JEAN-DANIEL FABRE

 

 

CANTATE À STALINE

 

 

 

 

 

 

Dans la nuit où je fis sauter tous les commissariats de Saint-Petersbourg, j’étais accompagné d’un nègre simulateur de folie

(En ce temps-là, je vivais parmi ces diables qui terrifient l’Église)

Pas toujours les hommes sans gentillesse ni délicatesse ne remuent le monde : Il me conduisit auprès de Kyria avec qui j’ai couché

Mais si Dieu m’avait demandé ce que j’ai ressenti cette nuit-là, je lui aurais répondu : une intense souffrance

Tout cela était venu avec l’arrivée des Allemands

Ils avaient posé partout leurs contrôles

et toutes leurs troupes dévalaient des Ardennes.

 

Une de leurs sentinelles pourtant me dit :

Il n’y a pas de grande différence entre le plaisir et la douleur

du moins si l’on en croit le Docteur Fechner

pas plus qu’entre le culte de Douli et latri

 

Le nègre lui me parlait comme l’eau de la mer qui rend folle les femmes

C’étaient des mots qui ravissent les enfants

À ces mots, je lui ai promis comme le feu criminel allumé à Newark et nous partîmes pour un secteur de la mer Rouge

Le Feu, je l’ai déclaré aux cages-tigres du Bateau Pasteur

et ce fut une nouvelle commune de Paris

après celle de Verlaine et de Rimbaud

Trois mois de liberté et de bonheur absolu

et puis quand cela tourne au médiocre, à la Science Politique

on fout le feu et puis on se fait descendre.

 

Aujourd’hui au mépris de l’envoyé de Dieu et de toutes les polices qui prétendent connaître toutes les mœurs

parce qu’ils ont du temps à perdre

J’ai tendu la main à des partisans vietcongs qui me l’ont rendue en disant :

« une main c’est extraordinaire »

Dans les caves de la Loubianka, je suis fort d’affronter le procureur Rudenko

posant des questions aussi susceptibles que les questions religieuses

Je connais l’histoire et les 21 point fixés par les grands rabbis.

 

Épouvanté par mes réponses, comme seuls peuvent l’être les enfants

Il me fit placer au régime le plus secret à la prison Barberousse

je crevais de peur et de typhus

Je passais toutes mes nuits à insulter l’Église

En insultant l’Église, tu m’insultes me dit Kyria

c’est irréparable

Je dois sauver ton âme à tout prix

Bientôt une partie de l’humanité priera pour m’abattre

et l’autre pour me sauver.

 

Laquelle avez-vous insultée ? me demanda un Jésuite psychanalyste

Celle-là ou une autre ?

 

Branlez-vous trois fois cette nuit lui répondis-je

et Dieu vous répondra.

 

Le docteur Freud plus timide

Le docteur Lecalacan plus perfide voulurent s’informer

Adressez-vous ailleurs leur répondis-je car

si vous trouvez vous aurez le pouvoir absolu

m’avait dit un haut fonctionnaire

qui redoutait par-dessus tout le soleil.

 

Bientôt tous les journaux dénoncèrent ma puissance financière

et avertirent ma famille de mes fautes et de mes penchants vicieux

Parce que de Louvain d’où s’est enfui le cardinal Suenens, j’ai commis tous les crimes d’assemblées

Au lendemain les louvanistes furieux m’ont forcé à envoyer ce télégramme :

« Brûlez la Faculté de Théologie protestante, on y développe la science allemande »

J’ai fini par trouver son directeur qui portait l’odeur des sorciers de la forêt noire. Je l’ai étranglé et enterré dans son jardin.

 

Faculté libre ? Mais qui donc a la Faculté d’être libre ? je me le demande encore !

