Francis
GUIBERT
SACHENT
TOUS CEUX QUI CES LETTRES LIRONT QUE L’HOMME SAUVAGE QUI EXPLIQUA À L’EMPEREUR
SON RÊVE, CE FUT MERLIN, LE PREMIER CONSEILLER DU ROI ARTHUR DE BRETAGNE
« Nous faisons des feux la nuit, pour
que les gens vivent le jour.
Nous sommes l’Amérique, nous sommes
les vrais indiens, les nomades de l’esprit.
Nous faisons des feux la nuit pour
que le monde voit le jour.
Nous n’aimons pas la nature, nous faisons
la nature.
Ciel et Terre, la lumière qui est en
nous ne faiblit pas.
Sous ce Ciel nous dormons, dans cette
Terre nous couchons.
Nous ferons sur Terre ce qui ne fut
pas avant.
Un monde qui craint l’amour ne peut
saisir cela.
Un monde perdu ne peut être sauvé.
Il faut le refaire par le feu de nos esprits.
Nous détruirons tout ce qui en vous
dure, dure, dure...
Nous sommes durs comme le feu.
Vous êtes mous comme l’eau.
Le dur vaincra le mou. Comme la flamme
intense d’un chalumeau pénètre l’eau, notre esprit brûlera en vous. Le mou
usera le dur. Comme l’abîme silencieux des océans, vous anéantirez l’enfer
de nos énergies démentielles.
Mais sans nous, vous seriez tous morts.
Vous étiez tous morts. »
Les
Anges de l’Apocalypse
—
Crevé! —
Le subconscient et le surconscient nous cernent en permanence depuis notre naissance
jusqu’à la mort. Mais notre conditionnement héréditaire, l’éducation imposée,
le système social, nous cernent d’encore plus près et conspirent à réduire
l’humain jusqu’à en faire un véritable robot aux réflexes automatiques. Il
arrive qu’à la suite d’une tension mentale extrême et soutenue, un point-limite soit dépassé et que les murailles déjà fissurées
de notre prison intérieure explosent en mille morceaux. Une tornade d’énergies
telluriques et cosmiques traverse alors notre corps et notre esprit, activant
toutes les cellules nerveuses habituellement endormies. Les sens psychosomatiques
de la perception se mettent à fonctionner à plein régime. Des caves du subconscient,
jaillissent les désirs de notre imagination. Exaltés par le magnétisme omniprésent,
nos rêves les plus fous sont projetés dans la réalité. Évoluant dans cet univers
à haute-tension, notre imagination individuelle
se trouve rapidement consumée. L’orage astral pénétrant toujours plus avant
dans l’être, atteint le tréfonds et volatilise le sol des cavernes. Toujours
plus bas, il arrive au royaume de l’inconscient collectif et foudroie ses
murailles. Ici se trouve l’entité noire millénaire, le noyau de tous les archétypes
qui régissent l’histoire de l’humanité, la face cachée de chaque motivation
déterminante. La plus grande centrale d’énergie psychique étant ainsi libérée,
mise en prise directe avec la conscience, c’est alors une hémorragie interminable.
À ces influx souterrains, répondent d’autres messages venant du centre de
la galaxie, portés à travers la cinquième dimension, l’hyperespace, par des
êtres que l’on peut qualifier indifféremment de démons, d’archanges ou d’extraterrestres.
Le très-haut et le très-bas
s’entrelacent et fusionnent dans le corps porté par la foudre.
— Tête noire —
« Puisque vous pensez que finalement
c’est la conscience qui dirige et organise tout dans votre vie, ALLEZ JUSQU’AU
BOUT. Contrôlez chacun de vos faits et gestes, minute par minute, sans relâche.
Bonne chance ! »
Sur ce, les deux Inquisiteurs de la
Vie-Rassurante partent en confetti. Pendant ce temps, au-dessus
de la ville un OVNI stationne et les cerveaux-contrôleurs
se suicident à tour de bras. Mon crâne est ouvert et calciné par le Soleil
Noir. Je suis un vase sans fonds traversé par le vide magnétique. Venant de
tous les horizons, du zénith et du nadir, ma chambre est au centre d’un réseau
inextricable de forces, elle surplombe un puits abyssal creusé jusqu’au cœur
de la Terre. Je dispose des objets consacrés, signes transparents cristallisant
les flux énergétiques. En face du lit, Harloff déploie
son phylactère d’amour tantrique constellé de flammes nocturnes. Sur la cheminée,
Mati affiche son gigantesque « grain de sable », miroir-mandala
de l’ineffable convulsion
du monde moderne se perdant dans un foisonnement schizophrénique de sang,
de sexe, de cybernétique, de machines sadiques, dans laquelle ma vision frénétique
déchiffre le Code, le Fil Rouge qui me porte à la pointe des flammes de l’embrasement
planétaire. Tous les signes viennent à moi instantanément, je danse avec eux.
