ALEISTER CROWLEY

 

THE BOOK OF LIES (LIBER 333) (extraits)

 

« THE BOOK OF LIES WHICH IS ALSO FALSELY CALLED BREAKS, THE WANDERINGS OR FALSIFICATIONS OF THE ONE THOUGHT OF FRATER PERDURABO (ALEISTER CROWLEY) WHICH THOUGHT IS ITSELF UNTRUE »

 

          « Le Livre des Mensonges » paru en 1913, est une remarquable collection de paradoxes, pouvant se limiter à un mot unique, remplir quelques lignes ou deux pages. Crowley y jongle habilement avec une multitude de symboles appartenant à toutes les traditions; ses astuces littéraires y sont innombrables, de même les jeux de mots qabalistiques; ce qui ne facilite guère la tâche du traducteur.

          Le contenu de chaque chapitre est en relations avec le numéro de ce dernier, considéré en tant que valeur numérique qabalistique. En fait, au long des quatre-vingt-treize chapitres, Aleister Crowley illustre chaque nombre de 000 à 91 par une gamme de procédés littéraires allant du poème à la comptine, en passant par l’aphorisme et le rituel.

          Des commentaires additionnels furent rédigés par l’auteur sans doute vers 1921, mais ils ne parurent joints aux chapitres que, posthumement, en 1952.

Philippe Pissier.

 

 

 

CHAP. 2

LE CRI DU FAUCON

Hoor possède un nom quadruple : à savoir: Fays Ce Que Voudras.

Quatre mots : Zéro-Un-Plusieurs-Tout.

          Toi-l’Enfant.

          Ton Nom est sanctifié.

          Ton Règne est venu.

          Ta Volonté est faite.

          Voici le Pain.

          Voici le Sang.

Conduis-nous au-travers de la Tentation !

Délivre-nous du Bien et du Mal !

Que la Couronne du Royaume soit la Mienne comme la Tienne, à l’instant même.

ABRAHADABRA

Ces dix mots sont quatre, le Nom de l’Un.

 

 

 

CHAP. 16

LE CERF-SCARABÉE

La Mort implique les notions de changement et d’invidualité; si tu es CELA qui n’est pas une personne, qui est au-delà du changement, et même au-delà de l’absence de changement, qu’as-tu à faire avec la mort ?

La naissance d’une individualité est une extase; de même sa mort.

Dans l’amour l’individualité est détruite; qui n’aime pas l’amour ?

Par conséquent aime la mort, et désire-la ardemment.

Meurs chaque jour.

 

 

 

CHAP. 26

L’ÉLÉPHANT ET LA TORTUE

L’Absolu et le Conditionné, ensemble, font que l’Un est Absolu.

Le Second, qui n’est en fait que le Quatrième, le Démiurge, que tous les peuples de la Terre nomment Le Premier, est un mensonge greffé sur un mensonge, un mensonge multiplié par un mensonge.

Quadruple est-IL, l’Éléphant sur le dos duquel l’Univers est en équilibre : mais la carapace de la Tortue soutient et recouvre tout.

Cette Tortue est sextuple, l’Hexagramme Sacré °.

Or, six et quatre font dix, 10, l’Un manifesté qui s’en retourne au Néant non-manifesté.

Le Tout-Puissant, le Souverain, l’Omniscient, le Père, adoré par tous les hommes et par moi abhorré, puisses-tu être maudit, détruit, annihilé, Amen !

° Note d’A. C. : la Tortue possède six membres sous un angle de 60°.

 

 

 

CHAP. 27

LE SORCIER

Un Sorcier, par le pouvoir de sa magie, a soumis toute chose à son propre joug.

Désire-t-il voyager ? Il peut voler au-travers des cieux plus vite que les étoiles.

Désire-t-il manger, boire, et prendre son plaisir ? Il n’est rien qui n’obéisse instantanément à ses ordres.

Dans un système complet de dix millions de fois dix millions de sphères sur les vingt-deux millions de plans, il satisfait ses désirs.

Et pourtant, malgré tout cela, il n’est toujours que lui-même.

