Luc-Olivier d’ALGANGE

 

STANCES DILUVIENNES (fragments)

 

 

IV

 

 

Pieuses mèches neigeuses : Le midi hagard

Des mouettes impératives : le jacassement des graines

poignardées de Soleil, la chimie des gouffres

le crin des corbeaux, les rails...

Je dédie ce poème aux belles machineries d’or

à Empedocle

aux théâtres des nervures échouées

aux solaires blondeurs hivernales

à l’absence de Lieu...

 

 

Loin des mondes où la rose trémière se dévêt dans la nuit, je dédie ce poème aux insectes que j’aime, aux légendes, à l’odeur du bois brûlé et à l’extrême allégresse des criantes couleurs. Car je suis d’ici où processionnent des fantômes transparents et des lueurs nichées au centre de la fièvre, au centre des majuscules Cités non défendues. Oh ces voix, pour moi seul, le houblon qui titube et la décalcomanie des paysages et des voix ! J’aime ces dieux, ces airelles, ces pianos un peu désaccordés et la phrase dégraphe de ta bruissante margelle oublieuse.

 

 

De belles fenêtres aux paysages violets.

La terre ici accueille des hosties alexandrines et c’est comme un adoubement de bibliothèques hérétiques ; le plaisir pélagique de rêver loin des envieuses trahisons du feuillage, du rire des proies capricieuses. Les sabliers de la Nuit, des enfers entr’aperçus à la clarté des lampes studieuses et toute une lente féerie de paroles rêveuses parfois éprises de la sévère mélodie des fleuves nocturnes, parfois dansantes et guerrières.

 

 

Combien de jours, de rêveries éparses, mystérieuses dont le sens provisoire est notre incessante demeure. Nos rires sont pour nous seuls une proie retentissante mais attristée quelquefois de n’être qu’une hypothèse, un regret, une vague infortune dans les flux et les reflux de l’origine — et voici notre demeure de splendeur. Ô Dieux, que vos ailes soutiennent mon éloge, que vos ténèbres exhaussent ma mémoire car je me souviens de votre déroute mélodieuse et d’une symphonie radieuse au rythme des saisons. Qui, mieux qu’un poète obscur se souvient du refuge bruissant de l’hiver et des studieuses clartés déclinantes du crépuscule ! Des feuillages ensoleillés ; des nombres de l’Été ; où tourne encore ta robe mi-fleurie, tes mains oisives, ta chevelure digne du château d’Indolence.

 

 

Vers de hautes demeures guerroyantes, roches crépusculaires érigées comme cris violets sur la liturgie byzantine des plaines vertigineuses, hautes splendeurs mémoriales élevées de gestes barbares en de hautes solitudes et mélodies d’ivoire, ô combien perdues ou aimées tremblantes ou indolentes selon l’hommage des chevelures et des contreforts torrides du Temps, ville enceinte de rumeur où songe un vieux brasier d’or et les falaises domptées de l’horizon nocturne (souviens-toi de cet empire couronné de belles saisons azurescentes et du chant funambule et des éblouissants jardins de l’Océan où songent encore chants et ripailles de fantômes devant ce jour tenant les fenêtres de l’Été chant de neige et de vierges aveuglées en la géométrie fabuleuse du printemps des naufrages). Dans ces contrées la nuit vient parfois sans prévenir, sage barque tombale éprise des signes d’ombre qu’elle suscite sur les interminables tapisseries de l’absence où déjà roule l’apothéose des colères barbaresques, lourde masse borgne vers les entrailles du Temple, oblique incendiée de rumeur et proie souveraine des transparences ouraniennes, racines d’armes et de labours trahissant l’ordre forestier où les proverbes d’Elle sont fenaisons mythologiques, vigilance de proies insaisies en paysages de fougères indéchiffrables. Ici veillent des arbres morts coiffant d’un supplice exquis les vitraux de la Pluie. Ici notre amour est aux lisières orchestrales du désespoir.

 

 

Nuit maintes fois chantée, je t’aime et te révère.

De toutes les humaines passions, idéales ou vénales, ton aire sableuse quelquefois garde mémoire — car ainsi nous cheminions dans l’inépuisable silence, ne gardant aux lèvres qu’un or où s’élude la force de mourir, de trahir cette splendeur vivante des dieux maîtres de l’offrande.

Nuit maintes fois chantée, je t’aime et te révère.

Elles furent, en terrasses, en colonnades souveraines, ogives, nefs ou voussures pour seule mémoire des sèves blanches de la souffrance et seule demeure en l’ultime soirée du paysage comme la plus pauvre étoile bleue dont nulle victime ne remémore la seconde miroitante.

Nuit maintes fois chantée, je t’aime et te révère.

Ô souvenir des gnoses soleilleuses, ô souvenir de dalles et de voûtes noires, combien de mots pour ce nombre natal, existences tues à l’été de la mort et d’un vrai sang, l’unité vacante. Souvenir pour les ronciers, les fantômes et les cariatides.

Nuit maintes fois chantée, je t’aime et te révère.

 

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