LUCIEN-HUNO BADER

 

MALADIVES (nouvelle série)

 

 

1

Miroirs s’étranglant

Visages difformes

Mémoire qui toujours dévore

le mouvement du temps

ce cri

en éternel mouvement

 

Contre-jour aveuglant

long bruissement

où l’œil sans fin tourne

en quête d’un masque où se poser —

 

 

2

LE SOLEIL comateux

dans la solitude du regard

et la détresse comme une vieille peau

qu’on ne peut s’arracher

 

Maintenant l’Ombre

la terreur rageuse

dans la matrice de l’orage

dévastant l’infini

 

Maintenant la Voix

plaquée sur la bouche

comme un bâillon boueux

vissant le souffle

 

Rien que le désarroi

de ne se dire

le rire désorienté

la dérision

cette lâcheté —

 

 

3

AH ! Face brûlante

le passage des doigts maigres

sur les miroirs visqueux

l’encre qui colle

les crissements sous les ongles

 

l’échine cuisante

de frissons glacés

au toucher des ustensiles

que la mort manipule

que mon double brandit

 

... Une vieille peur demeurée

intacte l’empreinte coupable

la hantise du contact

l’effroi

sous le bandeau —

 

 

4

REPLIÉ dans un coin du lit, les yeux fixés au plafond, percé tout au long de son corps par les dards multiples de l’insomnie. Malade de solitude, les heures tournoyant dans les ténèbres, s’égrenant dans sa tête de plus en plus vite, stridentes, innombrables. Membres contusionnés à des parois multiples de chair impalpable, images silencieuses, visions d’enfer. L’isolement, l’exil dans sa carapace, boule de souffrance ramassée en quête de suicide. Mondes monstreux de l’angoisse où la respiration cuit jusqu’à la suffocation dans un déferlement de pulsations. Le vent fait crisser ses ongles à la vitre, lents tourbillons l’encerclant, chuchotements pétrifiés

 

 

5

moi qui foudroyé

libre de mourir aussitôt

sans avoir le moindre regret

dans la trame du sommeil

j’ai sangloté de solitude

 

voilà la fièvre

et le vent qui m’assaille

voilà l’ivresse

et ses trompeuses facilités !

 

désormais sans recours

que le choix du mensonge

cet immense ricanement

toujours à redéfaire

 

dissolution des mots

désillusion du moi

toute souffrance est contraire

à la seule vanité

 

réminiscences refoulées

dans les méandres du délire

délivrant mes pudeurs immondes

trahissant la bête

cette carcasse au sang bouillant

sous l’éclat moisi du jour

ce monstre d’égoïsme

au rire carbonisé —

 

 

6

AU COMMENCEMENT la pourriture

les mâchoires qui claquent

le tumulte des ombres

 

L’épaisseur trouble du vide

aux germes grouillant

la moiteur rassurante des ténèbres

où déjà rampe l’instinct de mort

 

L’éternel recommencement

d’une enfance primitive

la nuit close

comme un ventre chaud —

 

 

7

MON DIEU tout mon être oscille

sur le seuil de l’abîme

je cherche la clef des apparences

la blancheur dépouillée

jusqu’à la transparence

 

Étendue verticale

où mes bras font la roue

tous mes sens condensés

sous un ciel de verre

 

Je mugis ! Je feule ! Piaule !

Braie ! Brame ! Bêle !

me multiplie de tous côtés

dans l’infinité des formes

 

J’aspire à retrouver

l’origine des émotions

la source des larmes

la vraie nature des sentiments

cachés en pleine lumière

la Cause Première

 

L’éclair gronde dans ma poitrine

Un volcan s’ouvre sous mon ventre

Je fulgure entre les âges

d’une réalité à l’autre

 

Étrangement, sans disparaître

sans jamais me fondre en définitive

à ma seule ombre nue, à mon reflet traqué

je reviens trop vite à l’inanimé

au cadavre qui ne se projette plus

au silence sans foule

à la nuit des mots

 

Pourtant il me faudra renaître

de toutes mes frustations

refluer, fourmiller, inonder, pulluler !

il me faudra trouver la question juste

et en brûler des milliers d’autres

 

Parmi les clameurs, litanies et bacchanales

geignements, supplications et borborygmes

s’enrichir de toute forme d’intelligence

et peut-être de ce qui, infiniment

supérieur à l’esprit

dans la hiérarchie orgueilleuse

des spéculations cléricales

ne se traduit pas —

 

 

8

L’HORREUR de toute limite

des nivellements de l’âme

la peau que l’on ronge

la naissance qui tue

 

Chambre étouffante

la respiration tourbillonne

dans des lits de misère

aux draps ébouillantés

 

Dans la rue sombre

vague le cloaque

le caniveau profond

où se noient les étoiles

 

La chair se cherche

sous la croûte des miroirs

solitudes écorchées

grattant plus dur

 

Ongles ras

des galetas nus

aux démangeoirs de mort

aux masturbations de cruauté —

 

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