JEAN CARTERET

 

ENREGISTREMENT DE 1970

 

 

FACE A

 

J.C. : ... maintenant, d’autre part, il y a une analogie entre le nez et l’utérus : ça, je me souviens d’en avoir parlé avec (nom propre inidentifiable), une amie; et ça, c’est une chose qui est connue — je crois — en Chine. Enfin, en tous cas, c’est une valeur de Tradition... Or, seul l’homme a un nez, avec toutes sortes de problèmes qui touchent à ça; or, si le nez est l’utérus, c’est qu’il est à la fois — nécessairement je dirais — l’utérus de la femme, et son inverse, et son complémentaire chez l’homme : on retrouve ici le problème de l’ovule et du spermatozoïde dont on a parlé sur une bande magnétique récemment — d’une manière essentielle — en parlant du refus du refus du refus. Eh bien, je voulais seulement ajouter ici une chose — qui est une chose d’humour —, mais en réalité il y a — avec l’utérus — l’enfant et les enfants. Je mentionne simplement qu’on attribue à la Vierge Marie le enfant — si on peut dire — qui est en somme le Christ qu’est Jésus. Mais on dit aussi que Jésus a eu des frères. Alors, Jésus est l’unique. Les autres enfants — les frères— sont à ce moment-là les uns et les autres. Et ils ne sont pas — comme Jésus, en valeur manifestée — l’unique de l’unité. Quelque part. Alors donc, quand une femme...

(blanc dans l’enregistrement)

... maintenant, j’essaie de reprendre un petit peu Jésus. Je pense à une chose : que le premier enfant est à l’image de Jésus; c’est-à-dire qu’à ce moment-là, il est donc — si on peut dire — analogue à l’unique de l’unité (Jésus). C’est-à-dire qu’avec le premier enfant — qui est l’aîné—, va se poser le problème de la transmission — c’est-à-dire de la transmission du patrimoine : le droit d’aînesse. Et j’en parle à Jean (Paz-Marie), parce qu’il y a un problème de Jacob et d’Esaü — mais c’est l’élément capital : avec l’aîné, il y a quelque chose... Je reviens sur le thème de la transmission : transmission d’être. Et lorsqu’il y aura les autres enfants, il n’y a plus la transmission, il y a une succession. Et là — chose curieuse —, c’est qu’on pourrait presque dire que pour l’aîné il y a une transmission, pour les autres une succession, c’est-à-dire des modalités d’héritage; alors que pour le premier il ne peut pas y avoir d’héritage : puisqu’il est le patrimoine, il est la transmission. Alors on pourrait supposer que c’est le fils aîné — étant la transmission, dans l’être — qui devient le message dans la conscience. Ça aussi, c’est un problème... le message étant la conscience de la transmission, la transmission étant l’être du message. Je reviens maintenant à un problème qui est le passage de celui qui est né à ce même qui est re-né — Donc, passage de l’être à la conscience : c’est là que se trouve le seuil. Or, dans la notion de réincarnation, on passe du né au re-né par la mort, puisqu’après l’existence, il y a la mort qui est un seuil, et le recommencement de l’existence qui devient évidemment la ré-existence de la réincarnation : donc à ce moment-là, entre la première incarnation de l’existence et la nouvelle incarnation, il y a un passage, un seuil. Donc, on voit très bien ici que la notion de réincarnation institue la mort comme un passage, mais comme un passage à répétition. Or, dans la répétition — je l’ai dit tout-à-l’heure — il n’y a pas d’autorité. Là où il n’y a pas d’autorité, il n’y a pas la vertu, la valeur. Donc, à ce moment-là, on arrive à une notion, une conception où concevoir la mort comme le seuil, c’est — en quelque sorte — considérer que le passage de l’être à la conscience n’est possible que par la mort. À tel point d’ailleurs, que quand quelqu’un est mort, on dit : « il est dans l’au-delà ». Eh bien, en réalité, on dirait que l’être est en somme ici, mais que la conscience n’est possible que dans l’au-delà. Et c’est une notion qui est — je dirais en valeur de langage : analogue, mais pas réelle. En réalité, le passage de l’être à la conscience se fait sur la même terre, et non pas dans un ailleurs, pas dans un autre monde, et pas dans une autre existence ! Comme le disait le moine Li-Chi : « Il n’y a pas d’autre monde ! ». Et — en parlant de l’homme ordinaire —, quand on demandait au moine Li-Chi : « Mais qu’est-ce que c’est que l’homme ordinaire ? », il répondait : « C’est je ne sais quelle baguette à se torcher le cul ! ». Parce qu’à ce moment-là, il y a une image — d’ailleurs — ici de la baguette et du cul : c’est le bâton et le trou. Et finalement, c’est comme une espèce de noces, c’est-à-dire que l’homme ordinaire de Li-Chi, c’est vraiment les noces de l’être et de la conscience. D’ailleurs, on a dit de Li-Chi que s’il n’avait pas été moine, il aurait fait un bandit de grands chemins ! Alors, je passe, mais ce que je veux noter, c’est qu’il y a bien le seuil dans le passage du né au re-né, c’est-à-dire dans le passage de l’être à la conscience, et que la conscience suppose quelque part la mort de l’être. Alors, je comprends maintenant une chose : quand on a des dialogues avec Jean (Paz-Marie) et avec Rachel, quand on parle — je dirais : de cette notion, de ce concept des valeurs auquel je touche, dans lequel il n’y a pas d’être, eh bien, évidemment, à ce moment-là...