Au siècle dernier un jeune américain très opposé au théâtre fut engagé à y aller. Longtemps il résista aux instances de son entourage, puis il céda quoiqu’à contrecœur. Après avoir éprouvé pour. le théâtre une véritable terreur, il y passa soixante-dix journées consécutives. Au bout du temps, il avait perdu ses convictions religieuses et sa position dans le monde. La paix dont il avait joui jusque-là fit place à un trouble très grand. Il fit une chute dont il ne se releva pas. Satan l’avait pris dans ses filets. Le Prince des Ténèbres avait mis la main sur sa proie.

 

Et pourtant la vie est simple quand on est pour la Santé, la Religiosité et la Prospérité.

La fortune c’est comme la Santé quand on en a, on en profite

Staline le savait bien qui poursuivait sa révolution au caviar et à la vodka.

Mais moi qui fus vraiment aliéné

Je sens la révolution à son odeur de sang et de pétrole

Je me range parmi les derniers des persécutés

Les juifs ont Israël

les noirs les Black-Panthers

 

Mais les fous resteront toujours dans la main des autres

Alors Dieu me dit : « Ne demeurez pas dans le point de vue européen

Je demanderai à la Sublime Porte dont j’apprécie la théologie de vous délivrer de cet état

Mais tout d’abord prévenez le Pape

et je vous prie de lui indiquer en même temps la fourchette des suicides entre les curés et les suédois »

Celui-ci furieux me répondit de le laisser seul dans son oratoire.

 

Après cet échec connu le Zuzammenbruch à Berlin au Kakadu où je célébrai la chute des cours en faisant fuser les bouchons de Champagne

et ma dernière nuit avec Kyria

quand les blindés de ses frères Morde patrouillaient dans Paris en flammes

et que les capucins bottés descendaient les Champs-Élysées en scandant : « C’est la vérole ou le revolver. »

 

J’ai vécu avec la foule qui rompt tous les barrages

Un jour sur mon chemin

J’ai rencontré le Recteur des Hautes Études de Pathologie

qui passait son temps à épouvanter le doyen Ricœur par ses énormités

Il me dit qu’il professait le déclin du droit et la mort de Dieu

Il avait honte de professer de pareilles saloperies

Je lui dis que la honte, c’était dur à dissimuler.

Il me demanda grâce

Je lui répondis que la grâce se monnaye

Alors il me dit qu’il voulait se briser la tête contre les murs

Faites-le donc lui répondis-je et moi j’applaudis.

 

Je poursuivis mon chemin avec le nègre de Newark

à la morale bonne mais sauvage

« Ou tu es mon ami ou tu es mon ennemi

Si tu es mon ami, je te protège, je te reçois et je tue tes ennemis

mais si tu es mon ennemi

je brûle ta baraque, je viole ta femme, je tue tes gosses et je paie tes ennemis pour qu’ils te tuent ».

 

Je suis poète et je guette le moindre mot et le moindre geste

Comme le tigre le moindre rayon de soleil, le moindre froissement de feuille et je fonds sur ma proie : Le Verbe.

Apprenant cela le pape me fit frapper d’excommunication majeure

sous prétexte que j’appartenais à l’Église Réformée

Je me demande encore ce que j’ai pu réformer

Et l’Église Réformée qu’est-ce qu’elle a réformé ?

 

Mais pourquoi donc avait-il si peur ?

La Religion, les curés ça forme une carapace.

 

Moi je suis peut-être à l’abri mais pour combien de temps ?

 

Un médecin chinois de New-York a eu beau faire disparaître tous mes troubles

Il est sûr que je périrai foudroyé par les mitrailleuses de Boudienny

et le nègre de Newark en un combat douteux à Khartoum

L’Évêque-député de Langres m’écrivit « un homme de votre qualité doit se méfier par-dessus tout des femmes ».

 

Kyria, Kyria ma sœur mon épouse

Quand donc oublierai-je tes sourires et tes grandes colères ?

Mes fils viendront m’interner un jour et à jamais pour démence

Dieu veut s’emparer de moi et de moi faire ce qu’il veut.

