JEAN-FRANÇOIS CHARPIN

 

FEU !

 

               Je paie... Je paie pour vous, vous que j’aime tant, je paie pour vos crimes, je paie pour vos vices, saloperies, souillures, compromissions petites et grandes, pour votre bassesse, votre méchanceté, votre ignorance, votre paresse, votre saleté, vos pustules, abcès, varices, goitres, vos merdes mal calibrées, vos cribes vivant par procuration. Je paie, paie, paie, paie et la note est salée...

               Et toute la misère du monde sur mes épaules et je tenaillais ma chair jusqu’à ce qu’elle jute et j’expiais tous ces péchés : l’ange rédempteur... C’est ainsi que John RITCHIE (sid Vicious ex Flowers of romance) se lardait la peau à coups de rasoir, c’est ainsi que James OSTERBERG (I gigy Pop encore un chanteur de rock) rampait sur des tessons, se flagellait à coups de ceinturon, acteur de théâtre il jouait la tragédie jusqu’au bout, se poignardait vraiment puis désinfectait ses plaies dans le sel de l’océan, et tant d’autres facéties vraies ou fausses qu’importe...

               Mais pourquoi privilégier ces deux figures de la mythologie rochénolienne, pourquoi participer à cette grande mystification qui consiste à fabriquer des écoles pour mieux bêtifier le bon peuple, renforcer le spectacle organisé des fantoches, alors qu’il existe tant de héros anonymes depuis ces enfants qui se frappent et se mutilent jusqu’à ces milliers d’âmes lucides acceptant un petit sourire allumé au coin des lèvres, le vide douloureux d’une survie ouatée aboutissant au néant terminal où tout le monde descend...

               Douce liquéfaction du quotidien. 6 h. Sonnerie du réveil, bâiller, lever, laver, bouffer, pisser, sortir, marcher, poinçonner, descendre des escaliers, monter des escaliers, attendre, grimper, s’asseoir ou rester debout, arriver, sortir, monter des escaliers, descendre des escaliers, marcher, entrer, s’asseoir, attendre, parler, attendre, se lever, pisser, chier quand on peut, se rasseoir, regarder l’heure, attendre, 12 h., se lever, parler, marcher, boire, pisser, parler, marcher, attendre, 14 h., s’asseoir, attendre, attendre, parler, attendre, regarder l’heure, 18 h., se lever, parler, marcher, pinçonner, descendre des escaliers, monter des escaliers, attendre, pisser, attendre, manger, boire, allumer, regarder, attendre; regarder, attendre, pisser, regarder, attendre, regarder, éteindre, coucher, baiser, trop fatigué, dormir, attendre... la décomposition ne s’arrête jamais...

               Je suis, je suis, je suis, je me déchire en lambeaux, ainsi j’existe, je suis !

               Je suis moi et je brûlerais si je veux ! Taillader le corps, ce tas de viscères mal foutu, et saigner, saigner pour purifier cette fange.

               Dieu ni personne ne pourra me détourner du calvaire, né pour en chier jusqu’à l’ultime holocauste et ça vous n’y pouvez rien ! Rien ni personne ne m’empêchera de me détruire, ma dernière et unique liberté, ma seule et noire responsabilité (que ce mot pue !), ma fin sera mienne, je terminerai ce que j’ai pu commencer et ça vous n’y pouvez rien !

               Tiens encore un maboul... Eh ! pas si vite, petits bonshommes sûrs d’eux-mêmes et de leurs valeurs positives; — votre humanisme vous pouvez vous le foutre au cul !

               Plus ça ira, plus y’ aura des détraqués plein les rues pour nous faire chier, les plus généreux par charité vous gratifient de quelques balles de P 38 et puis ces oiseaux qui dérangent notre désordre organisé, y en a même qui sont prêts à tout pour passer à l’antenne, d’autres encore plantent des épingles de sûreté en travers de leur bouche ou se laissent promener en laisse, bientôt s’émasculeront devant vos fenêtres ou s’écorcheront vifs en direct des cours du journal télévisé, c’est un beau spectacle, toujours un spectacle...