M. : Dans lequel il n’y a pas d’être ?

J.C. : C’est-à-dire que dans le domaine des valeurs, effectivement, on peut passer de l’être à la conscience par la mort de l’être, c’est-à-dire par la présence de l’absence de l’être. À ce moment-là, c’est un passage par le vide, un vide du plein, un vide de quantité, mais aussi un vide de la qualité d’être. C’est la présence de l’absence de la qualité d’être. Voilà ce que sont les valeurs. Alors maintenant, c’est au passage du né au re-né que se trouve le seuil : il y a passage de l’être à la conscience; or l’être c’est le domaine du même, puisqu’il est coïncidence, et la conscience — parce qu’elle est distance — est le domaine de l’Autre, de l’Autre par rapport à l’être. Et effectivement, c’est à partir de la conscience : il y a une possibilité des rapports de l’Autre avec le même. Dans le monde du même, il y a en quelque sorte le même qui contient les relations — ou les contacts — des uns et des autres. Mais les autres — dans les uns et les autres — ne sont que les membres, tandis que l’Autre — dans la conscience — avec un « A » majuscule, il n’est pas les membres et les feuilles, il est l’Autre en tant qu’entité — on pourrait dire : différent et dialectique du même, du monde de l’être. On peut donc dire que l’être, c’est cette formule

coïncidence

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   distance

(coïncidence sur distance), et que la conscience, c’est

   distance

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coïncidence

(distance sur coïncidence). Alors il y a la notion de distance qui est sous le trait de coïncidence dans l’être : elle fera seulement le conscient — à ce moment-là, seulement une surface, une limite. Le conscient est forcément une limite. Mais avec le conscient, on va trouver l’un des pôles de la croix à quatre pôles : conscient, subconscient, inconscient et surmoi, qui est l’ensemble qui fonde la conscience. Donc la conscience est globale mais le conscient est local — comme un des quatre pôles. Ceci est un petit intermède, mais nous en parlions avec Martine, et Martine me disait justement qu’il y a en somme quelque chose où il n’y a plus d’être...

M. : ...Il y a une valeur dans laquelle il n’y a plus d’être...

J.C. : ...une valeur dans laquelle il n’y a plus d’humain, où il n’y a plus le monde...

M. : ...une valeur dans laquelle il n’y a plus d’humain, où il n’y a plus le monde... tu as rajouté : il y a une valeur dans laquelle il n’y a plus Dieu.

J.C. : Dans laquelle il n’y a plus Dieu. Et alors là, c’est la nuit mystique où Dieu — en somme — disparaît : alors la foi du mystique en Dieu tombe tout d’un coup — comme une foi dans le vide. Et là où Dieu disparaît, c’est l’analogue du moment où le Christ — sur la croix — dit : « Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? ». Parce qu’il y a une chose très curieuse : c’est qu’en somme Jésus est déjà un enfant sans père : puisque Jean parle du Saint-Esprit, ce n’est pas St. Joseph. Donc, à la naissance, il n’a pas de père; et au moment du mourir, il n’a plus de père : pas de père au naître, et plus de père au mourir ! « Pas » et « plus » — bien sûr ! « Pas » : c’est le domaine de l’être; « plus » : c’est le passage de l’être à la conscience, d’un lâcher-prise. Donc à ce moment-là, c’est qu’on passe par le vide total : il y a même certainement un moment — une situation — où il n’y a même plus de valeurs !

M. : Ah oui ?

J.C. : C’est illimité !

