Paul
ROLAND
QUELQUES
NOTES SUR LA KABBALE
De
la nature des textes de la Tradition
Les
textes produits en des états religieux et spirituels de certains individus
dans le passé sont des traces de ces états. Comme tels ils sont une richesse
: 1° de la communauté où ils ont œuvré. 2° d’un certain point de vue, de l’espèce
tout entière (compte tenu des conditions d’existence).
On sait que la question des traces est
un des éléments de la possibilité de toute lecture et de tout livre.
Le grand intérêt du Zohar est de ne pas prendre la tradition
et l’esprit de dévotion uniquement comme une manière de se tourner vers le
passé ; ou comme un atemporel étranger au monde.
La pratique de la lecture des textes
du Zohar n’est pas uniquement un
regard sur le passé, mais aussi une manière de s’ancrer dans l’instant et
donner une base de puissance véritable à la personne qui lit.
Le héros Shiméon
bar Yochaï serait la preuve — réduit comme il l’était
à la solitude d’une grotte — que la personne peut recevoir toutes les connaissances
et trouver en elle-même, parce qu’elle a favorisé “l’union de ce qui est en
haut et de ce qui est en bas”, la voie juste.
Ces justes qui ont un regard sur le monde
futur, et en ont une part.
Ce
qui est relatif dans chaque tradition
Le
judaïsme n’offre pas la seule tradition qui ait intégré des savoirs concernant
les manipulations de langage par l’hyperbole, l’allégorie. Le travail du psychisme
par des techniques littéraires ou par des compositions visionnaires est propre
à certains moments de l’évolution des cultures (cependant il a été particulièrement
développé dans l’hébraïsme des apocalypses).
De même il ne présente pas, dans la Kabbale
tardive, la seule synthèse de sciences traditionnelles
tels les symbolismes et croyances astrologiques, alchimiques, ceux de la chiromancie.
Ce
qui peut être appris du corps
La
relation des corps peut révéler la totalité des univers. Cela le kabbaliste
ne l’oublie jamais, lui qui chante de texte en texte
le rôle central de l’amour de l’homme et de la femme.
Il importe d’ouvrir le corps, de l’empêcher
de s’intoxiquer.
L’Histoire
et les événements
C’est
une parole ou une écriture qui donne corps à une idée pour une population
; pour les hommes avertis (les sages de la kabbale), les principaux événements
sont des événements de langage.
Les livres de la tradition donnent encore
lieu à de tels événements et pour ceux qui savent écouter, donner, recevoir
et se gouverner, elle permet d’en venir à la pensée et aux textes événements...
D’une certaine manière en remettant en
cause le fonctionnement psychique et intellectuel, le kabbaliste a lui aussi
fait (trans)muter l’animal homme.
À propos des religions, il s’agit de
transmutation ou de rien. Les observateurs praticiens (et quelques agnostiques)
l’admettent.
Communauté
et solitude
Dans
l’enfance, nous étions parents des étoiles et des univers. Découvrant l’impossibilité
d’une parole d’or, nous avons rétréci jusqu’à une solitude d’os et de nuit
noire. Une solitude pleine de voix amies a régénéré, fait grandir un plan
de corps qui admet aujourd’hui l’alliance.
Parenté et solitude ont leur reflet dans
le langage : même les séphiroth ont besoin d’être
couplées et reliées à un système d’altérités complémentaires à l’arbre de
vie.
Et il ne s’agit d’aucun angélisme.
Ce
que seraient les commentaires du Pentateuque ou des livres des kabbalistes
pour les hommes et les femmes actuels.
Les
œuvres d’un Stendhal donnent lieu à mille commentaires. Certains de ceux-ci,
dont l’introduction de Michel Crouzet à l’édition des Romans
inachevés, sont autant importants pour l’homme d’écriture de notre époque
que les romans eux-mêmes.
Les œuvres littéraires et politico-économiques
seraient-elles la Bible des Occidentaux modernes (tandis que même les occidentalistes
des autres continents ne sont déjà plus des “Occidentaux” sous ce rapport)
?
