ruban dans le champ libre de lavision catapultée en pilotage automatique, et la ménanique 1984 n’intéresse plus que les démons de la vieille lune / entre hier & demain, les enfants de l’instant secouent la planète comme des sauvages, atomisent le monde en poussières yin-yang au feu blanc & au feu noir avec le rouge dans les veines / leur regard ne parle pas, il ne fixe plus rien de connu /

OÙ EN SOMMES-NOUS AVEC LA BÉATITUDE ? / la peur a glissé à l’envers du décor, nous sommes sans forme dans le monde du réel rêvé, un tremblement de l’air dans le paysage, un écart réduit à la portion absurde, un être aveugle avançant comme un plaisir nouveau, comme une limite franchie sans retour / nulle part où se cacher, plus de fuite, la fuite est en nous sans distance le mouvement même de celle-ci, un mouvement insensé et simple, un retour au non-formulé sans visage avec tous les visages /

 

La pensée-mouvement de l’équation jamais fixée entre « moi » & « non-moi » ne traverse pas le moi & le non-moi, elle joue sous cette double figure sans avoir aucun visage réel. Atteignant le subtile de l’esprit on en perd parfois le sens subtil qui, aussi bien, est la sauvagerie même. Il y a dans la pensée comme un réseau qui d’une certaine façon devient totalement inefficace lorsque le moi se défait. Le naufrage n’est pas un culte mais le désir sans appel qui s’infiltre & ronge les schémas comme la mer le rocher. Les émotions sont suspectes lorsqu’il n’y a en soi plus personne pour y croire. Ainsi coule le moi qui est cet amalgame d’émotions, le sensible de l’être n’existe qu’en dehors de cet amalgame, c’est-à-dire en dehors de la durée, en dehors du temps rêvé qui court après son ombre, ainsi coule insensiblement la recherche du temps perdu, dans un paysage où le temps est le mouvement des océans à travers la brume de l’espace. Alors il n’y a plus de direction dans l’horizon, mais le fil droit séparant ciel & terre, et le mouvement épars de débris flottants, débris d’ombres, de cadavres umains pas encore morts, des fantômes du passé rêvés là où justement il ne s’est jamais rien passé vraiment. Et le jour se lève mais pas le jour d’ici. Mais le jour se lève dans des yeux qui ne voient plus. Mais le jour se lève ailleurs que chez moi, dans un ciel de transit, dans un ciel où passe un geste qui est l’ordre fou du non-moi révélé par l’équation impossible du connu à l’inconnu. Le jour se lève comme la lumière du monde des morts, et qu’importe où vous en êtes : votre évolution n’est pas ce mouvement qui balaye toute évolution, lorsque Babel n’est plus qu’un nuage poussiéreux sans intérêt. La guerre qui est en jeu se passe de notre participation, nous dérivons dans le souffle des bombes, sans véhicule autre que ce souffle. Et se laisse entendre la musik de Shiva-Le-Terrible.

 

Si encore on ne voyageait que dans le temps, mais non, on est aussi dans l’anti-temps, dans le contre-temps, dans l’hyper-temps, dans l’outre-temps, dans l’infra-temps & dans ce grouillement intarissable de temps parallèles. Images, images, vous êtes trop à jargonner dans ma vie, ce que vous avez à me dire, dites-le moi en morse, ce sera moins fatigant pour tout le monde et ainsi, déshabitué à tout autre langage, je serai sourd au radotage millénaire du genre umain. Ainsi ma pensée ne sera plus ma pensée mais les fluxs et refluxs DE CE QUI ME PENSE, et je ne serai plus que le mouvement du courant des nerfs de la vie & de la mort & de tout ce qu’il y a par-delà, en-deçà, entre & au-dessus & au-dessous & ailleurs & maintenant.

 

Tout est défait tout est défait, la planète tourne sur la lancée par la forces des choses, le décor s’effrite, laissant paraître la nudité des forces inconnues de l’homme, nous arrivons à l’endroit où tout le connu devient inutile, définitivement. Que reste-t-il ? Le mouvement seul, le mouvement coulé dans l’immédiat, une accélération du connu à la puissance « X », fusant d’un trait dans l’inconnu de l’immédiat, une façon d’en finir avec les nœuds de serpents de la mémoire. La vertu des choses nous a quitté par une nuit sans lune, il nous reste à vivre sans elle, à savoir mourir peut-être. Sans idée toutes les idées sont remises à leur place et s’effacent lentement. La saveur de l’immédiat vaut bien celle de tous les masques temporels, de tous ces débris d’épaves en dérive. Ce qui se passe n’a plus rien à voir avec la vue umaine, l’inconnu de l’homme s’ouvre, prenez garde à ne pas vous y perdre, ce qui d’une façon ou d’une autre ne saurait tarder. Un parfum effleure mes narines, je vivrai & mourrai pour ce parfum, sans remords. Je suis le chasseur & le gibier, avec le souffle du vent dans la forêt des temps. À force de courir, le vent m’a brûlé la vue et je n’ai plus distingué mon ombre de celle qui me chasse & que je chasse. Je me suis arrêté pour mieux sentir le parfum, et depuis je cours encore. C’est dans son absence que la sagesse nous parle.

 

Où est l’équation de l’absolu du réel ? L’angoisse de l’inconnu est aussi notre plus grand désir. Il y a comme un appel à inventer par notre propre souffle le jour & la nuit, à créer le contraste pour ensuite le résoudre dans la fusion des opposés. Je crois au gaspillage définitif des énergies, attitude extrémiste sortant de la demi-mesure pour trouver la mesure de toute chose, c’est à dire l’inconnu du sacrifice, là où l’homme perd son sang. Le plus grand désir est une adhésion toujours plus grande à l’inconnu pour en finir avec les limites, non par destruction mais par abolition. La guerre n’a plus rien à voir avec le désir de l’inconnu qui est par essence transindividuel.

 

toute la conscience comme une conscience pas encore fixée; comme une force pas encore unie, comme une évidence pas encore évidente, comme un destin pas encore compris, comme une clarté pas encore atteinte, où il reste à percer la pellicule d’un rêve potentiel, où il reste à traduire les signes, tous les signes du temps avec l’œil du rêve & du réel, avec les nerfs, avec le sang, avec la parole du monde & celle de l’autre monde, & celle de l’autre autre monde / passer le bras à travers la neige & toucher le tangible du rêve réel qui n’attend pas, quitte à ce que les résistances sautent, quitte à faire fondre tous les circuits du corps de cette putain de machine dont il faudra bien un jour trouver le fonctionnement, même si ce fonctionnement est sa propre annulation / que l’homme quitte son corps, quitte sa pensée, sa vie, sa mort, son espoir, son désespoir, sa peur, son orgueil,

il n’y a plus de place pour lui,

la parole est au présent, à son horreur, à sa toute puissance, à son irréductible, à sa folie,

nous n’avons plus rien à faire qu’au présent, être seulement, complètement, totalement, impossiblement être,

 

la musik de Kâlî tourne sur les plateaux de la pop d’acier / & sous le silence du béton, la musik de l’impensable radical / & sous les paupières baissées du bonze qui brûle, il y a un abîme de lumière qui efface le temps à jamais,

IL N’Y A JAMAIS EU D’ACTUALITÉ

 

Mars 1980

 

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