M. : Une situation où il n’y a même plus de valeurs ?

J.C. : Où il n’y a plus de valeurs : ça, c’est sûr ! C’est même dialectiquement nécessaire. C’est le moment où justement se trouve au-delà de ça, ce que j’appelle la sublime anarchie : dans la sublime anarchie, il n’y a plus de valeurs... mais ce n’est pas un manque de valeurs : c’est un lâcher-prise de toutes les valeurs. L’homme — parce qu’il est capable de lâcher-prise, c’est-à-dire capable de faire un passage de l’être à la conscience, — est passage de la coïncidence à la distance, du lâcher-prise de la coïncidence. Mais il est probable que l’homme — à un certain degré de son évolution, de sa révolution — transforme le monde et communique au monde une capacité de distance. Et à ce moment-là, le monde devient capable — lui aussi — de lâcher-prise : et ce n’est pas difficile, de lâcher-prise dans le monde — on en a un exemple : dans la parousie, la Jérusalem Céleste, c’est la terre qui est capable de conscience, de distance et de lâcher-prise — puisque ça passe de la Jérusalem Terrestre à la Jérusalem Céleste : à ce moment-là, la terre est passée au ciel, puisque le ciel est passé sur terre avec la résurrection, et que la terre passe au ciel avec la parousie. (S’adressant à M.) : Tu as dit une chose qui m’intéresse ici : tu as dit que ce problème (...) de l’âme — par une gravité à l’insolite — donne quelque chose comme une absolution...

M. : Comme une absolution : qui absout. Comme un nid qui pourrait absoudre l’être, qui fait disparaître les différences.

J.C. : Donc, avec l’absolution, il n’y a plus de comparaison. C’est l’absolution qui permet la communion. Alors je reprends maintenant — « l’absolution qui permet la communion : extinction des différences ». C’est exactement la signification du mot « nirvana ». Le nirvana, c’est ça : c’est l’extinction des différences. Alors, dans le fond, on s’aperçoit que la faute, le péché, est une rupture de relation, une rupture de coïncidence; et par là — si on peut dire — cette rupture empêche, elle rompt la communauté. Or, parce que la communauté est rompue, il y a un acte qu’on appelle l’acte de confession, et l’acte n’est ni l’activité ni l’action : c’est un acte qui est — à ce moment-là — au-delà de l’œuvre. L’acte est au-delà de l’œuvre.

M. : L’acte est au-delà de l’œuvre ?

J.C. : Oui, et à ce moment-là, il y a quelque chose qui fait que la communauté rompue trouve par l’acte de confession et par l’absolution qui est donnée... à ce moment-là, qu’est-ce qui se passe ? Eh bien la communauté est dépassée, et ça devient la révolution de la communauté qui s’appelle la communion. Si bien que la faute permet le passage de la communauté à la communion, c’est-à-dire que la chute d’Adam a permis la rupture de la communauté au bénéfice de la communion. Sans la chute d’Adam, il n’y avait pas de communion ! Avant la chute d’Adam, il n’y avait pas de communion — il n’y avait que la communauté. Et voilà pourquoi Adam et Ève ne se distinguaient pas dans le paradis. La communion est au-delà de la distinction, mais en réalité le problème d’Adam et d’Ève qui ont mangé du fruit, est que — par la connaissance du bien et du mal — ils ont connu la distance, ils ont connu la différence; et en connaissant la différence, ça a été comme une faute pour la communauté, mais ça a permis — par la rédemption — la communion qui est une révolution. À ce moment-là, il y a eu quelque chose qui a permis à l’unique de l’unité de s’accomplir et de se réaliser dans l’univers.

M. : C’est capital, ça, tu vois !

J.C. : Je pense à une chose, ici : c’est qu’en réalité, c’est parce qu’Adam et Ève ont mangé de la pomme qu’il s’est produit une inversion qui s’appelle la chute, et c’est parce qu’il y a eu cette inversion — qui a été rupture de la communauté — qu’il y a eu la conversion qui a permis la communion. Le problème est donc là. Eh bien donc, c’est l’inversion d’avec l’originel qui permet la communion, mais la conversion de la communication s’appelle la communion. Et dans la communication, quand la communication n’est pas — par la confrontation — sur le chemin de la communion, alors la communication reste au stade de la comparaison, et la comparaison aliène; alors que la confrontation intègre — c’est-à-dire que la confrontation est une dialectique du même et de l’autre —, tandis que dans la comparaison, il y a un racisme, il y a un dualisme qui condamne l’autre à n’être que l’autre pour permettre au même d’être le même, la valeur unique : au lieu d’être une valeur, il se prend pour la valeur — dans son délire de valeurs, il se prend pour la valeur; et il se prend effectivement, alors que dans le rapport du même avec l’autre, il découvrira que c’est parce qu’il est au centre, avec l’autre, ou que l’autre est au centre avec le même, qu’à ce moment-là il y a un problème de communion, et qu’à ce moment-là toutes les distances et toutes les coïncidences trouvent leurs noces.

