Luc-Olivier D’ALGANGE

 

CAHIERS DE L’OMBRE INCENDIÉE

 

 

Hors des simulacres d’une « modernité » qui n’en finit plus de ressasser son indigence dans l’espace clos des systèmes (en particulier freudo-marxistes) et des sciences dites humaines, nous nous proposons de publier des textes où s’ébauche la tranfigurante osmose du Mystère et du Réel, l’alliance hermétique d’Éros et de Logos, suscitée par le ressac des plus lointains enchantements, des bruissantes légendes de l’Origine. Ainsi, ce n’est plus l’histoire qui « explique » le Mystère mais le Mythe qui élucide l’histoire par l’expérience paramnésique où toute nostalgie se transfigure en Pressentiment. L’origine est la promesse qu’exauce la poésie en couronnant chaque vocable d’un flamboiement prophétique et en faisant du poème l’écrin du « diamant-foudre » de la Sagesse. Dès lors, la Tradition n’est plus la chaîne qui relie l’homme à son passé mais celle qui le relie à la vastitude transhistorique du monde divin et à l’intimité immémoriale des éléments.

 

Si l’ombre incendiée désigne d’emblée la consomption des simulacres qui doublent toute expérience authentique (par exemple, l’uniformité, simulacre de l’Unité) elle actualise aussi, et surtout, la plénitude solsticiale de l’Instant Éternisé, le Grand Midi, heure que les grecs choisissaient, jadis, pour célébrer les sacrifices funèbres, ou encore ce moment de parfaite centralité qui, pour le spirituel ismaélien atteste l’âme sans ombre.

 

Sortir du discours unilatéral de l’historicisme, cela implique non seulement le courage de rompre radicalement avec le savoir moderne (et l’humanisme cartésien et aristotélicien dont il procède) mais aussi opposer à ce savoir une expérience de l’Être s’originant dans la vision immédiate et gnostique des Yeux de Feu. Ainsi convient-il de ne plus attribuer au seul hasard la similitude anagrammatique de l’IMAGE et de MAGIE. La « magie de l’Image ne se réduisant pas à une plus ou moins grande prégnance affective mais s’apparentant, dès lors, à une authentique théurgie, voire à une « explication orphique de la Terre » (cf. Mallarmé). Comme l’ont montré Bachelard et Corbin, loin que ce soit la pensée qui aille chercher des oripeaux dans un magasin d’images, c’est l’imagination même qui produit la pensée. L’Image est véritablement la matrice du Sens.

 

Alors que l’Ère des synonymes menace de détruire les ultimes hiérarchies intérieures et les derniers refuges de l’Altérité (la différence et la nuance), l’essor de l’Imagination créatrice, médiatrice baroque entre le monde intellectuel et le monde sensible, nous semble le recours ultime de l’humain contre le titanisme technocratique. La poésie, telle que nous l’entendons, n’est autre que la tentative éperdue de désocculter le « château de l’Âme » qui fut nié et relégué par ceux qui n’étant ni poètes ni amoureux, ont cédé au triomphalisme progressiste, exilant ainsi du quotidien toute gravité et toute légèreté (le rire d’or des dieux de l’Olympe !) au profit du sérieux harassant de l’Économie.

 

Dès lors nous n’hésiterons pas à revendiquer l’ultime battement d’aile d’un idéalisme magique où se rencontrent Nerval, Novalis, Sohravardi, Saint-Pol-Roux, Pic de la Mirandole, Swedenborg ou Roger Gilbert Lecomte, sans nous soucier des gloses inquisitoriales des modernes puritains du « sens de l’Histoire » prompts à dénoncer comme « régression idéaliste » toute tentative de se mettre éperdument à l’écoute de la Bouche d’Ombre afin d’atteindre enfin ce Feu Central de l’Être dont l’ardeur suffit à rendre toute parole véridique, dans un sens qui échappe heureusement au dualisme de la Raison (ce prétexte fameux de la Raison d’État). Ainsi que l’écrit Henri Corbin « Retrouver notre Dieu contre le Dieu de tous les systèmes, de toutes les dogmatiques et de toutes les sociologies c’est éprouver que si notre Dieu personnel nous fait exister pour lui, il ne peut exister sans nous ». Son Nom ainsi doit retentir, non comme le Dominateur ou le Justicier, mais comme « l’éternel amoureux » et la plus haute possibilité de l’homme ; ainsi refuserons-nous la déchéance et l’oubli de l’Être qui nous condamne à cette pénombre moderne dont le dessein obscurantiste fut toujours d’occulter l’image par le concept et d’abolir les célébrations, les mystères ouraniens et les magnificences magiciennes du crépuscule vivant et de l’Aube annonciatrice.

 

Finalement, la voie royale de la poésie serait de déniveler le Temps, d’adjoindre à la durée profane une temporalité médiatrice de l’Éternité. Dès lors, l’expérience poétique n’est plus celle de l’Un, ni celle du Multiple mais l’Unificence de l’Unifique se pluralisant dans la splendeur de ses multiples théophanies. Se délivrant des clivages dualistes, la nuit parle, au poète-hiérophante, de la Transparence, l’eau lui parle de l’air, la terre lui parle du Feu. La dialectique homogénéisante de l’Histoire fait place au principe hermétique de la similitude et des correspondances. Se livrer à l’expérience poétique de l’irréalité des synonymes, c’est comprendre que l’Histoire n’a d’autre réalité que rétrospective et subjective ; il n’y a pas de sens à l’Histoire car il n’y a pas d’histoire globale et universelle mais seulement diverses profondeurs du présent. Refusant les généralisations abusives et le sophisme du « tout égale tout » qui dévalorisent la réalité vivante, le poète devra quêter le Sens dans l’aire éternellement vivante et métahistorique de la Tradition, inauguration perpétuelle de l’Origine, Aube Naissante familière à l’Homme de Désir.

 

Hiérarchiser le Temps, c’est restituer à l’homme sa verticalité spirituelle en rendant possible l’expérimentation des « États multiples de l’Être » — c’est en finir avec ce Lit de Procuste agnostique qui réduit les hommes à leur plus petit dénominateur commun socio-biologique et légitime l’instauration « d’ordres » totalitaires et normalisateurs.

 

Aux prétendues « clartés » du « siècle des lumières » nous opposerons les hymnes aurorales des Vedas, les « splendeurs » de la Kabbale ou, plus simplement, la sibylline transparence de l’air sibyllant dont Bachelard nous fait si admirablement partager les rêveries assomptives.

 

La poésie n’est pas le procès-verbal d’une réalité sociale ou subjective mais l’affleurement objectif et irrécusable des images occultées ou ensevelies sous la cendre des siècles. Aux certitudes de l’humanisme rationaliste nous opposerons la Quête émerveillante de la gemme philosophale car nous savons que le combat de l’homme différencié est la guerre sainte d’une solitude ouranienne contre l’opacité du vouloir collectif.

 

Nous défendrons dans les CAHIERS DE L’OMBRE INCENDIÉE une poésie hautaine et flamboyante, inasservie à toute forme d’utilitarisme, une poésie spagyrique, imaginante et souverainement inutile : seule aire de liberté épervière et d’espérance hespériale en cet Occident délétère que désertent les Anges et les Dieux.

 

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