CANTATE À STALINE
Dans
la nuit où je fis sauter tous les commissariats de Saint-Petersbourg,
j’étais accompagné d’un nègre simulateur de folie
(En ce temps-là,
je vivais parmi ces diables qui terrifient l’Église)
Pas toujours
les hommes sans gentillesse ni délicatesse ne remuent le monde : Il me conduisit
auprès de Kyria avec qui j’ai couché
Mais si Dieu
m’avait demandé ce que j’ai ressenti cette nuit-là, je lui aurais répondu
: une intense souffrance
Tout cela était
venu avec l’arrivée des Allemands
Ils avaient
posé partout leurs contrôles
et toutes leurs
troupes dévalaient des Ardennes.
Une de leurs
sentinelles pourtant me dit :
Il n’y a pas
de grande différence entre le plaisir et la douleur
du moins si l’on
en croit le Docteur Fechner
pas plus qu’entre
le culte de Douli et latri
Le nègre lui
me parlait comme l’eau de la mer qui rend folle les femmes
C’étaient des
mots qui ravissent les enfants
À ces mots,
je lui ai promis comme le feu criminel allumé à Newark et nous partîmes pour
un secteur de la mer Rouge
Le Feu, je
l’ai déclaré aux cages-tigres du Bateau Pasteur
et ce fut une
nouvelle commune de Paris
après celle de Verlaine
et de Rimbaud
Trois mois
de liberté et de bonheur absolu
et puis quand
cela tourne au médiocre, à la Science Politique
on fout le feu
et puis on se fait descendre.
Aujourd’hui
au mépris de l’envoyé de Dieu et de toutes les polices qui prétendent connaître
toutes les mœurs
parce qu’ils ont
du temps à perdre
J’ai tendu
la main à des partisans vietcongs qui me l’ont rendue
en disant :
« une main c’est extraordinaire »
Dans les caves
de la Loubianka, je suis fort d’affronter le procureur
Rudenko
posant des questions
aussi susceptibles que les questions religieuses
Je connais
l’histoire et les 21 point fixés par les grands rabbis.
Épouvanté par
mes réponses, comme seuls peuvent l’être les enfants
Il me fit placer
au régime le plus secret à la prison Barberousse
où je crevais
de peur et de typhus
Je passais
toutes mes nuits à insulter l’Église
En insultant
l’Église, tu m’insultes me dit Kyria
c’est irréparable
Je dois sauver
ton âme à tout prix
Bientôt une
partie de l’humanité priera pour m’abattre
et l’autre pour
me sauver.
Laquelle avez-vous
insultée ? me demanda un Jésuite psychanalyste
Celle-là ou
une autre ?
Branlez-vous
trois fois cette nuit lui répondis-je
et Dieu vous
répondra.
Le docteur
Freud plus timide
Le docteur
Lecalacan plus perfide voulurent
s’informer
Adressez-vous
ailleurs leur répondis-je car
si vous trouvez
vous aurez le pouvoir absolu
m’avait dit un haut
fonctionnaire
qui redoutait
par-dessus tout le soleil.
Bientôt tous
les journaux dénoncèrent ma puissance financière
et avertirent
ma famille de mes fautes et de mes penchants vicieux
Parce que de
Louvain d’où s’est enfui le cardinal Suenens, j’ai
commis tous les crimes d’assemblées
Au lendemain
les louvanistes furieux m’ont forcé à envoyer ce télégramme :
« Brûlez
la Faculté de Théologie protestante, on y développe la science allemande »
J’ai fini par
trouver son directeur qui portait l’odeur des sorciers de la forêt noire.
Je l’ai étranglé et enterré dans son jardin.
Faculté libre
? Mais qui donc a la Faculté d’être libre ? je me
le demande encore !
Au siècle dernier
un jeune américain très opposé au théâtre fut engagé à y aller. Longtemps
il résista aux instances de son entourage, puis il céda quoiqu’à contrecœur.