Tant qu’on est dans la comparaison, on est attaché à la différence, ou on attache la différence; et avec la comparaison, avec le dualisme, avec le racisme, il y a naturellement... on accuse l’autre d’être inférieur ! Ou on s’accuse d’être supérieur ! Mais inversement — et ce qui revient au même — : il y a un bourreau et une victime. Donc — à ce moment-là — on est encore à l’âge de la faute, et de l’erreur; mais au-delà de la comparaison, et par la confrontation, il ne peut plus y avoir d’erreur, donc on est infaillible; il ne peut plus y avoir de faute, donc on est parfait, au sens étymologique : c’est-à-dire accompli et réalisé. Donc finalement, quand on a dépassé la comparaison pour passer à la communication vraie et à une communion juste — qui devient une communion vraie —, à ce moment-là on est délivré et on délivre : c’est le problème de la contagion révolutionnaire.

Là, je veux dire une chose : quand on est pris dans la comparaison, on est à la fois disponible et engagé. Pourquoi ? Parce que comme on est interdépendant de tout ce qui existe et de tout ce qui est... eh bien, quand on est au-delà de la comparaison, qu’elle n’est plus, et qu’on est — disons : par la confrontation — à la communion, on devient — je dirais — presque nécessairement exigeant, puisqu’on appelle l’autre et les autres et tout-autre à faire partie de cette communion. Voilà pourquoi le problème du christianisme et de la révolution : ils ont une valeur universelle, mais ils sont intolérants de tout autre qui — par ignorance, par refus, par fuite, par lâcheté, par tout ce que tu veux, par indifférence — se refuserait, comprends-tu, de faire partie de la communion pas de la communauté —, de la communion nouvelle. À ce moment-là, il y a guerre, mais cette guerre est une guerre avec. En étant contre, parce qu’elle est avec ! Et c’est ça, la sanction. Et c’est ça, l’amour. Parce que finalement, le résultat de cette guerre, le résultat de ces combats, c’est pour appeler enfin à l’amour qui ni ne prend ni ne donne, à la paix, mais pas pendant le combat : pendant le combat, il y a encore un amour qui donne et qui prend pour atteindre le degré de l’amour qui ni ne donne ni ne prend. Et ça, c’est un bon exemple : je pensais tout-à-l’heure après avoir allumé la bougie, qu’en réalité — chose très curieuse — cette bougie allumée me permet de penser en étant délivré des dangers ou des menaces (...) du sacré. Pourquoi la bougie ? Parce que la bougie, c’est de la chaleur qui éclaire. La bougie, c’est comme l’amour qui ni ne prend ni ne donne. Étant chaleur, elle ne demande pas de chaleur; mais elle ne prend rien, elle est à la fois chaleur et lumière.

M. : J’ai senti au moment où tu l’allumais.

J.C. : Donc, à ce moment-là, c’est vraiment la paix. C’est curieux : le feu qui — redevenant flamme — devient paix : et voilà pourquoi on met des cierges autour des morts ! Alors, je dirai une chose maintenant au sujet du rôle de la bougie dans les religions — quelles qu’elles soient — : c’est le rôle d’une certaine graisse, c’est le rôle de l’huile qui se consume. Attention, la flamme de la bougie n’est plus les flammes du feu : c’est la flamme. Ce n’est plus une flamme, ou des flammes, ou les flammes : c’est la flamme ! Et à ce moment-là il se trouve que la substance — la bougie comme substance, qui permet les envoûtements — eh bien à ce moment-là, il y a donc dans cette substance — par une vertu d’analogie et de valeur de langage, de valeur d’analogie — naturellement quelque chose qui permet que dans la cire de la bougie — comme dans la cire d’abeille — il y a présence intérieure, interne : la présence de l’absence.

La présence de l’absence... bien sûr, à ce moment-là, c’est ce problème du miel dans les rayons de cire des abeilles : c’est — qu’en réalité — si ces rayons de cire c’est la présence de l’absence, le miel est le contenu de la présence de l’absence. Eh bien le miel, c’est tout simplement l’ambroisie des dieux. L’ambroisie, c’est justement ce qui est le contenu de ce qui est — je dirais — la positivité de la mort. Et le problème de la mort, c’est de supprimer toutes les différences ! Donc, à ce moment-là, le problème de la mort n’est peut-être vaincu qu’à partir du moment, de la période où on est passé par la présence de l’absence des valeurs.