Hélas !

 

 

 

CHAP. 32

L’ALPINISTE

La conscience est le symptôme d’une maladie.

Ce qui fonctionne bien fonctionne involontairement.

Toute habileté, tout effort, toute intention, sont autant d’obstacles à l’aisance.

Pratique mille fois, cela devient difficile; un million de fois, et cela devient facile; un million de fois un million de fois, et ce n’est plus Toi qui agit, mais Cela à travers toi. C’est seulement à ce niveau-là qu’un acte peut être correctement accompli.

Ainsi parlait FRATER PERDURABO, comme il bondissait d’un rocher à l’autre, sur la moraine, sans jamais jeter un regard vers le sol.

 

 

 

CHAP. 33

BAPHOMET

Un Aigle noir & bicéphale est DIEU; même un Triangle Noir est Lui. En Ses serres, Il tient une épée; oui, une épée acérée y est maintenue.

Cet Aigle est consumé dans le Grand Feu; quoique pas une plume n’en soit roussie.

Cet Aigle est avalé par la Grande Mer; mais pas une plume n’est mouillée. Ainsi vole-t-Il dans le ciel, illuminant la terre à Son gré.

Ainsi parlait IACOBUS BURGUNDUS MOLENSIS °, le Grand-Maître du Temple; mais du DIEU à tête d’Âne il n’osa rien dire.

° N.D.A.C. : Ses initiales I.B.M. sont les initiales des Trois Piliers du Temple, et correspondent numériquement à 52, 13 x 4, BN, le Fils.

 

 

 

CHAP. 35

LA VÉNUS DE MILO

La Vie est aussi laide et nécessaire que le corps féminin.

La Mort est aussi belle et nécessaire que le corps masculin.

L’âme est au-delà du principe mâle et du principe femelle, comme elle est au-delà de la Vie et de la Mort.

De même que Lingam et Yoni ne sont que les différentes évolutions d’Un Organe, de même Vie et Mort ne sont que deux phases d’Un État. Également, l’Absolu et le Conditionné ne sont que des formes de CELA.

Qu’est-ce que j’aime ? Il n’est aucune forme, aucune existence, à laquelle je ne m’abandonne totalement.

Me prenne, qui veut !

 

 

 

CHAP. 63

MARGERY DAW (1)

J’aime LAYLAH.

LAYLAH me manque.

« Où est la Grâce Mystique ? » demandes-tu ?

Qui te dit, homme, que LAYLAH n’est pas Nuit, et moi Hadit ?

J’ai détruit toutes choses; elles sont revenues à la vie sous des formes différentes.

J’ai tout abandonné pour l’Un; cet Un a-t-il abandonné son Unité pour tout ?

J’ai tiré le CHIEN en arrière afin de trouver DIEU (2); et maintenant DIEU aboie.

Ne me crois pas déchu parce que j’aime LAYLAH, et que LAYLAH me manque.

Je suis le Maître de l’Univers; que l’on m’offre un tas de paille dans une cabane, et LAYLAH, nue ! Amen.

1. N.D.A.C. : le titre du chapitre fait référence aux vieilles rimes :

« See-saw, Margery Daw,

Sold her bed to lie upon straw.

Was not she a silly slut

To sell her bed to lie upon dirt ? »

2. N.D.T. : jeu de mots intraduisible portant sur « dog » (chien) et « god » (dieu).

 

 

 

CHAP. 69

COMMENT RÉUSSIR — ET COMMENT GOBER LES ŒUFS ! °

Ceci est l’Hexagramme Sacré.

Plonge du haut de ta hauteur, Ô Dieu, et connecte-toi avec l’Homme !

Plonge du haut de ta hauteur, Ô Homme, et connecte-toi avec la Bête !

Le Triangle Rouge est la langue descendante de la grâce; le Triangle Bleu est la langue ascendante de la prière.

Cet Échange, le Double Don des Langues, le Mot de Double Pouvoir — ABRAHADABRA ! — est le signe du GRAND ŒUVRE, car le GRAND ŒUVRE est accompli en Silence. Et ne t’aperçois-tu pas que ce Mot est égal à Cheth, qui est le signe du Cancer, et dont le Sigle est D ?