S’il est une chose que je demande à la vie et c’est bien la seule

Mais Staline et sa bande de pédérastes albanais s’y opposent

Tous jaloux de mon intelligence

C’est d’être gardien du musée français de Hanoï

Le seul lieu où les boches peuvent dire sans culot

« Nous étions heureux comme Dieu en France »

Partout ailleurs il se tait.

 

Un jour un de ses envoyés vint me demander l’adresse de mon ami Dzorg

(Je savais qu’il recherchait un pasteur sobre et fier prêt à contester le pouvoir établi)

C’est pourquoi faire ? leur répondis-je

Pour participer à la présence protestante.

Vous comprenez je ne voudrais pas qu’il arrive des ennuis à mon ami Dzorg

Quel salaud, quel intrigant vous faites !

Vous êtes heureux et vous ne le dites même pas ;

 

C’est la vérité leur répondis-je, mais on ne donne pas une aiguille même à son meilleur ami à cause de la magie noire.

 

Puis subitement je me souvins de la parole du Docteur Schweitzer dans sa brousse africaine :

« Surtout gardez le bon contact avec vos mauvais instincts

Dieu saura vous répondre »

Il était plus lucide que le camarade Staline qui me disait

« Pour cela travaille, veille et prie »

 

Alors je leur ai livré son adresse

C’était à la Faculté libre de Théologie

en face de la prison de la Santé

le seul endroit où il pouvait entrer en transes et mener son grand sabbat à chaque exécution capitale ;

À l’insu de son directeur il bombardait la capitale de ses ondes électropsychiques

parce qu’elle refusait de se convertir

Rapidement cela devint plus inquiétant que la profanation des tombeaux de la vallée des rois

Les curés refusèrent de faire leur boulot

Il y eut de féroces règlements de comptes entre bourgeois

Puis vint Mai 68

Dieu prit peur

Et la population exaspérée par le dogme de Kyria corédemptrice

chassa Fabre et les protestants de l’Université.

 

En ce temps-là j’aurais voulu renverser toutes les statues que le monde entier érige aux bienfaiteurs des aliénés

et trucider l’ignoble docteur Rearo Cambier

qui officie dans l’arrière-salle de la Salle Pépée

en vendant des révélations de Staline et de Rimbaud

et tout ce qui ne se dit pas sur Fabre.

 

Où allons-nous ? demandait le Pape à Dieu

quand le désir ouvre tout à tout vent

la Théologie allemande fout le camp

et les jésuites cessent de m’obéir

Ils vont souffrir

Ils auront le sort des juifs

des nègres

et des fous.

 

Dieu me dit encore :

« Fabre comme dans Job, il y a quelque chose en toi qui me déplaît »

Sa parole m’inspira l’exécution de Pierre Laval

 

Le nègre de Newark était revenu

Il m’avait demandé de faire le P

dans cette situation de surprise

craignant que sa femme blanche et sa maîtresse noire ne se rencontrent

Pourtant c’était une situation exemplaire

La preuve en était que des groupes armés et disposant de sommes considérables rôdaient autour de nous.

Jusqu’aux envoyés du Père céleste

qui voulaient me faire chanter

sous prétexte que mon père allait mordre les gens à la sortie de l’Ambassade de Hollande

 

De plus j’avais avec le docteur Lecalacan

une histoire de symbole et de fric

une merveilleuse histoire de notre temps

Je lui payai un valet chinois

qui l’accompagnait aux toilettes

et qui lui tirait la tirette

 

Tout seul ça lui foutait des angoisses.

 

Les envoyés du Père Céleste me proposèrent de devenir l’interprète en Ouzbek de Staline pour traduire ses conversations secrètes avec les chefs de l’Ouzbékistan

Mais Staline avait bourré de flics toutes les salles de traduction

et faisait fusiller pour la moindre faute de vocabulaire.

 

Staline et Hitler

ne poursuivaient pas les mêmes buts

Il y avait entre eux les contradictions de classe

Mais entre Staline et moi il n’y en a pas la moindre

nous savons tous les deux rattraper la difficulté entre Dieu et les hommes

tandis que les autres nagent dans une certaine confusion.