(Fin de la face A)

 

FACE B

 

J.C. : ... il y a une chose que je vais te dire — que j’ai comprise tout de suite — c’est très simple : c’est que le vent n’est possible qu’à condition qu’il y ait une distance, si bien que le vent est tout simplement la relation première, naturelle et surnaturelle entre l’origine et le terme. Le vent n’a pas — donc — d’obstacle : il le tourne ou il le renverse. Il n’y a que le vent qui fait ça. Il n’y a que le vent. Et pour tourner la distance, il n’y a que deux choses à part le vent : il y a l’eau — alors pour combler toutes les distances : le déluge — et puis le feu, parce que pour combler toutes les distances, c’est l’apocalypse. Donc l’apocalypse, c’est la communion de la distance absolue au terme; le déluge, c’est la communion de la distance absolue à l’origine; et entre les deux, il y a le vent ! Le vent est donc à ce moment-là le médiateur, qui est les noces de l’eau et du feu : ça s’appelle le mistral — il est magistral ! Parce qu’on est le maître quand on sait unir le feu et l’eau. On n’est pas un maître quand on sait manier le feu : on est fort. Mais on est le maître quand on sait unir le feu et l’eau. Alors, pour s’occuper de la terre et de l’air (..........), il faut demander à Pompidou (Rire) ! Alors ça, alors là, ça suffit... mais pour l’eau et le feu, il peut repasser (rire) ! Et à ce moment-là, il se trouve simplement — tu comprends — que quelque part le problème, c’est que quand l’eau domine le feu — mais en même valeur, hein — quand l’eau domine le feu : « ça va bouillir ! »! Alors, ça fait de l’air : c’est de la vapeur d’eau. Et quand c’est le feu qui domine sur l’eau, ça fera de la terre. De la céramique. Quelque part, il n’y a pas de question ! C’est-à-dire qu’il y a un moment quand c’est le feu qui est sur l’eau, et que « ça marche ! » — comme dit l’autre — le feu va se transformer en pierre. Et voilà comment la pierre est du feu pétrifié. C’est bien comme ça que se constituent les étoiles : ça n’arrête pas de chauffer, jusqu’à ce que ça devienne dur — « que ça refroidisse » disent ceux qui sont comme les savants (Rire) ! Mais ceux qui ne sont pas comme les savants savent que ça ne se refroidit pas ! Ce qui se refroidit dans l’existence s’intensifie dans l’essence. Alors, quand il y a le froid dehors, c’est que le feu... bon, bah, disons que les étoiles sont des « boîtes de conserve de l’esprit » — c’est une bonne marque, hein ? Enfin, ça veut dire que l’esprit est devenu une essence : une essence pétrifiée.

M. : Tout le minéral ?

J.C. : Tout minéral... quel qu’il soit ! Alors évidemment, il y a des minéraux dans lesquels le feu pétrifié — je dirais : révèle l’excellence de sa lumière, qui sont les pierres précieuses. Dans le feu devenu terre — mais il y a une inversion dans un yin-yang —, quand le feu sera devenu terre mais qu’il habitera dans la mer, il s’appellera des perles, dans les huîtres. Alors finalement, les huîtres, c’est la terre dans les eaux d’en-bas. Tandis que les pierres précieuses, c’est le feu — mais dans l’intimité de la terre; et l’intimité de la terre — par rapport à ce qui est sur la surface de la terre —, c’est un absolu par rapport à la terre extérieure qui est relative. Mais ce que je voulais dire au début, c’est qu’en réalité — et ça m’a brusquement frappé — le souffle était la jonction immédiate — c’est-à-dire : sans médiation — du fait simplement qu’entre l’origine et le terme il y a une différence de température. Quand il y a le chaud d’un côté et le froid de l’autre, le vent descend... le vent descend du chaud vers le froid — c’est ça. Alors, il y a donc des moments où le chaud est en haut et le froid en bas, et des moments où le chaud est en bas et le froid en haut. Alors, quand ça descend, c’est le souffle — c’est de toute façon le souffle — mais le vent qui descend la première fois est un vent primaire; et cette fois-ci c’est l’homme qui le subit, parce qu’il l’est; mais le vent qui monte de bas en haut, ça, c’est un vent secondaire — et l’homme il le choisit, il pilote : ça s’appelle l’ascension !

Maintenant, il y a une chose : quand l’esprit qui est en haut et qui est pur descend en bas — c’est le mystère de l’incarnation — il devient simple; mais en fait, si on peut dire, cet esprit qui vient d’en haut et qui descend, c’est comme la langue, la langue qui sort de la bouche — parce que la bouche est en haut —; mais à ce moment-là, il y a — si l’on peut dire — la vie qui est en bas et qui est simple et qui monte, et qui devient pure. Eh bien, cette vie-là, elle monte depuis la queue de l’animal — la queue du lion. Alors, d’un côté, à l’oral — si on peut dire — il y a la langue du lion qui descend; et à l’anal, il y a la queue du lion qui monte. Mais il se trouve que quand la queue du lion est montée, la vie qui était simple est devenue pure; eh bien, à ce moment-là, la vie — en plus d’être pure — redescend par luxe pour devenir simple second ! Et la langue qui est descendue du pur au simple, elle remonte légèrement : c’est la secondarité du pur. Mais la secondarité du pur comme la secondarité du simple c’est ce qui n’est conditionné ni par le haut, ni par le bas. C’est-à-dire qu’à ce moment-là, on passe non plus dans une dialectique du mercure et du soufre, on passe au sel; et à ce moment-là, il y a deux sels : il y a le sel gemme qui est le sel de la Tradition — Jaune —, et le sel — Rose — qui est le sel de nitre, qui est le sel de la Révolution. Alors là, ce n’est pas difficile : quand l’esprit qui est pur devient simple et que la vie qui est simple devient pure : c’est la Tradition, c’est ce qu’il faut faire. Mais la vie qui s’est accomplie en montant du simple au pur, se dépasse en redescendant vers le simple; cette redescente vers le simple, on la voit dans la queue du lion alchimique : cette queue devient double.

