Théo LESOUALC’H

 

LE FUNAMBULE

 

(conte apocalyptique)

 

 

 

 

 

mots d’encre qui encore sonorités bout à bout se dévident et    trame    taille dans l’espace informe. signes. mots d’encre qui    nœuds    jouent l’espace informe en conjugaisons de CORPS. et corps enlacés du gris muet. en sudation du même gris neutre de l’apparition

membres indistincts du flou. corps embrassés miment le vouloir-fondre de l’un à l’autre l’un dans l’autre    et corps de ces mots    vocables définitifs    définitivement lâchés    livrés l’un l’autre à sa propre présence. mais corps même

affairés

et mots semés    — drus—    au fil d’une vision angulaire qui décèle à vif les détails de l’architecture jusqu’alors évanouie que le jeu pétrifie élément par élément dans le cadrage mouvant indissociable de l’ensemble de ces corps projetés et tous reproduction pathétique d’un même corps qui aurait été soumis à la perpendiculaire proposée totalement dépendante du centre qui

lui

insoupçonné

n’aurait jamais appartenu à la nature fluide de ces signes annelés. et. qui pourtant bien que sans constitution

au fil des touches    franchit

en axe    la surimpression interminable    — disloquée — de ces personnages arachnéens     de plus en plus atteints par le cancer des couleurs. et. qui maintenant se heurtent aux parois du décor. s’empêtrent. roulent. boulent. laissant çà et là des fragments de ces couleurs issues de rien à toutes les aspérités du parcours

.et.    redeviennent malgré leurs velléités    corps anonymes de la vidéo-œil-de-mouche    .et.    décomposés facette par facette. déviés. car chacune des visions pourrait être comme projetée à l’intérieur de sa propre cellule octogonale    .et.    le son jusqu’alors inaudible. tel un suint laiteux produit par le raclement entre eux des bords de ces multiples alvéoles    .et.    moduleraient des envenimements de gammes se recouvrant en une harmonie fantasmagorique d’arabesques grotesques. comme plaintes inachevées qui laisseraient leurs pistes de mots d’encre    inanimés qui

 

(l’oreille décripte)

prendraient silhouettes de silhouettes maladroites éclaboussées ou mieux échevelées de coulures tentaculaires

traces d’embryons de membres

creusant dans la matière nouvelle du temps des chemins de galeries    couloirs anguleux minant lentement l’opacité stagnante de l’ ÉVÉNEMENT. ainsi naîtraient des sources de gigantesques cités en coagulations chromatiques    .et.    toutes composées d’un invraisemblable entassement de chambres froides    empreintes des copulations de tous ces demi-êtres issues de ce qu’on aurait appelé — il y a longtemps — l’aube fardée. par trompe-l’œil. autour de laquelle grouille l’armée blanche des techniciens de l’urgence

 

et.    pareil à une voûte encéphalique le dôme sidéral glisse. continue de glisser. gravement. sphérique sur ses couches successives    .et.    comme prisonnier d’une circonvolution sans terme possible    .    lâchant par bang autour les noyaux de nouvelles sphères qui vont rejoindre le mouvement de plus en plus hors d’atteinte    de la suractivation forcenée régnant dans la périphérie immédiate    par signaux d’alarme. messages couturés.

inscriptions lapidaires dans le sillon sans relief qu’il s’agirait de lire au ras de l’asphalte en un tatouage de saltation pointillée    — pas à pas —    sur des boucles nœuds pérégrinatoires    .et.    vouée à ce que    viendrait    dire le mot étrange horizontal (suspendu de ses quatre syllabes à sa réalité insoutenable parce que IMPOSSIBLE)

.et.

à ce point de saturation dans l’enchevêtrement tricheur du quadrillage planifié de la ville    apparaît alors la matière communicable de la PERFORATION. l’œil délivré à jamais des mots d’encre coule tamisé par un braille débité au ruban kilométrique du Maître-Ordinateur (M.O.) seul apte à en saisir les phonèmes    .trou.    à coordonner le souffle du langage en creux où se joue pourtant malgré lui. et pour son repos. le sort du nouvel analphabète. en proie désormais à tous les embouteillages

 

forer alors la grammaire de ces stigmates rectangles exsangues à l’heure top quatrième où (qui est pourtant une conjonction spatiale) désespérément conjuguant leurs énergies une pléthore de CHERCHEURS entraînés tentent de    restaurer les racines oubliées du mot unique que l’âge du monde met au jour : homme.

