MARIN DE CHARETTE

 

CROWLEY OU LA QUEUE DU PAON (1)

 

          On ne peut pas sentir Crowley si l’on n’aime pas l’Égypte Ancienne.

          Terres noires.

          Pays des métamorphoses

où l’hétérogène se manifeste dans chaque dieu, plante, animal, minéral, humain — où l’hétérogénéité des métamorphoses infuse l’inaltérable élixir de la démesure dans une vie dont la pente naturelle est de s’aplatir et de s’ennuyer...... l’irrationnel — ce qui n’est pas réductible à la raison classique du pourquoi, du comment et du commerçant — l’irrationnel fleurit partout et témoigne des mystères essentiels de l’existence par des représentations synthétiques, globales, luxuriantes, généreuses, sensibles, qui invitent l’homme à percevoir l’univers comme une totalité féérique, et non comme l’addition stupide et scholastique de quelques milliards de milliards de milliards de grains de poussière et de particules élémentaires : un être humain n’est pas soixante-cinq kilos de matière organique + deux-cent-dix-huit os + trente-deux dents - - c’est une possibilité de démesure et j’y peux reconnaître le Chat habile, le Cerf altier, le Faucon mystérieux, le Tournesol fou, le Rubis inquiétant et Héru-Ra-Ha tonnant sa gloire.

          Mais des littérateurs imbéciles traitaient les Égyptiens d’aliénés et de schyzophrènes déséquilibrés, et voulaient enfermer l’humain dans les 36000 pages des dictionnaires dont je leur souhaite de mâcher le papier jusqu’à la révulsion de leur estomac et le retournement de leur être. Qu’ils soient les mangeurs de leurs mouches, les mâchoires de leurs machines et de leurs magazines !

          En vérité, je vous connais et je connais vos Noms,

          Et de même que je connais vos Noms, vous me connaissez. (2)

« Hathor est la mère de son père et la fille de son fils; Tum-Ra-Horchuti est le père de sa mère; Ta-Urt est la mère de celui qui l’a engendré avec sa mère. » (3)

          Et Aleister Crowley est la grande Bête 666, le voleur des rituels de la Golden Dawn et celui qui a ressuscité l’Aube Doré sous l’œil du Soleil du Matin......

 

 

 

 

          Revenons au Livre de la Loi.

          Il est dit (Commentaire) :

          « L’étude de ce Livre est interdite. Il est sage de détruire cet exemplaire après la première lecture.

          Quiconque ne tient pas compte de ceci, le fait à ses propres risques et périls. Ils sont des plus affreux. »

          Voici de très sérieuses phrases. Que le lecteur ne les prenne pas pour un enjolivage littéraire. Ces lignes sont une mise en garde précise, nette — aussi nette et précise que le « LIGNE À HAUTE TENSION : DANGER DE MORT ! » apposé parfois sur des cabines électriques.

          À un certain degré, il n’y a plus texte écrit mais mise en jeu de « forces » qui ne sont même plus les pulsions endormies de l’inconscient humain...

          Peu connaissent le moment où le processus commence à sourdre. Mais je garantis que, lorsqu’il est actif, chacun le constate — et il ne s’agit alors pas d’une vague impression de malaise ou d’angoisse qu’une pilule pourrait aisément calmer.

          Il s’agit de perceptions éprouvantes et très réelles de vagues immenses, de mascarets, de tsunamis, de tempêtes, d’orages et de cyclones.

          Chacun est une étoile mais pas n’importe qui !

          Et on ne pénètre pas n’importe comment dans le cœur d’une étoile où règnent d’effroyables énergies de liaison prêtes à aplatir le premier naïf venu s’y aventurer.

          Ni on ne réveille n’importe comment les entités de l’univers.

          Ne soyons pas les nouveaux avortons monstrueux de l’Ère d’Horus comme Crowley l’a été.

          Car qu’est-ce que c’est ce Gros Papa Thérion qui s’encense dans sa Préface et déclare qu’il faut nécessairement passer par lui ou ses apôtres désignés ?

          J’ai déjà entendu une fois l’expression « hors de moi, point de salut » — et cela m’a suffi.