               Alors la passion : la passion qui habitait les croisés partis ramasser les rognures de Jésucri et qui s’en retournèrent athés, le roi Arthur et ses aminches de la table ronde à la quête du Graal et qui cherchent encore, depuis Nietzsche, Dostoïevsky, ont buté et d’autres le bon dieu, plus la peine de rôder dans le coin, les samouraïs répétant le même mouvement de sabre à l’infini pour en percevoir une infinitésimale sensation. Artaud le momo érectant corps et âmes, Nerval pan ! pan ! Vaché pan ! pan ! Rigaud pan ! pan ! et tant d’autres encore connus, inconnus, morts, vivants, qu’importe...

               Mars 76 gros plan sur les Sex Pertols chérubins échappés des « garçons sauvages » de Monsieur BURROUGHS, véritables possédés hantés par la passion au point d’en oublier de bouffer et de donner fonctions élémentaires de l’Organisme. Le film durera l’espace de quelques clubs, travelling, sur garçons à peine sortis d’une émission de télé sur les enfants psychotiques des filles trop noires pour se tenir debout et toujours au bord d’une crise de nerfs. Et puis on nous a volé les bobines suivantes mais de toute façon c’était prévu dans le scénario...

               Par la suite tous les acteurs sont devenus célèbres et ils ont gagné beaucoup d’argent, tant mieux. Le projecteur tourne à vide, le mot FIN n’est toujours pas apparu et je commence à trouver le temps long...

               On a tourné quelques rushs à MILAN, ROME, en Allemagne, aussi là il est arrivé des bricoles à certains protagonistes, mais on vous le promet le prochain coup ce sera en technicolor avec sensurround.

               J’ai mal mal, mal et je m’en fous, tout le monde s’en fout, tant mieux... J’ai mal aux dimanches passés à gueuler, hurler, sans qu’un son ne sorte de ma bouche, comme dans ces cauchemars où personne ne peut vous répondre, se cogner, rebondir d’un mur à l’autre, le vide partout... Les gens ont peur du vide, il leur faut des habitudes, des lois, axiomes, dogmes, cultes et leurs ministres politiciens, hommes de science, artistes qui détiennent le (gai) SAVOIR, la connaissance, la lumière... Ne leur dites surtout pas que tout est doute, incertitude, hasard, ils vous molarderaient ou vous lapideraient comme un chien.

               Le rien nous fout la chiasse et ces dimanches qui n’en finissent pas à tourner en rond, à rond en tourner, en tourner à rond, rond à en tourner, en a rond tourner et à en tourner rond. Je hais les dimanches ! Je hais les dimanches et les autres jours de la semaine.

 