C’est pourquoi lui et moi

sommes d’une essence supérieure

La force et l’avantage que j’ai sur lui

Je connais ce qui me rend malade

Tout ce qui m’entoure

À la fin de sa vie, il refusa de le savoir et ce fut sa perte.

 

La nuit où le camarade Staline fut livré à la mort

Je fis venir un convoi de 50 000 protestants de Hongrie

Je fis pivoter les tourelles des chars de manière significative

Tous les blancs furent abattus

ainsi que toutes les institutrices qui me firent souffrir

Ceux des autres races firent ce qu’ils voulurent

à condition qu’ils se convertissent

Tous le firent, mais je garde pour moi le récit.

 

Et je rends grâce à Dieu

Comme le Président Gottwald au Président Benesch

de ce qu’il m’a permis de faire

Aujourd’hui, j’ai une belle âme, une belle main et une belle conscience.

Subitement Kanonenkönig

le seul soldat de Jésus que j’ai jamais redouté

(Était-ce un fumiste ou un illuminé ?)

passant par Genève

me fit plaquer contre le mur des Réformateurs

et dit :

« Fusillez-les tous ce sont des imposteurs. »

Staline intervint

« Aucun d’entre eux ne figure sur mes listes d’abjuration

Et foutez-nous la paix avec Jésus-Christ ce discoureur qui a dit de bonnes choses »

et se retournant vers moi, il me dit :

« Vous tenez trop compte de la parole de Dieu

traitez-la comme je traite celle de mes médecins ».

 

Ébranlé, je m’en fus me reposer aux noces du Kronprinz

J’y rencontrai le Général Gamelin

Curieux de toutes choses il me demanda si les femmes étaient raisonnables

Je lui répondis qu’elles étaient promptes à trahir

Il me demanda si dans les circonstances présentes elle ne présentaient pas un danger

Je lui répondis que je m’en foutais

Tout ce qui m’intéresse c’est Staline et mes droits d’auteur.

 

Mais pour moi le nègre de Newark me fit ouvrir tous les charniers découverts à la Libération

Hommes blancs

Les femmes ont dit c’est ça le crime

depuis ce jour-là elles vous méprisent

Je compris combien Staline avait raison

Les femmes et le Parti sont de redoutables instruments de vengeance.

 

Lassé de toutes ces frivolités

Je dis au nègre de Newark de me conduire à la conférence internationale du crime

Nous prîmes pour guide un ancien élève renvoyé de l’École Alsacienne

Nous nous trouvâmes dans un festin de contrebande de chasseurs

C’était dans des espaces verts là où règnent de vrais bandits

avec des noms comme Frédégonde

qui retentiront à travers les siècles comme le symbole de la rouerie diabolique et des crimes monstrueux au service d’une ambition effrénée.

 

Le pape y avait envoyé comme observateur

un chartreux de 96 ans

Il vit toujours, le bougre

« Vos coups de téléphone à Staline sont ambigus » me dit-il

À la première question que lui posa le Pape, il répondit avec une moue de dédain :

« L’homme n’est ni bon ni mauvais »

Quant à moi, j’ai retenu les secrets des gisements des mines de cuivre, de diamant et d’uranium en Afrique.

Ni estoupo pres da fue

ni frepo pres de l’ome

conclut le nègre de Newark

J’ai pris peur

C’était un homme de calme et de sang froid

Était-ce un haschichin ?

Je demandais à Staline ce qu’il fallait en penser

« J’ai toujours apprécié vos qualités d’écriture »

 

Alors j’ai renoncé au nègre de Newark

et j’ai versé dans un monde sans poésie

Hommes et femmes se cherchaient en vain

Pire que tout l’été 40

Je me suis trouvé sous l’âpre soleil de Crète

Et comme Eavans je n’ai trouvé qu’un tas de cailloux

et un labyrinthe brûlé.

 

 

 

 

 

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