Jean-Paz-Marie : Oui, et d’ailleurs, la langue est double — elle est fourchue.

J.C. : Alors, attention ! Je crois qu’à ce moment-là, il y a un problème, justement : c’est la queue qui devient double; quand la queue est double, elle est vraiment double. Mais la langue, même quand elle remonte, elle est acérée mais elle n’est pas double, car c’est la queue qui est double. Alors, la langue — avec sa pointe acérée — elle est duelle.

J.P.-M. : Elle est fourchue ! Elle a deux pointes...

J.C. : Non ! Elle a une pointe, donc deux côtés — Comme la montagne et ses deux versants !

J.P.-M. : Oui...

J.C. : Ah, c’est capital ! Parce que quand la langue est fourchue, à ce moment-là, c’est la queue qui est unique : le serpent a la langue fourchue, mais la queue unique ! Donc finalement — si on peut dire —, la queue fourchue, c’est la dualité de la vérité.

J.P.-M. : C’est inexact... il est dit qu’il n’existe qu’une langue...

J.C. : Oui, mais c’est un dualisme... Attention ! Il paraît que — dans le serpent—, la langue en deux, c’est en somme une dualité qui est devenue dualisme... je m’excuse, mais, là, je sens très bien que je suis SUR UNE VÉRITÉ !

J.P.-M. : Oui... oui, mais précisément, avant que ne descende cette fameuse langue (la Pentecôte), la langue était duelle : « Méfiez-vous et gardez-vous de votre langue, car votre langue est précisément double ! »...

J.C. : Attends : « Duelle » ou « double » ?

J.P.-M. : Il est dit qu’elle est « fourchue » ! La contradiction, c’est que c’est au moment où il y a eu la Pentecôte que la langue est devenue précisément acérée, avec les deux versants — tu comprends —, où à ce moment-là précisément il y avait une dualité, oui, mais la dualité c’est précisément dans un seul !

J.C. : Alors à cela, je vais te dire une chose : la dualité — ce qui est duel par rapport à ce qui est double — : ce qui est duel objective le subjectif. Et donc, ce qui est duel est en rapport avec la conscience, puisque c’est en rapport avec le choix.. Ce qui est double — n’ayant pas de distance, mais la coïncidence, quelque part — est en rapport à ce moment-là avec la coïncidence et est en rapport avec l’être, et pas avec le choix. Or, quand il y a un double, la capacité de l’être — négative —, c’est la séduction.

J.P.-M. : Oui ! Tu touches le problème d’Adam !

J.C. : C’est ça ! En somme, Ève a été séduite par le serpent parce que le serpent — à ce moment-là — était en état de double recouvrant le duel. Mais la dualité de Satan était un dualisme. Donc, Satan n’avait pas de dualité — sinon il n’aurait pas été Satan : la dualité est toujours créatrice — or le dualisme est destructeur. Donc le dualisme est dé-créateur : c’est le fascisme — tout le racisme est basé sur le dualisme ! Le dualisme est dé-créateur. Alors, le problème c’est que l’Autre — Satan comme Autre, avec un « A » majuscule par rapport à Dieu comme Adversaire — il est dé-créateur. Alors, comment peut-il avoir un rapport avec Adam et Ève ? Simplement en habillant son dualisme, du double — puisqu’il ne peut pas être dualité ! Alors, à ce moment-là, il y a une chose : c’est qu’en devenant double, il va pouvoir séduire qui ? Ève qui — elle — est le double d’Adam — puisqu’elle est née pendant le sommeil d’Adam. Et pendant le sommeil, il y a le double; et pendant la veille, il y a le duel. Donc à ce moment-là, ça veut dire...

J.P.-M. : Ça correspond à ce que je te dis toujours quand je dis que la femme est double et que l’homme est duel !

J.C. : Mais...

J.P.-M. : Tu vois, Satan, en définitive, c’est lui qui a créé le premier racisme : le serpent — il a fait un racisme entre Ève et Adam.