Le
lien des grands livres ésotériques et de la littérature
Montrer
certains textes de l’humanisme occidental (y compris en poésie), certains
textes romantiques et symbolistes sous le jour — ou dans la nuit — qui leur
convient le mieux.
Les
pratiques enseignées par la kabbale
Parlant
d’une “purification des corps”, n’existe-t-il pas des obstructions d’ordre
chimique et musculaire qui empêchent la plénitude de la réflexion et du langage
intérieur ?
Une renaissance d’un corps égal à la
totalité du monde “créé”, du corps qui serait le vis-à-vis d’âme de tout cet
autre corps plein d’âme qu’est l’univers est un fait connu.
Après les fêtes incomplètes, l’isolement
et le silence. Un isolement plein de soleils secrets et de chants de joie.
Psychologie
et sciences sociales
Une
des questions de l’anthropologie est : Quelle possibilité de tel homme ? Quel
corps (et quel psychisme) sera atteint ?
Comment le corps est-il intégré au cosmos
et quels seront ses langages à tel ou tel niveau de relation avec autrui ?
Le développement des sciences, loin de
rendre caducs les anciens langages, donne de nouveaux bénéfices de la lecture
des anciens textes liés à d’autres rapports avec l’environnement.
Le lecteur moderne trouve une nouvelle
richesse, à la lumière des phénomènes mis en évidence par les physiciens,
les biologistes et les astronomes, dans la lecture de ces textes de la totalité
que sont les livres zohariques.
Les
anciens rapports sociaux et le donné urbain actuel
La
kabbale n’est pas uniquement un monde de textes et un travail sur des signaux
de base, les lettres de l’alphabet sacré et les chiffres à valeur traditionnelle
(dans une relation aux lettres et aux concepts théosophiques).
Les kabbalistes ont progressé par des
rencontres et des discussions. Ils ont pu tourner la difficulté d’être lié
à une tradition unique en recevant l’héritage égyptien, grec et indo-persan, cela par l’étendue de la diaspora et une culture
qui favorise la créativité intellectuelle.
On observe à l’époque où se développe la
Kabbale (formée comme Somme singulièrement homogène avec des types culturels
et littéraires résumés dans le Zohar) à un système de transmissions de groupes
à groupes, d’un continent à l’autre ; du monde hellénistique d’abord, puis
de l’Islam et du monde occidental, d’une transmission
orale et d’un travail philosophique opéré par rapport à tous les aspects de
la culture transmise et en rapport avec les faits nouveaux de l’évolution
culturelle en Espagne et dans le midi de la France. La production des textes
de la Kabbale ne fut pas étrangère à ce bouillonnement.
L’intérêt de la Tradition est celui d’un
travail en commun de la chaîne des œuvres et de l’évaluation subtile des expériences
reçues en tel ou tel milieu.
Tous ces textes ne sont devenus traditionnalisation majeure que tardivement. À ces époques,
la notoriété littéraire vient à la fois d’une attention aux arts d’écriture
et d’un besoin d’union à l’œuvre de Dieu.
L’homme de la pratique spirituelle sait
très bien les états auxquels le corps peut accéder. Et si l’homme de tradition parle de paix
il sait de quoi il parle.
Pour
une parole contemporaine aux racines anciennes.
La
seule parole qui ait encore un pouvoir sur les hommes et les femmes d’aujourd’hui
est celle de la mort.
La mort les renvoie à une pauvreté d’origine
qui a le visage d’un universel et douloureux dénuement.
C’est par elle que semble leur revenir
la possibilité d’une autre existence dans un univers qui n’est plus un écran
pour voyeur.
Elle est peut-être le seul grincement dans un mental qui
s’emballe, dans une jouissance qui produit pourtant de la mort (ici même comme
croissance d’un pourrissement) sans qu’ils y prennent garde.
Or une dimension unitaire de tout le cosmos
est à vivre même dans notre petit séjour planétaire.
Ulysse, le singe empaillé de Jean CARTERET.
Photographie : Michel CAMUS