Après avoir éprouvé pour. le théâtre une véritable
terreur, il y passa soixante-dix journées consécutives. Au bout du temps,
il avait perdu ses convictions religieuses et sa position dans le monde. La
paix dont il avait joui jusque-là fit place à un trouble très grand. Il fit
une chute dont il ne se releva pas. Satan l’avait pris dans ses filets. Le
Prince des Ténèbres avait mis la main sur sa proie.
Et pourtant
la vie est simple quand on est pour la Santé, la Religiosité et la Prospérité.
La fortune
c’est comme la Santé quand on en a, on en profite
Staline le
savait bien qui poursuivait sa révolution au caviar et à la vodka.
Mais moi qui
fus vraiment aliéné
Je sens la
révolution à son odeur de sang et de pétrole
Je me range
parmi les derniers des persécutés
Les juifs ont
Israël
les noirs les
Black-Panthers
Mais les fous
resteront toujours dans la main des autres
Alors Dieu
me dit : « Ne demeurez pas dans le point de vue européen
Je demanderai
à la Sublime Porte dont j’apprécie la théologie de vous délivrer de cet état
Mais tout d’abord
prévenez le Pape
et je vous prie
de lui indiquer en même temps la fourchette des suicides entre les curés et
les suédois »
Celui-ci furieux
me répondit de le laisser seul dans son oratoire.
Après cet échec
connu le Zuzammenbruch à Berlin au Kakadu où je célébrai la chute des cours en faisant fuser
les bouchons de Champagne
et ma dernière
nuit avec Kyria
quand les blindés
de ses frères Morde patrouillaient dans Paris en flammes
et que les capucins
bottés descendaient les Champs-Élysées en scandant : « C’est la vérole
ou le revolver. »
J’ai vécu avec
la foule qui rompt tous les barrages
Un jour sur
mon chemin
J’ai rencontré
le Recteur des Hautes Études de Pathologie
qui passait son temps à épouvanter le doyen
Ricœur par ses énormités
Il me dit qu’il professait le déclin
du droit et la mort de Dieu
Il avait honte de professer de pareilles
saloperies
Je lui dis que la honte, c’était dur
à dissimuler.
Il me demanda grâce
Je lui répondis que la grâce se monnaye
Alors il me dit qu’il voulait se briser
la tête contre les murs
Faites-le donc lui répondis-je et moi
j’applaudis.
Je poursuivis mon chemin avec le nègre
de Newark
à la morale bonne mais sauvage
« Ou tu es mon ami ou tu es mon
ennemi
Si tu es mon ami, je te protège, je te
reçois et je tue tes ennemis
mais si tu es mon ennemi
je brûle ta baraque, je viole ta femme,
je tue tes gosses et je paie tes ennemis pour qu’ils te tuent ».
Je suis poète et je guette le moindre
mot et le moindre geste
Comme le tigre le moindre rayon de soleil,
le moindre froissement de feuille et je fonds sur ma proie : Le Verbe.
Apprenant cela le pape me fit frapper
d’excommunication majeure
sous prétexte que j’appartenais à l’Église Réformée
Je me demande encore ce que j’ai pu réformer
Et l’Église
Réformée qu’est-ce qu’elle a réformé ?
Mais pourquoi donc avait-il si peur ?
La Religion, les curés ça forme une carapace.
Moi je suis peut-être à l’abri mais pour
combien de temps ?
Un médecin
chinois de New-York a eu beau faire disparaître
tous mes troubles
Il est sûr
que je périrai foudroyé par les mitrailleuses de Boudienny
et le nègre de
Newark en un combat douteux à Khartoum
L’Évêque-député de Langres m’écrivit « un homme de votre
qualité doit se méfier par-dessus tout des femmes ».
Kyria, Kyria ma sœur mon épouse
Quand donc
oublierai-je tes sourires et tes grandes colères ?
Mes fils viendront
m’interner un jour et à jamais pour démence
Dieu veut s’emparer
de moi et de moi faire ce qu’il veut.
