DIDIER MANYACH
L’ÂME DANS LA TERRE & LE VOYAGE
SUR LES DÉPOUILLES...
1
Mais j’attendais que les vautours
les gardiens futurs de la dégénérescence
occupent tout le territoire
et s’animent sur les chairs.
À l’idée que là-bas
dans une de ces îles des mers du Sud
écrasées de chaleur
nous puissions nous perdre
Je voudrais être parvenu
au terme des réalités corporelles
et que l’aube enfin se lève
dans la cavité du nombre infini.
2
Sept anneaux parmi les cylindres de lumière
se dressent sur la végétation :
notre corps considéré comme un tas de viande.
L’histoire de ces cinq années sanglantes
méritent d’être contées.
L’esprit et la raison de l’homme
— demeure immobile dans sa maison terrestre —
nous pouvons les contempler
comme un film d’action futuriste ou barbare
une séquence hyper-réaliste
monté au point le plus haut
du cortège céleste.
Une étincelante procession de sang
circule autour du ciel
parsemée d’étoiles sortant de l’eau
comme les vivants mortels
alors que dans les astres
déambulent parmi les rayons de l’air
des images — aujourd’hui mutilées —
d’un réalisme hallucinant.
3
Il pulvérise les objets
les plus misérables
leurs faces bleu-nuit
de démiurge
en prononçant des phrases
merveilleuses
qui frappent le front
des morts.
Sa magie n’est pas supérieure
elle met en œuvre
l’entourage des Philosophes.
Et il guérit tous les maux
de ceux qui évaluent
traditionnelle ou légitime
la sainte race des Privilégiés :
en leur offrant des livres
saisissants.
4
Car ce serait être d’un autre
que de n’avoir ni conscience
ni intuition ni volonté
au-dessus de la pensée
au-dessus de la science
ne pouvant revenir sur lui-même.
Et si il y a montée
de la multiplicité numérique
à la multiplicié idéale
il y a descente insondable
dans l’Être universel
à s’enfoncer plus profondément
dans ce qui est propre et sale
car toute pensée détermine
l’impensable.
Plus le miroir se perd
dans son infinité
plus le rien épuise
son éclat.
5
Quand le corps matériel se dissipe
la main est cramponnée à la terre.
Par cent formes différentes
le siège idéal de la matérialité
n’est pas dans la résistance
mais en déchiquetant l’extrême.
J’ai vu un ami
arraché par une explosion
se dissoudre dans l’espace
plus mobile que l’air
et se mouvoir ainsi dans une forme
qui n’est pas circonscrite.
Le Mouvement lui-même
est imité du Séparateur.
6
Nous connaissons beaucoup mieux
le cerveau archaïque
cette peur du rat opéré
ce moteur en action
de la nature angélique
qui par réversion
attire la conscience vers Dieu.
Au fond de quelle lune
de neige tassée
gît la salamandre pourpre ?
Dans quel lac de métal
aux plaques de brumes
noires dans des forêts
qui n’existent plus
sombra le Poisson d’or
omis du cortex ?
7
Par un terme idéal
j’irai tout en haut de la Voix
qui m’appelle
dans l’incendie cosmique
et le sphinx d’argile
s’effritera dans les déserts du ciel.
La terreur primitive de la Chute
— comme la forme de la statue
est inséparable du bronze —
se nomme : Peur.
Ma tête s’est penchée :
maintenant le monde est beau.
Et les corps et les mons
ont dépouillé le rivage
dans la mort du corps
ont ravagé l’édifice
dans l’esprit qui les pense.
Je suis étendu sans bras
sur la dalle brûlante
et j’attends...
8
Par l’éclat des astres et par le vol des rapaces
dans les hautes régions de l’air
je sais que la mort reproduit la sphère
elle chasse les corps étrangers
que lui apportent les fleuves
et conduit les innombrables messagers
dans la région hostile.
Dans l’ombre fraîche
mes lèvres viennent boire
et dans ce mirage
mon sang se répand sur les sables
mais lorsque de l’eau renaissante
je retire mon visage
ma bouche se durcit aussitôt.
C’est une image du monde que je contemple
dans la terre où je pense
bien avant les marées...
L’horreur même semblait calme
dans les limons de la Mère...
9
Et les hiératiques
leurs gestes propitiatoires
gravés sur les parois
ont disparu
leurs vestiges se transforment
les uns dans les autres
pour que toutes traces soient perdues.
Les vêtements des morts
et l’or vivifiant
ont été pillés
la pierre noire déplacée
puis répandue comme la cendre
sur les sept vallées.
La lettre pivota
tout au bord de la faille
et le signe sombra
au fond de sa bouche.
10
Par l’éclat tout ce qui fut mêlé
n’est plus fécond
et la poussière livre le ciel et l’air
les noirs sabots
ne sont que l’empreinte du chaos.
Il circule entre les différentes régions
il est Présent
et lorsque le mouvement le provoque
il reflue vers d’autres savoirs
maintenant que l’univers entier
reproduit sa respiration
il hante l’Épigone.
Et sans fin il voyage
descendant vers un futur sans Or ni Âge
au long des sombres pentes
du Corps.
11
Puis notre mémoire
comme se détachant par blocs dans le Temps
et par le devenir mobile
de l’éternité
— tels ces charognards dans le bleu pur —
s’oriente vers la source
happée par tous les vents
plonge au torrent
ses linges blancs et noirs.
Enfin dans les brumes
ainsi l’extase dissipée par le Midi
est reconquise
se dissout dans les vaines ombres
glacées sur les pôles
arrachées à elle-même
et vont se perdre au-delà de tout horizon
sur la terre en mouvement
qu’annoncent sur les mâts
les Oiseaux de la Langue
plongeant dans leurs chevelures
par vagues successives
des ailes rouges.
12
Car Vivants au retour
leurs désirs sans mesure
astres aux révolutions invariables
plus prompts que la pensée
se transportent
à l’instant où ils veulent
leurs inscriptions cachées se découvrent.
Et ce vide d’où ils naissent
se manifeste
et par migrations au travers Nous
apparaissent
pour nous rendre l’Énigme.
Car de l’aube qui soudain
envahit tout l’Être
se lèvent les branches décroisées
de leurs socles boueux
et régénèrent ainsi l’espace
qui jadis étouffa.
Puis sous les arbres passe l’âme recommencée
un instant hésite
puis se dirige
là où il faut aller...