Claude PÉLIEU-WASHBURN

 

INDIGO EXPRESS

 

 

Pour J. J. Lebel

 

 

 

1

 

La couleur soulève

les montagnes, déplace

les océans, remue

les cieux.

La couleur sur le verglas

noir bénit le passager

de pluie, rebâtit

le paysage, débris calcinés

d’une époque qui n’a pas

existé, la couleur s’étend

sur chaque ville,

charriant cris & rires,

aspergeant tout, puis

s’en retourne aux yeux de tous

dans le lit

défait du ciel.

 

 

 

 

 

 

2

 

Les romans-photos

grouillent de pensées

sombres & cruelles.

Le lac gelé sait

que la lumière

possède une ombre.

Une grêle d’or tombe

avant la fin du jour.

 

 

 

 

 

 

3

 

Une masse blanche

de musique se perd

derrière l’horizon

non sans raison.

L’écume de mer

mouchetée de fiction

nous dit qu’il ne reste

que des mots, des nuages

d’encre, des kilomètres

de bandes magnétiques,

rien que des mots

brillent mille figures,

mille images donnant

sur la lumière crue.

 

 

 

 

 

 

4

 

Jonquilles & fougères,

cartes-postales & photos

à perte de vue, ormes, hêtres,

noyers, érables, peupliers,

buis, houx, platanes, sapins,

chênes, saules, et l’ombre

repue des bruits de la rue

traverse le ciel clouté

d’étoiles de mer.

 

 

 

 

 

 

5

 

Smog opaque. Essaim

de figures noires

collées sur l’asphalte.

Villes paralysées

dans le flou, et des gens

qui attendent, quelqu’un,

quelque chose, n’importe quoi,

des gens agités de tics,

malades, dans les vapes.

 

 

 

 

 

 

6

 

Faubourgs & banlieues

se dissolvant

dans le brouillard rugueux.

Douleur sournoise, métallique,

le froid noir entre

dans les corps des junkies

& des poivrots grelottant

contre les palissades

éventrées, au bord

des terrains vagues,

au bout de la nuit.

Les voitures de patrouille

ne s’arrêtent même plus.

Feux de position

& gyro-phares trouant

le brouillard jaune.

 

 

 

 

 

 

7

 

La Banque du Cerveau

infestée d’informations

explose, j’enregistre

dans la nuit glacée,

derrière l’écran.

 

 

 

 

 

 

8

 

J’aime rire, boire,

manger, fumer, planer,

j’aime me faire peur

dans le taillis de nerfs,

défaire le vide, étayer

la lumière blonde.

Le silence & la noirceur

nourris d’asphalte

& de drogue masquent

les gens qui attendent

au coin de la rue.

Partir alors, se fixer

dans une zone

il ne se passe rien,

les gens vont et viennent

comme si de rien n’était,

parce qu’ils n’ont pas

trop souffert.

 

Il y a des gens

qui ne savent pas

d’où ils viennent,

parce que attendre

c’est loin.

 

 

 

 

 

 

9

 

Le temps lourd gris

pris dans les Sargasses

du demi-sommeil,

les fleurs sauvages

éclatent en sanglots.

Par temps de pluie,

sur un lit d’iris

& de violettes je m’endors

dans la prison du jour

que le gel fend.

 

 

 

 

 

 

10

 

Il n’y a plus d’énigme.

Les pierres noires

& blanches roulent

à tombeau ouvert

dans l’écarlate.

 

 

 

 

 

 

11

 

L’arc-en-ciel

éclaboussé de fumée,

d’eau & de vent,

se jette par la fenêtre.

Les plumes vertes

des sapins parfument

l’air froid, la neige

tombe amoureuse

des flammes.

 

 

 

 

 

 

12

 

Il n’y a pas de témoins

innocents, les mondes

changent, la poésie

aussi entre ces murs

de bois, de pierre

& d’eau, le temps

efface la douleur,

le chagrin, et brûle

les morts.

 

 

 

 

 

 

13

 

La poésie naît

dans cette forêt

de battements de cœur,

et soutient le rythme

de la planète souillée

de beauté & de désespoir,

voisine du ciel.