          Cette expression est anti-mystique au possible — et anti-poétique de surcroît; CELA SUFFIT !

          Quelle bouche de chair peut prononcer cela — et quelle oreille humaine l’entendre... ? Ce qui est l’expression paradoxale de la Totalité, présente partout, ne peut devenir la bannière d’un particularisme quelconque !!!

          Crowley se gonfle tellement lui-même et devient parfois si ridicule qu’il faut forger pour lui un nouveau mot et l’appeler égrocentrique.

          Ceci noté, l’étude du Livre est interdite aussi parce que celui qui parle d’étude ramène généralement avec lui tout le fatras des dictionnaires, des références, des manuels et des écoles, des symbolismes et des idéologies --- et que la pensée scolaire classique est très adéquate pour étudier le nom des chefs d’état et le nombre de kilos de charbon en import/export, mais guère plus !

          Donc, pour recevoir ce livre, une autre pensée est nécessaire.

          Aux chercheurs, je suggèrerais trois pistes qui pourraient se révéler enrichissantes :

          « les lettres ? n’en change ni la forme ni la valeur » (II, 54). « ...et une reproduction de cette encre et de ce papier pour toujours — car en cela réside le secret du mot, et pas seulement en anglais — » (III, 39). « Ce livre sera traduit dans toutes les langues — mais toujours avec le manuscrit original de la Bête; car dans la forme des lettres dues au hasard et dans leurs positions respectives sont des mystères... » (III, 47). « Collez les feuilles de droite à gauche et de haut en bas : puis voyez ! » (III, 73) - - - les émissions dues aux formes (Eifs). (4)

          Également, les nombres, comme cela est dit clairement plusieurs fois dans le Livre; et, pour cela, l’ouvrage de Kenneth Grandt (« Aleister Crowley And The Hidden God ») est très précieux.

          Enfin, le son, car c’est en travaillant les sons qu’on découvre les fils de l’œuvre.

          Car,

n’oubliez pas :

          le Livre de la Loi a été écrit

et voilé !

 

NOTES

1. Extraits des Commentaires de Marin de Charette de sa traduction avec Lucienne Deschamps du « Liber Legis ».

2. Textes égyptiens, « Transcription Incantatoire » par J. C. Mardrus; Éd. Le Nouveau Commerce.

3. Grégoire Kolpaktchy, préface au Livre Des Morts Des Anciens Égyptiens, Omnium Littéraire.

4. À ma demande, un test fut effectué au pendule par Jacques Ravatin. Voici ses résultats les plus significatifs : le message du Livre de la Loi est en K.Sh.Ph., avec Shin renversé, présence de Shatam & Shadaïm, relation avec Magie Égyptienne et quelque chose d’inconnu; tel quel, le livre est « sain », sauf en cas d’étude du message ou si le phénomène se reproduit; la réception du Book of the Law, par A. C. et R.E.K., a correspondu à un chevauchement et une localisation au moins partielle, et par ailleurs, A. C. et R.E.K. (qui sont en fort transfert ensemble) sont en Equimsey avec ce Livre... (Pour informations sur ce langage, voir les travaux de la Fondation Ark’All).

 

 

SIX . SIX . SIX . : LA FINE FLEUR DU FEU

 

Maat, la Vérité-Justice.

 

          Il faut viser juste. Terriblement juste.

          Les histoires crowleyennes ne m’intéressent pas du tout.

          Les historiens rejoignent généralement les collectionneurs maniaques d’anecdotes — ésotériques ou artistiques ou scientifiques, peu m’importent les distinctions ! — et les conteurs satiriques ou descriptifs bavardant au coin de l’âtre...... alors qu’il s’agit d’habiter le centre du feu sacré, et seulement cela !

          Donc : les aventures folkloriques (1) du personnage Crowley ne m’intéressent pas. Mon poing de fer, mon pied de feu sur le premier venu qui ne sentira pas l’enjeu du témoignage.

          Seul l’Acteur-Passionné me concerne — et c’est CELA (et non celui-ci) que j’ai poursuivi au travers des quatre-vingt dix neuf facettes du personnage.