J.C. : Il y a une chose que je pense : c’est qu’en réalité, si Dieu — comme on l’a vu tout-à-l’heure — est à la fois to be et not to be : Satan — lui — est le dualisme de la même situation ! À la fois, il est et il n’est pas — mais en dualisme, alors que Dieu, lui, l’est en dualité : dans son côté unique, Dieu est à la fois être et ne pas être; et dans son côté de dualisme, — à ce moment-là —, Satan, c’est très simple : au lieu d’être unique, il est seul ! Étant seul, il n’est pas au centre, mais il est le centre. Voilà pourquoi sur l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal qui est au centre, il y a Satan qui est le centre. Le centre habite au centre. Et « le centre » est le contraire de « au centre ». Parce que du centre tout part, au centre tout revient. Donc à ce moment-là, le problème de la connaissance du bien et du mal, c’est le centre d’où tout part : tout s’en va, c’est la chute. Mais quand — après la chute — on revient du cercle au centre (pas le centre !), à ce moment-là, c’est la rédemption, parce que ça s’appelle l’Arbre de Vie. Qu’est-ce que c’est que la vie ? C’est merveilleux, c’est tout simplement le double de l’être. C’est-à-dire que l’être va du centre — comme du principe — à la périphérie qui s’appelle le cercle : il va du principe au Verbe. Mais alors il est à la fois — bien sûr — être et ne pas être. Mais ceci est une autre histoire.

Dans ce cas, ce qu’il y a de capital à ce moment-là, c’est que quand il y a le retour — après le « être ou ne pas être » qui part du centre vers la périphérie, quand il y a le retour de l’être — naturellement et surnaturellement — sur les mêmes, ça s’appelle la vie. Et c’est dans le conflit — ou le combat, je ne sais pas encore — entre l’être et la vie, c’est à cause de ce conflit que naîtra l’existence. Ce qui veut dire que quand Adam était dans le paradis perdu, il y avait à la fois l’être et la vie, mais pas d’existence : Adam n’existait pas : il était et il vivait.

J.P.-M. : Adam Satan était seul. Dieu vit qu’il n’était pas bon qu’il fût seul, et il le jeta dans un grand sommeil.

J.C. : C’est ça... donc à ce moment-là... attends ! Il y a une chose très curieuse : c’est que si Adam est seul comme Satan, la différence entre les deux, c’est que Satan est le centre, dans un dualisme qui est — je dirais — irréductible : une irréductible distance, la distance absolue, qui fait que le centre est la plus grande distance de tous les points du cercle. Il est donc la distance absolue. Étant la distance absolue, il est le contraire de Dieu qui, lui, n’a pas de centre, et qui est le cercle, non pas dans sa circonférence, mais qui est tout. Alors, chose curieuse, c’est qu’alors — quand ça va du centre au cercle —, c’est un problème d’être; quand ça revient du cercle au centre, ça devient la vie; et quand ça descend dans la circonférence, ça devient l’existence. Donc il y a là une espèce de mouvement qui fait que l’existence prend le même chemin que l’être, mais le chemin contraire de la vie ! Tu vois ce que je veux dire ?

J.P.-M. : Mmm...

J.C. : Puisqu’au départ — je reprends tranquillement — il y a le centre, qui est le principe; mais ce principe est un point vide — le point vide — qui à ce moment-là se déploie en relation et qui devient le cercle; et une fois le cercle fondé, il y a le Verbe; et maintenant — quand le cercle est fondé, il y a un retour du cercle vers le centre, et à ce moment-là le mouvement qui va du cercle au centre s’appelle la vie — alors que le premier mouvement qui partait du centre vers le cercle s’appelait l’être, ou le ne pas être : puisqu’évidemment on ne sait pas du tout encore... (rire)... « Est-ce que je suis en voyage ? », sûrement, mais « Est-ce que je suis ? »; ça veut dire que quand on est en voyage, on devient, on n’est pas. Au départ, le passage du centre au cercle, ça n’est qu’un devenir — ça n’est pas un être. Ça devient un être quand il y a le cercle. Mais au départ, quand on part du centre, on ne sait pas encore si le cercle est... on dirait que le cercle est forgé par le devenir, si bien que être est en somme l’accomplissement d’un devenir qui devient être quand le cercle — ou la sphère est constitué. Pas avant ! Alors, à ce moment-là, il y a retour du cercle — ou de la sphère — vers le centre, et ça s’appelle la vie. Mais alors à ce moment-là, il y a un problème qui fait que — entre les deux mouvements — il y a la possibilité d’introduire le dualisme : pas la dualité, le dualisme. Quand on introduit la dualité entre le mouvement du centre au cercle et du cercle au centre, alors le résultat c’est Adam et Ève ! Et d’ailleurs, je sens ici très bien que le rapport d’Adam par rapport à Ève, c’est la dominante du mouvement du centre au cercle, ou la dominante du cercle au centre : ça, c’est un problème que j’envisagerai au point de vue dialectique, puisque c’est ce qui compose Adam et Ève. Mais alors il y a une chose intéressante à ce moment-là : c’est qu’ensuite, il y a une possibilité d’introduire une opposition radicale — c’est-à-dire antithétique — : une opposition dualiste entre la voie qui s’appelle du centre au cercle et la voie qui s’appelle du cercle au centre. Et c’est à ce moment-là, dans cette opposition du centre qui peut être A vers le cercle qui peut être par exemple B... alors, quand on va de A à B, c’est une distance; quand on va de B à A, c’est une autre distance; mais si on oppose — en dualisme — A-B et B-A, eh bien c’est pas difficile : forcément il y a une rupture ! Or, quand Adam et Ève mangent de la pomme, c’est pas difficile : Ève n’a pas du tout la pomme d’Adam — comme dirait l’autre : « ça passe très bien ! » Hé ! Hé ! C’est la chute d’Adam ! Pas besoin de la chute d’Ève ! Qu’est-ce qui se passe pour Ève ? Ève, c’est justement ce qui va depuis le cercle jusqu’au centre : elle est la vie. Tandis qu’Adam, il est l’être, il va de A à B. Ève, elle, va de B à A : elle est la conséquence d’Adam.

