Marc QUESTIN

 

LES VISIONS NOIRES DE GRAHAM GREENE

 

 

Lecture enrichissante des romans d’espionnage lorsque nous pénétrons dans ce royaume imaginaire mais parfois bien réel des conflits politiques, sentimentaux et religieux. Je crois avoir tout lu de l’écrivain anglais. Je suis toujours emballé par cette volonté inexorable d’entraîner le lecteur à la suite de ses aventures. Certaines ambiances de Graham Greene font songer à Ambler ou à Somerset Maugham. Mais ce dernier s’est presque exclusivement cantonné dans ses repaires de Malaisie, proche en ce sens de Conrad, avec cet humour britannique parfois exaspérant quand il frise le plus impudent des colonialismes et que l’on trouve surtout chez un Rudyard Kipling. Ce qui nous revigore dans l’univers de Graham Greene c’est justement cette absence totale de sentiment de supériorité, cette osmose sympathique qui le porte aussitôt vers les couches les plus défavorisées de la population. Son christianisme ne m’a jamais embarrassé. J’y sens un appel fluide de réconciliation, un désir instinctif de relier l’homme au cosmos. Le solitaire d’Antibes est notre agent secret. Il y a chez Ambler un côté trop technique. On se trouve prisonnier d’une rigueur inhumaine. Comme chez John Le Carré, ce sont des drames patibulaires qui nous créent un malaise qui nous englue à notre insu. Rien de tel chez Graham Greene ! On y sent de la vie, de la joie, de l’humour. Bien que les hommes tombent comme des mouches. C’est là le propre des services secrets. L’Ami américain témoigne à la perfection de ce mouvement catastrophique. L’homme est le maître de son destin. Il ne croit pas au libre-arbitre. C’est Dieu lui-même qui le dirige. Cette part terrible de liberté s’incarne en Dieu, précisément. Nous sommes libres ET esclaves. Nous sommes libres d’être esclaves ! C’est dans ce sens métaphysique que je peux lire un Graham Greene. En cela qu’il me donne des leçons d’espérer. Pourtant, je ne suis pas chrétien. Certes non. Mais cette démarche m’est sympathique. Son style plonge dans la vie. Comme chez Goodis ou Buckovsky. Goodis, anti-héros, s’affronte aux puissances de la nuit. Aucun espoir ne brille en lui. Mais pourtant... L’un comme l’autre croient en Dieu. Goodis était d’origine juive et le vaudou l’intéressait. Il croit aux forces et aux puissances. Greene et Goodis sont des auteurs complémentaires. Je crois que leur “théologie” a inspiré bon nombre d’auteurs contemporains. Je pense à Peter Handke. Et revoici L’Ami américain ! Inspiré, je sais bien, de Highsmith, mais mis en scène par Wim Wenders. Dans un décor allégorique. Avec froideur et précision. Handke et Burroughs ont bien lu Greene et Goodis parle entre les lignes des romans noirs de Peter Handke.

 

 

Un mois avant sa mort.

Photographie : Michel CAMUS

 

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