Dans l’aube magique, Hendrix, parti dans la fin de l’Inconnu,
impose sa présence, il est vivant encore, toujours. Room full of mirrors, all along the watchtower, message to love,
sa musique monte en girations de feu vers l’éther, amène la naissance du disque
d’or solaire, fait frémir le vert des arbres qui lancent leurs bras éternels
dans le ciel embrasé. Le royaume des ténèbres est conjuré, l’extase est sans
fin. Je suis le centre vital de la Beauté, tous les murs sont effacés à jamais.
Tout est musique, liqueur de couleurs tournoyantes, rosée d’aube de fin du
monde. Vie & Mort dansent dans l’espace du jeu immense de la non-pensée. E faut tenir, tenir encore et toujours jusqu’à
plus soif la corde de l’Amour Indomptable et Forcené
qui bouleversera un jour le monde. C’est le grand écart, la corde raide, la
précision électronique, le vertige efficace, la moisson d’étoiles.
— Joint me in the underground —
La Nuit monte lentement de la Terre jusqu’à voiler le ciel. Quelques
heures plus tard, la cité entière a changé de peau. La fourmilière sans âme
qui a grouillé toute la journée s’est maintenant effacée, cédant la place
aux prestiges de la Nuit. Des humains étranges, sortes de félins nyctalopes
intrépides et placides, prennent possession de la Surface. Ils viennent du
centre de la Terre et ramènent avec eux un peu de l’or liquide qui s’y trouve.
Car le soleil n’est pas seulement céleste, il est aussi chtonien. Au cœur
de notre planète se trouve un fragment solaire détaché de l’astre d’or au
temps de la genèse. La vie sur Terre ne tient qu’à un fil, le fil de l’onde
radiante qui relie le Soleil au noyau terrestre. Dans la phase diurne, l’Énergie Primordiale vient du ciel et pénètre la Terre. Dans
la phase nocturne, quelques étincelles remontent, portées par la race souterraine.
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas pour faire le miracle d’une
seule chose ». La Table d’Émeraude n’a pas de secret
pour les Fils d’Hermès, et le peuple souterrain
œuvre sans cesse à « séparer la Terre du Feu, le Subtil de l’Épais,
doucement et avec industrie ». Le Royaume de la Nuit est leur univers. Leur
emblème est le noir, le vert et le rouge. Fond noir, disque vert, point rouge
au centre. La Nuit dégorge l’or tellurique ruisselant, multiples rayonnements
éclatants de renaissances fluidiques. L’ombre et la lumière, la Terre Noire
et le Soleil Interne font l’amour pour la Merveille irradiante de la Vie Nocturne.
— Antéchrist —
J’ai joué avec Dieu. Je suis devenu Dieu. J’ai disposé des âmes
comme des corps. J’ai exploré le Temps, volant au passage les joyaux secrets
de l’Histoire. J’ai sondé le Ciel et la Terre. J’ai
bu l’or liquide de l’univers entier et j’ai épuisé Dieu. En fait il était
déjà bien vieux. Je l’ai achevé. Alors pour régénérer la Terre prête à rendre
l’âme, j’ai appelé, des confins des mégaparsecs de l’espace, la Super Force
Centrale de tous les univers. Celle qui peut retourner le monde tel un gant.
Elle est venue. Comme l’antimatière dans la matière. Comme une
explosion atomique de FOLIE à l’état pur. Transformant tout en vibration énergétiques
démentielles et hallucinantes. Possédant tout par une violence interne inimaginable.
À la vitesse de l’éclair, sélectionnant de façon drastique l’utile de l’inutile.