               ENNUI : Les mots sont cons, il faudrait les écraser, les presser pour en faire sortir du jus, du pus, les casser, les tordre, les frapper, les castrer, les piétiner, les mordre, leur cracher dessus, leur chier dessus et enfin les dépecer pour voir un peu ce qu’ils ont dans le coffre. On s’en sert trop souvent : à la fin ils ne veulent plus rien dire, ils sont aussi creux que nos têtes, il faut en trouver de nouveaux et vite pour les jeter en route. L’ennui donc, l’ennui cliché, tout le monde s’ennuie, les dimanches on s’ennuie, le stylo s’ennuie, l’encre s’ennuie, le papier s’ennuie. Je sais, je vais raconter une histoire. Le réveil réveillera l’enfant. L’enfant quitta son lit et chaussa ses chaussons. L’enfant se dirigea vers la salle de bain. Il frotta ses dents puis mit du savon sur le gant de toilette qu’il passa 3 fois sur son visage. L’enfant rinça son gant de toilette et appliquant ce gant de toilette rincé sur son visage il se débarrassa du savon précédemment appliqué sur ce même visage avant que ce dernier ne fut rincé. Il reposa le gant de toilette et prit un linge de toilette avec lequel il s’essuya le visage. L’enfant ôta son pyjama et l’accrocha au crochet puis il enfila son slip et glissa la main dans ce slip pour y mieux disposer ses testicules. Il enleva ses chaussons, mit son maillot de corps, son pantalon, ses chaussettes, sa chemise, son chandail et chaussa ses chaussures. Il alla au petit coin, il ouvrit sa braguette, baissa légèrement son slip, sortit sa verge et urina. Il remit cette même verge dans son slip, réajusta celui-ci et reboutonna sa braguette, il retourna alors à la salle de bain pour se laver les mains. Il se dirigea ensuite vers la cuisine et but une gorgée de son café au lait, saisit une tartine et y étala à l’aide d’une petite cuillère un peu de confiture de fraises. Il absorba une bouchée de la tartine à la confiture de fraises, puis une autre, trempa cette tartine dans le café au lait, une partie de la confiture se répandit alors dans ce même café au lait, au fond de la tasse. Il mit de nouveau la tartine à la confiture de fraises dans sa bouche et la mangea entièrement. Il prit le sucrier, ôta le couvercle et saisit quatre morceaux de sucre, il jeta les 4 morceaux de sucre dans le bol de café au lait, prit une petite cuillère différente de celle lui ayant précédemment servi à étaler la confiture de fraises sur la tartine. Il écrasa les quatre morceaux de sucre au fond du bol et agita le café au lait à l’aide de cette même petite cuillère. Il but entièrement son café au lait, s’essuya les lèvres et le menton avec une serviette de table, reposa celle-ci et sortit de la cuisine. Il alla dans sa chambre et prit son cartable. L’enfant ouvrit la porte, dit au revoir à sa mère et sortit en refermant la porte. Il marcha en direction de l’école son cartable à la main, il entra dans la cour de récréation, s’amusa 6 minutes 36 secondes 12 dixièmes avec ses petits camarades puis le sifflet du maître retentit. Il s’aligna avec ces mêmes petits camarades, face au maître. L’élève gravit l’escalier en compagnie des autres élèves de sa classe, précédé par le maître. Il entra dans la salle de classe, s’assit à sa place, déposa son cartable contre le pied de cette même table, sortit sa trousse et 2 cahiers. Le maître ouvrit le gros registre noir et fit l’appel. L’élève répondit présent lorsque le maître appela son nom puis le maître referma le gros registre noir et ouvrit alors le cahier de textes. Il demanda à un élève de venir au tableau pour réciter une leçon. L’élève récita la leçon puis le maître dicta une autre leçon et à la fin de cette autre, la sonnerie de la récréation retentit. Les élèves se levèrent de leurs tables, s’alignèrent et descendirent sagement dans la cour; — là, ils s’amusèrent 11 minutes 42 secondes et 16 dixièmes.

               La sonnerie de la récréation retentit de nouveau, les enfants se mirent en rang et gravirent les escaliers qui les menaient à la classe. Le maître ouvrit la porte de la classe, entra, puis les élèves pénétrèrent à sa suite. Ils s’assirent à leur place et le maître s’assit à son bureau, ils ouvrirent leur cahier et le maître ouvrit son livre, le maître dicta une récitation, les élèves copièrent cette récitation sur leur cahier, le maître fit un dessin au tableau, les élèves copièrent le dessin, le maître effaça son dessin, écrivit le mot calcul sur le tableau et posa 5 opérations : 2 soustractions, 2 multiplications et 1 division. Les élèves copièrent les opérations sur leur cahier puis cherchèrent la solution de ces opérations. Le maître appela un élève pour résoudre la première soustraction, l’élève résolut la première soustraction et regagna sa place, le maître appela un deuxième élève pour résoudre la deuxième soustraction, l’élève résolut la deuxième soustraction et retourna à sa place. Un troisième élève passa au tableau pour résoudre la première multiplication, l’élève résolut la première multiplication et regagna sa place. Un quatrième élève fut appelé au tableau, il ne sut pas résoudre la deuxième multiplication, le maître dit « cancre ! » L’élève retourna s’asseoir et le maître inscrivit sur le tableau la solution de la deuxième multiplication. Un cinquième élève passa au tableau bla bla bla bla bla.......

 

Jean-François Charpin est passé de l’autre côté des choses le 29 septembre 1987.

Il a dirigé les deux numéros de la si belle revue GRABUGE, et publié un livre : LES POUBELLES DE BABYLONE (Flowers of Romance) aux Éditions ARTISTA (97 rue de la Santé, 75013 Paris), lequel fut illustré par Luciano Castelli.

Ses textes sont dans leur quasi-totalité inédits.

Feu ! (1976) donne un aperçu de ce que vous avez failli perdre.

F. J. OSSANG

 

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