 

.et.    que taraude un pluriel vertical vieux lui aussi de quelques millénaires. et qui ne saura que s’allonger fatigue de la danse vaine sur le divan matelassé du cabinet de consultation pour un flux de confessions statistiques. le film claque. lampe rouge. reconstitution. univers d’accessoires. ordres circulant au-dessus de silhouettes prises dans les faisceaux de phares. maquillage. travestissements.

dieu passe    casqué d’écouteurs    et masqué et brodé de slogans et se dilue entre les rayons des projos. être invisible qui a la faculté de se reproduire lui-même en autant d’exemplaires    .sériel.    .et.    qu’on retrouvera par hasard planté à chaque carrefour revêtu de sa tenue de majorette    jouant la circulation sur un clavier de petites lumières scintillantes

                                     apparemment Inoffensives

 

 

 

en un rythme qui orchestre TOUS les gestes du circuit    canalise les allées-et-venues en vert orange rouge vert orange rouge de la foule des piétons

                                    de la foule vert orange rouge tandis que SEULE la mémoire sémantique du Maître-Ordinateur (M.O.) enregistre et classe chaque détail. détournant les irrégularités rejetant les scories des gestes inconsidérés sur un crassier conique gardé à vue au large de la périphérie salubre afin de garantir la marche de la machine géante contre toute possibilité fatale de dérèglement

ne constaterait plus que la réalité reptile du ruban perforé qui édifie en tours géantes ses magasins de replis resserrant vers le périmètre réservé à la marche les dernières dérives en voie de disparition car

il faut savoir que le but final du fantastique dispositif mis au point par des générations de spécialistes rompus aux disciplines de l’ordre et qui apparaît maintenant en toute lumière est de réduire définitivement la race des marcheurs (devenue inutile) pour ne plus servir que l’enroulement du ruban silencieux composé pour l’édification de la pensée du M.O. de petits vides rectangulaires fenêtres ouvertes. tout de suite repliées par l’enroulement de la bande et vouées à l’incognito sublime de la Grande Mémoire Universelle

 

la mémoire sémantique du Maître Ordinateur

l’âme est moire s’aime en tic

lamé moirsé mantic

 

&

 

laborantins hygiéniques blouses blanches. monde effervescent. silence de chaussons à semelles synthétiques sur un asphalte vide. VIDE désormais... déambulation seule fonction de haute surveillance. le M.O. déroule son ruban

personnel absolument qualifié. se croisent le long des couloirs. visages gris. se relaient par équipes d’entretien dans l’abdomen du M.O. bourdonnement régulier. berceur.

rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr que rien aucun parasite ne vient troubler tandis que dans sa nacelle située au centre cervical du M.O. trône l’Ingénieur dont le rôle est d’être là environné d’écrans de contrôle qui à la moindre anomalie (provoquée par exemple par la défaillance improbable d’un des laborantins s’allumeraient mettant en place le dispositif de sécurité dans l’ordre suivant :

dispositif o corrigeant immédiatement la faiblesse

dispositif oo faisant marche arrière, suspendant la Mémoire

dispositif ooo, prévu pour un cas extrême, anéantissant provisoirement le G.O., interrompant l’émission et dressant autour de la masse énorme de la Connaissance accumulée un rideau de rayons protecteurs.

enfin dispositif ooooo... (non envisageable) suicide définitif mais...)

mais

le bourdonnement ronronne quelque part dans le champ de somnolence de l’Ingénieur. tout est normal. écrans aveugles.

l’Ingénieur, comme chaque fois qu’il entre en hibernation, interrompt sa surveillance et branche l’automatisation en prévision de l’hypothétique alarme    &

se noue en boule, jambes ramenées contre la poitrine, liées par les bras, mains jointes. position habituelle qui lui vient on ne sait d’où

rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr sphère

 

glissade rotative

sphère sur sphère

sur sphère

 

rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

sur SPHÈRE

comme

comme une spirale qui s’enfonce à la VERTICALE

s’amenuise

liquide

sans consistance

 

spirale / ruban perforé

dans

la

matière

du

temps

inconnu

 

&

 

sous la plante de son pied

qui le transporte par glis-

sades successives sans à-coup

la consistance d’une sorte

de fil métallique mais

fait aussi d’un son unique

inaudible le long duquel il

suit une spirale ascendante

ou descendante    .et.

sans AUCUN TÉMOIN mais

tout auréolé du curieux rire

des sphères

 

 

 

 

 

 

 

décembre 78

 

 

 

 

Photographie : Angéline NEVEU

 

 

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