          La matière Crowley est une matière qui demande à être reconsidérée. Aleister Crowley arrive à l’existence dans un milieu particulièrement étroit et plat, et dégage autour de lui, très tôt dans sa vie, une odeur de Démesure et de Barbarie qui n’est toujours pas éteinte dans la conscience molle de ce XXème siècle finissant.

          Les sujets auxquels il se consacre --- le TaRoT, dont il permute la position de certaines cartes, et qu’il redessine avec Frieda Harris; la Magie, dont il tranforme le terme même en Magick et pour laquelle il va troubler certaines conceptions comme l’idée, tenace chez les occidentaux, de l’initiation inaccessible en dehors d’une secte ou d’une école; l’Érotisme, exploré par lui frénétiquement et d’une manière scandaleuse qu’on a déclarée inégalée dans la douce et quasi-frigide Angleterre post-victorienne; la Vie enfin, qu’il gravit comme les cimes de ces montagnes auxquelles il s’attaquait, et qu’il aborde de toute part en y créant une seule figure humaine essentielle — celle de la Femme Écarlate, qui n’est pas quelqu’un, mais quelque chose qu’on ne peut plus séparer de Crowley --- tous ces sujets, et surtout la façon qu’il a de les explorer, de les dévorer, de les dérouter et de leur communiquer un certain feu sacré dont on oublie généralement qu’il brûle...... tout cela dénote, respire encore la Barbarie et la Démesure manifestées.

          Donc Aleister Crowley, dit Frater Perdurabo, dit la Bête 666, dit le Baphomet, dit Mega Thérion, dit le comte Vladimir Svariff, dit Lord Boleskine, dit le Prince Chioa Khan, dit Frater V.V.V.V.V. et caetera, est un BARBARE de la Magie, démesure de la rage et de la vie, et — le mot barbare évoque, par la répétition de la syllabe « bar », un caractère d’obsession, de répétition exagérée, de pesanteur doublée, dans lequel je vois, moi, un principe semblable à celui du Vieux Yin chinois débouchant irrémédiablement sur le Yang opposé, complémentaire et indissociable. Je veux dire que la BAR-BARIE contient irrévocablement, nécessairement, l’idée associée de libération et de grâce.

          Cela écrit, Aleister Crowley, aux yeux charnels des humains, semble avoir commis l’« Erreur d’Icare », et ceci doit être dénoncé. La faute d’Icare n’est pas d’avoir accepté des ailes, de les avoir incorporées et de s’être élevé au dessus de la terrestre condition du Labyrinthe; la faute d’Icare consiste en ce qu’il s’est approché du Soleil et qu’il s’y est brûlé !

          Et pourquoi ?

          Parce qu’Icare, à partir de l’instant où il sortait du Labyrinthe (Étant de Cohérence classique), se devait d’en sortir complètement (2), de quitter le système solaire, de partir VERS LES ÉTOILES (ailleurs) !

          Souvenez-vous, bonnes gens, il était recommandé à Icare de ne voler ni trop haut ni trop bas; et tous les commentateurs moralistes professionnels ont pataugé dans l’explication qu’Icare aurait dû voler tranquillement en moyenne altitude et se reposer ensuite à Cumes, dans l’Italie du Sud, ainsi que le faisait son père. Mais il ne s’agit jamais de voler tranquillement pour celui qui quitte le Labyrinthe, Palais de la Double Hache, et jamais il ne s’agit de suivre son père sur la terre italienne — car se reposer sur la terre aurait signifié voler trop bas.

          Il était question, pour Icare, d’abandonner son père à son destin, qui ne le concernait plus — et de continuer à voler — ni trop haut — ni trop bas — jusqu’à ce qu’il trouve la Porte par où il aurait pu passer ailleurs.

          Qu’on prête l’oreille aux couleurs oraculaires des Arcanes ! Qu’on ausculte l’élégance des Nuages ! Qu’on reconsidère la peau des Mythes ! L’épopée de Frater Perdurabo prendra alors sa véritable lumière qui est celle de l’orage.