S’il est une
chose que je demande à la vie et c’est bien la seule
Mais Staline
et sa bande de pédérastes albanais s’y opposent
Tous jaloux
de mon intelligence
C’est d’être
gardien du musée français de Hanoï
Le seul lieu
où les boches peuvent dire sans culot
« Nous
étions heureux comme Dieu en France »
Partout ailleurs
il se tait.
Un jour un
de ses envoyés vint me demander l’adresse de mon ami Dzorg
(Je savais
qu’il recherchait un pasteur sobre et fier prêt à contester le pouvoir établi)
C’est pourquoi
faire ? leur répondis-je
Pour participer
à la présence protestante.
Vous comprenez
je ne voudrais pas qu’il arrive des ennuis à mon ami Dzorg
Quel salaud,
quel intrigant vous faites !
Vous êtes heureux
et vous ne le dites même pas ;
C’est la vérité
leur répondis-je, mais on ne donne pas une aiguille même à son meilleur ami
à cause de la magie noire.
Puis subitement
je me souvins de la parole du Docteur Schweitzer dans sa brousse africaine :
« Surtout
gardez le bon contact avec vos mauvais instincts
Dieu saura
vous répondre »
Il était plus
lucide que le camarade Staline qui me disait
« Pour
cela travaille, veille et prie »
Alors je leur
ai livré son adresse
C’était à la
Faculté libre de Théologie
en face de la
prison de la Santé
le seul endroit
où il pouvait entrer en transes et mener son grand sabbat à chaque exécution
capitale ;
À l’insu de
son directeur il bombardait la capitale de ses ondes électropsychiques
parce qu’elle refusait
de se convertir
Rapidement
cela devint plus inquiétant que la profanation des tombeaux de la vallée des
rois
Les curés refusèrent
de faire leur boulot
Il y eut de
féroces règlements de comptes entre bourgeois
Puis vint Mai
68
Dieu prit peur
Et la population
exaspérée par le dogme de Kyria corédemptrice
chassa Fabre et les
protestants de l’Université.
En ce temps-là
j’aurais voulu renverser toutes les statues que le monde entier érige aux
bienfaiteurs des aliénés
et trucider l’ignoble
docteur Rearo Cambier
qui officie dans
l’arrière-salle de la Salle Pépée
en vendant des révélations de Staline et
de Rimbaud
et tout ce qui ne se dit pas sur Fabre.
Où allons-nous ? demandait
le Pape à Dieu
quand le désir ouvre tout à tout vent
la Théologie allemande fout le camp
et les jésuites cessent de m’obéir
Ils vont souffrir
Ils auront le sort des juifs
des nègres
et des fous.
Dieu me dit encore :
« Fabre comme dans Job, il y a quelque
chose en toi qui me déplaît »
Sa parole m’inspira l’exécution de Pierre
Laval
Le nègre de Newark était revenu
Il m’avait demandé de faire le P
dans cette situation de surprise
craignant que sa femme blanche et sa maîtresse
noire ne se rencontrent
Pourtant c’était une situation exemplaire
La preuve en était que des groupes armés
et disposant de sommes considérables rôdaient autour de nous.
Jusqu’aux envoyés du Père céleste
qui voulaient me faire chanter
sous prétexte que mon père allait mordre
les gens à la sortie de l’Ambassade de Hollande
De plus j’avais avec le docteur Lecalacan
une histoire de symbole et de fric
une merveilleuse histoire de notre temps
Je lui payai un valet chinois
qui l’accompagnait aux toilettes
et qui lui tirait la tirette
Tout seul ça
lui foutait des angoisses.
Les envoyés
du Père Céleste me proposèrent de devenir l’interprète en Ouzbek de Staline
pour traduire ses conversations secrètes avec les chefs de l’Ouzbékistan
Mais Staline
avait bourré de flics toutes les salles de traduction
et faisait fusiller
pour la moindre faute de vocabulaire.
Staline et
Hitler
ne poursuivaient
pas les mêmes buts
Il y avait
entre eux les contradictions de classe
Mais entre
Staline et moi il n’y en a pas la moindre
nous savons tous
les deux rattraper la difficulté entre Dieu et les hommes
tandis que les autres
nagent dans une certaine confusion.
