F.J.
OSSANG
RADIOSCOPIE
DE L’IMAGE TOTALE
pour Thierry Agullo
Il
n’y aura pas de radioscopie de l’Image Totale. Rêve
atlantique et scoops transeuropéens. Vivisection du simulacre russo-américain.
Toscins de guerrilla
urbaine et repli dans la dernière chambre du Waldorf
Astoria. Efficacité destruction du raid 5.I.5. : 89 %. Paix
glaciale à Berlin et Bucarest. Les sirènes subsoniques chantent dans le chant
des revenances polymères. J’écris comme après la
fin de l’Europe. Rasée d’Est en Ouest par les Euromissiles
pour n’avoir su procéder à la vivisection de la « Mort d’Europa 80 ». L’opacité
des limbes, ou : les moiteurs du simulacre russo-américain. Mais comment saurons-nous
?... Pourtant, il doit exister une IMAGE TOTALE. D’ici où, presque ciel presque enfer, la Terre se refuse
aux radiations des Toxiners. L’Âme Transeuropéenne n’est pas encore morte : elle survit dans
les reflets du crépuscule romain viennois d’un complexe satellite Paris-Lisbonne-Varsovie. Et Berlin Dantzig, et la côte Dalmate.
Et certains espoirs de réaliser l’impossible soudure de la « Commune » et
de « l’Empire sans princes vassaux ». Comme une
métaphore apatride...
NOS CORPS SONT-ILS DÉJÀ DÉTRUITS ?...
rien ni personne ne nous permet de répondre.
Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de radioscopie de l’IMAGE ANTECRISTALLE...
l’énigme hésitera sans fin entre une formulation baroque et une formulation
policière. Elle refusera de choisir de procéder par de seuls glissements de
sens, d’un réseau d’interprétation à l’autre. Comme elle renoncera à épuiser
les réseaux par trop saturés (par leur présupposé) d’une revendication ultraïste
de la métaphore initiale. Elle ne la reniera ni ne la justifiera à tout prix...
Nous en resterons à ce désir absolu : désir, nécessité du chant de tribu des
apatrides transeuropéens. Feuilletons-arènes &
sacrifice invocatoire tendus simultanément & de façon absolue vers l’impossible
silence de la réciprocité sans regards. Ni même visages de reflets. La destruction
pure de l’au-delà. L’exhumation de l’en-deçà.
Non. Il n’y aura pas de radioscopie de l’Image
Totale.
Comme ce soir-là, où j’ai confirmé Cyane
Lief. Parèdre Antecristalle.
La paroi des murs luisait de rougissements. J’étais un tremblement
de limbes en flammes. Vers une heure du matin, Lief
Lisa monta se coucher, épuisée par la célébration des Treize Cérémonies. Soudain,
j’ai eu très froid.
J’ai voulu fuir. Fuir la peur.
N’osant même pas me risquer dans les sous-sols du manoir pour
sortir la Studebaker, je suis parti à pied. La nuit
était blanche. Trop blanche. J’ai marché jusqu’à la route nationale, où un
type m’a pris en voiture. J’étais trop crispé pour parler. Il m’a laissé à
la station 13.
Je me suis retrouvé seul. Seul avec ma peur.
La peur de vivre. Les yeux qui font mal dans la lumière. Et la
nuit qui s’est remplie de menaces.
J’ai marché longtemps dans les rues. La peur d’affronter la lumière
rougie des bars, des clubs et des hôtels d’Agonie-la-Blanche.
La peur de mourir diamantaire de la Malédiction.
J’ai marché longtemps. Très longtemps.
Plus tard, je me souviens avoir attendu un taxi. En vain. Ma
bouche n’essuyait plus le sang qu’elle vomissait. Le précipité fantôme des
buveuses d’éther.
J’ai perdu connaissance. Lief Lisa
m’a réveillé dans la dernière chambre du Waldorf
Astoria.
Entre l’instant où je me suis évanoui et celui de mon retour
à la conscience, trois jours et trois nuits se sont écoulés, pendant lesquels
j’ai subi les pires accès de fièvre. Comme lorsque neuroleptiques, coke, éphédrine
et speed dosés à perfection, arrosés d’éthyle éther caféine ne m’accordent
plus le niveau pénétrant Novalissien. Comme lorsque
s’époudre l’enfuie. Que le débrisé
s’ensevelit, dégravit la fatigue et surchauffe en
blend glacé. C’est l’absence, et alors, je me sens tout perdre.
Puis, rien, plus rien...
Ensuite, des jours et des nuits me sont nécessaires pour effacer
ce qu’a gravé en termes de ruines actives cette perte de connaissance — de
« niveau pénétrant », d’une durée somme tout brève.
Des jours et des nuits, pour effacer ce glissement halluciné
sur la piste lumineuse diffractée de lampelles étrangleuses,
de bris de vitres, de tessons de rasoirs, de crans amphetamins et de poussières de métal reflé...
Tel effusion d’étincelles vives, ou fulmin
de bêtamorphine, je m’éveille hagard.
Comme un split hypodermique.
Et je découvre que lorsque je meurs, on m’appelle Arthur Strike.
À ces nuits de terreur, un seul remède : me connecter au « cerveau-à-neutrons » Z5/5. Pour tenter de mettre à nu la conduction
vitale.
Voici l’une des raisons de mon refus de procéder à une radioscopie
de l’Image Totale — qui ne manquerait pas d’évincer
le crépitement lumineux qui me détermine à l’inscription, à même la chair
de mes tables de nerfs, de ces premiers relevés de l’Antecristal.
Strike & Z5/5 : l’amble vampire du limier
secret des années 80.
Car
je suis du Sud, de l’Extrême
Sud, d’une terre enfermée dans la Terre, d’une terre enfermée dans la Nuit.
Je suis fils de l’Antecristal. Mon cou porte la
trace de morsure des vampires ; je la dissimule sous les plis d’une étoffe
de soie noire.
J’aime le Sang. Le Sang, tout droit issu des sources solaires.
Vif arraché aux cours de l’artère. Dans ses plus âcres pulsations.
J’ai été consacré sur les hauts plateaux de la Nuit, à l’entrée
du Gouffre où sept vallées se rejoignent. Au lieu dit des « Sept Poignards
de Cristal ». À l’entrée du Cornet Terrestre.
Je suis vieux, très vieux. Les origines de mes sangs ont été
roulées, brassées, mélangées par les vents tailladés de la Steppe. Je suis
une fièvre de reflets. Les reflets d’un temps où les sueurs viciées de la
Guerre Sexuelle ravinaient l’horizon toujours crépusculaire de l’Enfer
aux rougeurs de métal. On m’appelle Arthur
Strike.
Je suis ici pour accomplir la destruction pure des synthèses
feutrées de la mort Europa 80. Des faisceaux diffractés de la pénombre.
Je suis ici pour vivre l’expurgation d’Opak
City Toxiners. Pour exécuter une élévation : celle
du chant tribal de l’Image Morte.
Tout comme c’est par le fait du hasard que l’identité disparue
d’Arthur Strike a été exhumée par la conspiration
de Franz Von Stippenstocker, avant d’être infiniment
ressuscitée par la fureur vitale des fils de l’Antecristal
: à travers la propagation infinissante de l’énigme
de sa Mort. Car,
lorsque je meurs, on m’appelle Arthur Strike...
ÉPAVE de Claude MAILLARD
Photographie : Raoul GHO