          Dans le ciel asturgical d’Aleister Crowley, Neptune (Poséidon) est zénithal, en Taureau, dans la dixième Maison — celle de la mère —; Jupiter, l’ordonnance légale, lui est opposé; or les amours de Pasiphaé qui cocufie le roi Minos, sont illégales. Le Soleil est une clef de ce Thème zodiacal : il est situé sur l’angle droit d’un triangle rectangle dont les deux autres pointes sont occupées par Uranus et par Saturne, au dix-neuvième degré de la Balance, en face du degré traditionnellement donné comme celui de l’exaltation solaire et dont le chiffre même correspond au Soleil dans le TaRoT, au cycle de Méton et au nombre d’années au bout desquelles l’Apollon Hyperboréen retournait voir les siens. Cependant le Soleil de la Bête manifeste un caractère vulcanien; et il est en conjonction avec Vénus. Que celui qui a des oreilles (petits labyrinthes) écoute !

          Le Labyrinthe fut construit par Dédale, sur l’ordonnance de Minos, à première fin d’y enfermer le Minotaure — mi Homme, mi Taureau — né de la fornication entre Pasiphaé & un Taureau envoyé par Poséidon — et comme cette chimère était d’un monstrueux appétit, on lui offrait régulièrement quatorze adolescents dont le Minotaure, le DIABLE Quinzième, se nourrissait. Le nom propre du Minotaure est Astérios; j’entends l’appel exigeant des étoiles dans ce barbare, fils d’une barbarie. Le labyrinthe (3) d’où Icare aurait dû sortir en ne volant ni trop haut ni trop bas, est la MAISON-DIEU (4), bâtie sur le sol, frappée par le Soleil.

          Encore faut-il passer par la Porte, participer un temps du Soleil et de la Terre — mais aller à l’arcane suivant : l’ÉTOILE !

          Mil neuf cent vingt, le 2 avril... Crowley organise son abbaye thélémite à Céfalu, colline de Santa Barbara, Sicile. Il note que l’AÉon d’Horus fêtera une semaine après son seizième anniversaire mais il ne tient pas compte de l’avertissement du nombre seize : la Maison-Dieu ! Le Labyrinthe ! Pas plus qu’il ne tient compte de l’avertissement géographique : la Sicile est à 300 kilomètres de la Campanie, le lieu où Dédale devait atterrir et où Icare ne devait pas se rendre !

          Aleister Crowley commence à voler trop haut et trop bas. Il rentre en transfert avec l’archétype du Labyrinthe et l’entité Dédale. Il incorpore l’entité Icare. Et les vieilles légendes se lèvent : il se rapproche de la Terre : il se rapproche du Soleil : il s’y brûle trois ans plus tard (mort de sa fille Poupée, mort de Raoul Loveday) — dix-neuf années après la fondation de l’Ère d’Horus.

          Ces morts sont un signe. Crowley n’en est pas directement responsable. Il n’a tué personne. Poupée est morte de maladie ainsi que Raoul Loveday (entérite). Mais ces deux cadavres autour de lui sont signes de pollution — la pollution de l’eau qui empoisonnait les habitants de l’abbaye — et sont également l’indice d’un effondrement dans l’existence du Maître Thérion.

          Ceci devait être exprimé.

 

          « But I will hide thee in a mask of sorrow : they that see shall fear thou art fallen : but I lift thee up. »

 

NOTES

1. Déjà longuement délayées, triturées et caricaturées par la quasi-totalité de l’infecte littérature qui s’est vautrée dans son image — rien que l’image — à l’exception, à ma connaissance en français, de deux articles valant la peine d’être mentionnés : « La Voie Prophétique & Solaire De Frater Perdurabo », Al Sa’ad Al Dhabid, Révolution Intérieure N° 2; « A. C. & Sa Magie », Pierre Victor, La Tour Saint Jacques N° 11-12; ainsi que des écrits souterrains de Rémi Sussan.

2. Icare sort du Labyrinthe mais se cogne au repère central de notre système.

3. « Palais de la Double Hache ».

4. « Une Tour frappée par un double éclair », description de cette carte par A. C.

 

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