C’est pourquoi
lui et moi
sommes d’une essence
supérieure
La force et
l’avantage que j’ai sur lui
Je connais
ce qui me rend malade
Tout ce qui
m’entoure
À la fin de
sa vie, il refusa de le savoir et ce fut sa perte.
La nuit où
le camarade Staline fut livré à la mort
Je fis venir
un convoi de 50 000 protestants de Hongrie
Je fis pivoter
les tourelles des chars de manière significative
Tous les blancs
furent abattus
ainsi que toutes
les institutrices qui me firent souffrir
Ceux des autres
races firent ce qu’ils voulurent
à condition
qu’ils se convertissent
Tous le firent,
mais je garde pour moi le récit.
Et je rends
grâce à Dieu
Comme le Président
Gottwald au Président Benesch
de ce qu’il m’a
permis de faire
Aujourd’hui,
j’ai une belle âme, une belle main et une belle conscience.
Subitement
Kanonenkönig
le seul soldat
de Jésus que j’ai jamais redouté
(Était-ce un
fumiste ou un illuminé ?)
passant par Genève
me fit plaquer
contre le mur des Réformateurs
et dit :
« Fusillez-les
tous ce sont des imposteurs. »
Staline intervint
« Aucun
d’entre eux ne figure sur mes listes d’abjuration
Et foutez-nous
la paix avec Jésus-Christ ce discoureur qui a dit de bonnes choses »
et se retournant
vers moi, il me dit :
« Vous
tenez trop compte de la parole de Dieu
traitez-la comme je traite
celle de mes médecins ».
Ébranlé, je
m’en fus me reposer aux noces du Kronprinz
J’y rencontrai
le Général Gamelin
Curieux de
toutes choses il me demanda si les femmes étaient raisonnables
Je lui répondis
qu’elles étaient promptes à trahir
Il me demanda
si dans les circonstances présentes elle ne présentaient
pas un danger
Je lui répondis
que je m’en foutais
Tout ce qui
m’intéresse c’est Staline et mes droits d’auteur.
Mais pour moi
le nègre de Newark me fit ouvrir tous les charniers découverts à la Libération
Hommes blancs
Les femmes
ont dit c’est ça le crime
depuis ce jour-là
elles vous méprisent
Je compris
combien Staline avait raison
Les femmes
et le Parti sont de redoutables instruments de vengeance.
Lassé de toutes
ces frivolités
Je dis au nègre
de Newark de me conduire à la conférence internationale du crime
Nous prîmes
pour guide un ancien élève renvoyé de l’École Alsacienne
Nous nous trouvâmes dans un festin de contrebande de chasseurs
C’était dans
des espaces verts là où règnent de vrais bandits
avec des noms comme
Frédégonde
qui retentiront
à travers les siècles comme le symbole de la rouerie diabolique et des crimes
monstrueux au service d’une ambition effrénée.
Le pape y avait
envoyé comme observateur
un chartreux
de 96 ans
Il vit toujours,
le bougre
« Vos
coups de téléphone à Staline sont ambigus » me dit-il
À la première
question que lui posa le Pape, il répondit avec une moue de dédain :
« L’homme
n’est ni bon ni mauvais »
Quant à moi,
j’ai retenu les secrets des gisements des mines de cuivre, de diamant et d’uranium
en Afrique.
Ni estoupo pres da fue
ni frepo pres de l’ome
conclut le nègre de
Newark
J’ai pris peur
C’était un
homme de calme et de sang froid
Était-ce un
haschichin ?
Je demandais
à Staline ce qu’il fallait en penser
« J’ai
toujours apprécié vos qualités d’écriture »
Alors j’ai
renoncé au nègre de Newark
et j’ai versé
dans un monde sans poésie
Hommes et femmes
se cherchaient en vain
Pire que tout
l’été 40
Je me suis
trouvé sous l’âpre soleil de Crète
Et comme Eavans je n’ai trouvé qu’un tas de cailloux
et un labyrinthe
brûlé.