Mais rien ne va plus,

les mauvaises augures

poussées par le vent

s’entassent sur la plage,

et décrivent un monde

froid, glacé, plus lourd

que l’air.

 

 

 

 

 

 

14

 

Être une vague.

Nous avons bien entendu,

et nous savons où

nous entraînent les regards

des filles & des fleurs

ouvertes, nous avons bien

entendu, nous avons vu

les arbres plonger dans l’eau.

 

 

 

 

 

 

15

 

Les étoiles se cherchent

des yeux dans le ciel

écorché par les odeurs

d’hier, affamées de couleur.

Les nains & les ratés

me cherchent des poux

dans la tête. Ils en seront

pour leurs frais, le silence

regarde les couleurs pleurer.

 

 

 

 

 

 

16

 

La fumée & ses larmes

de cristal s’allongent

sur les décombres,

repeuplent le monde.

Le retour de l’indigo

nous rend au vent

du large, et nous parlons

Roc & Eau, Os & Sang,

nous parlons à tire d’ailes

et nos regards se brisent.

 

 

 

 

 

 

17

 

La nuit se déploie.

Fatigue immense

comme le ciel,

kilomètres de grimaces

empêtrés dans le linge

des fantômes, des histoires

à dormir debout, gémissant

sous le marteau des mots.

 

 

 

 

 

 

18

 

Sur la corde raide

des mecs se défoncent

avec du corail noir.

 

 

 

 

 

 

19

 

Échappé d’un rêve

après avoir fumé

sur l’herbe crucifiée

par les larmes gelées.

 

 

 

 

 

 

20

 

Le vent prend d’assaut

les rues, s’engouffre

dans un brasier de veines,

larmes acides rongeant

le temps, rongeant la vie,

le temps s’enfuit,

l’amour s’ensuit,

être une vague

qui se brise,

tout est réel,

splendide, dur, vrai,

c’est pourquoi

il fait si froid.

 

 

Fall 78 — Cooperstown, USA

 

 

 

 

 

 

Tous les jours des milliers de personnes sont arrêtées, battues, humiliées, torturées, mises à mort, pour un oui, pour un non. Et les gens passent leur temps à s’expliquer, à discuter. La Mort n est jamais en retard. Un autre temps & l’idée de mort désespérément plaquée sur notre monde, coincé entre l’ordre, le désordre, le délire, la sagesse & la peur. Écureuils dansant sur les feuilles mortes agitées par le vent. Des prêtres & des policiers, des politiciens & des psychiatres, ces trafiquants d’âmes & de sexe ont des idées, étroites, solides. Ils jouissent dans un silence effrayant. X et Y ont bien mal compris l’à-quoi-bon, l’à-peu-près, le tout-à-l’égout des corps & des âmes. Un léger souffle de vent emmène les vraies larmes, ondes noires & blanches, manèges dorés sur lesquels caracolent les amours mortes. Dieu n’a pas de soucis. Il a tout inventé. Nous sommes quittes. Terre & Ciel roulant les images décimées qui ont grandi ensemble, échappant aux vents de l’Histoire. Les clefs de l’amour & du rêve ensevelies sous les flammes de l’été. Les papillons de nuit se transforment en braises, et au centre du monde, à deux doigts de la mort, on continue à fabriquer haine, souffrance, violence, terreur . Qu’avions-nous besoin de venir ici ? Les hommes ont perdu leurs jouets d’enfant. On écrit pour tout le monde dans les sous-sols des hôpitaux psychiatriques. On surveille. On punit. Les pires criminels se promènent dans les rues. Jamais justice n’est rendue. Haut-le-cœur, une fleur se change en larme. Qu’y a-t-il entre nous maintenant ? Soupirs, râles, hoquets, souvenirs, et la cruauté opaque des statues de la douleur & de la maladie. Se sentir « libre », en bonne santé, à l’aise, ou quelque chose de ce genre, dans le miroir du coin de la rue.

 

 

Collage : HORUS

 

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