Jean CARTERET

 

LES PIEDS, DANS LE CORPS HUMAIN

 

 

Les pieds, dans le corps humain, sont comme la racine du corps terrestre, donc racine par rapport à la surface de la terre, donc profondeur. Donc, il y a analogie entre

                                                l’inconscient

                                                la racine

                                                la profondeur du visible, et les pieds. Mais par rapport au ciel, les pieds sont au plus loin du ciel, analogue à son sommet, et non la tête qui est, dans le corps, le sommet par rapport à la Terre. Donc les pieds ont des rapports avec l’inconscient terrestre, mais ils sont le sommet du ciel ; donc les pieds sont le sur-moi du ciel : d’où les musulmans qui se déchaussent en entrant dans la mosquée ; d’où aussi la mule du pape, hauteur du ciel qu’on baise par tradition. Par contre, la tête est le sommet de la terre dans le corps humain. Étant sommet de la terre, elle représente le pouvoir et non la puissance — comme le corps en-dessous de la tête.

On peut donc dire que la tête est le sur-moi de la terre : d’où le couronnement du roi. La tête étant le pouvoir, le corps étant la puissance, le cou se trouve au passage dans un lieu critique. Un certain seuil : d’où le cou, rapport entre l’autorité — qui commande — appuyée sur la responsabilité, qui exécute les décisions du pouvoir, de la tête : d’où — au XIXe siècle et au début du XXe siècle — le col dur, analogue à la morale qui règle les rapports sociaux entre l’autorité et la responsabilité. Chose curieuse, c’est lorsqu’on a commencé à porter des cols mous — il y a seulement quelques dizaines d’années — que la morale rigide, obéissante, disparaissait au profit d’une morale souple. Or, on ne peut pas parler de souplesse à propos de la morale, concernée par la rigueur du groupe qui en est l’objet. Ainsi, en même temps que disparaissait la morale de rigueur, apparaissait le col mou, et même l’absence de cravate, nœud social du bourgeois : donc, ouverture sur l’éthique personnelle et le choix, disparition de l’obéissance. Et, au cours de la même période, on passait de la lampe au centre de la pièce — symbole de l’autorité de l’unique dans la société, c’est-à-dire du maître — à l’éclairage indirect, qui signifie le rôle du collectif et non plus du maître dans la société. Ce collectif, c’est alors la maîtrise, qui est choix et non plus obéissance au maître.

Les pieds étant sommet du ciel — donc de l’invisible — sont analogues à la lumière : d’où ce fait, symbolique, que les Espagnols et d’autres ethnies font briller leurs souliers par de jeunes cireurs. Puisque les pieds symbolisent la lumière du ciel, la tête — étant lumière de la Terre, donc du visible — est donc analogue au conscient, mais pas encore à la conscience qui, elle, est globale, c’est-à-dire à la fois conscient, subconscient, sur-moi et inconscient, comme au centre d’une croix :

 

 

 

 

Si le pied est lumière de l’invisible, il y a dans le lavement des pieds par Jésus la révolution qui consiste à passer de la lumière à la clarté, ce qui est changement de plan : Voir clair, parler clairement, entendre clairement — donc comprendre — est supérieur à la situation de l’intellectuel et des universités où on enseigne, où on saisit, mais où — en réalité — on ne comprend pas. Voilà pourquoi je dis que l’intellectuel est le célibataire de la vérité. Mais si la tête — et le portrait qu’on en fait — est le lieu du conscient, du visible, de l’être conscient, la main — qui peut se dresser au-dessus de la tête dans la hauteur maximum — ne concerne plus seulement l’être mais l’exister.

Les mains étant le sommet de l’existence, lavant donc les pieds qui sont — on l’a vu — le sommet de l’essence (sommet pour le ciel, pour l’invisible). Elles doivent donc passer du haut de l’existence, au plan du sol (et elles sont le terme des membres antérieurs, alors que les jambes sont les membres postérieurs : on peut donc dire que les membres antérieurs vont de l’avant. Ils sont donc le devenant, et le devenant de l’existence — d’où les lignes de la main et les différents monts et les doigts qui portent des noms de planètes (celles-ci sont la hauteur maximum du système solaire). Donc, il faut abaisser jusqu’au sol au maximum les mains, symboles de la hauteur de l’existence.

Puisque les pieds sont l’essence du ciel, il faut donc atteindre le degré maximum d’humilité pour passer du haut en bas, pour laver les pieds qui sont lumière. Ce geste d’humilité devient changement de plan radical, donc révolutionnaire. Donc laver les pieds, c’est ajouter au pied-lumière la simplicité fondamentale du geste de l’humilité. Alors seulement, le pied-lumière devient, par révolution, lieu de la clarté où la lumière, unique, devient collective, puisque la lumière se dépasse en passant de l’élite capable de lumière et de connaissance — donc de gnose — pour s’ouvrir à la masse collective, c’est-à-dire offerte à tous et à chacun par le nouveau degré de clarté. Et on passe de la lumière à la clarté par l’humilité ; et par la dialectique de la rencontre du haut (la main) avec le bas (le pied pour la terre). Donc le fait de laver les pieds, en passant de la lumière à la clarté, c’est le passage, en principe, de l’invisible au visible — ce qui est exactement la situation de la révélation. Ainsi, curieusement, le lavement des pieds par le Christ confirme l’intégralité de son message divin : la révélation. Voici enfin signifié un geste qui paraissait diminution et qui est — au contraire — intensification du passage de la lumière à sa clarté offerte à la compréhension par tous et par chacun — donc geste de foi, l’humilité étant la qualité initiale et fondamentale de l’être. C’est dans l’humilité totale — comme celle du vrai chrétien — que commence le quelque chose, le quelque chose étant la noblesse de la chose, instant singulier où on assiste enfin à la mort du moi, de l’individu, du quelqu’un. Quand on dit de quelqu’un : « C’est quelqu’un ! », ça veut dire qu’il a de l’importance, alors qu’il s’agit, pour l’être, de n’avoir plus aucune importance, mais, par contre, d’accéder seulement alors à la valeur.

Nous trouvons un analogue de cette situation dans le cas de l’As dans le jeu de cartes : l’As est le plus petit nombre, mais, étant le lieu de la plus petite quantité — donc moindrement résistant — il devient le lieu de la plus haute qualité. C’est ainsi qu’en passant par l’humilité — valeur suprême et efficace de l’être — on accède au degré de la maîtrise, et non plus du maître qui était quelqu’un en trop et devant mourir et s’effacer devant la valeur révolutionnaire du quelque chose. Alors, on peut dire qu’on a connu la mort avant de mourir, la mort étant la genèse généreuse du passage du quelqu’un au quelque chose. Tant que le quelqu’un s’obstine à durer, il vit l’enfer. Voilà la signification et le rôle de la mort où il s’agit de devenir rien.

J’ajouterai simplement que l’humilité est la source du génie, alors que toujours l’orgueil aliène le génie. Devenir rien au cours de la mort, c’est la nécessité fondamentale pour accéder — lors de la parousie, période de l’Apocalypse qui veut dire révélation — à la résurrection du corps glorieux.

 

Photographie : Marc QUESTIN

 

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