Cette Œuvre se nourrit d’elle-même, réalise son propre but, alimente l’ouvrier, ne laisse aucune graine, est parfaite en elle-même.

Petits enfants, aimez-vous les uns les autres !

° N.D.T. : jeu de mots portant sur « succeed » (réussir) et « suck eggs » (gober les œufs); « succeed » suggère « suck seed », littéralement « sucer la semence ». Le numéro du chapitre est significatif !

 

 

 

CHAP. 79

THE BAL BULLIER (1)

Certains hommes examinent leur passé, et n’y trouvent que peine et honte.

Alors, ils s’érigent en « moralistes » vis-à-vis de l’humanité.

Ils prêchent le renoncement, la « vertu », la couardise sous toutes ses formes.

Ils pleurnichent éternellement.

Coote, chauve, édenté, vaniteux; Bouddha, castré; viendrez-vous me voir ? J’ai, à portée de main, un bâton qui vous massera les reins et vous réduira au silence, Ô-vous-à-la-bouche-écumante !

La Nature est prodigue; mais Elle en a les moyens !

La Nature est perfide; moi-même je suis quelque peu menteur.

La Nature est inutile; mais avec quelle splendeur !

La Nature est cruelle; je suis moi-même Sadique.

Le jeu continue; sans doute était-il trop rude pour Bouddha, mais il est trop doux pour moi — en admettant que quoi que ce soit puisse l’être.

Viens, beau nègre ! Donne-moi tes lèvres encore ! (2)

1. N.D.A.C. : « THE BAL BULLIER » est le nom d’un endroit qui fut fréquenté par FRATER PERDURABO, avant qu’il ne devienne, malheureusement, respectable.

2. N.D.T. : cette dernière phrase est « in french dans le texte ».

 

 

 

CHAP. 88

DES BRIQUES EN OR

« Donnez-nous Votre secret, Maître ! » Aboyez, bande d’ahuris.

Alors, pour la dureté de leurs cœurs, et pour la douceur de leurs têtes, je leur ai enseigné la Magie.

Mais... hélas !

« Donnez-nous Votre véritable secret, Maître ! comment devenir invisible, comment se faire aimer, et oh ! par-dessus tout, comment faire de l’or. »

Mais combien d’or me donnerez-vous en échange du Secret de la Richesse Infinie ?

Alors s’avança mon élève le plus évolué et le plus fou : « Maître, je sais très bien que cela n’est rien; mais voici cent mille livres. »

Je daignai les accepter, et je murmurai ce secret à son oreille :

IL Y A UN CAVE DANS TON GENRE QUI NAÎT À CHAQUE MINUTE.

 

 

 

CHAP. 90

LA LUMIÈRE DES ÉTOILES

Vois ! J’ai vécu de nombreuses années, et j’ai voyagé dans toutes les contrées qui se trouvent sous l’autorité du Soleil, et j’ai parcouru les mers d’un pôle à l’autre.

Maintenant, j’élève la voix et j’affirme que sur terre tout est vanité, sauf l’amour d’une splendide femelle, de cette splendide femelle qu’est LAYLAH. Et j’affirme que dans les cieux tout est également vanité (car j’ai souvent voyagé, et séjourné, dans tous les cieux), sauf dans l’amour de NOTRE-DAME BABALON °. Et j’affirme qu’au-delà des cieux et de la terre il y a l’amour de NOTRE-DAME NUIT.

Et, voyant que je suis vieux et atteint par les années, et que mes forces naturelles déclinent, je me lève de mon trône et j’appelle LA FIN.

Car je suis jeunesse éternelle et force infinie.

Et à LA FIN il y a ELLE, qui fut LAYLAH, et BABALON, et NUIT, étant...

° N.D.T. : BABALON : la grande déesse selon Crowley; NUIT est la grande déesse sous une forme encore plus élevée.

 

Traduction de Philippe Pissier (1985).

 

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