Restructurant les choses dans un ordre radicalement ÉTRANGER, irréductible
à toutes normes. Super Force extragalactique, Énergie Primordiale à l’état
brut, les hommes de l’Âge de la Pierre t’ont
sûrement connu. Beaucoup en sont morts. Et les survivants ont appris à vivre
avec toi, multipliant les canaux de dérivation, divisant ta force en impulsions
semi-contrôlées. Mais pour moi il était trop tard.
J’avais ouvert toutes les vannes. Je prenais un jeu de cartes, le pliais en
quatre, en huit, et rejetant le tout, je trouvais alors une Dame à tête de
Roi, un Valet tenant un sceptre, un neuf de Carreau avec un Trèfle au milieu.
Le Feu carbonisait les couleurs. Le noir devenait omniprésent, insupportable.
Le noir de mes ongles était un signe de mort affreuse. Chaque ombre devenait
ténèbres, noir brillant, aura de mort, avale-lumière, gouffre du Vide. J’avais voulu tout sauver
et j’avais tout détruit. J’avais transgressé toutes les lois, et, ultime abomination,
j’avais introduit l’antimatière dans la matière, mis à nu le Vide Interdit.
Pour cela je devais payer. Mon corps allait être ouvert dans tous les sens,
dépecé organe par organe, pendu à un arbre, et je ne mourrai... JAMAIS !
C’est la torture éternelle. L’impossible souffrance rendue possible.
Entre les galaxies, un son étrange parcourt les parsecs, frémissement à peine
audible du supplice innommable.
Écoutez : « brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr...
»
— De zéro —
Depuis une éternité ma vie est réduite à neuf mètres carrés,
un lit de fer vissé au sol, une cuvette de chiotte, des murs d’un bleu clair
de néant, un petit vasistas opaque près du plafond, et la porte, toujours
fermée, ventrue avec son capitonnage gris-plomb.
Je ne sais pas où je suis. Je ne sais rien.
Depuis toujours je veux sortir d’ici. Un jour on m’ouvre la porte.
Un infirmier me fait passer dans un couloir jaune très étroit. Au bout je
vois la lumière du jour. J’espère quelque chose. Et j’aboutis dans une sorte
de cage de verre, un petit salon tout vitré donnant de plein pied sur un parc
printanier. La cage est pleine de momies affreuses, de morceaux de corps posés
sur des chaises. En regardant mieux, je m’aperçois avec effroi que ces restes
humains sont encore animés de vie. Du fond de mon angoisse je sens la terreur
monter. Quel est ce cauchemar ? ! Que se passe-t-il ici ? ! Dans un mouvement
de panique j’essaye de sortir vers le parc. Impossible, tout est verrouillé.
Mais, voyant le regard indifférent de l’infirmier, d’un seul coup je comprends
tout. Ma terreur se fige, je m’enfonce lentement dans le désespoir absolu
: j’ai compris qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter en aucune façon, que tout
est parfaitement normal ici, rien qui ne soit pas dans l’ordre des choses.
Ne sachant que faire, je tire une chaise dans un coin écarté du charnier.
Je m’assois. Ma vue se dissout dans le vertige des surfaces de néant en linoléum.
Puis un écran-télé s’allume, imposant la présence de l’électronique
mystérieuse, de l’hyper-technique. Entité ambiguë
et troublante. Avant tout, ÉTRANGÈRE. Sur l’écran, des images incroyables
se forment. En gros plan apparaît un visage de femme. C’est Lilith. La première
femme, celle qui fut avant Ève et qui aura 15 ans à la Fin du Monde. Ses longs
cheveux noirs enveloppent ses yeux et s’épanouissent lentement, tels des ondes
liquides. Son visage est voilé par la nuit. Elle offre son corps, mais ses
yeux, personne ne les verra jamais. Elle n’est pas de ce monde. Ni d’un autre.
Elle est celle de nulle part. Lilith s’efface. Sur l’écran, c’est maintenant
un groupe de jeunes enfants qui se livrent à des jeux absolument incompréhensibles.
Très calmement, ils manipulent des objets et les disposent avec précision.
Chaque geste est important. C’est un rite vital. Ce sont des enfants qui découvrent
le monde. Je comprends qu’il faut faire comme eux. Il existe un éventail de
règles de jeux, et il faut les apprendre pour découvrir le monde et agir sur
lui. Découvrir ne relève pas de la pensée mais de l’intuition. L’action est
alors un état de grâce. Mais je ne sais encore rien. Je dois partir de zéro.