J.P.-M. : Ève veut dire « vie ». Ève est la mère de tous les vivants.

J.C. : Voilà ! Très bien ! C’est ça ! Eh bien, à ce moment-là, Adam pourrait passer pour être le père de tous les êtres. Ah ! C’est une manière de poser le problème dialectiquement, de s’amuser avec des images qui permettent de... Mais ce qui est intéressant, c’est que le diable qui est le centre — et non pas au centre — ... alors lui, le centre, rien ne peut... le centre est en somme une espèce de dualisme du cercle. Il est seul par opposition au cercle. C’est le seul lieu singulier qui puisse devenir particulier, et traiter le reste de général : c’est un avoir. Donc le centre du cercle — dans sa relation avec le cercle —, c’est l’être; mais en l’absence de toute relation avec le cercle, le centre c’est l’avoir. Alors là, on touche à un problème du chaos et du néant qui est intéressant. Finalement, le centre est toujours l’avoir, et l’avoir a toujours le tas dans le coffre-fort, dans le nœud des nœuds. Eh bien Satan, c’est la possession ! Car la possession va permettre la jouissance ! Tandis qu’Adam, c’est la puissance. Il y a un détail intéressant : puisqu’Ève, c’est ce qui va de B à A, — c’est-à-dire du cercle au centre —, et comme ce qui revient vers le centre est le contraire de ce qui en part, alors, comme Satan est centre, il va s’adresser à Ève pour tenter ce qui revient au centre, en lui disant : « Mais le centre, c’est moi ! Alors, je vais te donner le fruit de le centre ! » Et le fruit de le centre, c’est la connaissance : parce que le dualisme permet la connaissance, et il empêche l’amour. Ah, c’est tout ! Donc Satan, quelque part, est déjà un Lucifer. Je dis bien : quelque part. Alors, finalement, Satan, puisqu’il est en rapport avec Ève qui est le double de l’être, il est — lui — le duel de l’être, puisqu’il va de A à B. Il est un, mais il est un par opposition à B et à A. Alors, comme il est duel de l’être, ce duel de l’être, eh bien c’est pas difficile : Dieu — par une opération produite pendant le sommeil d’Adam — le coupe en deux; et il fait de ce duel un dué de duel, c’est-à-dire un double. À ce moment-là, c’est Ève qui est le double, et c’est Adam qui est le duel. Alors évidemment, le double étant continu et le duel étant discontinu, c’est Adam qui va être le coupable, parce que le dué est coupable, et (..........) pour dire la même chose, c’est que : le duel est en rapport — déjà — avec la mort, le double est en rapport avec la naissance, parce que le double est en rapport avec le mystère, et le dué est en rapport avec l’énigme — si bien, en somme, que Satan la Séduction est en rapport de mystère, et il y a une fascination qui est en rapport avec l’énigme. Eh bien, Satan a séduit Ève par le mystère. Eh bien, je sais maintenant que ce qu’a tenté Lucifer, c’était — en somme — s’emparer de l’énigme. Voilà pourquoi il y a eu la révolte de Lucifer... c’est le problème de l’énigme.

(fin de l’enregistrement)

 

Cet enregistrement inédit, effectué à l’hôpital Ste Anne à Paris en 1970, est disponible dans son intégralité. Voir la rubrique ARCHIVES SONORES BLOCKHAUS.

 

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